Le Silence :
Comme un Accord
Je suis né un soir de
février 2002 entre midi et minuit, au même instant
que mon jumeau.
Après avoir voyagé dans les
ténèbres et les tourments j’ai
aperçu la lumière.
Apres avoir reçu trois petites tapes sur
l’épaule et avec une profonde respiration,
j’ai poussé un grand
« Ouf » de soulagement, mais je
n’ai jamais eu le temps de crier ma vie.
Mes frères m’ont dit, « Petit
frère tu seras sur la colonne du Nord et tu travailleras en
silence ».
Surprenant de savoir que l’on est né naturellement
à l’âge de trois ans, et que
contrairement au nouveau-né je n’avais pas le
droit de pousser mon premier cri.
Etait-ce le privilège de l’âge ?
Honnêtement je n’en avais pas non plus
l’envie.
Mon arrivée dans cette nouvelle famille, dans un premier
temps ne fut pas des plus faciles.
Assis sur ma colonne, à l’ombre de la
lumière de la lune, de temps à autre un vent
glacial m’envahissait, normal la lune n’est pas le
soleil.
Et pour cause, avant dans les ténèbres,
j’étais bien au chaud et jamais je ne me souciais
de mon environnement.
J’étais bien entouré et
enveloppé du bien et du mal, ainsi leur simple
présence me prouvaient que j'étais vivant et me
faisaient oublier ma propre existence.
J’étais surtout occupé à
respecter la conformité des choses, et à
déjouer les habituelles fourberies, je naviguais parmi ces
écueils.
Depuis que la lumière me fut offerte,
j’étais seul dans un nouvel ensemble.
Je ne pouvais m’en prendre qu’à
moi-même.
Personne ne m’avait poussé à frapper
à la porte de ce temple.
Je me suis donc assis, dans cet état de silence.
Je regardais avec émerveillement et inquiétude,
cette cérémonie et ce rituel.
Atmosphère dans laquelle ma seule participation
était d’être présent en
raison du mutisme.
Ma présence au premier abord se limitait à me
lever, à m’asseoir et à faire les
signes et les gestes.
J’étais un automate qui imitait les membres de
cette nouvelle assemblée. J’avais une vague
impression d’apprendre à avancer les pieds sans
vraiment savoir comment marcher.
On m’avait donc offert en guise de bienvenue
« le silence ».
Silence pesant s’il en est.
Effectivement mon installation se fit dans une forme un peu abstraite
du mutisme, d’absence de parole, dans le respect
d’un état sans bruit.
Pourtant autour de moi, mes frères avaient des
débats d’idées, francs, courtois et
respectueux.
Il y avait des échanges triangulaires.
Même si certains frères semblaient avoir
oublié la règle du triangle ou la
primauté de la réserve et du silence sur les
colonnes.
Cette situation me troublait.
Cependant j’étais conforme à
l’attitude que l’on m’avait
assignée et demandée en entrant dans cette
association.
Gants blancs, chemise blanche, tenue et cravate sombres, tablier
à la bavette relevée, avec comme seul complice
mon silence.
Pénible situation lorsque l’on vous fait faire les
trois premiers pas pour oser ainsi franchir les portes du temple.
Ma formation professionnelle m’avait habitué au
silence.
Vous savez le silence du vendeur qui écoute son
interlocuteur pour noter et utiliser les objections de son client afin
de lui monter les bienfaits du produit qu’il doit lui vendre.
Là je n’avais rien à vendre, personne
à convaincre et rien à prouver.
C’était un silence gratuit.
Pourquoi une telle situation et un tel état ?
Alors que la franc-maçonnerie se dit philosophique et
progressive.
Il fallut attendre une bonne année, et cependant
j’avais toujours trois ans, pour trouver que le silence
n’était plus une charge, qu’il
n’était plus pesant et ni dérangeant.
Il était devenu un fidèle complice, un compagnon
fiable, un outil précis. Un miroir dans lequel je pouvais
regarder en moi-même.
Je venais de découvrir une nouvelle facette de ce diamant
appelé Silence.
J’avais découvert que le silence
n'était pas seulement une absence de bruit comme nous
l’annoncent les encyclopédies, mais
qu’il était pour nous bien plus.
De ce mutisme nous avions une perception d’un état
dont on ne peut parler mais que nous pouvions symboliser.
Le silence est un dessein, un chemin et une voie (V O I E) interne,
c’est aussi un son, un appel et une voix (V O I X)
intérieure.
L’apprenti reçoit le silence, ce
présent qui lui permet de
s’expérimenter seul face à
lui-même.
Je ne parle pas là du silence maçonnique, qui
nous demande de la discrétion et de la non-divulgation des
secrets et les mystères qui nous ont
été dévoilés, ni du silence
de l’état maçonnique, que nous devons
avoir vis-à-vis de nos frères.
Le silence est bien l’outil de la lumière, qui est
hélas absent du tableau de loge.
Cet outil qui nous permet d’entendre,
d’écouter, et de comprendre ce que
l’autre cherche à nous exprimer et
d’éviter ainsi les quiproquos qui
mènent à l’agression.
Entendre, comprendre et supporter une conviction qui n’est
pas sienne.
J’ai découvert un silence constructif, proche de
la méditation, un silence qui nous fait
reconnaître les pierres blanches et les pierres noires de
notre chemin intérieur.
Le silence qui nous révèle nos passions, nos
failles, nos défauts, mais aussi nos valeurs, nos
convictions et nos espoirs.
Celui-ci qui n’est, ni une règle, ni un dogme,
juste un outil individuel et collectif qui nous pousse au respect des
autres et de soi-même, qui nous ouvre les portes de notre
inconscient.
En fait un silence, qui met à mal notre architecture
interne, parfois au point de l’ébranler.
Ainsi, au plus profond du miroir, il ne nous reste plus
qu’à reprendre nos outils et nous remettre
à reconstruire l’édifice en
péril.
Le silence nous pousse à écouter, non seulement
avec nos oreilles, mais aussi avec notre cœur pour revisiter
la fraternité.
Etre au silence n’est-il pas simplement apprendre
à mettre nos connaissances en sommeil, pour mieux
écouter, entendre l’autre sans juger, juste pour
comprendre le pourquoi et le comment des expressions.
Cette mise en sommeil de nos acquis nous permet de mieux nous visiter,
nous connaître, pour nous comprendre avant de comprendre le
monde qui nous entoure, pour découvrir nos ignorances et
surtout les reconnaître avec humilité.
Poser le silence en soi nous pousse vers une voie individuelle dans
laquelle on découvre les bienfaits de taire les
révoltes qui grondent en nous afin de mieux
écouter notre conscience et d’agir avec
efficacité.
Cet outil qu’est le silence donne à
l’apprenti le temps et la maîtrise du travail,
ainsi ces qualités lui permettront
d’être en accord avec lui-même.
J’ai dit Vénérable Maître en
chaire, Vénérables Maîtres et
Maîtresses à l’orient et vous tous mes
sœurs et mes frères en vos grades et
qualités.
F\ P\
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