Obédience : NC Loge : NC Date : NC

 

Le Silence

Le Silence.
Le silence fait à coup sûr l'objet d'un excès d'honneur et d'une indignité. Chez nous, il est la première qualité de l'apprenti. C'est LA qualité maçonnique. Je suis apprenti et, pour la première fois, autorisé à m'exprimer. Vous ne m'en voudrez donc pas d'en profiter pour tenter de provoquer un peu ce silence là.

Le bon sens commun lui prête toutes les vertus : silence du modeste, silence discipliné de l'apprenti respectueux, silence tranquille du sage, silencieuse réserve du prudent et de l'anti-présomptueux...le silence est d'or, évidemment.
Pourquoi évidemment ? Et le silence ironique du méprisant ? Et le silence omissif du menteur ? Et le silence stupéfié de la brute ? Et le silence qui masque le dédain ? Et le silence qui masque l'absence d'intérêt ? Et, pire que tout, le silence qui masque l'absence, le vide, le néant de pensée. Le silence est d'or, ou bien le silence endort ?
Que croire ?

Le bon sens commun prête à la parole toutes les tares : paroles en l'air du volubile, paroles sentencieuses du pédant, parole autosatisfaites de l'égocentrique, paroles-écrans de celui qui ne sait rien et qui jamais n'écoute, jacasseries insignifiantes, bla bla incohérent, paroles du mensonge et discours fleuves... D'argent la parole ? C'est encore trop bon pour elle ! On dit ; beau parleur, on dit tu parles trop...est-il d'usage de dire à quelqu'un tu te tais trop ? Non sans doute.
Et pourtant : paroles consolatrices, paroles d'enseignement, harangue passionnée de l'orateur inspiré, paroles d'apaisement et cris de joie.
Que croire ?

Comme toujours peut-être faut-il croire les deux versions et se garder de juger ? Il faut avoir du respect et de l'admiration pour le silencieux, parce que souvent le silence est difficile, comme une épreuve qu'on s'impose à soi même. Peut être le silencieux est à l'écoute de l'autre, attentif, réceptif. Il faut avoir de la sympathie pour le parleur parce qu'il prend un risque. Il se découvre, se met en position d'être jugé, bien ou mal, toujours trop vite.
Vraiment, le silence peut être saint et satanique. Il peut être la vertu de celui qui s'ouvre à l'autre, qui est disponible à l'écoute et à l'apprentissage, ou bien il peut être le mur de celui qui s'enferme dans son silence, pour cacher et ne rien recevoir.

Cette ambiguïté (apparente), provient du fait qu'il n'existe qu'un seul mot pour désigner deux réalités de silence. Le silence passif de celui qui se renferme sur lui même et se coupe des autres se traduit par la même absence de parole que le silence actif de celui qui cesse de s'exprimer pour mieux recevoir l'expression de son entourage.
C'est bien pour cela qu'il faut se garder de tout jugement vis à vis du silencieux. Le silence n'est rien sans le motif qui le suscite. Et c'est bien malheureusement qu'une approche superficielle confère au silence une vertu a priori, (celle de la réflexion et de l'écoute) alors qu'elle ne prête à la parole que le défaut de la présomption ou de la vanité.
Dans ce contexte, le silence de l'apprenti prend une double signification : il est une épreuve morale et une nécessité technique.

L'apprenti est silencieux par définition, parce que l'écoute est une condition sine qua non de l'apprentissage. C'est la nécessité technique.
Il est silencieux par volonté propre, parce qu'il marque son respect à ses maîtres et qu'il démontre sa capacité à renoncer à la tentation et à la facilité de la parole. C'est son épreuve.
Il obéit à la nécessité lorsqu'il se tait pour écouter ou parce qu'il ne sait pas ce qu'il faut dire. Il subit l'épreuve lorsqu'il sait mais qu'il se tait tout de même.

Le risque alors réside dans une perversion du cycle d'apprentissage, qui se déroule en trois temps: Le temps du silence (pour écouter), le temps de la question (pour préciser et compléter ce qu'on apprend), le temps de la reformulation (pour montrer à l'enseignant que l'on a compris, ou éventuellement lui donner l'occasion de montrer que l'on a pas bien appris). Le silence absolu ne doit pas s'appliquer à l'apprentissage car en se découvrant par la parole, l'apprenti doit pouvoir montrer ses faiblesses et sa méconnaissance, pour que ses maîtres puissent le corriger.
Comme le silence, la parole est une nécessité technique et une épreuve. Il n'est qu'à voir l'émotion qui saisit l'apprenti inaugurant la place d'orateur.

Réhabiliter la parole de l'apprenti à Droit et Devoir et ailleurs, c'est lui imposer le devoir du silence et lui accorder le droit de dire des bêtises. Tel est sans doute le prix à payer pour apprendre, et la première chose apprise sera sans doute que pouvoir se tromper devant des frères est un privilège et un plaisir, ainsi qu'une condition nécessaire de la progression.

F\ V\


3232-2 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \