Obédience : NC | Loge : NC | 18/02/2017 |
Les limites de la raison Avant-propos Le rationalisme est la doctrine qui pose que la raison discursive est la seule source possible de toute connaissance réelle. Il s’étend à toute doctrine qui attribue à la raison humaine la capacité de connaître et d'établir la vérité. De nombreux détails me gênaient dans ce que pouvait induire une doctrine telle que le rationalisme, en particulier pouvoir déterminer la vérité absolue, à quoi j’opposais ironiquement les petites phrases : « j’ai la preuve que la preuve n’existe pas ! », ou celle attribuée à Auguste Comte : « tout est relatif, voilà le seul absolu ! » C’est ainsi que l’idée de cette planche a germé afin d’un peu mieux étayer ma pensée à ce sujet. Introduction Mais écrire une planche sur la raison exige d’utiliser la démarche rationnelle de bout en bout, et nécessite une attention de tous les mots. De temps en temps j’émettrai des « Avertissements » indiquant des voies à débroussailler, mais que je ne développerai pas. Principes du raisonnement. L’analyse d’un concept va suivre deux voies : la voie ontologique (où l’homme s’interroge sur le sens de l'être) ; la voie logique (de la connaissance formelle, sans la nécessité de trouver un sens). Cette dernière voie nécessitant moins de préalables permettra de démarrer notre réflexion. Afin d’analyser un concept (ou une proposition) nous utiliserons donc la « logique » : du grec logikê, dérivé de logos, terme utilisé pour la première fois par Xénocrate signifiant à la fois raison, langage et raisonnement. C’est dans une première approche l'étude des règles formelles que doit respecter toute argumentation correcte. Dans cette version logique, nos Anciens ont établi trois grands principes : Le
principe d'identité ; Enfin, pour recouvrir l’ensemble de la réflexion : le principe de raison suffisante. Examinons chacun de ces principes. Le principe d'identité Le discours philosophique a besoin de cohérence. Une expression de ce besoin est le principe d'identité qui énonce que ce qui est, est soi-même. C'est, selon Aristote (Métaphysique, livre gamma), l'exigence fondamentale du discours rationnel. Si on ne l'admet pas, alors le sens des concepts peut changer à tout instant, ce qui revient à dire qu'on ne peut rien dire qui ne soit contradictoire. On l'exprime sous la forme : « ce qui est, est » (A est A) et « ce qui n'est pas, n'est pas » (non A est non A). Ontologiquement, il y a cohérence de l'être, dont Platon isolecinq genres : l’Être (et le Néant), le Repos et le Mouvement, le Même (Identité) et l’Autre. Dans Le Parménide (137c), il fait figurer le principe sous la forme de la première hypothèse : l'Un, c'est l'Un, de sorte qu'il n'est ni tout ni parties, ni droit ni circulaire (donc sans figure), ni en soi-même ni en autre chose (donc il n'est pas dans l'espace), ni en repos ni en mouvement, ni identique ni différent, ni semblable ni dissemblable, ni égal ni inégal, ni plus vieux ni plus jeune (il n'est pas dans le temps), il échappe à l'être et à la connaissance. En un condensé plus accessible, nous résumerons cette pensée par l’expression : « Le Tout ne peut être qu’Un ». Nous avons ici franchi la frontière du rationnel pour explorer la métaphysique. Suivant le principe d’identité, la réalité possède une certaine immuabilité, l'arbre reste arbre ; ou sous la forme logique : « proposition vraie reste vraie, une proposition fausse reste fausse » : il y a cohérence de la connaissance ou du langage, toute désignation doit conserver une permanence, le mot « arbre » doit toujours désigner l'arbre. Nous devons aux Stoïciens d’avoir transposé le principe d'identité de l'ontologie à la logique : « Si le premier, alors le premier », « Si a, alors a ». Et ils font de ce principe la loi fondamentale de la logique. Thomas d'Aquin, vers 1270, doute du fondement ontologique : « Certaines relations ne sont pas réellement inhérentes aux sujets dont elles sont prédiquées. Cela peut se remarquer des deux termes, lorsqu’on dit par exemple que le même est même que le même. Cette relation d’identité se multiplierait à l’infini si quelque chose était semblable à lui-même d’une relation ajoutée. N’importe quoi est évidemment semblable à lui-même. Cette relation est donc purement de raison, car c’est cette faculté qui prend une seule et même réalité pour chacun des termes de la relation ». Le principe d’identité rend les deux termes indiscernables, et pour Leibniz, le principe d'identité des indiscernables équivaut au principe de non-contradiction. Le principe de non-contradiction On nomme « principe de non-contradiction » cette loi qui veut qu’on ne peut affirmer et nier le même terme ou la même proposition : « Il est impossible qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps et sous le même rapport à une même chose » (Aristote, Métaphysique, livre Gamma, chap. 3, 1005 b 19-20). Assurément, une chose peut être blanche aujourd’hui ou d’une autre couleur demain. De même, cette chose est plus grande ou plus petite qu’une autre à un moment donné. Mais, il est impossible que ces déterminations apparaissent simultanément et s’appliquent du même point de vue à cette chose. Il est impossible donc qu’à la fois une chose soit et ne soit pas. Aristote formule ainsi ce principe : une même chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être dans un même sujet (A est différent de non A). En 1794, dans Fondement d'une doctrine de la science, Fichte reprend à son compte les deux premiers principes pour en faire une méthode appliquée à l’observation scientifique. Selon G\ E\ Moore, le verbe « être » désigne plusieurs idées, il marque tantôt l’existence (« Je suis »), tantôt l’attribution (« Je suis mortel »), tantôt l’identité (« Je suis Moore »), tantôt l’appartenance (« Je suis un homme ») donnant ainsi au moins quatre possibilités de définition de l’être, avant même d’en donner un sens. La loi ou principe de non-contradiction nie la conjonction d'une proposition p et de sa négation non-p : on ne peut penser à la fois p et non-p, donc si l'une est vraie, l'autre est fausse. La contradiction est une relation existant entre deux termes ou deux propositions dont l’un(e) affirme ce que l’autre nie. A et non-A sont contradictoires, les phrases « Tous les hommes