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Les Epreuves par les éléments et l’épreuve de Justice et de la Clémence dans le premier Grade du rite Ecossais Introduction Les rituels du Rite Ecossais Rectifié présentent, sur un fond qui est celui de la pratique maçonnique française du XVIIIème siècle, certaines particularités qui sont caractéristiques de ce Rite et contribuent à lui donner sa spécificité. Ces particularités ne sont pas des apports disparates qui seraient entrés dans les rituels au hasard d'influences indépendantes les unes des autres. Elles forment en effet, entre elles et avec ce qui vient du fond commun français, un ensemble cohérent qui a été construit dans une intention bien déterminée : celle de véhiculer, quoique sous une forme voilée, une doctrine précise. On sait que cette doctrine est celle de Martinez de Pasqually et que celui qui prit l'initiative de l'introduire dans la Maçonnerie, et fut le principal artisan de la construction dont nous venons de parler, fut Jean-Baptiste Willermoz, assisté d'un petit groupe de frères lyonnais et en liaison avec un groupe de frères strasbourgeois. Néanmoins, malgré l'unité de cet ensemble, les éléments qui le composent n'ont pas tous la même origine et n'ont pas tous été incorporés au même moment dans l'édifice. La mise au point des rituels s'est étendue sur sept ou huit années, si on la fait partir du Convent des Gaules tenu à Lyon à la fin de 1778 ; et si le Convent de Wilhelmsbad tenu en juillet et Août 1782 est une étape cruciale du processus, il est loin d'en marquer le terme. La remarquable cohérence du résultat final est due essentiellement à la claire idée que Willermoz et son équipe avaient du but poursuivi ainsi qu'à l'habileté avec laquelle ils ont su faire concourir à ce but, les matériaux d'origines diverses dont ils disposaient. Cette diversité d'origines apparaît clairement, dans ce que l'on sait des travaux du Convent de Wilhelmsbad sur les rituels. Dans son « préavis présenté au Convent le 29 Juillet (1), Willermoz, abordant la question des grades symboliques, commence par annoncer qu'il a apporté les rituels adoptés par le Convent National des Gaules (pour être) soumis à l'examen du Convent Général lorsqu'il le jugera convenable ». Mais il ajoute : « Cependant comme elle (2) sait qu'il existe diverses autres formules des trois mêmes grades, et autres supérieurs, pratiqués depuis longtemps par les Grandes Loges Nationales de Berlin, de Suède, d’Angleterre, et en diverses contrées de l'Allemagne, lesquels pourraient remplir comme les siens le but moral et préparer en même temps par les mêmes symboles et emblèmes à des connaissances plus élevées, je prie en son nom le Convent Général de lui en procurer la communication et de statuer que ces formules soient produites, lues et examinées au Convent... ». Dans la suite du texte, Willermoz envisageait que le Convent retint un petit nombre de ces formules entre lesquelles les différentes provinces auraient à choisir, admettant ainsi une pluralité de rituels pour les grades bleus. Toutefois, il envisageait aussi (et sans doute le souhaitait-il) « qu'à mesure que le sens particulier des diverses formules se développerait par l'étude réfléchie et la connaissance plus approfondie des emblèmes et symboles qu'elles présentent, on put parvenir en peu de temps à les réduire en une seule qui remplirait tous les buts qu'on se propose ». De fait, le Convent opta pour le principe d'une formule unique et celle-ci fut élaborée à partir de rituels d'origines diverses soumis au Convent ainsi que Willermoz l'avait demandé. Celui-ci revient sur cette question dans une lettre écrite à la fin de l'Empire, à un correspondant non identifié (3). Il précise que le Convent forma divers comités, dont l'un « fut chargé d'examiner, de comparer et d'analyser tous les rituels qui avaient été produits, des grades bleus de tous les régimes ou systèmes et d'en rédiger un résultat ». Ces comités se réunirent ensuite en un comité général, dans lequel « furent arrêtées les bases et la classification de tous les rituels dudit Régime ; et ce résultat ayant été présenté à l'assemblée générale et adopté unanimement par elle, devint dès lors la loi générale de l'Ordre ». Il est trop tôt pour écrire une histoire complète de l'élaboration des rituels qui préciserait l'origine de chacune des particularités susmentionnées et le moment de leur introduction. Indiquons seulement, à titre d'exemple, que le « symbole » du grade d'apprenti (« une colonne brisée et tronquée par le haut mais ferme sur la base, avec cette inscription : adhuc stat »), vient de la Stricte Observance : selon Le Forestier (4), elle figurait dans les rituels rédigés entre 1751 et 1755 par le baron de Hund, où elle se rapportait à l'Ordre du Temple. Il n'est donc pas étonnant de la retrouver dans les rituels du Convent des Gaules, mais on ne peut pas la considérer comme un apport de ce Convent (5). En revanche, la suppression des châtiments corporels dans les serments est due au Convent des Gaules. En effet, si l'instruction morale d'apprenti indique qu'il s'agit là d'une décision prise « dans une assemblée générale de l'Ordre » (c'est-à-dire à Wilhelmsbad), on constate que les châtiments corporels n'apparaissent déjà plus dans les rituels du Convent des Gaules. Le Convent de Wilhelmsbad n'a fait qu'étendre à l'Ordre entier, une mesure qui était déjà en vigueur dans les provinces françaises. C'est aussi dans les rituels du Convent des Gaules, qu'apparaissent les maximes associées aux trois voyages, sous une forme très légèrement différente de leur forme définitive. A côté de cela, il existe des particularités (par exemple le fait de faire trois fois le signe à l'ouverture et à la clôture des travaux, ou les trois états du récipiendaire : cherchant, persévérant, souffrant) dont l'origine n'est pas encore éclaircie : peut-être devrait-elle être cherchée dans les rituels allemands, suédois, ou