GLMF | Loge : NC - Orient de Calvi | 01/03/2011 |
La
Résurrection
"Si l’initiation enseigne à mourir, ce n’est pas pour préconiser l’anéantissement. Ce qui, de toute certitude, n’existe pas, c’est le Néant ! Y aspirer correspond à l’idéal le plus faux qui puisse se concevoir, car rien ne se détruit, tout se transforme. Loin de supprimer la vie, la mort pourvoit à son perpétuel rajeunissement. Elle dissout le contenant, afin de libérer le contenu que l’on peut se représenter comme un liquide incessamment transvasé d’un récipient périssable à un autre, sans que jamais il s’en perde une goutte." Ainsi s’exprime Oswald Wirth au début de son commentaire sur la Tempérance, arcane XIV du "Tarot des Imagiers du Moyen-Âge", qui montre un "fluide vital versé d’une urne d’argent vers une urne d’or", image de la vie perpétuelle. Il
y a une
différence fondamentale entre le concept de
résurrection et celui de
renaissance. La première évolue dans le monde
terrestre ; la seconde met
en scène un autre monde. La
résurrection
suppose que l’individu reprend vie dans les lieux
mêmes où il a vécu, dans une
configuration physiquement identique à celle qu’il
possédait avant sa mort.
Osiris, Lazare, Jésus en sont les paradigmes. La
résurrection n’est offerte
qu’aux âmes méritantes. La
renaissance
est un retour à la vie après la mort, mais dans
un au-delà imaginaire, dans un
monde différent, ou dans une forme différente de
la précédente. C’est le type
de "réincarnation" ou "métempsycose"
élaboré par les
philosophies bouddhiste ou hindouiste, parfois
considérée comme une punition de
l’âme ou du corps. C’est
l’allégorie que figure l’Ouroboros, le
serpent cyclique qui se mord la queue.
C’est aussi le message que suggère Jean dans
l’Apocalypse (22,13) "Je
suis l’alpha et l’oméga, le premier et
le dernier, le commencement et la fin."
Depuis
Aristote, jusqu’aux études les plus
récentes sur la biologie cellulaire, il est
établi que les cellules, et notamment celles du cerveau
humain ne se régénèrent
pas quand elles meurent. Certaines se multiplient, créant
à l’identique le
programme pour lequel elles ont été
déterminées : ongle, œil, peau, etc. ;
d’autres – les cellules souches – peuvent
donner naissance à différents
organismes. Mais, en tout état de cause, elles
procèdent toujours par mitose
depuis le blastomère d’origine, par division
cellulaire d’une cellule-mère ;
jamais à partir de l’incréé
ou de la réviviscence d’une cellule morte. Le
Professeur
Hugo Lagercrantz, auteur de nombreux travaux sur la mort cellulaire,
l’apoptose, remarque que "chez
l’embryon humain presque la moitié
des neurones disparaissent à partir de la 28ème
semaine."
Dans certains points de contact du corps en formation, ce sont
près de 85% des
cellules qui vont mourir dès les premières
semaines de l’embryon. C’est
d’ailleurs, et fort heureusement, cette mort
programmée des cellules
constituant la palmure originelle qui individualise chaque doigt de la
main. La
résurrection
est donc inconnue du processus biologique. Et lorsque Malebranche
voulait
prouver la résurrection des chenilles par le fait
qu’elles deviennent
papillons, Voltaire écrivait, sarcastique, dans son
Dictionnaire Philosophique
que "cette
preuve est aussi légère que les ailes des
insectes dont
il l’emprunte."
Pour
approfondir
le concept de résurrection, il faut d’abord
s’attacher au rapport que nous
entretenons avec la mort. L’intelligence humaine se perd dans
l’insondable peur
de n’être plus. J’emprunte à
Alain Decaux dans son ouvrage "l’Avorton
de Dieu" cette phrase qui résume notre angoisse : "Si
la
mort est pour chacun au bout de la route, la peur, au moment de
basculer,
découle de cet inconnu qui menace." Est-ce
pour
cette raison que notre conception de la mort s’analyse plus
comme une absence
"provisoire" que par une réelle certitude de non-devenir ?
