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La coupe des libations

Mes Très Chers Frères, le jour de notre initiation est un jour bien particulier. C’est le moment le plus important de notre vie de franc maçon. C’est une nouvelle naissance, une naissance voulue, vécue avec intensité et qui suit la mort du vieil homme. Cette renaissance symbolique donne au nouvel initié le pouvoir d’assumer le passé, de vivre le présent et de trouver le chemin. Ce chemin que nous tous avons emprunté et creusé à force de travail, de persévérance et qui s’est trouvé de plus en plus balisé par toutes nos interrogations et nos réflexions. Ce chemin sera aussi la source de l’initié et c’est à partir d’elle qu’il va évoluer en construisant son temple intérieur. Au cours de cette initiation, et après avoir subi l’épreuve de la terre, le frère expert présente une coupe remplie d’eau pure qui deviendra dans un deuxième temps un breuvage amer. Il y a un avant et un après. On pourrait dire aussi que c’est une phase de transition. Mon travail va donc s’articuler en trois parties.

La première traitera à ma façon du symbolisme de la coupe et les deux suivantes seront consacrées d’une part à la coupe d’eau pure et d’autre part à la coupe d’amertume.

Le récipiendaire vient de subir l’épreuve de la terre, ce voyage intérieur qui le plonge dans une inédite méditation accomplie dans le cabinet de réflexion, où seule une bougie éclaire de sa faible lueur cet espace plongé dans les ténèbres. Cette épreuve passée il n’a pas pour autant mérité de recevoir la lumière et c’est avec un bandeau sur les yeux, la corde au cou, qu’il pénètre dans le temple après avoir franchi la porte basse. Après avoir entendu le frère orateur énoncer les principes fondamentaux de la Franc Maçonnerie du Rite Ecossais Ancien et Accepté le récipiendaire accepte, ce que le Vénérable Maître exige de lui, c'est-à-dire « un engagement formel pris sur la coupe des libations ». Il boit une première fois et s’engage « à garder le silence le plus absolu sur tout ce qu’il pourra entendre et découvrir ». Puis il boit une deuxième fois. Même si ce n’est qu’un engagement, on pourrait dire que c’est le premier serment que prête le récipiendaire. Ce mot « serment » vient du latin « sacramentum », rendre sacré. C’est la première fois qu’il est en contact avec le sacré et ce caractère sacré se matérialise par la présentation d’une coupe.

C’est beaucoup plus qu’un banal récipient que le frère Expert présente au récipiendaire. C’est une coupe rituelle. Ma culture religieuse m’a fait penser immédiatement au Saint Calice que lève le prêtre pendant la messe, avant la communion, prononçant ces mots entre autres : Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang. Il célèbre la Cène, le dernier repas que Jésus a pris avec ses disciples la veille de sa capture par les romains avant d’être crucifié. Ce Saint Calice fait partie de cette légende celtique que vous connaissez tous ou tout au moins avez entendu parler : la légende du Graal. La quête du Graal c’est la recherche de la coupe Sainte de la Cène dans laquelle Joseph d’Arimathie recueilli le sang du Christ. Au cours de ce dernier repas comme je l’ai dit plus haut, Jésus réunit autour de lui les apôtres et pendant le repas il prend une coupe et leur dit : « Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, versé pour la multitude, pour le pardon des péchés ». Je ne veux ni heurter la sensibilité de chacun ni leur croyance. Je ne veux retenir que le côté symbolique de ce passage. Ce repas est moment de partage, d’échange, d’amour. Je crois que l’on ne doit s’attacher qu’à ces notions précitées et qui représentent les qualités de cœur que doit posséder l’homme.

L’engagement du récipiendaire est prononcé la main gauche tenant la coupe et la main droite sur le cœur. On voit là l’importance du lien qu’il y a entre le geste et la parole. Cet engagement traduit la volonté du récipiendaire d’ouvrir son cœur où réside un trésor dont lui seul pourra en comprendre l’importance et en tirer bénéfice. Le cœur, c’est la vie, c’est le siège des passions, du désir, de l’intelligence. Nombreuses sont les expressions pour démontrer ou prouver les qualités du cœur d’un homme : avoir bon sœur-de gaieté de cœur-prendre à cœur-du fond du cœur. C’est la pureté, l’altruisme, la bienveillance, la charité et j’en passe. Tout cela pour vous démontrer mes frères le lien que je fais à ma manière entre la coupe et le cœur.
 