autres, examinés par le Convent de Wilhelmsbad. Nous voudrions dans cet article, traiter de deux points bien précis du rituel du premier grade : les épreuves par les éléments associés aux voyages et l'épreuve de la Justice et de la Clémence. Ces deux points posent un problème particulier, car ils constituent, en ce qui concerne le grade d'apprenti, les deux différences marquantes entre les divers rituels postérieurs au Convent de Wilhelmsbad. En fait, on peut dire en première approximation, que le rituel d'apprenti issu de ce Convent, existe en deux versions : une qui comporte ces deux systèmes d'épreuves et l'autre, qui ne les comporte pas. En dehors de ces deux points, les manuscrits ne présentent pas de différences significatives. Nous nous proposons de déterminer laquelle de ces deux versions doit être considérée comme définitive et d'autre part, de préciser l'origine et la signification des deux systèmes d'épreuves. Mais auparavant, il nous faut parler de la rédaction des rituels après le Convent de Wilhelmsbad et présenter les deux versions. Les Rituels Post‑Wilhelmsbad Les travaux du Convent sur les rituels produisirent en particulier, une première mouture du grade d'apprenti, qui fut imprimée pendant la durée même du Convent et fut utilisée pour une initiation faite en séance (6). Ce n'était néanmoins, au dire de Willermoz, qu'une « esquisse » qui devrait être développée dans une rédaction définitive, laquelle ne pourrait avoir lieu qu'après la clôture du Convent. « Je viens de dire - rappelle-t-il dans la lettre précédemment citée, (cf. note 3‑) que ce fut dans le Comité général des trois classes, que furent arrêtées les bases de tous les rituels des dites classes. J'ai dit les bases seulement et non pas la rédaction définitive de chaque rituel, car pour les rédiger définitivement et leur donner le développement et le degré de perfection qui étaient projetés, il aurait fallu que le Convent restât assemblé six mois de plus, ce qui était absolument impraticable, il fallut donc y pourvoir par d'autres moyens. On commença par faire imprimer dans le Convent même, les bases adoptées des rituels des trois premiers grades, qui n'en étaient qu'une simple esquisse ; avant de se séparer, le Convent général avait confié aux députés français d’Auvergne et de Bourgogne, les plans originaux de tous les matériaux qu'ils avaient adoptés, pour diriger cette rédaction finale ; il les avait chargés de se concerter par correspondance pour chaque partie du travail et les avait autorisés à s'adjoindre tant à Lyon qu'à Strasbourg, les FF\ les plus capables de les aider et d'en communiquer successivement les résultats au Sérénissime Grand Maître et son Conseil, pour en recevoir l'approbation, ce qui a été exécuté ». Willermoz, avait déjà écrit la même chose, quoique avec moins de détails, dans une lettre à Charles de Hesse, du 10 septembre 1810 (7). Mais il précisait que la rédaction avait en réalité, été principalement le fait des frères lyonnais, avec l'accord des frères strasbourgeois et « sauf la communication à leur donner de chaque partie, avant qu'elle fut définitivement arrêtée ». Surtout, il apporte cette information très importante : « la rédaction définitive, ainsi concertée, ayant été adoptée par les trois provinces françaises et par celle d'Italie vers la fin de 1786, fut présentée à l'Eminentissime Grand Maître général qui y donna son approbation en 1787 et dès lors, ils (c'est-à-dire les rituels), furent publiés dans les (Loges) de France ». Les rituels post-Wilhelmsbad portent tous la mention suivante : « Rédigé au Convent Général de l'Ordre tenu à Wilhelmsbad en 1782 ». En réalité, ils sont le produit de cette rédaction postérieure au Convent, - qui a pris comme on le voit, un temps assez long. En ce qui concerne le grade d'apprenti, qui seul nous occupe ici, nous savons qu'il existe en deux versions. Nous connaissons la première (celle qui ne comporte pas les deux systèmes d'épreuves et que nous appellerons pour cette raison, la version courte), par trois manuscrits :
Une autre copie du même rituel se trouve aux Archives de la Drôme. Il provient de la loge de l'Humanité à l'Orient de Crest, et porte une authentification semblable à la précédente, datée du 15 Décembre 1785. La seconde version (celle qui comporte les deux systèmes d'épreuves et que nous appellerons la version longue), nousest connue par un seul manuscrit, qui est à la Bibliothèque Nationale (FM418) et fait partie d'un jeu de cahiers des trois grades bleus, dont l'un porte la date 5802, provenant de cette Loge, dont chacun contient une des deux versions. Celui dont nous parlons maintenant ne porte pas de marque d'authentification. Il convient donc d'essayer de le situer historiquement, ce qui heureusement est possible, grâce à la correspondance entre Willermoz et Achard, le Vénérable de la Loge, correspondance conservée à la Bibliothèque de la ville de Lyon. Comme nous l'avons dit, la Loge marseillaise avait été suspendue en 1788. Néanmoins, en 1801, elle crut pouvoir reprendre ses travaux avec des copies qu'un frère avait gardées des rituels et qui avaient été rendus au Directoire lyonnais. Achard, prié de reprendre le maillet, objecta d'abord qu'il fallait obtenir l'approbation du Directoire. Il écrivit vainement à Périsse Duluc (qui était mort) et à Braun (qui avait quitté Lyon), avant de s'adresser à Willermoz. Dans sa lettre (8) du 11 Frimaire an 10 (2 Décembre 1801), il avoue que devant l'impatience des frères, il a repris les travaux sans en attendre l'autorisation et il demanda à Willermoz de les régulariser. Il ajoute : « Les rituels, le code et les instructions nous avaient été donnés comme provisoires. Nous avons tout pour les trois premiers grades, à la réserve de l'instruction des maîtres. En nous régularisant, nous vous demanderons les rituels nouveaux, s'ils sont prêts ». Il est intéressant de noter au passage que les rituels envoyés par le Directoire à la Loge avant la Révolution et copiés sur le document 1) ci-dessus, lui avaient été présentés comme provisoires. Nous y reviendrons. Willermoz se fit un peu tirer l'oreille, mais accéda enfin à la demande d’Achard et c'est le 14 Fructidor an 10 (1er Septembre 1802) (8) que celui-ci lui accuse réception avec enthousiasme, des rituels qu'il vient de recevoir. Ces rituels contenaient plus de choses que les anciens, car Achard écrit – « Nous espérons que les nouveaux rituels dont nous vous faisons les plus vifs remerciements au nom de tous nos frères, donneront encore plus d'activité à l'étude que chacun doit faire en son particulier. De nouveaux développements, de nouvelles instructions sont bien propres à dessiller les yeux de ceux qui ne veulent pas persister dans leur aveuglement ». De fait, ces nouveaux rituels contenaient bien les épreuves par les éléments et l'épreuve de la justice et de la clémence. C'est ce que montrent les allusions qui y sont faites dans des discours d'orateurs (9). Par exemple dans l'éloge funèbre du frère Million, prononcé le 30 Novembre 1802 : « Heureux le maçon qui (...) reconnaît que la punition qui lui est infligée, est un acte de justice et que celui qui l’y a soumis a porté la clémence jusque au plus parfait abaissement, pour rouvrir au coupable, la porte qui lui aurait été fermée pour jamais sans ses bontés inexprimables » ou encore dans le discours le nombre 3 du 28 juin 1806 : « L'âge maçonnique, mes frères, porte le nombre trois, parce qu'il s'acquiert en faisant les trois voyages autour de la Loge et en montant les trois premières marches de l'escalier du temple, après avoir passé par l'épreuve des trois éléments ». Mais surtout, le discours que voici, non daté, montre bien quelles étaient les différences entres les anciens et les nouveaux rituels : « dans l'instruction dont vous venez d'entendre la lecture, vous avez dû être étonné qu'il ne soit pas fait mention des épreuves des éléments, ni des mots justice et clémence qui vous ont été montrés pendant votre réception. Je viens vous expliquer les causes de cette réticence. Les rituels provisoires dont nous nous servions auparavant, ne présentaient pas ces épreuves et l'instruction que vous venez d'entendre, ayant été faite d'après ces rituels, ne pouvait en présenter l'explication. En attendant qu'une nouvelle instruction vous en donne le développement (10), je vais en peu de mots, vous rappeler ces circonstances de votre réception ». Ce rappel est en parfaite conformité avec le rituel de la version longue, tel que nous le connaissons par le manuscrit FM418 : « Pendant les trois voyages emblématiques que vous avez faits autour de la Loge, on vous a fait subir l'épreuve du feu, de l'eau et de la terre. On a voulu vous convaincre par là, que les éléments ont la faculté de détruire l'être corrompu, mais qu'ils n'ont pas le pouvoir de le régénérer. Ce n'est donc pas dans les éléments que vous devez mettre votre confiance pour votre amélioration. Lorsque vous avez reçu un faible rayon de lumière, on vous a prouvé que les apprentis ne peuvent le découvrir dans tout son éclat. En traversant les régions élémentaires, vous avez rencontré des obstacles et lorsque vous avez pu apercevoir quelque chose, le premier objet qui s'est montré à vos yeux est la justice figurée par les épées des frères tournées contre vous ; il est vrai que vous avez eu la consolation de découvrir en même temps, la clémence qui vous a donné les espérances les plus satisfaisantes et votre soumission entière, votre pardon généreux et la docilité que vous avez montrée vous a obtenu que la lumière dont vous avez été privé une seconde fois, vous fût rendue dans tout son éclat ». Enfin, nous pouvons citer Willermoz lui-même, dans une lettre à Achard du 31 Janvier 1806 au sujet des tenues d'instruction : « N'avez-vous rien à dire sur tant d'autres parties instructives des rituels, sur cette vraie justice et sur cette clémence qui en tempère les rigueurs méritées, sur ces éléments purificateurs à la rigueur desquels tout homme est soumis ? ». Il ne fait donc aucun doute que la version présentée par le manuscrit FM418, soit bien celle que Willermoz a envoyée à la Triple Union, quoique ce manuscrit soit plus probablement une copie faite par un membre de la Loge que l'original envoyé par Willermoz, car ce dernier portait certainement une marque d'authentification. Nous avons posé la question : des deux versions, quelle est celle qui doit être considérée comme définitive ? Nous avons déjà des éléments de réponse à cette question. Il est clair d'après ce qui précède, qu'aux yeux des frères de la Triple Union, la première version, qu'ils avaient reçue avant la Révolution, était provisoire (du reste, on le leur avait dit) et la seconde définitive. Il est clair aussi, qu'il en était de même aux yeux de Willermoz : sinon, pourquoi leur aurait-il envoyé cette version là, pourquoi aurait-il insisté auprès d’Achard, dans la dernière lettre citée, sur ce qu'elle contenait de nouveau par rapport à l'autre ? Mais il y a une preuve bien plus nette encore du fait que pour Willermoz, la version longue était la version définitive. Elle est contenue dans l'instruction finale du grade de Maître Ecossais de Saint-André, rédigée par lui en 1809. Cette instruction contient une récapitulation des grades bleus, dans laquelle il est fait clairement allusion aux épreuves caractéristiques de la deuxième version : « Dans le premier grade d'apprenti, après avoir subi l'épreuve des éléments matériels, figuratifs de ceux dans lesquels l'homme actuel est incorporé, vous avez bientôt reconnu que vous étiez tombé sous le fléau de l'inexorable justice. Mais on vous exhorta à réclamer la clémence qui en tempère les rigueurs ; et pour en assurer sur vous les effets salutaires, on vous fit sentir la nécessité d'en user vous-même envers vos semblables (11) ». Mais alors, une question se pose. Cette deuxième version, considérée comme définitive, mais qui