Est-ce
pour cette raison que le mot français cimetière,
emprunté au cœmentarium
latin, lui-même dérivé du
κοιμητήριον
(koimètèrion) grec, signifie
lieu
de repos ? Nous
vivons,
nous réfléchissons, nous échafaudons,
nous construisons, nous amassons jusqu’au
dernier éclair de conscience qui nous montre finalement la
réalité crue d’une vie
qui s’achève sur rien ! "Vanité
des vanités. Tout est vanité et
poursuite du vent."(Écles.
1,2). Tout ça pour
ça ? J’ai
passé mon
existence terrestre, matérielle, à cueillir des
vies sur le bord du chemin,
sans imaginer une seconde que je faisais cesser une
existence : une
pâquerette, une coccinelle, un oiseau, un animal de
boucherie, voire mon
semblable. Rarement la mort de l’autre, sauf le chagrin de
l’absence, nous
renvoie à l’idée de notre propre mort.
Et encore, ce chagrin est-il plus une forme
d’apitoiement sur notre propre sort – comment
vais-je continuer à vivre sans
l’autre ? – qu’une
véritable compréhension de la fin de la vie de
l’autre. Dans
"L’Âme
et la Vie", Carl-Gustav Jung posait la question cruciale du
devenir :
"Y aurait-il une activité vivante
par-delà le monde quotidien des
hommes ?" et il ajoutait en guise de
réponse : "[La
résurrection est] en langage
chrétien, une « délivrance
» des
liens du monde et du péché.
[…] c’est une affirmation qui
appartient, d’une manière
générale, aux toutes premières
affirmations de
l’humanité." À
partir du
moment où l’homme individu, dicté par
un instinct grégaire, s’est organisé en
meutes, puis en tribus, il a établi une relation affective
avec son semblable,
sur plusieurs niveaux d’échanges :
domination/soumission, crainte/joie,
haine/amour. Ainsi,
l’être
humain a éprouvé ce besoin de conserver
l’essence, la présence spirituelle du
disparu, à défaut de sa présence
physique. Ce désir transcende l’homme et
trouve son expression dans l’art et dans la religion. Nous
survolerons un peu
plus tard le point de vue de la psychologie sur le contenu de cette
présence. Longtemps
avant
que les croyances s’organisent en dogmes puis en religions,
Omo sapiens "humanisé"
a refusé de concevoir que la dépouille de son
enfant mort soit livrée aux
carnassiers ou abandonnée à la
putréfaction. L’absence physique suffisait
à sa
peine ; il a voulu s’épargner le spectacle de la
désagrégation du corps. Il a
donc construit une sépulture pour le défunt, afin
que l’œuvre de la nature
s’effectue à l’abri du regard. Ce
faisant, il
a ritualisé les funérailles, en parant le mort de
vêtements et de bijoux, en
déposant à ses côtés ses
objets familiers, comme nous le ferions aujourd’hui
d’une peluche… Puis de la nourriture pour assurer
la transition ; puis des
offrandes pour que les forces chtoniennes soient favorables aux morts
– comme
aux vivants. Enfin, dans une relation plus
élaborée avec les puissances
occultes, oubliant qu’il les a lui-même
engendrées, l’homme a offert des sacrifices
sensés apaiser la soif sanguinaire des dieux. Sang pour
sang. On peut imaginer
comme suit, sans grand risque d’erreur, le dialogue entre
l’homme et son dieu :
"Voici, Dieu du ciel, j’égorge pour toi
l’agneau premier-né mais
épargne le reste de mon troupeau ; je sacrifie cet homme
à ta colère (en
fait, le prisonnier de la meute rivale) mais
protège ma descendance."