sont barbus » et « Quelques hommes ne sont pas barbus » sont contradictoires. Le principe de non-contradiction a donc deux versions, l'une ontologique, l'autre logique. La version ontologique dit qu'une chose ne peut avoir une propriété et la propriété contraire en même temps et sur le même point. La version logique dit qu'on ne peut affirmer qu’une proposition est vraie et fausse en même temps. Nécessité du principe de non-contradiction ? Le principe de non-contradiction est un axiome Aristote pose le principe de non-contradiction comme une nécessité absolue. Il est un axiome, c’est-à-dire qu’il est une vérité première qui contribue à démontrer les autres vérités, mais lui-même ne peut être déduit en vertu de sa simplicité et de son caractère premier. En un premier temps, il s'agit du caractère performatif du principe. Quiconque ne se borne pas au silence mais accepte de dire quelque chose de sensé, dès lors qu’il commence à parler, dit quelque chose de déterminé et exclut implicitement la référence à autre chose : dire A, c’est exclure d’entendre tout ce qui n’est pas A, ou qui est non-A. Cette « monstration » du principe en assure l’infaillibilité simplement parce que le principe de non-contradiction sera la condition préalable de toute pensée et de tout discours. « Le principe n’est pas de demander à l’adversaire de dire que quelque chose est, ou n’est pas, mais de dire du moins quelque chose qui présente une signification pour lui-même et pour autrui ». (Aristote, Métaphysique, 1006 a 18-21). Nous donnons toujours un sens à ce que nous nommons. La décision du sens constitue, pour Cassin et Narcy, la signification et l’enjeu essentiel du principe de non-contradiction. La proscription de la contradiction devient une évidence première et indémontrable, puisqu’elle conditionne jusqu’à la possibilité de dire quelque chose. En un deuxième temps, la non-contradiction ne ressort pas seulement au discours. Il est possible, et peut-être requis, d’en rechercher le fondement au plan de l’être lui-même. L’impossibilité logique d’affirmer et de nier en même temps le prédicat du sujet se fonde sur l’impossibilité ontologique de la coexistence des contraires. Dès lors, plus qu’une faute de discours, la contradiction devient la mesure même de l’impensable. Par exemple, si le réel est contradictoire, alors, conclut Aristote, il n’y a plus de distinction entre un homme et un bateau. De surcroît, la contradiction qu’implique le mouvement – ce qui change devient contradictoirement ce qu’il n’est pas – n’est qu’une apparence. Héraclite (vers 500 av. J.-C.) semble d'avance rejeter le principe de non-contradiction au profit de l'unité et de l'indissociabilité des contraires. « Toutes choses naissent selon l'opposition... » « Le changement est une route montante-descendante et l'ordonnance du monde se produit selon cette route... » « Toutes choses sont mutuellement contraires ». « Dieu est jour/nuit, hiver/été, guerre/paix, satiété/faim ». Le principe de non-contradiction se trouve de façon implicite chez Parménide (vers 450 av. J.-C.) : « On ne pourra jamais prouver que le non-être à l’être », c'est-à-dire qu’il est difficile de trouver une définition indépendante de l’être et du non être, mais plus facile de prendre le couple et de définir l’un des termes relativement à l’autre. La première formulation nette se rencontre chez Platon : « Manifestement la même chose se refusera à exercer ou à subir des actions contraires simultanément, du moins sous le même rapport intrinsèque eut égard à la même chose... Être en repos et en mouvement, simultanément, sous le même rapport, est-ce que c'est possible pour la même chose ? Nullement ! » Nos anciens connaissaient pourtant les mouvements relatifs. Nous savons, depuis Einstein, que le référentiel absolu n’est pas accessible, et donc le mouvement d’un objet ne peut se définir que par rapport à chacun des objets de l’environnement, ce qui bat en brèche la proposition précédente, sauf à considérer un seul mouvement relatif. Etre au repos ou en mouvement ne signifie nullement deux notions différentes, car nous ne pouvons pas accéder au référentiel absolu nécessaire au discernement. Une des difficultés rencontrées est la définition du contraire d’une chose ou d’une proposition. Il est souvent cité comme exemples de contraires : l’ombre et la lumière, la vérité et l’erreur, la vie et la mort, le bien et le mal. Or, l’ombre n’est pas le contraire de la lumière, c’est son absence. De même pour la vérité, qui est l’absence d’erreur, ce cas étant compliqué du fait que cette propriété s’applique à la chose jugée (le jugement est le processus intellectuel permettant d’attribuer une valeur à une proposition), provoquant une « récursivité » du raisonnement, car ici, la chose jugée est la vérité elle-même, celle-ci est-elle vraie ou fausse ? En conséquence, il me semble intéressant d’effectuer le distinguo entre le contraire et l’absence. Nous pouvons nous appuyer sur l’existence ou non du concept, l’absent n’existe pas, par contre le contraire peut exister dès que son original existe (! Avertissement ! : toute proposition a-t’elle un contraire ?). On doit ici se poser la question : l’absent peut-il coexister avec l’existant ? L’absent n’existant pas, empêcherait-il l’existence du présent (qui est le contraire d’absent) ? La mort est l’absence de la vie, mais pour qu’il y ait mort, il faut qu’il y ait eut vie préalable. La difficulté du raisonnement à ce niveau, est que les notions de vie ou de mort ne recouvrent pas la même durée et ne sont donc pas comparables. Un être nait, vit et meurt. La mort est une transition, on ne peut pas comparer une tranche de vie à une « tranche de mort ». Le contraire de la mort est ici la naissance. Le même mot de mort s’applique à l’évènement arrêtant la vie et l’état dans lequel se trouve l’être après que cet événement soit survenu. Peut-on mettre en vis à vis chaque élément définissant la vie d’un individu, avec chaque élément définissant un individu en état de mort ? Si oui, nous démontrions que l’état de vie est le contraire de l’état de mort, mais cette démonstration est loin d’être bouclée. Selon G\ E\ Moore, le verbe « être » désigne plusieurs idées, il marque tantôt l’existence (« Je suis »), tantôt l’attribution (« Je suis