n'est attestée par aucun rituel antérieur à la Révolution, est-elle bien celle qui, au dire de Willermoz, lui-même, a été « adoptée par les trois provinces françaises et par celle d'Italie vers la fin de 1786 (et) présentée à l'Eminentissime Grand Maître Général qui y donna son approbation en 1787 », à la suite de quoi les rituels. « Furent publiés dans les Loges de France » ? Ou bien Willermoz aurait-il après cela pris l'initiative d'ajouter les particularités qui caractérisent la deuxième version ? Dans ce dernier cas, celle-ci n'aurait jamais été approuvée et on ne pourrait invoquer en sa faveur que l'autorité personnelle de son rédacteur. C'est à cette question que nous allons répondre maintenant, tout en essayant par la même occasion, de préciser le processus de la rédaction des rituels après Wilhelmsbad. Les Dates des deux Versions et la Rédaction des Rituels Nous pouvons affirmer que la deuxième version est antérieure à la Révolution. Cela résulte d'un document conservé à la Bibliothèque de la ville de Lyon, qui s'intitule « Réunion des notes de plusieurs frères sur le grade d'apprenti ». Ce document est une suite d'observations sur un rituel visiblement déjà rédigé. Après deux remarques générales provenant l'une de Louis Claude de Saint-Martin, l'autre de Willermoz, les observations suivantes (tirées de plusieurs mémoires, l'un de Willermoz désigné par la lettre W, les autres désignés seulement par des numéros) portent sur des points précis et renvoient au rituel par page et par ligne. Il s'agissait donc d'un rituel complet, qui avait été soumis à un certain nombre de frères, en vue d'une révision. Cela ne se conçoit ni pendant la Révolution, ni après, alors que Willermoz restait seul, ses anciens collaborateurs étant morts ou dispersés. Bien que le document ne soit pas daté, on peut être assuré qu'il se situe dans la période de mise au point des rituels, dans les années qui ont suivi le Convent de Wilhelmsbad. Or, les observations des frères contiennent des allusions très claires aux épreuves par les éléments et à celle de la justice et de la clémence. L'une d'elles concerne le moment où l'ordre doit être donné au frère servant, de « disposer les éléments », et une autre aux précisions à donner sur « l'endroit où les trois éléments doivent être placés » ; une autre encore parle de trois « vases » en demandant de préciser que ces trois vases seront placés autour du tapis sur trois tabourets ou trépieds dans l'espace qui est ménagé entre le tapis et la ligne formée par les trois hauts chandeliers d'ordre, ces trois vases et leurs supports seront retirés et enlevés après les trois voyages. Il est clair qu'il ne peut s'agir que des « vases des éléments » dont parle le rituel de la deuxième version. Du reste, l'un de ces vases est une « cassolette » (mot employé dans le rituel de la deuxième version pour désigner le vase qui contient le feu) et l'auteur anonyme de la remarque fait observer que ce mot « désigne un volume de flamme tout à fait trop petit ». D'autre part, une observation dit : « C'est ici où il faut dire particulièrement, que les transparents de la justice et de la clémence doivent être allumés » ; et une autre : « Il semble que le candidat n'a eu pour la première fois les yeux ouverts que pour apercevoir la justice et la clémence, qui sont les deux vertus caractéristiques de son grade ». Nous pouvons donc écarter l'hypothèse que Willermoz aurait de sa seule initiative ajouté les épreuves par les éléments et l'épreuve de la Justice et de la Clémence. La question qui reste à résoudre est alors la suivante : la version longue est-elle la version définitive approuvée en 1786/1787, ou bien serait-elle une version qui aurait été envisagée au cours de la rédaction des rituels après Wilhelmsbad et aurait été rejetée au profit de la version courte ? Dans ce cas, il faudrait admettre que Willermoz, resté seul après la Révolution, aurait de sa propre autorité rétabli la version longue pour laquelle il aurait eu une préférence personnelle ? Cela aurait été bien audacieux de sa part, et apparaît peu vraisemblable, quand on se souvient des grands scrupules qui l'ont retenu jusqu'en 1809 d'achever seul, le grade de Maître Ecossais de Saint-André, à quoi il ne se résolut qu'après une grave maladie dont il faillit mourir (13). Néanmoins, j'avoue avoir penché pour cette hypothèse. La raison en était que dans les deux versions, les trois voyages s'effectuent alternativement par le nord, par le sud et de nouveau par le nord, alors que dans le rituel du Convent des Gaules, ils s'effectuent tous trois par le nord, conformément à la pratique commune française. Or, dans la version longue, cette alternance s'explique assez naturellement par la disposition systématique des éléments : le feu au sud au premier voyage, l'eau au nord au second, la terre à l'occident au troisième, tandis que dans la version courte, la dite alternance n'a pas de raison d'être évidente. Cela me semblait être un indice de l'antériorité de la version longue sur la version courte : l'alternance, dans la version définitive n'aurait été qu'un vestige d'une version antérieure où figuraient les épreuves par les éléments. Il me fallait alors expliquer pourquoi les épreuves par les éléments et l'épreuve de la Justice et de la Clémence avaient été rejetées. Je pensais que cela était du à leur caractère trop évidemment martinéziens et que Willermoz, lorsqu'il avait voulu les introduire, s'était heurté à l'opposition de certains de ses amis élus-coens, opposition à laquelle il avait du céder. Il me semble à présent que cette thèse ne tient pas contre les arguments qui militent en faveur de la thèse opposée. D'abord, on ne voit pas pourquoi on aurait maintenu l'alternance du sens des voyages, si celle-ci n'était liée qu'aux épreuves par les éléments, après la suppression de ces dernières. Cela ne pourrait être que par inadvertance, ce qui n'est guère vraisemblable, vu le soin minutieux avec