GLNF | Loge : Mnemosyne | 13/10/2004 |
Elevons nos Cœurs en Fraternité… Dès que nous sommes sur les parvis du Temple, en méditation, les Apprentis Francs-Maçons reçoivent des injonctions. Ainsi, le F. Maître des Cérémonies annonce « Mes Frères, prêtez attention à l’entrée du Vénérable Maître ». Il s'agit là de la première injonction de notre Rituel du Premier Degré du REAA, de caractère conditionnel, à l'adresse de tous les assistants - non encore préalablement reconnus comme Apprentis Francs-Maçons toutefois. - Des injonctions ou invocations émaillent les Rituels de notre Rite Ecossais Ancien et Accepté. Proposées à notre réflexion, elles constituent des interventions verbales fortes dont il convient d'extraire la portée symbolique. Par leur contenu initiatique, elles sont la Lumière sur notre chemin et contribuent à l'expression de la méthode maçonnique. La formule dont le commentaire m'échoit "ELEVONS NOS CŒURS EN FRATERNITE" est l'une d'elles. Elle exprime, de prime abord, une attitude de solidarité et de ferveur vers laquelle sont appelés et doivent tendre les Francs-Maçons réunis en Tenue Solennelle ou Régulière. L'expression est impérative et met un terme à la lente, prudente et vigilante métamorphose caractérisant le processus d'ouverture des travaux maçonniques. Entre l'appel liminaire du Vénérable Maître : « Prenez place mes Frères » avant de procéder à l'ouverture de la Loge et sa solennelle invocation, incantatoire par sa gestuelle et sa résonance, dont les termes en appellent de l'entité maçonnique dans son intégralité, qu'il s'agisse du GADLU, (je rappelle que l'Instance Suprême du Principe Créateur vient d’être invoquée par l’Orateur à la lecture du prologue de l’Evangile de Saint-Jean), de l'Universalité maçonnique, de l'Obédience ou de la Loge de Saint-Jean… le cheminement du Rituel nous conduit peu à peu dans une autre dimension, bien au-delà des tumultes du monde profane, et qui sensiblement a gagné notre mental, a envahi notre cœur et a éveillé notre âme. Quelle mutation ! Outre le Rite proprement dit, qui est illumination de l'Esprit, l'organisation même du Temple, sa structure particulière de part et d'autre de la remarquable ligne axiale reliant le monde sensible du parvis au monde spirituel de l'Orient, avec ses officiants, ses grands Symboles maçonniques, participent de cette dynamique appelant à la transcendance. La Loge est un "Haut Lieu" dès lors que le Rituel la sacralise. La batterie et l'acclamation écossaise ont retenti !!! Le Vénérable Maître, vers qui tous les regardent convergent depuis l'invocation, est alors habilité à traduire et confirmer cette mutation. Conforté et porté par la communauté fraternelle attentive, l'Assemblée des Frères figée dans la rectitude de l'Ordre, il lance un nouvel appel : "Mes Frères ! Elevons nos Cœurs en Fraternité !" - Est-ce l'incitation à un autre élan collectif, préalable, vers ce qui transcende l'Univers, vers l'intuition d'un monde caché derrière le monde visible ? - Est-ce l'invite à une "Elévation" des Frères cherchant à appréhender une vérité spirituelle qu'ils savent inaccessible ? - La formule s'inscrit-elle comme une ultime mise en garde des Frères, appelés à se rassembler, à rassembler ce qui est épars en eux et à s'unir en un corpus actif dans l'attente d'une réalité plus haute et plus vaste qu'eux-mêmes ? Sans doute y a-t-il un peu de tout cela dans cet appel, mais peut-être faut-il y discerner, aussi, comme une ultime et suprême recommandation à la discipline cohésive, avant que les regards puissent se tourner vers la Lumière, alors que, déjà, toutes dispositions nécessaires de sacralisation ont été prises. Enoncée comme un ordre formel, l'expression laisse filtrer, me semble t-il, comme une subtile exhortation à l'impératif devoir de solidarité fraternelle et d'harmonie des Francs-Maçons. Venant après l'appel interjectif du Vénérable Maître ("Mes Frères") et deux propositions confirmant deux constats : 1) la dissipation des ombres épaisses du monde profane par le magistère du Rituel d'une part, 2) l'abandon des préjugés du vulgaire et de l'illusoire richesse des métaux d'autre part. Le Vénérable Maître a bien précisé « Mes Frères ! Nous ne sommes plus dans le monde profane, nous avons laissé nos Métaux à la porte du Temple. Elevons nos cœurs en fraternité et que nos regards se tournent vers la Lumière ». L'élément de phrase rituelle dont il s'agit, s'insère dans une suite orale complexe, marquant une évolution solennelle décisive dans l'ouverture des Travaux, et dans la concision, le rythme, la montée en puissance des allusions symboliques viennent "se fondre" dans le concept-clé de Fraternité ! Alors oui, mes Frères, "ELEVONS NOS CŒURS EN FRATERNITE". Nous le pouvons, et nous en avons