mortel »), tantôt l’identité (« Je suis Moore »), tantôt l’appartenance (« Je suis un homme ») donnant ainsi au moins quatre possibilités de définition de l’être, avant même d’en donner un sens. La loi ou principe de non-contradiction nie la conjonction d'une proposition p et de sa négation non-p : on ne peut penser à la fois p et non-p, donc si l'une est vraie, l'autre est fausse. La contradiction est une relation existant entre deux termes ou deux propositions dont l’un(e) affirme ce que l’autre nie. A et non-A sont contradictoires, les phrases « Tous les hommes sont barbus » et « Quelques hommes ne sont pas barbus » sont contradictoires. Le principe de non-contradiction a donc deux versions, l'une ontologique, l'autre logique. La version ontologique dit qu'une chose ne peut avoir une propriété et la propriété contraire en même temps et sur le même point. La version logique dit qu'on ne peut affirmer qu’une proposition est vraie et fausse en même temps. Nécessité du principe de non-contradiction ? Le principe de non-contradiction est un axiome Aristote pose le principe de non-contradiction comme une nécessité absolue. Il est un axiome, c’est-à-dire qu’il est une vérité première qui contribue à démontrer les autres vérités, mais lui-même ne peut être déduit en vertu de sa simplicité et de son caractère premier. En un premier temps, il s'agit du caractère performatif du principe. Quiconque ne se borne pas au silence mais accepte de dire quelque chose de sensé, dès lors qu’il commence à parler, dit quelque chose de déterminé et exclut implicitement la référence à autre chose : dire A, c’est exclure d’entendre tout ce qui n’est pas A, ou qui est non-A. Cette « monstration » du principe en assure l’infaillibilité simplement parce que le principe de non-contradiction sera la condition préalable de toute pensée et de tout discours. « Le principe n’est pas de demander à l’adversaire de dire que quelque chose est, ou n’est pas, mais de dire du moins quelque chose qui présente une signification pour lui-même et pour autrui ». (Aristote, Métaphysique, 1006 a 18-21). Nous donnons toujours un sens à ce que nous nommons. La décision du sens constitue, pour Cassin et Narcy, la signification et l’enjeu essentiel du principe de non-contradiction. La proscription de la contradiction devient une évidence première et indémontrable, puisqu’elle conditionne jusqu’à la possibilité de dire quelque chose. En un deuxième temps, la non-contradiction ne ressort pas seulement au discours. Il est possible, et peut-être requis, d’en rechercher le fondement au plan de l’être lui-même. L’impossibilité logique d’affirmer et de nier en même temps le prédicat du sujet se fonde sur l’impossibilité ontologique de la coexistence des contraires. Dès lors, plus qu’une faute de discours, la contradiction devient la mesure même de l’impensable. Par exemple, si le réel est contradictoire, alors, conclut Aristote, il n’y a plus de distinction entre un homme et un bateau. De surcroît, la contradiction qu’implique le mouvement – ce qui change devient contradictoirement ce qu’il n’est pas – n’est qu’une apparence. Héraclite (vers 500 av. J.-C.) semble d'avance rejeter le principe de non-contradiction au profit de l'unité et de l'indissociabilité des contraires. « Toutes choses naissent selon l'opposition... » « Le changement est une route montante-descendante et l'ordonnance du monde se produit selon cette route... » « Toutes choses sont mutuellement contraires ». « Dieu est jour/nuit, hiver/été, guerre/paix, satiété/faim ». Le principe de non-contradiction se trouve de façon implicite chez Parménide (vers 450 av. J.-C.) : « On ne pourra jamais prouver que le non-être à l’être », c'est-à-dire qu’il est difficile de trouver une définition indépendante de l’être et du non être, mais plus facile de prendre le couple et de définir l’un des termes relativement à l’autre. La première formulation nette se rencontre chez Platon : « Manifestement la même chose se refusera à exercer ou à subir des actions contraires simultanément, du moins sous le même rapport intrinsèque eut égard à la même chose... Être en repos et en mouvement, simultanément, sous le même rapport, est-ce que c'est possible pour la même chose ? Nullement ! » Nos anciens connaissaient pourtant les mouvements relatifs. Nous savons, depuis Einstein, que le référentiel absolu n’est pas accessible, et donc le mouvement d’un objet ne peut se définir que par rapport à chacun des objets de l’environnement, ce qui bat en brèche la proposition précédente, sauf à considérer un seul mouvement relatif. Etre au repos ou en mouvement ne signifie nullement deux notions différentes, car nous ne pouvons pas accéder au référentiel absolu nécessaire au discernement. Une des difficultés rencontrées est la définition du contraire d’une chose ou d’une proposition. Il est souvent cité comme exemples de contraires : l’ombre et la lumière, la vérité et l’erreur, la vie et la mort, le bien et le mal. Or, l’ombre n’est pas le contraire de la lumière, c’est son absence. De même pour la vérité, qui est l’absence d’erreur, ce cas étant compliqué du fait que cette propriété s’applique à la chose jugée (le jugement est le processus intellectuel permettant d’attribuer une valeur à une proposition), provoquant une « récursivité » du raisonnement, car ici, la chose jugée est la vérité elle-même, celle-ci est-elle vraie ou fausse ? En conséquence, il me semble intéressant d’effectuer le distinguo entre le contraire et l’absence. Nous pouvons nous appuyer sur l’existence ou non du concept, l’absent n’existe pas, par contre le contraire peut exister dès que son original existe (! Avertissement ! : toute proposition a-t’elle un contraire ?). On doit ici se poser la question : l’absent peut-il coexister avec l’existant ? L’absent n’existant pas, empêcherait-il l’existence du présent (qui est le contraire d’absent) ? La mort est l’absence de la vie, mais pour qu’il y ait mort, il faut qu’il y ait eut vie préalable. La difficulté du raisonnement à ce niveau, est que les notions de vie ou de mort ne recouvrent pas la même durée et ne sont donc pas comparables. Un être nait, vit et meurt. La mort est une transition, on ne peut pas comparer une tranche de vie à une « tranche de mort ». Le contraire de la mort est ici la naissance. Le même mot de mort s’applique à l’évènement arrêtant la vie et l’état dans lequel se trouve l’être après que cet événement soit survenu. Peut-on mettre en vis à vis chaque élément définissant la vie d’un individu, avec chaque élément définissant un individu en état de mort ? Si oui, nous démontrions que l’état de vie est le contraire de l’état de mort, mais cette démonstration est loin d’être bouclée. Ce principe ne vaut que là où le temps peut être « défini » sans ambiguïté, ce qui est toujours le cas à l'échelle macroscopique, mais pose des difficultés à l’échelle quantique. Hume remet néanmoins en cause l'aspect rationnel de la causalité. En effet pour cela il prend l'exemple d'un billard : la pensée commune est que c'est parce que la première bille a heurté la deuxième que celle-ci s'est mise en mouvement. Mais Hume y voit une succession d'évènements, une succession non pas logique mais chronologique. Il pense qu'il faut revenir à l'observation, et alors on constate que l'on « n’observe » jamais la causalité. Pour pouvoir opérer cette substitution de la causalité à la succession, il faut s'assurer que l'opération causale soit légitime, fondée. Cette idée de causalité est surtout une accoutumance « spontanée » qui nous permet d'anticiper une « observation » future. Mais la « croyance causale » n'a pas de légitimité probatoire, on ne peut tirer une certitude de l'avenir à partir du passé. Il parle ainsi de « probabilisme », et non de « rationalisme ». Nous retrouvons cette assertion en déroulant les chaines de Markov, empilement d’événements probabilistes, où la probabilité de voir apparaitre un événement donné est indépendante de l’historique. Prenons un exemple tout simple en jouant à Pile ou Face. Même si nous sommes dans une très longue séquence de résultats « Pile », la probabilité de voir apparaitre « Face » sera toujours de ½, comme tout au long de cette séquence. C’est l’apparition de cette séquence qui a une probabilité très faible, mais pas les événements individuels composant la séquence, qui eux ont une probabilité constante. Les catégories du raisonnement Plusieurs philosophes (Kant, Renouvier, …) ont cherché à établir les « cadres conceptuels » de la raison et à comprendre selon quelles catégories nous formulons des jugements : unité, pluralité, affirmation, négation, substance, cause, possibilité, nécessité. La possibilité d'une catégorisation achevée et complète supposerait que la pensée humaine soit immuable ou plutôt « intemporelle » dans ses principes. Elle supposerait donc une raison identique à elle-même et sans véritable « dynamisme » au niveau de ses principes qui seraient inchangeables. On peut, au contraire, estimer qu'il est possible de faire la « genèse » de la raison, genèse qui nous ferait voir comment se sont constituées ces catégories. Cette opposition, raison constituée - raison constituante en devenir est, « très schématiquement » celle qui justifie l'opposition du rationalisme et de l'empirisme. Rationalisme et empirisme Le rationalisme identifie la raison à l'ensemble des principes que nous avons énoncés antérieurement. Cette raison est donc un « système », et il est le même chez tous les hommes (voir Descartes, Discours de la méthode). D’un certain point de vue, que je ne partage pas, cette raison est aussi la lumière naturelle par laquelle nous saisissons les idées innées que Dieu a mises en nous : la notion de vérité est en nous, préformée, à priori. Elle constitue le « fond » de notre pensée. Selon ce point de vue, l'esprit humain est mis en rapport de manière particulière avec le divin ; en effet, dans certaines doctrines, la raison humaine peut se fonder en Dieu (Malebranche, Spinoza). Ainsi, l'homme ne pense-t-il pas, mais il est pensé en Dieu par l'intermédiaire de la raison. C'est cette thèse radicale du rationalisme que Thomas d'Aquin notamment, avait combattue, lorsqu'il s'opposait sur ce point à Siger de Brabant. À l'opposé, l'empirisme n'admet pas que la raison soit constituée de principes « innés » ou à priori. La raison est le produit de l'activité d'un esprit conçu originellement comme une « tabula rasa » sur laquelle s'impriment les données de l'expérience. La connaissance vient donc entièrement de l'expérience et il n'y a que des principes à posteriori et plus précisément, « acquis ». Ainsi, dans son Essai sur l'entendement humain, Locke combat-il « l’innéisme » de Descartes. L'étude des principes de la raison se fera alors, à partir de la sensation, de l'habitude, de la croyance, de la succession régulière d'impressions et de l'association d'idées. Ces deux perspectives sur la nature de la raison ne sont pas absolument inconciliables. Le rationaliste peut abandonner les idées « innées », et reconnaître une fonction constituante à l'expérience ; l'empirisme peut aussi admettre l'existence de principes innés. Chacune de ces deux doctrines peut, en fait, être vue comme incomplète et partielle. Le rationaliste, en fondant l'esprit humain sur la seule raison identique à elle-même, ne prend pas en compte tous les processus « irrationnels » qui se manifestent dans et par la pensée. Mais, d'autre part, l'empiriste nie quelquefois toute activité spontanée de l'esprit, et n'admet donc pas qu'un principe d'ordre puisse être inné, laissant ainsi la pensée à la contingence de l'expérience. Or, on constate aisément que la raison a une certaine puissance d'ordonnancement. Puissance normative de la raison Selon Aristote (Métaphysique, livre A), le rôle du philosophe est d'ordonner. En effet, le philosophe est celui qui consacre sa vie à la pensée ; il pèse et il évalue toute chose. Par suite, il fait la lumière sur ce qui était obscur et y met bon ordre. Le philosophe, c'est donc, parmi les hommes, la raison même. Au-delà des catégries déjà constituées de la raison, véritable système de vérités qui peut être « socialement » institué, le philosophe se sert de la raison comme d'une puissance constituante : il sape l'ancien ou l'assimile, bâtit sur de nouveaux fondements et crée de nouvelles normes, une nouvelle raison. Dès lors, l'activité de la raison dynamique se confond avec l'activité même du philosophe : il invente, crée, organise, synthétise, résout. Bref, le philosophe et la raison sont des principes