lequel les rituels ont été élaborés. L'alternance doit avoir une autre origine (que j'avoue d'ailleurs ne pas connaître). De plus, le document précisé « Réunion des notes de plusieurs frères sur le grade d'apprenti » ne laisse apparaître aucune trace de l'opposition de certains frères à ces particularités de la version longue, opposition que j'étais obligé de supposer. En outre, nous avons le témoignage d’Achard, qui, dans sa lettre à Willermoz du 2 Décembre 1802 dit expressément que les rituels expédiés en 1785 avaient été présentés comme provisoires. Il importe de noter que cette lettre est la première qu'Achard ait écrite à Willermoz après la Révolution, qu'il n'avait pas encore jusque là renoué contact avec lui et que Willermoz n'a donc pu l'influencer. Pour toutes ces raisons, je suis finalement arrivé, à la conclusion que la version définitive approuvée fin 1786 / début 1787 par quatre provinces, puis par le Grand Maître Général, est bien la version longue. Sa rédaction ne devait pas être achevée le 15 Décembre 1785, puisque c'est la date de l'authentification du rituel expédié à la Loge de l'Humanité à l'Orient de Crest, lequel est encore conforme à la première version, mais elle était vraisemblablement en cours, car elle a dû être terminée assez tôt en 1786 pour pouvoir être soumise aux trois autres provinces qui l'adoptèrent vers la fin de cette année. Nous savons que l'original de la première version porte la suscription « il a été rectifié à la fin de 1785 ». En quoi a consisté cette rectification ? On pense immédiatement au changement du mot de passe Tubalcaïn en Phaleg (1.4). Cette modification a été décidée le 5 mai 1785. Il apparaît donc qu'on a attendu sept à huit mois pour rédiger un nouveau rituel qui y soit conforme. Cela peut s'expliquer par le coût de la copie, mais cela s'explique encore mieux si l'on prévoyait ce qui était le cas au témoignage d’Achard un remaniement plus profond du rituel. Il semble donc qu'on puisse situer fin 1785 la rédaction de la version définitive qui comportait le changement de Tubalcaïn en Phaleg et l'adjonction des éléments, de la Justice et de la Clémence. Origine et Significations des Preuves Il n'y a jamais eu d'épreuves par les éléments dans la Maçonnerie anglaise, et on n'en trouve pas davantage dans la première Maçonnerie française. Les divulgations des années 1740 connaissent bien les trois voyages, mais aucune épreuve de ce genre ne leur est associée. Au cours du XVIIIème siècle, et à une époque qu'il est difficile de préciser, sont apparues des épreuves par l'eau et le feu. En tout cas, leur existence est certaine dans les années 1780. On les trouve dans les rituels du Rite Français, adoptés par le Grand Orient de France en 1785, où elles sont associées au second et au troisième voyage. A la fin du second voyage, « de retour à l'Occident, le frère préparateur plongera le bras nu du récipiendaire dans une cuve pleine d'eau » ; le Vénérable lui dit seulement à ce sujet : « vous avez été purifié par l'eau ». Au troisième voyage, « on suivra le récipiendaire en secouant, à quelque distance de lui, une torche qui produise une grande flamme » ; le Vénérable commente : « les flammes par lesquelles vous êtes passé sont le complément de votre purification : puisse le feu matériel, dont vous avez été environné, allumer à jamais dans votre cœur, l'amour de vos semblables ». On trouve quelque chose de tout à fait semblable dans un rituel qui était en vigueur dans les mêmes années, dans la Loge de Saint-Jean d'Écosse à l'Orient d’Avignon. Constituée en 1774 par la même Loge de Marseille, cette Loge s'était érigée elle-même en Mère Loge de l'Orient d’Avignon en 1776. Son rituel porte la mention « suivant le Rite de la M.L.E. de l'Orient d’Avignon ». Il est possible que les épreuves par l'eau et le feu lui soient venues de la Mère Loge Écossaise de Marseille, mais cela reste hypothétique. Ici, c'est au premier et au second voyages, que sont associées ces épreuves (16) : « Après ce premier voyage, le Vénérable ordonne qu'on lui fasse subir l'épreuve de l'eau, en le plongeant dans la piscine pour le laver de ses souillures, ce que l'on fait tout de suite en plongeant le bras gauche du récipiendaire dans une cuve d'eau (...) après le second voyage, le Vénérable ordonnera qu'on lui fasse subir l'épreuve du feu en le faisant passer par les flammes pour le purifier ». Ces épreuves par l'eau et le feu ont évidemment les textes le disent explicitement la signification de purifications. Elles sont clairement inspirées, quoiqu'il n'y ait pas de référence explicite dans les rituels, du baptême d'eau et du baptême dans l'Esprit Saint et le feu dont parle l'Evangile. Le Rite Écossais Rectifié a ceci de particulier (17), que les éléments ne sont plus deux, mais trois : le feu, l'eau et la terre (dans cet ordre relativement aux voyages). Le rituel précise que le feu est au midi, l'eau au nord et la terre à l'occident. Lors de l'épreuve du feu au midi, le frère introducteur, qui accompagne le candidat, lui dit : « Le feu consume la corruption, mais il dévore l'être corrompu ». Lors de l'épreuve de l'eau au nord, il lui dit : « C'est par la dissolution des choses impures que l'eau lave et purifie ; mais elle recèle leurs influences funestes et les principes de la putréfaction ». Lors de l'épreuve de la terre à l'occident, il lui dit : « le grain mis dans la terre y reçoit la vie ; mais si son germe est altéré, la terre même en accélère la putréfaction ». D'autre part, à la fin du premier voyage le second surveillant dit : « Vénérable Maître, le cherchant a fait son premier voyage. En passant par le midi, il a été rigoureusement éprouvé par le feu ; et cependant, il n'a point trouvé ce qu'il désire ». A quoi le Vénérable répond : « Je le crois bien, car il est faible encore. Il n'a pas eu le courage d'entrer avec vous dans la bonne voie, il en est encore fort loin. Eprouvez-le donc de nouveau ; peut-être réussira-t-il