Je ne vais pas citer toutes les références historiques, j’en serai bien incapable, où il est question d’une coupe. Il en est un qui m’a particulièrement plu et qui a un rapport avec la tradition druidique où la coupe était présentée par la jeune fille à son élu signifiant ainsi le don de son cœur. Mais attention mes frères, dans la religion judéo-chrétienne la coupe n’est pas uniquement symbole de plaisir et de ripaille. Elle peut-être aussi l’expression d’une punition, d’un châtiment : boire la coupe de la colère de Dieu ou encore ces expressions qui témoignent d’une souffrance comme boire la coupe jusqu’à la lie ou la coupe est pleine. Je reviendrai dans la dernière partie de ma planche sur cette notion de châtiment.

Mais tout d’abord, première étape, l’absorption de l’eau pure. C’est un homme libre et de bonnes mœurs, qui est devant l’autel des serments. Le frère Expert s’en est porté garant. Le postulant, à l’invitation du Vénérable Maître, peut donc boire à la coupe un peu d’eau pure. L’eau c’est la vie. Notre corps en est composé de 65%. Elle joue un rôle important dans la plupart des religions et bien des rituels y sont liés. Avec le feu, l’air et la terre elle est l’un des quatre éléments.

(Rappelez vous mes frères apprentis, après l’épreuve de la terre vos voyages initiatiques). L’eau est le premier élément crée dans ce monde. Il est écrit dans la Genèse (1-2) : « La terre était informe et vide ; il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au dessus des eaux ». Dans de nombreuses traditions elle est un moyen de transformer, de transmuter la matière inerte en vie. Elle est symbole de purification. « Lave moi et je serai plus blanc que la neige » est écrit dans le psaume 51-9. Elle soigne le corps l’âme et l’esprit comme dans la grotte de Lourdes. Elle est un remède au stress pour les russes et les japonais qui trouvent en elle une relation pure et sincère. Chez les hindous le brahmane lui adresse des prières lorsqu’il fait ses ablutions quotidiennes. Tout le monde a à l’esprit ses images où tout un peuple se réunit sur les rives du Gange pour un bain rituellique de purification. Dans le judaïsme, Le mikvé est un bain rituel utilisé pour l’ablution nécessaire aux rites de pureté.

J’ai déjà cité deux versets de la bible où est souligné la présence de l’eau. En effet les évocations symboliques de l’eau sont nombreuses dans le Volume de la Loi Sacrée. Ainsi dans la Genèse (2-10)« Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre bras ». Dans sa vision Ézéchiel voit un torrent sortir du Temple de Jérusalemet ces eaux apportent la vie, elles assainissent la mer morte, elles transforment le désert de Judée en verger. Le volume de la loi sacrée est ouvert à l’évangile de Jean et justement l’apôtre Jean relate : « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein, comme dit l’écriture ». On trouve encore, et j’arrêterai là, une référence à l’eau dans le livre de l’apocalypse (21-1 et 2) : « Et il me montra un fleuve d’eau de la vie, limpide comme du cristal, qui sortait du trône de Dieu et de l’Agneau. Au milieu de la place de la ville et sur les deux bords du fleuve, il y avait un arbre de vie, produisant douze fois des fruits etc… » L’eau est autant féconde que purificatrice. Elle est le miroir de l’âme selon Jung et qui n’a pas un jour regardé son visage se refléter à la surface de l’eau d’une rivière sans pour autant en tomber amoureux comme l’a fait Narcisse. Mais prenons garde mes frères, si l’eau est symbole de vie elle est aussi symbole de mort.

Ce sera le thème de ma troisième partie en évoquant la coupe d’amertume. Après avoir bu une deuxième fois, le récipiendaire écoute ces paroles du V\ M\ : « Que ce breuvage, devenu amer, soit pour vous Monsieur, le symbole de l’amertume et des remords que laisserait dans votre cœur le parjure qui aurait souillé vos lèvres, si vous manquiez à une parole aussi solennellement donnée ».