le devoir. Nous avons dépassé l'exigence rituelle et atteint un état de conscience différent, appartenant à une autre dimension que celle de la vie profane. Une fois de plus, nous sommes repassés par le Cabinet de Réflexion, une fois de plus nous avons procédé au sacrifice pour atteindre au Sacré. Mais aussi, dépouillés de nos passions et de nos préjugés, le cœur neuf et l'esprit serein, nous avons plongé en nous. Les conditions requises et nécessaires pour donner une réalité à la "Fraternité Maçonnique" sont réunies. Le Temple existe par la volonté concertée des Frères, unis par le même engagement de fidélité inclus dans leur Serment Solennel prononcé lors de leur Initiation mais aussi : "d'aimer ses Frères, de les secourir et de leur venir en aide". C'est ainsi que l'un des caractères dominants de la Loge est le respect de que j'appellerais notre "Contrat Fraternel". Nous voici donc au cœur de notre sujet, une fois encore : "ELEVONS NOS CŒURS EN FRATERNITE" La formule est ternaire et révèle trois composantes dont il nous fait peser chaque mot et aller vers les implications que chacun d'eux suggère : 1) le concept d'Elévation d'abord. Démarche anagogique (du grec ana, en haut, et de agôgos, qui conduit. Il peut s'agir de l'Elévation de l'âme dans la contemplation mystique et/ou de l'interprétation des Ecritures par laquelle on s'élève du sens littéral au sens spirituel). Démarche anagogique s'il en est, qui nous interpelle et nous porte à franchir collectivement le pas d'un monde à l'autre, en communauté fraternelle, nous exaltant au-delà de nous-mêmes pour nous faire prendre conscience d'une réalité qui nous dépasse, où chacun des Frères devient UN avec le TOUT (En To Pan), ce TOUT vivant en chacun de nous. 2) la notion de Cœur ensuite. Le Cœur, centre de l'individualité et siège de nos sentiments qui rappelle, ici, sa présence entre l'Esprit et la Raison, exaltant notre sensibilité naturelle et notre spontanéité qui nous porte à aller vers l'Autre, avec les autres! 3) la Fraternité, enfin, vertu fondamentale de notre Ordre Maçonnique. Mais qu'est-ce que la Fraternité ? Le Thème de l'année Maç. 6003/6004. L'étymologie rapporte l'origine latine du mot "Frère", à savoir "Frater" qui désignait tout membre de l'espèce humaine. "Frater" ne faisait nulle allusion à un lien parental, et, si l'on voulait spécifier une descendance, il fallait ajouter l'adjectif "germain", évoquant le "germen", la graine. Aux yeux des premiers chrétiens, le sacrement du baptême donnait au baptisé une nouvelle nature, séparant l'humanité en deux groupes distincts : les chrétiens et les autres. L'utilisation du terme "Frère" s'est généralisée, et nombreuses sont les communautés qui qualifient leurs adeptes de "Frères", ce qui a conduit à la banalisation du terme. La difficulté certaine à appréhender le concept de fraternité réside sans doute dans sa dualité ou son caractère binaire. Tous les hommes sont Frères, nous dit-on, mais les mythes et les légendes supports de la Tradition sont fondés sur le meurtre et l’ignominie. Abel et Caïn, Romulus et Remus sont les exemples traditionnels de la haine des Frères et des Hommes entre eux. En fait, à l’exemple de Janus, notre démarche spirituelle va nous faire prendre conscience qu’à l’intérieur de chaque conscience coexiste le couple Amour/Haine. Rappelons nous l’épreuve du Miroir et l’image qui s’y reflète. Mais, au même titre que le noir s’oppose au blanc dans le « Pavé Mosaïque », le Mal serait-il aussi nécessaire que ce que nous avons coutume d’appeler le Bien ? Après tout, la Lumière a également besoin des Ténèbres…Notre démarche alchimique va nous permettre de comprendre l’un des points essentiels de la Table d’Emeraude, qui énonce que « l’équilibre réside dans l’analogie des contraires ». Nous pouvons aussi ajouter avec Saint-Augustin : « Que tu sois bon ou que tu sois mauvais, que tu le veuilles ou que tu ne le veuilles pas, tu es mon Frère ». Mais alors, pour nous Francs-Maçons du REEA, qu’en est-il de cette Fraternité ? Nos textes constitutifs l’inscrivent au centre même de l’idée maçonnique. Le point 1 de la règle en douze points, qui figure comme la clé de voûte de la Constitution de la GLNF stipule que « La Franc-Maçonnerie est une fraternité initiatique qui a pour fondement traditionnel la foi en Dieu, Grand Architecte de l’Univers ». Le point 2 énonce que « La Franc-Maçonnerie se réfère aux « Anciens Devoirs » et aux « Landmarks » de la Fraternité ». Le point 3 précise que « La Franc-Maçonnerie est un Ordre auquel ne peuvent appartenir que des hommes libres et respectables qui s’engagent à mettre en pratique un idéal de paix, d’amour et de fraternité ». Enfin reprenant les « Old Charges », le point 6 stipule que « La Franc-Maçonnerie est un centre permanent d’union fraternelle ou règne une compréhension tolérante et une fructueuse harmonie entre des hommes qui, sans elles, seraient restés étrangers les uns aux autres ». Mais comment formuler l’idée que les Francs-Maçons se font des concepts de Fraternité et de communauté fraternelle ? Le rassemblement des hommes en une authentique fraternité ne peut résulter, pour nous, que de la pratique initiatique. L’engagement maçonnique conduit à une conception différente des rapports humains avec le monde. Il implique à l’égard de soi un certain nombre d’exigences. C’est se mettre en question, s’interroger et faire effort pour voir les choses autrement qu’on ne l’a fait jusqu’alors. C’est vouloir naître à une nouvelle existence et, par conséquent, devenir ce que l’on est. Cette condition est la clé de l’initiation. A l’évidence, le premier travail du Franc-Maçon est l’insertion dans un cadre contraignant, dans un ensemble de disciplines rituelles et spirituelles, qui constituent les préliminaires de l’initiation. C’est ainsi que la Loge est le creuset primordial de la Fraternité initiatique, où les Francs-Maçons se doivent de resserrer, toujours plus, les liens qui les unissent. C’est là qu’il leur appartient de promouvoir le Monde selon la Règle qui est la leur, fondamentalement ce qui implique « qu’ils fuient le Vice et pratiquent la Vertu, qu’ils vainquent leurs passions et soumettent leur volonté à leurs devoirs ». Telles sont les conditions que nous fixe l’instruction au Premier Degré symbolique. L’action que sous-tend la pratique rituelle devient un « Combat ». C’est ce combat qui permettra de projeter hors du Temple leur force d’exemple, de marcher dans la vie « selon l’équerre ». Mais l’objectif de fraternité ne peut-être atteint que si nous pratiquons un retour sur ce que nous appelons notre Temple intérieur, qui nous ouvre le chemin d’une Spiritualité Individuelle, d’une « individuation » comme l’exprimerait notre Vénérable Maître d’Honneur. Démarche introspective donc, dont la Loge est « l’athanor alchimique », où se fondent l’analyse de soi et l’apprentissage des Autres, unissant l’individu aux Autres et les rassemblant en éléments solidaires et indissociables d’une communauté de Frères « élevant leurs cœurs en fraternité » au-delà de leur différence et tentant de créer cet éggrégore qui nous fait tous vibrer. Notre Fraternité, c’est donc bien, en premier lieu, retrouver notre véritable nature et reconstituer notre propre cohérence, mais, simultanément, rechercher la nécessaire confrontation avec les Autres et les reconnaître comme Frères. Pour cela, il nous faut, selon l’expression forte de Michel de Montaigne : « Planter notre regard en nous, replier notre vue vers le dedans et nous rouler dans notre âme ». Affirmer notre fraternité initiatique, c’est aussi la réaliser par une fraternité philanthropique, ce qui nous fait porter notre regard vers le Chevalier de Ramsay, dont le « Discours » évoquait, à l’heure de l’Encyclopédie et dans le contexte de l’époque, la « Saine morale » conditionnant l’Ordre des Francs-Maçons pour « Former des hommes, des hommes aimables, de bons citoyens, inviolables dans leurs promesses, fidèles adorateurs du Dieu de l’amitié, plus amateurs de la vertu que des récompenses ». Enfin, notre Rituel le rappelle à la fin des travaux en nous demandant « d’achever au-dehors l’œuvre commencée dans le Temple ». En effet, l’œuvre de Fraternité perdrait de sa signification si elle restait confinée à l’intérieur du Temple ; ce serait contester sa vertu fondamentale de perfectionnement moral de ses membres et de l’humanité tout entière (point 4 de la règle en Douze points). Mais comment ? Repoussant la connotation utopiste ou mythique qu’évoquerait le terme de fraternité universelle, le Franc-Maçon, convaincu que la voie du perfectionnement humain passe par le cœur de l’homme, doit « réfléchir » autour de lui et faire valoir aux yeux des profanes les valeurs sur lesquelles pourrait s’édifier un monde plus fraternel. C’est à partir de là, qu’en se plaçant sous le signe de l’Equerre, emblème de rectitude, il affirme sa droiture dans sa relation à Autrui et à la société. C’est sur l’exemplarité des Frères, véritables émissaires de notre Ordre, que se construit et se poursuit au dehors l’œuvre maçonnique. A la clôture des travaux, une nouvelle fois le Vénérable Maître avant de nous séparer, nous exhorte à élever nos cœurs en fraternité, nous invitant à faire notre les paroles du Prologue de l’Evangile de Saint-Jean, pour affirmer la capacité des hommes à s’unir, progresser et s’accomplir, dans une Tradition de Lumière, symbole de la Spiritualité. J’ai dit Vénérable Maître, D\ L\ |
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