s'il persévère ». A la fin du second voyage, le surveillant dit : « Vénérable Maître, le persévérant a fait le second voyage et a passé avec beaucoup de peine, par l'élément de l'eau dans la région du nord ; cependant, il n'a pas atteint le but de ses recherches ». A quoi le Vénérable répond : « Comment pourrait-il l'atteindre, s'il est effrayé des peines qu'a doit souffrir ? Aussi n'est-il pas encore dans la bonne voie, il en est même bien loin. Eprouvez-le donc de nouveau ; s'il souffre avec patience et sans murmure, il peut espérer le succès de ses travaux ». A la fin du troisième voyage, le second surveillant dit : « Le souffrant a fini son troisième voyage. Etant arrivé à l'occident, il a été éprouvé par l'élément terrestre ; mais il confesse son erreur et avoue devant vous qu'il n'a pas atteint le but de ses recherches : c'est pourquoi il réclame votre assistance ». A quoi le Vénérable répond : « Puisqu'en traversant les trois régions élémentaires il a éprouvé leur rigueur et qu’il n'a pu y trouver la lumière qu'il désire, il est sur la bonne voie ». On constate d'abord que l'eau et le feu ont le même caractère purificateur que dans les autres rituels de la même époque. D'ailleurs Willermoz, dans une lettre à Achard déjà citée, parle des « éléments purificateurs ». D'autre part, ce qui est dit de l'élément terre « le grain mis dans la terre y reçoit la vie », est vraisemblablement un rappel de Jn 12/24 : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s'il meurt, il porte beaucoup de fruit ». Toutefois, ce sur quoi le rituel insiste le plus, c'est sur le caractère d'épreuves que présentent les éléments. On souligne leur « rigueur », la « peine » que le récipiendaire a à les traverser. On insiste aussi sur le fait que ces épreuves sont dangereuses. Enfin on marque bien au candidat, par trois fois, que dans aucune des trois régions élémentaires il ne peut trouver ce qu'il désire. C'est même lorsqu'il en fait l'aveu, que le Vénérable lui dit qu'il est enfin sur la bonne voie. Le discours d'orateur de la Triple Union que nous avons déjà cité, reprend ces idées : « On vous a fait subir l'épreuve du feu, de l'eau et de la terre. On a voulu vous convaincre par là que les éléments ont la faculté de détruire l'être corrompu, mais qu'ils n'ont pas le pouvoir de le régénérer. Ce n'est donc pas dans les éléments que vous devez mettre votre confiance pour votre amélioration ». Il ressort assez clairement de tous les textes cités, que l'on veut mettre le récipiendaire en garde contre l'illusion qu'il pourrait trouver la vérité dans l'étude de la matière : mise en garde contre un intérêt excessif porté aux sciences profanes de la matière, susceptible de détourner le maçon de la vraie science qui est celle de sa nature et de sa destinée spirituelles ; mise en garde aussi contre la croyance, alors très répandue, que la Maçonnerie pouvait conduire à des révélations de caractère alchimique (au sens matériel du terme) (18). Toutefois, la signification exacte des épreuves par les éléments nous est fournie par le passage déjà cité de l'instruction du grade de Maître Écossais de Saint-André : « Dans le premier grade d'apprenti, après avoir subi l'épreuve des éléments matériels, figuratifs de ceux dans lesquels l'homme actuel est incorporé, vous avez bientôt reconnu que vous étiez tombé sous le fléau de l'inexorable justice ». Il apparaît ici, que les épreuves par les éléments font allusion à « l'incorporation de l'homme dans la matière ; que cette incorporation est la condition de l'homme » actuel, donc que l'homme n'a pas toujours été ainsi incorporé ; enfin, que cette incorporation actuelle est le châtiment d'une faute. Ce sont là, évidemment, des traits caractéristiques de la doctrine de Martinez de Pasqually et le mot même « d'incorporation » est caractéristique de la terminologie martinézienne (19). Le fait, d'ailleurs, qu'il n'y ait que trois éléments et que ces éléments soient l’eau, le feu et la terre, est un trait caractéristique de la doctrine de Martinez. Pour celui-ci, la matière est ternaire, ainsi qu'il ressort clairement de nombreux passages du Traité de la réintégration des Etres (20). Il la conçoit comme formée des trois « essences spiritueuses » (ou « principes spiritueux »), qu'il appelle Soufre, Sel et Mercure. Cela n'est pas en soi très original, quoique l'appellation « essences spiritueuses » lui soit propre. Mais la conception martinézienne de la matière présente deux traits caractéristiques : d'une part ce sont le Soufre et le Sel (et non le Soufre et le Mercure) qui sont des principes opposés, tandis que le Mercure (et non le Sel) joue le rôle de médiateur entre les deux autres ; d'autre part, le caractère ternaire de la matière se retrouve au niveau des éléments, qui sont trois eux aussi, et composés des trois essences spiritueuses dans des proportions différentes. En fait, la relation entre essences spiritueuses et éléments, n'apparaît pas clairement dans le Traité de la Réintégration, mais elle est parfaitement explicitée dans les notes des conférences tenues chez Willermoz par son groupe d'Elus-Coens de 1774 à 1776 (21) et dans l'instruction secrète des Grands Profès (22). Citons d'abord cette dernière : « vous avez peut-être été étonné de n'entendre parler que de trois éléments, au lieu des quatre que l'on admet vulgairement pour la formation et la composition des corps. Il n'y en a effectivement que trois ; comme il n'y a que trois principes fondamentaux que l'on dénomme philosophiquement Soufre, Sel et Mercure, ou feu, eau et terre. Il ne peut y en avoir davantage, parce que la loi ternaire et sacrée qui présida à leur création, y imprima son propre nombre, pour être le sceau indélébile de sa puissance et de sa volonté. L'air, que quelques uns ont placé parmi les éléments, n'en est point un. Il leur est infiniment supérieur par sa nature. C'est lui qui, par une salutaire réaction, conserve la vie à tout être vivant, végétal ou