Jusqu’au pseudo-sacrifice d’Isaac sur la montagne
de Morija… C’est
là que
s’installe progressivement la perception de
l’inconcevabilité de la mort, de
son impossible irréversibilité. Puisque le soleil
revient après la nuit,
puisque la graine enfouie a germé et produit, puisque la
nature reverdit après
les longs mois glaciaires, puisque les animaux qui avaient disparu
pendant
l’hibernation ressortent vivants de leurs terriers, il peut
en être de même
pour le défunt. Il DOIT en
être de même ! Et
dans
l’espérance d’un monde autre,
forcément meilleur, pour atténuer la
désespérance
de la finitude, la pensée va élaborer
tantôt au centre de la terre, tantôt
accompagnant le soleil dans sa course au-delà du ciel
visible, comme le
rapporte Jacques Soustelle qui a étudié les
croyances animistes des indiens
Lacandons du Guatemala, un univers où le mort pourra "mener
une
existence exempte de soucis." C’est
sur le
discernement de cette espérance que se fondent les mythes de
renaissance – que
nous n’aborderons pas – et de
résurrection. Le
psychanalyste Bruno Bettelheim a parfaitement illustré la
fonction
thérapeutique des contes de fées qui mettent en
scène mort et résurrection :
Blanche-Neige, le Petit Chaperon Rouge, la Belle au Bois Dormant, et
l’espérance qui s’en dégage. J’ai
dit, en
début de propos, que la résurrection, qui se
mérite, est un passage de l’état
de mort à l’état de vie (sur ce plan,
c’est donc un synonyme de re-naissance)
mais que ce retour à la vie se produit dans le monde du
réel et non dans un
au-delà invisible. La résurrection des corps est
physique quand elle est
supposée adopter les mêmes
caractéristiques physiques que celles de la vie
précédente. La résurrection peut aussi
être spirituelle et concerner l’âme
détachée de son enveloppe charnelle. Les
grandes
religions s’affrontent sur cette doctrine, et au sein
d’une même religion, les
deux tendances peuvent coexister. En effet, pour les partisans de la
doctrine
paulinienne, comment concevoir la résurrection physique des
corps ? À
quel âge le
défunt va-t-il ressusciter pour une nouvelle vie
éternelle ? À sa naissance ? À
l’adolescence ? À l’âge
qu’il avait au moment de sa mort ? Grabataire, perclus,
légume bavant pour le reste de
l’éternité ? La résurrection
peut être
individuelle à l’exemple de celle
d’Osiris ou de Lazare ; elle peut être
collective, comme celle dont vont bénéficier les
élus au jour du Jugement. Étymologiquement,
le mot résurrection, est construit sur le latin resùrgere
signifiant
réapparaître. Dans le sens qui nous
intéresse, il est à rapprocher du terme
grec
ανάστασις
(anastasis), qui évoque
l’action de se re-lever (sous
entendu : d’entre les morts). Qu’elle
est la
démarche des différents courants de
pensée ? La
notion de
résurrection ne peut être
appréhendée qu’en même temps
qu’est appréhendée la
notion de mort. Ainsi,
le
Pasteur Maurice Leenhardt, ethnologue spécialiste de la
culture Kanak, a
déterminé que pour cette ethnie proche de nos
ancêtres néanderthaliens, il n’y
a pas de cessation de la vie et qu’il n’existe donc
aucun mot pour désigner la
mort. Je le cite : "On ne meurt pas, on
défunte, selon
l’expression des méridionaux, de
functus = sorti de sa
fonction." Le défunt est en quelque
sorte désaffecté de la
société
visible. Il n’y a donc pas de résurrection
puisqu’il n’y a pas de mort
véritable. Malgré
de
notables différences d’interprétation,
il n’est retrouvé aucune conception de
résurrection dans les sociétés dites
primitives : Bantous, Maoris,
Iakoutes ou amérindiennes. De même, les religions
"naturistes" des civilisations
slave, balte, scythe et celte ne laissent entrevoir aucune allusion
à la
résurrection. Pour une raison simple :
l’immortalité de l’âme se fond
dans la
pérennité de la nature. Pour qu’il y
ait résurrection, il faut d’abord qu’il
y
ait mort. L’univers ne peut pas mourir, il se poursuit
au-delà des existences
qui se prolongent. Grâce
à une
importante documentation condensée par
l’Égyptologue Christiane
Desroches-Noblecourt, nous savons que ce sont les Égyptiens
d'Héliopolis, dès
la VIème Dynastie, soit 2500 ans
avant notre Ère vulgaire, qui
évoquent pour la première fois la
résurrection de leur roi en l’associant
à la
renaissance de l’astre solaire. Hérodote voit dans
le fleuve Nil – ou plutôt
dans l’action de ses eaux fécondantes –
la représentation du dieu de la vie et
de la mort alternées, le symbole de la
régénération perpétuelle. La
symbolique
de la résurrection va pleinement s’exprimer dans
le culte osirien dont je
rappelle les grandes lignes. Geb, dieu de la Terre et Nout,
déesse du Ciel eurent
cinq enfants représentant les cinq jours
supplémentaires de l’ancien
calendrier. Quatre de ces frères et sœurs nous
sont connus : Osiris et
Seth les garçons ; Isis et Nephthys les filles.