D’un simple geste, le frère Expert a détruit la pureté de l’eau. Tout comme l’eau pure représente le bien, l’eau impure représente le mal. Boire ce breuvage amer, c’est faire face aux difficultés que représente la démarche initiatique. Difficultés que le récipiendaire devra surmonter sous peine sous peine de sombrer dans la déchéance et la malédiction que frappe le parjure. Le dictionnaire « Robert » donne de l’amertume la définition suivante : Sentiment durable de la tristesse mêlée de rancœur, lié à une humiliation, une déception une injustice. Elle exprime aussi le regret, le désespoir, le dépit, la frustration et j’en passe. Tous ces sentiments que l’homme peut éprouver durant sa vie et que lui rappelle avec évidence cette coupe d’amertume. Le vieil homme est encore présent alors il faut aller plus loin. Boire ce breuvage amer c’est une forme de repentir et une façon peut-être de trouver le salut. Mais que ce breuvage est amer mes frères. Aussi amer que l’impression que nous avons lorsque nous avons fauté, commis une erreur et qui nous indispose tant, que nous ne savons pas comment faire pour réparer puisque nous ne pouvons faire machine arrière. Les dégâts causés alors, sont immenses dans le cœur des hommes et comme la franc maçonnerie se veut constitué par des hommes libres et de bonnes mœurs, pour démontrer l’étendue du désastre, la cérémonie d’initiation présente de façon théâtrale la scène du parjure. Scène qui pour moi est à double sens, car non seulement elle souligne symboliquement la portée de la trahison et le châtiment qui en découle, mais aussi elle démontre jusqu’où l’homme, victime d’une trahison pourrait aller, jusqu’à commettre l’irréparable. Mais rendre la justice est un autre sujet sur lequel je ne m’étendrai pas.

Je reviens à nouveau au V\ L\ S\. Lorsque j’ai dit que l’eau était symbole de vie, elle est aussi symbole de mort. Plusieurs passages dans la bible traduisent cette puissance destructrice de l’eau. Ainsi dans la Genèse, Dieu ne trouve pas mieux à la vision d’une terre corrompue que « de faire venir le déluge d’eaux sur la terre, pour détruire toute chair ayant souffle de vie ». Dans le livre d’Ézéchiel, prophétie contre Tyr (26-19 et 20) Lorsque je ferai monter contre toi l’Abîme et que les grandes eaux te couvriront je te ferai descendre avec ceux qui sont dans la fosse et tu habitera le « pays des profondeurs ». Dans les Psaumes (18-4) on trouve encore cette eau apportant la destruction et la mort : « Les liens de la mort m’avaient environné, et les torrents de la destruction m’avaient épouvanté ».

On peut donc entrevoir dans cette eau impure que boit le récipiendaire, si l’on veut bien aller plus loin, toute la portée symbolique quelle renferme. Contenue dans une coupe, celle-ci en devient une coupe vengeresse, la coupe du vin de la colère que Dieu réserve à ceux qui refusent de se soumettre à lui. Il « l’offre à toutes les nations qui la boiront, tituberont, délireront à la vue de l’épée que je plonge au milieu d’elles » livre de Jérémie (25-15 et 17) et plus loin encore (25-28 et 29) : « Si elles refusent de prendre la coupe de ta main, pour la boire, tu leur diras : Ainsi parle le Seigneur le tout puissant ; Vous la boirez quand même. J’envoie le malheur en commençant par la ville sur la quelle mon nom a été proclamée ». C’est la coupe de la souffrance, du châtiment, de la mort et de la renaissance pour le profane.

Elle est amère cette coupe mes frères et il faut faire preuve de courage pour la boire. Elle est pourtant la coupe du renouveau, de la renaissance et cette amertume doit être purificatrice pour le récipiendaire. En effet il y a, au-delà de ce mythe de destruction de l’homme par l’eau un espoir de renouveau, telle la barque de Noé, seul homme juste choisi par Dieu, qui doit assurer avec sa femme, ses fils et leurs femmes et des couples d’animaux, la naissance d’une humanité nouvelle régénérée par la fécondité des eaux. Dans certains rites, le breuvage amer précède l’eau pure. Mais après tout peu importe. Le R\ E\ A\ A\ démontre de façon théâtrale mais non dénuée de sens combien le profane doit se prendre en main pour renaître à une vie nouvelle, monter dans cette barque accompagnée de ses frères pour rassembler ce qui est épars, construire son temple intérieur, participer à la construction du temple de l’humanité et ainsi gravir la lente et harmonieuse échelle initiatique.

J’ai dit V\ M\

S\ A\


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