d'ordre. Normes rationnelles et morales Dans la mesure où la raison énonce des « normes », elle nous donne aussi des règles d'action qui régulent notre comportement. Elle nous permet ainsi de voir clairement le but que nous voulons atteindre et de mettre en œuvre des moyens adéquats. Mais elle nous donne aussi les moyens de vivre en accord avec nous-mêmes, avec les principes que nous nous sommes fixés pour conduire notre vie. En ce sens, elle nous permet de discerner les valeurs morales et leur « hiérarchie » : elle nous montre d'une part ce que nous acceptons, admirons, recherchons, et d'autre part ce que nous ne pouvons tolérer, ce que nous refusons et rejetons. C'est là sa fonction morale, assez souvent jugée discriminante. L'irrationnel La raison donne des normes. Mais est-elle l'autorité suprême en ce domaine ? Ce qu'elle nous fait connaître est-il « infranchissable » ? En tant que système de principes, il semble certain que la raison ne se laisse pas « légitimement » dépasser par des prétentions à une connaissance supra-rationnelle. Descartes pensait pouvoir recourir à la raison seule pour atteindre, avec certitude, la vérité. Son célèbre « cogito ergo sum » montre qu'il raisonnait selon des principes réfléchis « intuitivement ». La connaissance y est perçue à travers le prisme d'une méthode qui se voulait exclusivement rationnelle. Ce contexte peut comporter certains « pré-jugés » nuisibles à l'apprentissage en profondeur. Cependant, à elle-seule, la raison ne nous fait rien connaître, car l'expérience, même réduite au minimum, est nécessaire. Ainsi, la matière même de l'expérience est déjà en elle-même, une première « limite » à la raison. De plus, nous ne pouvons pas non plus affirmer avec certitude que ce que nous pensons selon les règles de la raison soit a priori conforme à la réalité en soi. La réalité et ses lois peuvent donc nous échapper en grande partie, si bien que la raison est toujours confrontée à une résistance de la part d'une sorte de « non-rationalité » et d'une sorte de complexité intrinsèque de la réalité : la normativité de la raison n'explique donc pas la totalité du monde. Pascal ne comprenait le monde que dans les rapports entre la globalité et les détails. Dans cet esprit, René Dubos a repris la formule de Jacques Ellul : « penser global, agir local ». Raison et foi Science et foi ont entretenu, à toutes les époques, des relations complexes, dans lesquelles on a pu voir les limites de telle ou telle approche. Ces limites ne sont pas toujours considérées comme « intransgressibles » par les diverses théologies. En effet, dans ce domaine de la réflexion humaine, la foi nous permettrait de dépasser le donné « naturel ». La science nous donne les moyens de parvenir, jusqu'à un certain point, à la connaissance du monde naturel. Descartes prétendait que l'on pouvait atteindre grâce à l'évidence des idées claires et distinctes avec une certitude relative la vérité par la seule lumière naturelle et « sans les lumières de la foi ». Au XIXème siècle, certains, comme le philosophe danois Kierkegaard, pensent que c'est la foi, plus que la raison, qui est essentielle. L'expérience de la foi de Kierkegaard, vécue dans le paradoxe et la souffrance, lui fait ressentir l'incertitude inhérente à la raison, alors que l'on pourrait croire que la raison apporte la certitude. En 1942, le théologien Henri de Lubac cite Kierkegaard comme exemple de foi dans le Drame de l'humanisme athée. Il n'est pourtant pas nécessaire de faire cette expérience de la « souffrance de ne pas comprendre » pour faire l'expérience de la foi : nous avons reconnu plus haut, des limites à la raison. Parvenu à ces limites, l'être humain n'a plus de principe d'explication et surtout d'orientation, et il est alors confronté à « l'altérité radicale » du monde. En recherchant l'origine de cette altérité, certains l'expliqueront par l'hypothèse d'un Dieu créateur, d'autres ne formuleront aucune hypothèse, d'autres encore nieront l'existence de tout principe divin. Dans tous les cas, la croyance que l'on « décide d'adopter » n'est manifestement pas entièrement rationnelle. Raison et transcendance La question du rapport entre la foi et la raison est, entr’autres, développée dans l'encyclique pontificale Fides et Ratio. Cette encyclique constate l'écart entre les deux termes, elle donne un éclairage particulier sur les différents courants philosophiques de ces deux derniers siècles, et elle souligne l'intérêt des apports de la linguistique et de la sémantique dans le monde contemporain. Sans opposer absolument foi et raison, elle souligne la nécessité d'un fondement commun : Ce principe ne vaut que là où le temps peut être « défini » sans ambiguïté, ce qui est toujours le cas à l'échelle macroscopique, mais pose des difficultés à l’échelle quantique. Hume remet néanmoins en cause l'aspect rationnel de la causalité. En effet pour cela il prend l'exemple d'un billard : la pensée commune est que c'est parce que la première bille a heurté la deuxième que celle-ci s'est mise en mouvement. Mais Hume y voit une succession d'évènements, une succession non pas logique mais chronologique. Il pense qu'il faut revenir à l'observation, et alors on constate que l'on « n’observe » jamais la causalité. Pour pouvoir opérer cette substitution de la causalité à la succession, il faut s'assurer que l'opération causale soit légitime, fondée. Cette idée de causalité est surtout une accoutumance « spontanée » qui nous permet d'anticiper une « observation » future. Mais la « croyance causale » n'a pas de légitimité probatoire, on ne peut tirer une certitude de l'avenir à partir du passé. Il parle ainsi de « probabilisme », et non de « rationalisme ». Nous retrouvons cette assertion en déroulant les chaines de Markov, empilement d’événements probabilistes, où la probabilité de voir apparaitre un événement donné est indépendante de l’historique. Prenons un exemple tout simple en jouant à Pile ou Face. Même si nous sommes dans une très longue séquence de résultats « Pile », la probabilité de voir apparaitre « Face » sera toujours de ½, comme tout au long de cette séquence. C’est l’apparition de cette séquence qui a une probabilité très faible, mais pas les événements individuels composant la séquence, qui eux ont une