Seth hérite de la
Haute-Égypte, montagneuse et aride ; Osiris se voit
attribuer la
Basse-Égypte, terre féconde et luxuriante. Les
quatre frères et sœurs vont
s’épouser. Par pudeur, mais la légende
nous réserve d’autres allusions, je
passe sous silence la thèse d’Étienne
Drioton qui, en 1952, évoque les rapports
clandestins entre les deux sœurs Isis et Nephthys…
Seth
et son
épouse-sœur Nephthys, Osiris et son
épouse-sœur Isis correspondent, selon
Plutarque aux deux principales divisions administratives, les Nomes, et
les
liens incestueux représentent les mariages endogamiques en
vigueur au sein des
deux "royaumes". Seth,
jaloux,
fait secrètement confectionner un coffre richement
décoré, à la dimension
exacte du corps d’Osiris. À l’issue
d’un banquet, Seth invite chacun des
soixante-douze convives à essayer le coffre, promettant de
l’offrir à celui qui
parviendrait à s’y coucher. Dès
qu’Osiris y a pris place, le coffre est
refermé, cloué et jeté dans le Nil qui
l’entraine jusqu’à la mer. Là,
nous sommes
en présence de trois versions : - selon
le Texte des Pyramides, Isis et Nephthys retrouvent le corps
d’Osiris en pleine
décomposition. Leurs parents, Geb et Nout parviennent
à reconstituer les
membres et Râ ordonne au cadavre de ressusciter.
Désormais, Osiris "ne
se corrompt, ni se décompose." - selon
un document datant du Moyen-Empire, la Stèle C 286
conservée au Musée du
Louvre, Râ, ému par les lamentations
d’Isis envoie Anubis pour procéder aux
funérailles. Anubis rassemble les os
détachés et les morceaux épars de la
dépouille d’Osiris, les entoure de bandelettes,
constituant ainsi "la
première momie." Osiris porte ainsi le nom de
Ounen-Nefer, "l’Être
perpétuellement beau", c'est-à-dire
protégé de la putréfaction. - la
troisième version rapportée par Plutarque fait
allusion à certains textes
égyptiens selon lesquels le coffre aurait
dérivé jusqu’à Byblos, sur
les côtes
de Phénicie, où il est demeuré
emprisonné entre les racines d’un
éricacée. On
notera que le culte d’Adonis,
célébré à Byblos,
s’apparente au culte osirien.
Isis se rend à Byblos où le roi Malcandre lui
restitue le coffre contenant les
restes de son époux, qu’elle cache dans les marais
de Bouto. Au cours d’une
chasse de nuit, Seth découvre le coffre qu’il
fracture, découpe le corps en
quatorze morceaux qui seront éparpillés dans le
Nil. Isis recommence sa quête,
parcourant le marais du Delta sur une barque de papyrus. Elle
retrouvera, les
uns après les autres, treize fragments du corps
d’Osiris, à l’exception du
phallus dévoré par le poisson oxyrhynque. Aidée
de sa
sœur Nephthys, Isis va rassembler le corps d’Osiris
pour lui insuffler le
souffle de vie, et reconstituer le phallus en argile. Sur cette
étincelle de
vie, Isis transformée en milan se pose en battant des ailes
sur le cadavre qui
ressuscite aussitôt, permettant à Osiris de
féconder son épouse et d’engendrer
Horus.
La
légende,
aussi belle soit-elle, ne doit pas nous faire oublier le fil de notre
travail.
Comme le souligne Christiane Desroches-Noblecourt, "les
Égyptiens
ont eu ce mérite rare de concevoir, les premiers, une vie
céleste donnée en
récompense à ceux qui l’avaient
méritée."
