Le carré
Le
très illustre frère et humoriste
qu’était Pierre Dac avait coutume de
dire que le carré est un cercle qui a mal tourné
! Mal tourné ou pas,
il n’en demeure pas moins l’un des quatre symboles
fondamentaux avec la
croix, le centre et le cercle. Au degré où nous
siégeons ce soir, il
tient même un rôle clé. Voyons cela
d’un peu plus près.
Parce qu’il
est une figure ancrée sur quatre côtés,
le carré évoque une notion de
stagnation, de solidification, de stabilisation. Il est le symbole de
la Terre, le ciel étant symbolisé par le cercle.
Leur association est
si étroite, leur complémentarité est
si évidente qu’ils fonctionnent à
la manière d’un binôme et nous offrent
un binaire supplémentaire. Le
carré évoque la limite de quelque chose
qu’il matérialise, le cercle
évoquant l’infini et
l’immatériel.
Passons du
plan au volume. Nous
obtenons le cube à partir du carré, et
la sphère à partir du cercle. Dès cet
instant, les applications
architecturales sont innombrables.
L’Art Royal l’a bien compris en nous offrant, sur
tous les continents,
l’expression la plus achevée de l’art du
trait, de la pensée symboliste
et du bien construire à travers
l’édification des églises,
cathédrales,
temples et autre synagogues.
Notre
Moyen Âge nous
offre
les plus saisissantes réalisations. Alors, on construisait
« ad quadratum »
c’est-à-dire au carré. Villard de
Honnecourt nous a laissé le plan
d’une église cistercienne du XIIIe
siècle tracée ad quadratum.
Il
s’agissait, alors, de bien mettre en évidence les
analogies reliant le
macrocosme et le microcosme, le macrocosme univers étant
figuré par le
cercle, le microcosme homme étant figuré par le
carré. Il est une image
célèbre de l’homme microcosme inscrit
dans cinq carrés égaux et
représenté pieds joints et bras tendus : ce
dessin, signé Sainte
Hildegarde, offre des analogies avec l’église
cistercienne tracée ad
quadratum, à moins que ce ne soit l’inverse. De
fait, le plan de sol
d’une église évoque bien un homme
allongé, les bras en croix, sa tête
étant l’abside, ses bras le transept, et ses
jambes jointes la nef
centrale. Nous avons dit, au début de cette planche, que le
carré
symbolisait la terre. Dans la symbolique chrétienne, il
signifie
également le cosmos, les quatre piliers d’angle
symbolisant les quatre
éléments (eau-feu-terre-air). On peut penser
qu’il y a décalage,
contradiction avec la signification première, celle de la
Terre. Tel
n’est pas le cas : le carré veut toujours dire
espace créé, le cercle
relevant de ce qui est incréé,
immatériel, sans commencement ni fin,
donc divin. Ainsi, quand une église passe du
carré au rond, par
l’adjonction de chapelles, cela indique que l’on
passe du temps à
l’éternité. Le temps étant
le carré, le cercle
l’éternité. Dans son
livre majeur qu’est « L’initiation
à la symbolique romane »,
Marie-Madeleine Davy note : « Dans
les rapports du cercle au carré, il existe une distinction
et une
conciliation. Le cercle sera donc au carré ce que le ciel
est à la
terre, mais le carré s’inscrit dans le cercle,
c’est-à-dire que la
terre est dépendante du ciel ».
Nous évoquons là le fameux
problème de la quadrature du cercle dont la signification
moderne est
bien éloignée de sa profondeur
ésotérique.
La
maçonnerie
n’allait
pas être en reste. Et puisque l’on passe,
à l’infini, du cercle au
carré, le passage du compas à
l’équerre allait suivre. De « simples »
outils opératifs, images emblématiques de la
F\ M\ :
simplicité des moyens pour une symbolique immense ! Lesquels
relèvent
évidemment du carré, du nombre quatre et de ce
qui touche le
quaternaire. Deux équerres aux branches égales
associées et vous
obtenez le carré. Et puisque ce dernier évoque la
terre, c’est là, dans
le cabinet de réflexion, où mourra le profane,
que s’accomplira la
germination avant que le futur apprenti ne soit propulsé
dans une loge
aux formes de « carré
long »,
autre appellation du
rectangle qui lui-même s’inscrit dans la symbolique
du carré. Un carré
long aux proportions toujours sujettes à débat.
Plusieurs théories sont
évoquées concernant les proportions à
donner aux loges : le rectangle
dit de Pythagore dont les côtés ont les rapports
trois et quatre et la
diagonale cinq, le rectangle ayant comme rapport 1 sur1,618, obtenu
à
partir d’un carré lui-même origine de la
section d’or ; et enfin le
rectangle de 1 sur 2, ou double carré, de la plupart des
loges.
