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Du profane au sacré

Le titre même de cette causerie ; « Du Profane au Sacré » suppose une dichotomie, une contradiction, entre les deux termes. Il laisse percevoir, si non un antagonisme, mais au moins une progression qualitative entre deux états. C’est un peu comme si l’on entendait : « de la nuit vers le jour » ou bien encore du « sale vers le propre ».
Qu’en est-il en réalité ? Peut-on à juste titre parler de limite entre le profane et le sacré ? Et où se situerait-elle ?
Pour mieux comprendre ce dont il s’agit, il nous faudra partir d’exemples concrets. Ainsi je vous proposerai de nous entretenir successivement de la musique, puisque l’on parle de musique sacrée, du travail profane et sacré et des lieux. Puis, à la lumière de ces concepts, nous examinerons l’activité à laquelle nous sommes en train de nous livrer pour essayer de déterminer où finit le profane et où commence le sacré.

La musique

Notre frère Mozart, Bach, Fauré comme bien d’autres musiciens ont, selon l’expression commune, composé de la musique sacrée. Que de requiems, de messes, de passions selon tel ou tel évangéliste ! Un trésor de beauté religieuse.
Mais en quoi ces compositions sont-elles différentes d’autres œuvres de ces mêmes compositeurs de génie ? Quel élément de la structure musicale fait de telle musique une musique sacrée ? Aucun ! Aucun si ce n’est la destination de la pièce !

Il n’y a en effet aucun trait particulier qui permette de différencier techniquement une œuvre profane d’une œuvre sacrée. A tel point que bien des compositeurs ont utilisé les mêmes phrases musicales, voir les mêmes thèmes, pour l’une et l’autre forme de composition.
Une œuvre n’est déclarée sacrée que lorsque son auteur la destine à la liturgie, à la prière. De plus, il est extrêmement difficile de faire coïncider certaines œuvres avec les exigences de la liturgie. Essayez de célébrer une messe avec autour de vous un orchestre et des chœurs suffisants pour le requiem de Verdi ; vous aurez sans doute un beau spectacle mais pas une célébration religieuse !

Si la destination de l’œuvre est une condition nécessaire à sa qualification de sacrée, elle n’est cependant pas suffisante. Vous viendrait-il, un seul instant à l’idée que les chansonnettes chantées aujourd’hui dans les églises, lors des messes puissent être assimilées à de la musique sacrée ?

Mais alors me direz-vous ; quid de la musique sacrée ? Y en a-t-il ou y en a-t-il eu ?
Certes oui il y en eu ! Il fut même un temps où il n’y eu que ça ! Il fut un temps où tout art, musique, danse, poésie n’avait de raison d’être que pour conduire à la rencontre du Divin. (C’est sans doute là, la fonction du sacré). Mais peu à peu, ces arts (sans jeu de mots avec le nom d’un sculpteur contemporain), ces arts furent profanés ; ils tombèrent dans le domaine profane ; ils servirent de distraction et d’avatars en avatars la musique liturgique fut mise en rap et le rock fit son entrée dans l’église.

La véritable rupture se situe, en fait, au moment où l’on passe de la musique modale, à la musique tonale. La vraie musique sacrée, que nous distinguerons de la précédente que nous qualifierons de simplement religieuse, était basée sur le rythme cardiaque et le souffle humain. Les tons étaient en relation avec les saisons et les temps liturgiques, projetant l’humain hors du temps linéaire et profane, afin de lui permettre l’accès à un temps cyclique et sacré. Car l’infini, l’absolu, échappe au quantifiable, au mesurable.
Dans cet ordre, peut être nous reste-t-il le chant grégorien ? Mais, et c’est bien la preuve qu’une musique n’est sacrée que par sa destination et son usage, peut-on dire, lorsque l’on entend Hildegarde Von Bingen dans un night club, qu’il s’agisse encore de musique sacrée ?
Certes non, car dans ce cas précis la musique est profanée, c’est à dire rendue profane.

Le Travail

Nous savons tous ici à quel point l’initiation Maçonnique insiste sur la « Glorification du Travail ». Mais cette glorification n’a rien à voir avec cette fuite en avant dans un activisme désordonné qui caractérise les sociétés occidentales modernes. Ce n’est pas, ici non plus, la quantité qui prime, mais bien la qualité.

Traditionnellement le mot glorification suppose un changement d’état. On en déduira logiquement que cette glorification ne passe pas par de beaux discours, ni par des flots de paroles. (Prétendre le contraire serait aussi peu raisonnable que de penser que la Gloire du GADLU puisse dépendre de nos propos.)
Envisagé d’un point de vue initiatique, le travail trouve sa signification la plus profonde et sa portée la plus haute car il dépasse, dans ce cadre, le petit plan humain pour s’apparenter au plan cosmique.