Le mythe d’Osiris
est donc le premier exemple connu de résurrection. Il
faut revenir
un bref instant à la conception que les Égyptiens
avaient de la vie et de la
mort pour comprendre la portée du culte et la place de la résurrection.
Les Égyptiens concevaient
l’homme comme constitué de trois
éléments : un
élément matériel, le corps
(Djet) et deux éléments
spirituels : le Ka, principe de vie
immanente et indestructible qui est séparé du
corps tout au cours de la vie
terrestre et qui réintègre le mort pour en faire
un dieu, et le Ba qui
apparaît sous l’aspect que souhaite prendre le
défunt après sa mort pour faire
"sa sortie au jour". Aussi, dès que la
vie a quitté le corps,
il importe de le soustraite à la décomposition
(momification) pour que le Ba
le reconnaisse, le réintègre et que le Ka
lui insuffle le principe de
vie. Pour
les
civilisations sumérienne, akkadienne, assyrienne,
babylonienne, phénicienne et
hittite, l’immortalité est
réservée aux dieux. Les légendes
racontent toutes la
même histoire. La résurrection du dieu solaire
Melkart, célébrée par le roi
Hiram 1er, sensiblement à
l’époque de la Pâque juive, marquait le
retour du printemps. Ishtar (ou Ashtart) accède aux Enfers
pour y chercher son
amant Tammouz. En son absence la Terre n’est que
stérilité. À la
résurrection
de Tammouz, la nature reprend vie. C’est,
à
l’identique le mythe de la résurrection de
Perséphone contrainte de vivre le
tiers de l’année (l’hiver) avec son
époux Hadès, dieu des Enfers. C’est
aussi
une transposition du mythe d’Adonis et de son
épouse Astarté (Aphrodite). La
résurrection
ne s’applique donc pas aux êtres humains. Les morts
conservent dans l’au-delà
une vie diminuée. Le principe vital (Nephesh)
demeurant lié au cadavre,
les rites d’ensevelissement sont stricts. Si le service
funéraire n’est pas
respecté, le Nephesh peut quitter l’ombre du
tombeau et devenir un elohim ou un
rephaïm, êtres redoutables susceptibles
d’apporter le malheur aux vivants. Les
religions
sémitiques et judéo-chrétiennes ont
accordé une large place à la
résurrection
en ce qu’elle témoigne de la victoire de la
puissance divine sur la mort. Elle
est présente dans la religion musulmane ; on la
retrouve, quoique plus
discrètement dans le judaïsme ; elle est
l’un des fondements de la
théologie chrétienne, tant sur le plan
individuel, résurrection de Lazare, de
Jésus, etc. que sur l’interprétation
collective de la résurrection accordée aux
justes. La
conception
que le judaïsme ancien se faisait de la
résurrection est entièrement condensée
(du point de vue de la Grande Église) dans le chapitre 23,
verset 8 des Actes
des Apôtres : "…Les
Sadducéens disent qu’il n’y a point de
résurrection, et qu’il n’existe ni ange
ni esprit, tandis que les Pharisiens
affirment les deux choses." Toutefois, les
Nevi’im des Écritures
hébraïques relatent la résurrection
opérée par le prophète Élie
sur le fils de
la Veuve (1 Rois 17,22), par
Élisée sur la Sunamite (2 Rois 4,34)
ou par Élisée, après sa mort, sur un
homme inconnu qui a touché son cadavre (2
Rois 13,21). En dehors de ces trois cas de
résurrection individuelle, la
Torah conserve plutôt en filigrane le thème de la
rédemption collective, תשובה, Téchouvah, qui doit, à
la fin des temps, ressusciter le peuple élu. Cette
thèse,
dite "mystagogique" est l’une des lectures
de l’Apocalypse de
Jean : "Heureux et saints ceux qui ont part
à la première
résurrection ! La seconde mort n’a point de
pouvoir sur eux."