Le symbole du
caréé
Le
carré délimite fréquemment un espace
inviolable. Cette constatation
amène à évoquer la notion
d’un centre sacré, à commencer par le
carré
long des loges maçonniques. Dans nos ateliers, cet espace
est compris
entre les colonnettes Sagesse, Force, Beauté. Le fait que le
pavé
mosaïque figure dessus rend trouble la
compréhension. Ce n’est pas le
damier noir et blanc qui est intouchable, lequel pourrait parfaitement
s’étendre à l’ensemble de la
L\, mais bien le carré L\. Tant que le
carré long ne se distinguera pas physiquement du
pavé mosaïque, la
confusion demeurera sans jamais valoriser le symbole du quaternaire.
Jean-Pierre Bayard voit même dans cette portion du temple
l’endroit « où
l’influx supra terrestre se fait sentir. C’est
l’endroit ,»
ajoute-t-il, « où
le champ magnétique de plus forte intensité
conduit au respect ».
On imagine mal qu’il puisse en être autrement,
là où figure notre
tableau de L\, abécédaire sinon sacré
du moins respecté du grade ou
nous évoluons. Anciennement, les adeptes de l’Art
Royal chargeaient le
F\ Expert de tracer, à la craie ou au charbon, un
carré long au
milieu du plancher. Il en découlait une circumambulation que
j’imagine
identique à celle que nous effectuons, ad quadratum, autour
de Sagesse
Force et Beauté. Les prières, ou maximes, ou
sentences formulées lors
de l’allumage puis de l’extinction des trois
colonnettes ne font que
renforcer le caractère sacré d’un
espace délimité.
Il y
aurait
ailleurs certainement beaucoup à dire sur les notions de
déplacement,
tant il est vrai que les chorégraphies rituelles
obéissent à une
méthodologie et une logique particulières. Mais
il s’agit d’un autre
sujet…
Le carré
est si
important
au degré d’apprenti qu’à ce
stade, l’équerre
chevauche le compas. On pressant bien qu’il n’en
sera pas toujours
ainsi. Sans même parler du signe d’ordre et du
positionnement de la
main et du pied en équerre, le carré cube se
retrouve encore dans la
pierre cubique, laquelle sous-tend une notion
d’achèvement, de
perfection. Le cube, plus encore que le carré, est, je cite,
« le
symbole de la solidification, de la stabilité, de
l’arrêt du
développement cyclique, car elles déterminent et
fixent l’espace en ses
trois dimensions ».
Le carré, c’est donc le temps
arrêté. C’est encore une expression qui
corrobore ce qui précède :
« C’est
carré »,
dit-on pour signifier un fait ou une affaire dûment
identifiée, certifiée et, sûre, solide.
Ainsi
donc, « le
rapport du cercle carré ou de la sphère au cube
est réellement le
fondement de l’architecture sacrée, base
à partir de laquelle tout
édifice est conçu et
réalisé »
(Jean Hani), via le dôme et le
cube. En mettant en œuvre nos rituels, nous donnons
à la forme carrée,
par définition stable, définitive, fixe, son
aspect dynamique. Le
symbole s’anime, s’illumine, à la
manière d’un mandala qui deviendrait
vivant.
Alors, le
carré, un
cercle qui aurait mal tourné ?
Paraphrasant le même cher Pierre Dac, disons que le
carré a toujours
son avenir devant lui, mais il l’a dans le dos chaque fois
qu’il fait
demi-tour !…
R\
F\
Les
trois carrés longs
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Le rectangle d’or
Son rapport (GD/BD) est égal au nombre d’or,
Φ, soit 1,618. Tracé :
détyerminer le point F au centre du
côté CD du carré ABDC (ici en
pointillés noirs). De ce point F, tracer un arc de cercle de
rayon FA
qui vient couper en G le prolongement de la base CD. Le rectangle HBDG
est un rectangle d’or.
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Le carré long
Son rapport (AC/CD) est égal à 1/2.
C’est un rectangle dont la longueur est le double
de sa largeur (CD = 2 AC).
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Le rectangle de Pythagore
Son rapport (AB/BC) est égal à 3/4.
C’est un rectangle dont les
côtés sont ceux du triangle de Pythagore
(en pointillés sur le
schéma) : les côtés de
l’angle droit ont pour valeurs respectives
3 et 4, l’hypothé- nuse ayant une valeur
de 5.
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