Selon cet ordre, l’art et le métier se confondent et sont tous deux, envisagés comme imitation de la nature, non pas par les représentations qu’ils en produisent, mais bien dans les moyens de production mis en œuvre.
Abordé comme prolongement de l’action créatrice du GADLU, le travail cesse d’être profane. Il devient sacré.
Il est bien évident que, sous cet angle de vision, l’aspect strictement rémunérateur devient plus que secondaire ; il n’est plus le but suffisant de l’activité. D’ailleurs a-t-on vu une abeille ou une rose réclamer un salaire mensuel ? Car dans ce cadre le travail redevient une vocation ; une fonction naturelle de l’état d’être humain.

Voilà encore un contexte où le changement de regard, de destination de l’acte fait passer du profane au sacré comme par magie.
Le travail, comme toute autre activité humaine, devient sacré dès qu’il constitue une collaboration consciente et effective à la réalisation du plan de l’Architecte suprême.
Partant de là, il appartient à chacun, en son for intérieur, de s’interroger sur la qualité de sa présence dans la vie professionnelle et de la finalité de son activité.
Notons cependant qu’il est probable que ce changement de regard sur le travail aura une influence sur la qualité objective de celui-ci.

Les lieux

Certains lieux sont dits sacrés, ce sont généralement des lieux de culte et toutes les religions ont les leurs.
Ces lieux se caractérisent souvent par une construction particulière, mosquée, église ou temple. Mais plus caractéristique encore est l’attitude des gens se rendant sur ces lieux. Il faut, généralement adopter une vêture particulière, ici une kippa, là les pieds nus, il n’est guère que dans les églises catholiques romaines où, dégénérescence de l’occident oblige, on peut se rendre en short ou même dans des tenues plus exubérantes…

Cette anomalie mise à part, on peut constater que, dans ces lieux sacrés, outre les vêtements une certaine gestuelle est imposée. Dans une église, par exemple, en entrant, il est (ou était) de coutume de faire une génuflexion et un signe de croix, à la mosquée on rentre du pied droit déchaussé, en état de pureté rituelle, et en récitant le début de la Fath’ia.
Ces lieux sont donc rendus sacrés par l’attitude de ceux qui y pénètrent consciemment, et encore une fois, c’est l’usage qui sacralise.

Souvenons-nous des différentes enceintes du temple de Salomon et des degrés de sainteté attachés à chacune d’entre elles.
Souvenons-nous de l’attitude que l’Eternel demande à Moïse près du buisson ardent où il a choisi de se faire connaître : Il dit : « N'approche pas d'ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte. »(Exode 3,5)
Mais au fait, ne connaissons nous pas, nous aussi, un endroit où nous n’entrons que vêtus d’une manière particulière, en faisant des signes particuliers ? Ne serait-ce pas aussi un lieu sacré (du moins pendant les tenues) ?
Cette question nous conduira logiquement à considérer le travail maçonnique, sous l’angle sacré/ profane, et à nous interroger sur notre attitude en loge : la manière dont je suis assis, dont je me déplace, reflète-t-elle ma conscience d’être dans un espace et un temps sacrés ?

Le travail maçonnique

A la lumière de ce que nous avons évoqué précédemment, nous pouvons légitimement penser que, les dispositions du rituel concernant notre vêture, nos signes et nos décors, sont destinées à orienter notre regard.
Il n’est pas ici question d’attirer nos yeux vers tel ou tel point cardinal, mais bien de donner à notre cœur, à notre centre, cette prédisposition à percevoir et à produire le sacré.
C’est à, mon sens, la seule raison d’être de tout ce décorum, et partant, la raison d’être véritable de la Maçonnerie.

Notre antique confrérie ne fait rien d’autre que de continuer la tradition antique et multimillènaire des religions à mystères. La Franc- Maçonnerie est, au sens étymologique du terme, une religion. Car elle n’a pas d’autre but que de nous relier à la source divine représentée ici par le GADLU.
Dès le cabinet de réflexion, c’est à l’intériorisation que nous sommes invités, afin d’y découvrir la pierre philosophale, cette lumière intérieure que Graf Durkheim ou l’école de Jung nomment le numineux et qu’un prophète de Nazareth désignait sous le vocable de Royaume. « Le Royaume est au milieu de vous (au centre) ».
C’est en ce centre que se trouve un point précis où se cache la parole perdue ; but suprême de la noble quête.