(Ap.20, 6). Le
Nouveau
Testament a inévitablement repris ces thèmes, en
mettant en évidence les
résurrections individuelles opérées
par Jésus : la fille de Jaïrus, chef
de la synagogue (Matthieu 9,24 - Luc 8,49) ;
une jeune fille
(Marc 5,41) ; le fils de la Veuve (Luc 7,14) et
Lazare
(Jean 11,39). D’autres
sont
le fait de Pierre qui ressuscite Thabita (Actes 9,39)
et Paul pour
Eutychus (Actes 20,11) ou Patrocle
l’échanson de Néron. Mais
pour
l’eschatologie chrétienne, la
Résurrection est liée à la Passion de
Jésus mis à
mort sur la croix, enseveli et sorti du tombeau pour se montrer,
vivant, à ses
disciples (Matthieu 28,7 – Marc 16,9
– Luc 24,1 – Jean 20,14).
Il s’agit là d’une
démonstration forte de la puissance de Dieu qui accepte le
sacrifice de Son Fils en rédempteur de
l’humanité et qui montre au peuple des
fidèles – et des incroyants –
qu’Il a réussi à vaincre les puissances
de
l’Enfer. En réalité, la
Résurrection du Christ n’aurait
été érigée en dogme
qu’à partir de 451, lors du Concile de
Chalcédoine. Il
est certain
que l’idée développée par
Pierre de la résurrection des corps est plus rassurante
que celle, plus abstraite, de Paul qui parle de résurrection
spirituelle. Une
façon de concevoir la mort comme moins effrayante, si on
peut en revenir. Il
n’y a rien en effet de plus angoissant que le
néant et l’esprit humain saisit
mal les contours de l’éternité. Il
est certain
également que, pour le vulgaire, la croyance en une
résurrection individuelle,
assurée après la mort pour peu qu’on
ait fait le bien (Jean 5,29) est
plus prégnante que le concept de résurrection
collective à la fin des Temps dont
on ne sait pas quand elle surviendra. Il y a des moments où
l’égoïsme est
salutaire… Encore que, la Réforme ait
opposé à
l’Αποκατάστασιςά
των
πάντων (apokatastasis
ton pantôn), c'est-à-dire le
rétablissement universel, cher à
Origène et
aux néo-platoniciens, le principe d’une
Grâce accordée aux seuls et rares élus.
Peut-être
parce
que c’est le seul moyen permettant de trouver la vie
supportable après la mort
d’un proche, la notion de résurrection est
nécessaire pour entretenir
l’espérance. Les
psychologues s’accordent à dire que la
présence physique du disparu est
indispensable pour entreprendre le travail de deuil. Le rite des
funérailles
permet aux vivants d’accompagner leur défunt et de
préparer la poursuite de
leurs existences parallèles. L’une dans le monde
réel, l’autre dans le domaine
de l’imaginaire. Après
avoir brossé un panorama de la plupart des religions,
voyons quelle est l’interprétation de la
Franc-maçonnerie. À
l’inverse de la plupart des religions, la
Franc-maçonnerie
n’a pas eu la possibilité de se bâtir
sur le thème de la résurrection. Au
contraire, la légende d’Hiram concourt
à alourdir l’impression de mort
gâchée.
Osiris, Adonis, Jésus sont des victimes expiatoires. Leur
sacrifice a permis
l’espérance d’une nouvelle vie, le
relèvement des vivants, la Rédemption des
péchés. À quoi donc à servi
la mort d’Hiram ? Les
trois mauvais Compagnons, Méthousaël
l’hébreu, le Syrien
Phanor et Amrou le Phénicien, n’ont pas
réussi à obtenir le mot de passe des
Maîtres. Ils ne sont parvenus qu’à
briser le lien qui les liait à la parole
désormais perdue. Hiram assassiné, ils
n’ont même pas la chance offerte à
Œdipe
de pouvoir remplacer Laïos, le père mort. Le reste
ressemble à un mauvais roman
policier. Ils s’enfuient dans le désert en
emportant le cadavre. Ils tentent
gauchement de cacher la dépouille sous un tas de sable. En
parfaits amateurs,
ils vont jusqu’à signaler leur forfait en plantant
une branche d’acacia à
l’endroit où le corps est
dissimulé… Comme
pour se repentir devant le "Fils de l’Esprit". La
suite de la légende n’est guère plus
brillante. Vous la
connaissez tous. Du moins, telle que nous l’a
laissée Gérard de Nerval dans ses
"Voyages en Orient". Et qui sert de fil conducteur
à la
dramaturgie de l’Élévation au grade de
Maître. Mandés
par Salomon, neuf Maîtres vont participer à la
recherche de Maître Hiram. On remettra à plus tard
la traque des trois fuyards…
On aurait pu croire que la sécheresse du sable et la chaleur
du désert allaient
momifier la dépouille. Il n’en est rien. La
branche d’acacia n’a rien de
l’arbousier d’Osiris ; elle n’a pas eu le
pouvoir de protéger le corps d’Hiram.