probabilité constante. Les catégories du raisonnement Plusieurs philosophes (Kant, Renouvier, …) ont cherché à établir les « cadres conceptuels » de la raison et à comprendre selon quelles catégories nous formulons des jugements : unité, pluralité, affirmation, négation, substance, cause, possibilité, nécessité. La possibilité d'une catégorisation achevée et complète supposerait que la pensée humaine soit immuable ou plutôt « intemporelle » dans ses principes. Elle supposerait donc une raison identique à elle-même et sans véritable « dynamisme » au niveau de ses principes qui seraient inchangeables. On peut, au contraire, estimer qu'il est possible de faire la « genèse » de la raison, genèse qui nous ferait voir comment se sont constituées ces catégories. Cette opposition, raison constituée - raison constituante en devenir est, « très schématiquement » celle qui justifie l'opposition du rationalisme et de l'empirisme. Rationalisme et empirisme Le rationalisme identifie la raison à l'ensemble des principes que nous avons énoncés antérieurement. Cette raison est donc un « système », et il est le même chez tous les hommes (voir Descartes, Discours de la méthode). D’un certain point de vue, que je ne partage pas, cette raison est aussi la lumière naturelle par laquelle nous saisissons les idées innées que Dieu a mises en nous : la notion de vérité est en nous, préformée, à priori. Elle constitue le « fond » de notre pensée. Selon ce point de vue, l'esprit humain est mis en rapport de manière particulière avec le divin ; en effet, dans certaines doctrines, la raison humaine peut se fonder en Dieu (Malebranche, Spinoza). Ainsi, l'homme ne pense-t-il pas, mais il est pensé en Dieu par l'intermédiaire de la raison. C'est cette thèse radicale du rationalisme que Thomas d'Aquin notamment, avait combattue, lorsqu'il s'opposait sur ce point à Siger de Brabant. À l'opposé, l'empirisme n'admet pas que la raison soit constituée de principes « innés » ou à priori. La raison est le produit de l'activité d'un esprit conçu originellement comme une « tabula rasa » sur laquelle s'impriment les données de l'expérience. La connaissance vient donc entièrement de l'expérience et il n'y a que des principes à posteriori et plus précisément, « acquis ». Ainsi, dans son Essai sur l'entendement humain, Locke combat-il « l’innéisme » de Descartes. L'étude des principes de la raison se fera alors, à partir de la sensation, de l'habitude, de la croyance, de la succession régulière d'impressions et de l'association d'idées. Ces deux perspectives sur la nature de la raison ne sont pas absolument inconciliables. Le rationaliste peut abandonner les idées « innées », et reconnaître une fonction constituante à l'expérience ; l'empirisme peut aussi admettre l'existence de principes innés. Chacune de ces deux doctrines peut, en fait, être vue comme incomplète et partielle. Le rationaliste, en fondant l'esprit humain sur la seule raison identique à elle-même, ne prend pas en compte tous les processus « irrationnels » qui se manifestent dans et par la pensée. Mais, d'autre part, l'empiriste nie quelquefois toute activité spontanée de l'esprit, et n'admet donc pas qu'un principe d'ordre puisse être inné, laissant ainsi la pensée à la contingence de l'expérience. Or, on constate aisément que la raison a une certaine puissance d'ordonnancement. Puissance normative de la raison Selon Aristote (Métaphysique, livre A), le rôle du philosophe est d'ordonner. En effet, le philosophe est celui qui consacre sa vie à la pensée ; il pèse et il évalue toute chose. Par suite, il fait la lumière sur ce qui était obscur et y met bon ordre. Le philosophe, c'est donc, parmi les hommes, la raison même. Au-delà des catégories déjà constituées de la raison, véritable système de vérités qui peut être « socialement » institué, le philosophe se sert de la raison comme d'une puissance constituante : il sape l'ancien ou l'assimile, bâtit sur de nouveaux fondements et crée de nouvelles normes, une nouvelle raison. Dès lors, l'activité de la raison dynamique se confond avec l'activité même du philosophe : il invente, crée, organise, synthétise, résout. Bref, le philosophe et la raison sont des principes d'ordre. Normes rationnelles et morales Dans la mesure où la raison énonce des « normes », elle nous donne aussi des règles d'action qui régulent notre comportement. Elle nous permet ainsi de voir clairement le but que nous voulons atteindre et de mettre en œuvre des moyens adéquats. Mais elle nous donne aussi les moyens de vivre en accord avec nous-mêmes, avec les principes que nous nous sommes fixés pour conduire notre vie. En ce sens, elle nous permet de discerner les valeurs morales et leur « hiérarchie » : elle nous montre d'une part ce que nous acceptons, admirons, recherchons, et d'autre part ce que nous ne pouvons tolérer, ce que nous refusons et rejetons. C'est là sa fonction morale, assez souvent jugée discriminante. L'irrationnel La raison donne des normes. Mais est-elle l'autorité suprême en ce domaine ? Ce qu'elle nous fait connaître est-il « infranchissable » ? En tant que système de principes, il semble certain que la raison ne se laisse pas « légitimement » dépasser par des prétentions à une connaissance supra-rationnelle. Descartes pensait pouvoir recourir à la raison seule pour atteindre, avec certitude, la vérité. Son célèbre « cogito ergo sum » montre qu'il raisonnait selon des principes réfléchis « intuitivement ». La connaissance y est perçue à travers le prisme d'une méthode qui se voulait exclusivement rationnelle. Ce contexte peut comporter certains « pré-jugés » nuisibles à l'apprentissage en profondeur. Cependant, à elle-seule, la raison ne nous fait rien connaître, car l'expérience, même réduite au minimum, est nécessaire. Ainsi, la matière même de l'expérience est déjà en elle-même, une première « limite » à la raison. De plus, nous ne pouvons pas non plus affirmer avec certitude que ce que nous pensons selon les règles de la raison soit a priori conforme à la réalité en soi. La réalité et ses lois peuvent donc nous échapper en grande partie, si bien que la raison est toujours confrontée à une résistance de la part d'une sorte de « non-rationalité » et d'une sorte de complexité intrinsèque de la réalité : la normativité