animal, comme il accélère la dissolution de ceux qui sont une fois privés de leur principe vital. Enfin, quoiqu'il pénètre dans tous les corps, il ne s'amalgame point avec les éléments dont ils sont composés et ne constitue point la forme de ces corps » (23). Ce texte pourrait laisser croire que les trois éléments sont identiques aux trois essences spiritueuses (qu'il appelle « principes fondamentaux ») et que feu, eau et terre, ou soufre, sel et mercure, ne sont que des noms différents pour les mêmes choses. En fait, il n'en est rien, car un peu auparavant le même texte a précisé que chaque élément « est lui-même un mixte ternaire, dans une proportion respectivement inégale en nombres, poids et mesures, des trois principes fondamentaux de toute corporisation » (24). De même les Conférences des Elus-Coens de Lyon nous disent que la création « est le produit de trois éléments, composés eux-mêmes de trois essences » (25). Ce qui différencie les éléments, ce sont les proportions dans lesquelles les trois essences entrent dans sa composition : chacun des éléments tient ses caractères distinctifs de celle des trois essences qui prédomine en lui. C'est ainsi qu'au soufre correspond le feu, au sel, l'eau et au mercure, la terre. Chez Martinez, le caractère ternaire de la matière est exprimé par une image assez étrange, qui consiste à donner à la terre une forme triangulaire. Ainsi il écrit dans le Traité de la Réintégration : « Il ne restera plus (après le meurtre d’Abel) que trois personnes. Adam, Caïn, Seth. Adam, selon l'ordre qu'il en avait reçu de l'Eternel, fit lui-même la division de la terre en trois parties et non en quatre. Cela ne pouvait être autrement, me direz-vous, puisqu'il n'y avait alors que trois personnes ? Mais je vous répondrai que, quand Adam aurait eu cent enfants, il n'eût pas pu diviser la terre en plus de trois parties ; la terre n’en ayant pas davantage et sa forme étant parfaitement triangulaire. Ainsi Adam l'a divisée dans tout son contenu de régions, ainsi qu'il suit : l'ouest à Adam, le sud à Caïn et le nord à Seth » (26). « Ce monde de matière n'a que trois horizons remarquables : nord, sud et ouest »(27). Et Martinez figure le monde terrestre par un triangle pointe en bas, Nord------Midi Ouest qu'il introduit et explique ainsi : « (le triangle) ne représente donc autre chose que les trois essences spiritueuses qui ont coopéré à la forme générale terrestre et dont voici la figure. L'angle inférieur représente le mercure ; l'angle vers le midi représente le soufre et l'angle vers le nord représente le sel (28) ». On voit que, compte tenu de la correspondance entre essences spiritueuses et éléments, la disposition de ces derniers dans la Loge d'apprenti reproduit exactement ce triangle martinézien. Ainsi, dans ses trois voyages, le récipiendaire parcourt tout le monde terrestre, traversant successivement les trois régions en lesquelles, selon Martinez, ce monde est divisé. N'ayant atteint dans aucune d'entre elles, le but de ses recherches, il ne lui reste plus qu'à se tourner vers le quatrième horizon, celui qui n'est pas un horizon terrestre, l'horizon oriental. Alors, comme le lui dit le Vénérable, il est dans la bonne voie. Et l'on remarquera qu'à une phase de la cérémonie (celle des voyages) où le candidat tourne autour de la Loge en passant successivement par les trois pointes du triangle, succède une phase où tous les mouvements se font dans l'axe de la Loge et où le récipiendaire fait constamment face à l'Orient, auquel d'ailleurs il finit par parvenir. En ce qui concerne l'épreuve de la Justice et de la Clémence, la première apparaît dans le rituel essentiellement comme une vertu à pratiquer : « Les lois de la justice sont éternelles et immuables. Celui qui, étant effrayé des sacrifices qu'elle exige, refuse de s'y soumettre, est un lâche qui se déshonore et se perd. N'hésitez donc jamais, mon frère et soyez juste envers tous les hommes, sans consulter vos passions, ni vos intérêts personnels. Ces armes que vous voyez tournées contre vous, ne sont qu'une faible image des remords dont vous seriez la proie, si vous aviez le malheur de manquer à la justice et à vos engagements ». La clémence n'est présentée que dans un deuxième temps comme une vertu que le récipiendaire doit pratiquer. Il lui est d'abord suggéré qu'il pourrait bien en avoir pour lui-même : « Mon frère, si vous avez le cœur droit et sincère, ne craignez point. La clémence tempère les rigueurs de la justice en faveur de ceux qui se soumettent généreusement à ses lois. Usez donc de modération envers les autres hommes, lorsqu'ils se seront rendus coupables envers vous ». Mais là encore, c'est l'instruction finale du quatrième grade qui donne la véritable signification de l'épreuve. Willermoz a d'ailleurs pris soin de relier celle-ci aux épreuves par les éléments. Reprenons le passage déjà cité : « dans le premier grade d'apprenti, après avoir subi l'épreuve des éléments matériels, figuratifs de ceux dans lesquels l'homme actuel est incorporé, vous avez bientôt reconnu que vous étiez tombé sous le fléau de l'inexorable justice. Mais on vous exhorta à réclamer la clémence qui en tempère les rigueurs ; et pour en assurer sur vous les effets salutaires, on vous fit sentir la nécessité d'en user vous-même envers vos semblables ». Il est clair qu'ici la justice et la clémence dont il est question, sont celles de Dieu. Le récipiendaire subit la première et doit demander la seconde. « Tombé sous le fléau » de la justice divine, il subit un châtiment ; et Willermoz indique clairement que ce châtiment est l'incorporation dans les éléments matériels. Ainsi l'épreuve a aussi une signification martinézienne. On sait que chez Martinez, l'incorporation est le châtiment de la prévarication du premier homme, châtiment dans lequel il a entraîné toute sa postérité. Il s'était attendu à avoir le même succès que le Créateur éternel, mais il fut extrêmement surpris, ainsi