Vanité. Et celui qui fait la macabre découverte
ne trouve qu’un corps en
putréfaction dont la chair a déjà
commencé à se détacher des os. "Mac
Benac’h !" Le geste qu’il
exécute devant l’horreur du spectacle
évacue
d’emblée toute possibilité
d’envisager une résurrection. On
le voit, la présence du cadavre d’Hiram,
malgré les
assertions des psychologues, ne nous permet pas de faire le deuil du
Maître.
Parce que nous avons été incapables de
protéger le Maître, incapables
d’empêcher sa mort, incapables de conserver la
parole qui est définitivement
perdue ou parce que nous sommes tous coupables d’avoir eu un
jour envie
d’arracher à Hiram le mot de passe des
Maîtres… Il
fallait donc que le rituel pallie ce que ne permettait pas
la légende. En prenant comme mot de Maître le
premier mot prononcé en présence
du corps d’Hiram, en remplacement du Verbe perdu. En prenant
pour appui les
cinq points qui vont re-lever le Mort, de l’horizontale
(passive) à la
verticale (active) et qui composent désormais
l’attouchement de Maître, puis en
lui donnant l’accolade rituelle, le Très
Vénérable Maître va procéder
physiquement au "re-lèvement" du
Compagnon récipiendaire à
l’Élévation. Cette
Élévation correspond bien à
l’étymologie du mot
résurrection. En ce sens, le mot "re-lèvement"
peut se
comparer au sens que l’on donne à
l’action de relever un nom qui n’a plus de
descendance, de relever un titre de noblesse tombé en
déshérence. Une élévation
(de l’esprit et du corps) qui rappelle au Maître
qu’un Franc-maçon "vit
et meurt debout". Qui lui rappelle également
– et c’est là le sens que
l’on peut donner à la marche du Maître
– que, pour sa quête, il peut franchir
même la mort. Un
dernier point de détail, sans pour autant nous aventurer
au-delà de notre degré. Si l’on se
réfère aux ’Houkim,
commandements de
la religion hébraïque, on conçoit mal
que Salomon ait autorisé le transport du
cadavre, impur, en vue de le faire entreposer dans le Débir,
le Saint des
Saints du Temple où seul pénètre ha
Ko’hen ha Rosh, le Grand-Prêtre, Pur
d’entre les Purs. On peut de la sorte, facilement supposer
que l’Arca,
le sarcophage érigé dans le Débir,
était vide, seulement chargé de la
présence
spirituelle d’Hiram. Comme fut retrouvé vide le
tombeau de Jésus, seulement
habité de la présence spirituelle du Christ. Alors
?.. Résurrection ou néant ?
Résurrection individuelle
ou collective ? Résurrection de tous ou de quelques
élus seulement ?
Résurrection immédiate ou à la fin des
Temps ? Résurrection physique ou
spirituelle ? Mythe ou réalité ? Je
laisse, bien sûr, à chacun d’entre vous
la certitude de
ses propres convictions. Il est évident que notre
institution, composée de
personnes professant toutes les confessions, ou n’en
professant aucune, ne peut
donner UNE réponse
qui finirait par s’apparenter à un dogme. Mon
but n’étant pas de vous faire adopter ma position,
ou la position de l’une
quelconque des grandes croyances, mais de vous faire
réfléchir, de manière
inaccoutumée, à cette inéluctable fin. En
guise de conclusion, le dernier mot revient à
l’Évangile
de Thomas. Le plus sceptique de tous les Apôtres
n’a pas craint de douter de la
réalité de la Résurrection du Christ.
Et son incrédulité, quasi-scientifique,
conforte notre certitude : "Que celui qui cherche ne
cesse pas de
chercher jusqu’à ce qu’il trouve. Et
quand il aura trouvé, il sera troublé." J’ai
dit. |
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