Trouver en soi cette part Divine et sacrée, (sacrée par essence et non par destination) est bien ce à quoi les mystères symboliques des 2ème et 3ème degrés nous invitent avec insistance.
« Ne savez-vous pas que vous êtes le Temple de l’Esprit » nous dit l’apôtre Paul. C’est dans ce Temple que, constamment, le Maçon se tient près de la Source du sacré absolu.

Conclusion provisoire

Pour conclure, je vous propose de revoir rapidement quelques points :

La musique est sacrée lorsque, par destination, elle est chemin vers le divin. A travers la musique, nous avons vu que la fonction du sacré était de conduire au divin.
Une chose sacrée peut être rendue profane ; elle peut être profanée.
A l’inverse une chose apparemment profane, comme le travail peut être sacralisée par destination.

Le travail, comme toute autre activité humaine, devient sacré dès qu’il constitue une collaboration consciente et effective à la réalisation du plan de l’Architecte suprême. Ceci vaut pour toute activité et cette qualité de présence au sacré doit être observée dans tous les actes de la vie de « l’initié ». C’est même le seul vrai chemin initiatique.
Les Templiers avaient pour devise : « non nobis Domine non nobis sed nomini tuo da gloriam » ceci n’est que la citation d’un psaume, mais le but est bien d’être, ou de devenir, l’instrument du Tout Autre, le réflecteur de sa Lumière. Cette lumière que nous venons chercher en Loge.

Il n’est pas question de travailler ici à notre propre gloire, à notre propre bénéfice. J’allais dire à notre compte, en excluant de fait le patron.
Comme pour le travail c’est la qualité objective de ce que nous produisons qui en sera positivement affectée !
Et, tant il est vrai que la valeur d’un humain n’est, finalement, que la valeur de la somme de ces actes, il est vraisemblable que nous aurons par-là même sérieusement dégrossi la pierre brute !
C’est toute notre vie, ainsi que le monde qui nous entoure, que la Maçonnerie nous propose de sacraliser.

En fait le sacré, est, sans doute, en premier lieu, un autre état de conscience. Un état de conscience différent du profane, élargi aux dimensions de l’infini invisible. Cette partie, l’invisible, est la plus importante de l’univers. A. de Saint Exupéry disait qu’il est, cet invisible, l’essentiel qui ne se perçoit qu’avec le cœur.
C’est le lieu de la Réalité, car il est seul exempt des aberrations causées par les sens et la raison.
C’est pour progressivement prendre pied dans ce lieu et ce temps de l’Absolu que la Maçonnerie spéculative nous propose de travailler sur des symboles.

Henri Corbin, dans son précieux ouvrage « L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabi » nous dit :
« Le symbole annonce un autre plan de conscience que l’évidence rationnelle ; il est le « chiffre » d’un mystère, le seul moyen de dire ce qui ne peut être appréhendé autrement »
Cette science de l’univers non perceptible par nos sens, qui sont limités à l’appréhension du monde physique, celui des apparences, cette science, porte, depuis Aristote, le nom de Métaphysique. C’est cette connaissance, cette gnose, que véhiculent les sociétés initiatiques dont la Maçonnerie. Le reste, la philosophie, la politique ne sont que des sous-produits, des conséquences de la première et n’ont en réalité aucune place dans nos travaux, qui doivent toujours viser l’excellence du sacré.

Nous n’avons abordé ici qu’une petite partie d’un aspect du sacré et pour être un peu plus complet, à défaut d’être exhaustif, il serait souhaitable de parler des sacrements.
Le temps nous manque, mais nous dirons simplement que les sacrements ont ceci de particulier, c’est qu’ils transmettent une influence spirituelle. La Barraka dira-t-on dans les langues sémitiques.

Il est à noter que cette conception du sacrement est principalement Chrétienne et dérive peut être de ce que le christianisme doit une large part aux mystères grecs, comme la Maçonnerie d’ailleurs, qui a longtemps été l’aspect ésotérique de l’exotérisme chrétien.
Dans les autres religions du livre, notamment en Islam, cette Barraka est conférée par l’initiation ésotérique du tasawwûf (le sûfisme).
D’où ces questions, que je laisserai volontairement en suspend, et qui termineront cette modeste intervention :
L’initiation maçonnique est-elle porteuse d’une influence spirituelle ?
Si oui est-elle un sacrement ?
Si non, a-t-elle, par le passé, été porteuse de la dite Barraka ?
Et si oui pour quelle raison ne le serait-elle plus aujourd’hui ?

J’ai dit VM


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