que le démon, lorsqu'au lieu d'une forme ténébreuse et tout opposée à la sienne il ne créa en effet, qu'une forme de matière, au lieu d'en créer une, pure et glorieuse, telle qu'il était en son pouvoir. Que devint donc Adam après son opération ? Il réfléchit sur le fruit inique qui en était résulté et il vit qu'il avait opéré la création de sa propre prison, qui le resserrait plus étroitement, lui et sa postérité, dans des bornes ténébreuses et dans la privation spirituelle divine, jusqu'à la fin des siècles (29). En fait, la doctrine de Martinez est tout entière placée sous le double signe de la justice et de la clémence. L'homme subit le juste châtiment de son crime, mais la clémence de Dieu lui a ménagé des secours qui lui permettront dans la vie future, d'obtenir sa réintégration et qui peuvent même lui permettre d'obtenir dès cette vie, sa « réconciliation », c'est-à-dire la certitude de sa réintégration à venir (la théurgie des Elus-Coens avait précisément pour but d'obtenir des signes visibles de cette réconciliation). Ainsi, les épreuves par les éléments et l'épreuve de la justice et de la clémence, contiennent tout le drame cosmique martinézien de la chute et de la réintégration. Il faut reconnaître cependant, que cette signification est soigneusement voilée. Certes, le symbole adhuc stat et certains passages de l'instruction morale d'apprenti (30) et de la règle Maçonnique, peuvent aisément faire comprendre à un maçon chrétien, que les mystères de l'Ordre ont un rapport essentiel avec les mystères de la chute et de la rédemption, mais au grade d'apprenti, « si grande que soit sa pénétration » comme on dit à un autre grade il ne peut guère aller au-delà. La doctrine martinézienne que recouvrent les épreuves que nous avons étudiées, n'est ou du moins n'était à l'origine destinée à lui être dévoilée qu'au terme d'un long parcours. Toutefois, la méditation constante de l'ensemble des symboles que lui offrent les différents grades et de leur interconnexion, ainsi que les indications qui lui sont fournies progressivement tout au long de sa carrière maçonnique, doivent le préparer à cette révélation ; ce qui est caractéristique de la méthode du Régime Écossais Rectifié telle que l'on a conçu Jean-Baptiste Willermoz. Notes1. Ce document d'importance fondamentale a été publié par J.F. Var dans les Cahiers Verts n° 7 et 8. Le passage auquel nous nous référons est à la p. 47 du n° 8. 2. « Elle » : la Province d’Auvergne, que Willermoz représente et dont il vient de rappeler l'attachement aux rituels du Convent des Gaules. 3. Cette lettre a été publiée par J.F. Var dans les Cahiers Verts n° 8 et antérieurement par P. Chevalier et P. Naudon. Nous citons d'après la réédition de J.F.Var pp. 79 (le correspondant n'est pas identifié et la lettre n'est pas datée avec précision parce que le début est perdu). 4. R. Le Forestier. La Franc-maçonnerie templière et occultiste aux XVIIIème et XIXème siècles (éd. par Antoine Faivre, 1970), p. 113. 5. Il convient toutefois de dire que pour les frères lyonnais, le symbole avait une signification toute différente, martinézienne et non plus templière. 6. CF. Cahiers Vertsn° 8, pp. 81 et 77. 7.Publiée par Steel-Maret à la fin du siècle dernier, rééditée par Slatkine en 1985; cf. aussi Cahiers Verts n° 8, p. 89 pour les passages cités ici. 8. Manuscrit Lyon 5881. 9. Archives des Bouches du Rhône 16F22. 10. Il n'apparaît pas que Willermoz n’ait jamais rédigé une nouvelle instruction pour le premier grade. Il semble s'être contenté des mentions des éléments, de la justice et de la clémence qu'il fait dans l'instruction finale du grade de Maître Ecossais de Saint-André (cf. ci-dessous). 11. Manuscrit Lyon 5456. 12. Manuscrit Lyon 5 919. 13. Lettre à Charles de Hesse citée note (3). 14. L'adjonction des épreuves par les éléments et de l'épreuve de la justice et de la clémence, si importante soit-elle, ne paraît pas pouvoir par elle-même être qualifiée de « rectification ». 15. Avignon, Musée Calvet, manuscrit 3079. 16. Au troisième voyage est associée dans ce rituel, une épreuve du sang. 17. A vrai dire, le Recueil précieux de la Maçonnerie adonhiramite de Guillemain. De Saint-Victor (1786) connaît des épreuves par l'air, l’eau et le feu. Mais en ignore si ces rituels étaient effectivement pratiqués. 18. Très hostile à l'alchimie matérielle, Willermoz ne méconnaissait par l'existence d'une alchimie spirituelle. Il était cependant réticent vis-à-vis d’une interprétation alchimique, même spirituelle, de la Maçonnerie (cf. Cahiers Verts n° 8, pp. 66‑67). 19. Toutefois, cela n'est évident que pour nous, qui connaissons la doctrine de Martinez par des sources plus directes et plus explicites que nos rituels. Il faut reconnaître qu'à une époque où cette doctrine restait confidentielle, elle se présentait dans le rituel d'apprenti d’une manière extrêmement voilée et même l'instruction du quatrième grade n'en parle que de manière assez allusive. La doctrine n'était complètement dévoilée que dans l'Instruction Secrète des Grands Profès Et même là, Willermoz se garde bien de dire qu'il la tient de Martinez. 20. Sur la doctrine de la matière chez Martinez et chez les Elus-Coens, voir mon article la conception de la matière chez Martinez de Pasqually, Renaissance Traditionnelle n° 28 et 29 (197). 21. Conférences des Elus-Coens de Lyon, éd. par Antoine Faivre, 1975. 22. Publiée par A. Faivre en appendice à l'ouvrage de Le Forestier cité note (4). 23. Le Forestier, p. 1035. 24. Ibid. p. 1034. 25. op. cit. p. 85. 26. p. 278 de l'édition de R. Amadou chez Robert Dumas, 1974. 27. Ibid. p. 543. 28. Ibid. pp. 268‑270. 29. Ibid. pp. 140‑142. 30. En particulier celui qui dit que la lumière de l'Orient est « le premier vêtement de l'âme » et celui-ci : « si l'homme a perdu la lumière par l'abus de sa liberté, il va la recouvrer par une fermeté inébranlable dans la pratique du bien ». E\ M\ |
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