de la raison n'explique donc pas la totalité du monde. Pascal ne comprenait le monde que dans les rapports entre la globalité et les détails. Dans cet esprit, René Dubos a repris la formule de Jacques Ellul : « penser global, agir local ». Raison et foi Science et foi ont entretenu, à toutes les époques, des relations complexes, dans lesquelles on a pu voir les limites de telle ou telle approche. Ces limites ne sont pas toujours considérées comme « intransgressibles » par les diverses théologies. En effet, dans ce domaine de la réflexion humaine, la foi nous permettrait de dépasser le donné « naturel ». La science nous donne les moyens de parvenir, jusqu'à un certain point, à la connaissance du monde naturel. Descartes prétendait que l'on pouvait atteindre grâce à l'évidence des idées claires et distinctes avec une certitude relative la vérité par la seule lumière naturelle et « sans les lumières de la foi ». Au XIXème siècle, certains, comme le philosophe danois Kierkegaard, pensent que c'est la foi, plus que la raison, qui est essentielle. L'expérience de la foi de Kierkegaard, vécue dans le paradoxe et la souffrance, lui fait ressentir l'incertitude inhérente à la raison, alors que l'on pourrait croire que la raison apporte la certitude. En 1942, le théologien Henri de Lubac cite Kierkegaard comme exemple de foi dans le Drame de l'humanisme athée. Il n'est pourtant pas nécessaire de faire cette expérience de la « souffrance de ne pas comprendre » pour faire l'expérience de la foi : nous avons reconnu plus haut, des limites à la raison. Parvenu à ces limites, l'être humain n'a plus de principe d'explication et surtout d'orientation, et il est alors confronté à « l'altérité radicale » du monde. En recherchant l'origine de cette altérité, certains l'expliqueront par l'hypothèse d'un Dieu créateur, d'autres ne formuleront aucune hypothèse, d'autres encore nieront l'existence de tout principe divin. Dans tous les cas, la croyance que l'on « décide d'adopter » n'est manifestement pas entièrement rationnelle. Raison et transcendance La question du rapport entre la foi et la raison est, entr’autres, développée dans l'encyclique pontificale Fides et Ratio. Cette encyclique constate l'écart entre les deux termes, elle donne un éclairage particulier sur les différents courants philosophiques de ces deux derniers siècles, et elle souligne l'intérêt des apports de la linguistique et de la sémantique dans le monde contemporain. Sans opposer absolument foi et raison, elle souligne la nécessité d'un fondement commun : « Il n'est pas possible de s'arrêter à la seule expérience ; même quand celle-ci exprime et manifeste l'intériorité de l'homme et sa spiritualité, il faut que la réflexion spéculative atteigne la substance spirituelle et le fondement sur lesquels elle repose ». La pensée rationnelle trouve rapidement des limites lors de la définition des axiomes qui la soustendent. Seul l’appui de l’expérience, permet de valider tel ou tel axiome de par les conséquences qui en découlent, au plus près de l’observation. Pensée complexe La pensée complexe est un concept philosophique créé par Henri Laborit lors des réunions informelles du groupe des dix et introduit par Edgar Morin qui en donna la première formulation en 1982 dans son livre Science avec Conscience. Ce concept exprime une forme de pensée acceptant les imbrications de chaque domaine de la pensée et la transdisciplinarité. Le terme de complexité est pris au sens de son étymologie « complexus » qui signifie « ce qui est tissé ensemble » dans un enchevêtrement d'entrelacements (plexus). Petite parenthèse, pour rappeler le travail de notre regretté F\ B\ D\, sur le secret, produit de composition confidentielle, nécessaire à la réalisation du feutre, par entremêlement des fibres. Il jouait ici sur l’homophonie des termes « secret », pour en tirer une belle métaphore. Ecoutons Edgar Morin « Le vrai problème de réforme de pensée est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux apprendre à relier. Relier, c’est-à-dire pas seulement établir bout à bout une connexion, mais établir une connexion qui se fasse en boucle. Du reste, dans le mot relier, il y a le « re », c’est le retour de la boucle sur elle-même (voir les logiques récursives). Or la boucle est autoproductive. À l’origine de la vie, il s’est créé une sorte de boucle, une sorte de machinerie naturelle qui revient sur elle-même et qui produit des éléments toujours plus divers qui vont créer un être complexe qui sera vivant. Le monde lui-même s’est autoproduit de façon très mystérieuse. La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier ». J’ouvre ici une parenthèse, afin de faire dire à Edgar Morin, ce qu’il n’a pas dit, montrant par là la difficulté de cantonner la pensée humaine à une seule voie de réflexion, en effet le mot religion vient du latin « religare » qui lui-même signifie « relier ensemble » ! Cet exemple pour montrer que la pensée humaine se doit d’être complète, ou ne sera pas. Le passage de la pensée simple (deviner, préférer, croire, ...) à la pensée complexe (proposer des hypothèses de solution, créer des relations, rechercher des critères, s'appuyer sur des justifications valides, s'auto-corriger,…) n'advient que suite à un apprentissage systématique et requiert un environnement adéquat. Tiers inclus La notion de Tiers inclus est propre à la Logique dynamique du Contradictoire de Stéphane Lupasco. Elle désigne le moment logique de la contradiction maximale ou, de façon immédiate, l'état le plus contradictoire de la matière-énergie (état T) : ce qui est en soi contradictoire. Lupasco interprète avec cette notion le vide quantique et les états neuronaux qui rendent compte du psychisme. Tiers exclu ou Tiers inclus ? Le Tiers inclus s'oppose au principe du tiers exclu de la logique « classique » : dans une logique à deux valeurs (vrai ou faux), deux propositions contradictoires (p et non p) ne peuvent être vraies ensemble, mais elles ne peuvent pas non plus être fausses ensemble. Si on peut montrer que non p est fausse, alors p est vraie, car il n'existe pas de tierce possibilité : (p ou non p). Les logiques modales ou plurivalentes affaiblissent le principe du Tiers exclu (Tertium non datur), et admettent une troisième valeur (Tertium datur) ou même toute une échelle de valeurs. Elles n'admettent pas le « Tiers inclus », ce qui est en soi contradictoire, qui apparaît comme le rien. Tiers inclus et complexité Le tiers inclus est l'axiome dialogique (par exemple onde et corpuscule en physique quantique) rendu possible uniquement par l’existence de différents niveaux de réalité, dans la complexité. Mais cette logique du tiers inclus n’abolit pas, selon Basarab Nicolescu, celle du tiers exclu : « elle restreint seulement son domaine de validité à des situations simples, comme la circulation des voitures sur une autoroute : personne ne songe à introduire, sur une autoroute, un troisième sens par rapport au sens permis et au sens interdit. En revanche, la logique du tiers exclu est nocive dans les cas complexes, comme le domaine social ou politique. Elle agit dans ces cas comme une véritable logique d’exclusion : le bien ou le mal, la droite ou la gauche, les blancs ou les noirs, etc. ». Selon Edgar Morin le tiers inclus est une transgression logique nécessaire, inséparable du principe dialogique. Cela veut dire que le même comporte en lui son propre antagonisme, sa propre multiplicité : « je suis moi et je ne suis pas moi ». Quand nous disons, par exemple : « je parle », le moi parle, comme sujet conscient. En même temps, il y a toute une machinerie qui fonctionne dans nos cerveaux et dans nos corps, ce dont nous sommes inconsciens. Il y a aussi à travers nous une culture qui parle, une « machine causante », un nous qui parle à travers cette machine. Il y a de l’anonyme, du ça qui parle. Cela veut donc dire que le principe d’identité est, en fait, complexe. Il comporte de l’hétérogénéité et de la pluralité dans l’unité. En ce sens, le principe du tiers inclus signifie que l’on peut être Même et Autre. On échappe par-là à toute alternative disjonctive. Grâce au principe du tiers inclus on peut considérer et relier des thèmes qui devraient apparemment s’exclure ou être antagonistes. Le principe du tiers exclu de la logique classique constitue un puissant garde-fou. Il ne faut l’abandonner que lorsque la complexité du problème rencontré ou/et la vérification empirique oblige(nt) à l’abandonner. On ne peut abolir le tiers exclu. On doit l’infléchir en fonction de la complexité. Disons en défi : le tiers doit être exclu ou inclus selon la simplicité ou la complexité rencontrées, et, là même où il y a complexité, selon l’examen segmentaire, fractionnel, analytique, ou selon la globalité de la formulation complexe. Le champ du tiers exclu vaut peut-être pour les cas simples. Mais le dialogique est à l’œuvre partout où il y a complexité. Car le dialogique est précisément le tiers inclus. Les philosophes entendent par sens « la destination des êtres humains et de leur histoire, la raison d'être de leur existence et de leurs actions, le principe conférant à la vie humaine sa valeur ». Le sens, c'est la « signification qu'a une chose pour une personne et constitue sa justification ». D'une part, « Sens », en métaphysique, a pour synonymes « fondement », « justification », « raison d'être », « valeur » (valeur explicative, valeur morale...) ; d'autre part, la notion de Sens laisse voir que la chose considérée entre dans un réseau, fait partie d'une harmonie, anime un projet, met en œuvre une pensée. Ainsi, Saint-Exupéry affirme : « Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort » : la vie a de la valeur et elle en confère à la mort. La question du Sens est la question par excellence de la philosophie première, c'est-à-dire de la métaphysique. Elle porte sur les grands thèmes métaphysiques : la vie et la mort, la nature et l'évolution cosmique, l'Histoire des hommes et l'existence individuelle, les choses et les événements, les paroles et les gestes, et, au plus profond, sur l'être. L'existence a-t-elle un sens ou est-elle absurde ? l'Histoire a-t-elle un sens (loi, orientation, signification), ou obéit-elle aux circonstances ? Et le mariage ? L'amour ? La mort ? En 1893 Maurice Blondel commençait son livre sur l'action par cette question : « Oui ou non la vie humaine a-t-elle un sens et l'homme a-t-il une destinée ? » Et, au deuxième degré, la question que l'on se pose sur le sens, a-t-elle elle-même un sens ? Cela a-t-il un sens de s'interroger sur le sens des êtres et des événements, de l'être en général et de la conscience ? J’ai commis moi-même une planche intitulée : « la notion de destin a-t’elle un sens ? » En 1970, Jacques Monod termine son essai : « Le hasard et la nécessité » par ces mots : « L'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. La rigueur sera toujours de mise, afin que les portes ouvertes ne débouchent pas sur le Chaos, mais permettent à la Raison de l’Homme, d’ordonnancer ses découvertes en un tout harmonieux et en perpétuelle évolution ». Et j’y rajoute : « afin que l’Ordre règne ». J’ai dit. A\ D\ Post-Face J’ai posé un certain nombre de questions, en particulier, celle de savoir si la Raison pouvait être limitée, auxquelles je n’ai pas répondu. Ce n’est point malice de ma part, mais chaque réponse nécessitant un large développement, j’ai souhaité montrer les différents courants de la pensée rationnelle, plutôt que de figer cette pensée, alors qu’elle ne peut être qu’en évolution constante. Je pensais, suite aux travaux de Karl Popper, fixer des limites à la raison par les ambiguïtés dues à la récursivité. C’est l’attitude de certains philosophes, « cette question pose problème, nous ne l’étudierons donc pas » qui me fit changer d’avis, et en fait me fit revenir à une marche en avant. Pour ma part, il n’y a pas de limite à la pensée rationnelle : une pensée est émise, il faut d’abord s’assurer de son insertion dans le corpus existant et de sa cohérence avec les différents principes régissant toute pensée rationnelle. Si ce n’est pas le cas, il me semble falloir complexifier l’espace solution, de la même manière que la pensée de Karl Popper, s’appuyant sur le théorème d’incomplétude de Göddel a été battue en brèche par la découverte du théorème de complétude. En fait, de complétion en complétion, la raison humaine finira par traiter l’ensemble du connaissable. La question est maintenant : « Il y a-t’il une limite au Connaissable ? » |
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