Le Silence
de l’Apprenti
Je vais vous parler du silence,
celui par lequel tout maçon doit passer, celui de
l’App\.
Le silence est quelque chose que l‘on ne voit pas, qui
n’est pas tangible, que l’on ne peut ni prendre ni
sentir. En revanche, nous pouvons le ressentir,
l’apprécier, l’écouter.
Il est difficile de parler du silence, car lorsque l’on parle
de lui, on le brise. Il se peut que si l’on se donne la peine
de l’écouter, il parlera de lui
même ?
Mais qu’est ce que le silence et pour quoi est il
l’attribut de l’App\ ?
1. Etude du silence.
Le Silence, étymologiquement, vient du latin silentium,
signifiant absence de bruit et de silere signifiant se taire. Mais qui
dit absence dit également présence, comment le
silence permet-il à l’App\
d’appréhender une présence et quelle
présence ?
Et pourtant, le silence est-il réellement une absence de
bruit ou de son ? Et qu’est ce qu’un son ?
C’est une vibration émise par un corps en
mouvement. Ainsi, plus les vibrations sont rapides, plus le son est
aigu. A l’inverse, plus les vibrations sont lentes, plus le
son est grave. Mais les corps humain ne perçoit
qu’un certain type de vibrations (oreille de 300 Hz
à 20000 Hz et moins en vieillissant). Les animaux en
perçoivent bien d’autres. Nous pouvons en
déduire que le silence est relatif à chaque
être vivant et que chaque être humain à
une qualité d’écoute
différente des autres.
Ainsi, ce qui semblera être le silence pour un ne le sera pas
forcement pour un autre. Tout dépends des
facultés d’écoute et
d’attention de chacun.
Selon l’étude du bruit le silence absolu ne peut
exister, un rapport signal sur bruit défini un son, un
décibel est sa mesure, mais le bruit de 50
décibels par exemple est silence, rapport signal sur bruit.
Donc fuyons la réalité du monde profane et
rentrons dans le monde sacré. Mais avant ce voyage analysons
le silence du monde profane.
2. Le silence extérieur : une invitation à l
‘évasion de notre vie profane.
· Des silences dits profanes existent : on ne peut pas tous
les énumérer mais certains ont un symbolisme
très fort.
· La minute de silence pour nous souvenir des
êtres chers pour nous trop tôt disparus et
à jamais dans le silence.
· Le silence peut être aussi hypocrite : par
exemple celui qui veut que devant certaine injustice ou parole
diffamatoire, on garde le silence. Nous le gardons
également, afin d’éviter toute
polémique, devant certains propos diffamatoires, ou actions
menées à travers le monde pour des
intérêts politico commercial etc.
· Selon les dictionnaires et le sens commun, le silence se
définit de façon plutôt
négative puisque c’est un manque ou une absence,
de parole, de tout bruit, de toute agitation, c’est la non
présence, l’état de quelqu’un
qui ne parle, qui n’écrit, ou exprime une opinion.
· Selon l’expression « briser
le silence », c’est en finir avec un
secret (un silence) insupportable.
· Dans notre société de communication,
il est clair que l’on fuit le silence et que l’on
s’astreint au contraire à vivre dans un
environnement bruyant…qui est ressenti finalement comme
difficilement tolérable, invivable, inhumain, et avait fait
dire à Alain FINKIELKRAUT « Je souhaite
voir naître en l’an 2000,
l’internationale des amis du silence. Le silence se meurt, le
bruit prends le pouvoir : Ce serait une calamité
écologique dont personne ne parle. Toujours plus
d’autos, de motos qui pétaradant, d’hi
fi, de baladeurs ou de mobiles crachant leurs rythmes binaires et leurs
sonneries dans les oreilles de tout le monde, toujours plus
d’identification entre vie, fête et percussions. Il
faudrait réhabiliter ce doux compagnon calomnié :
le silence. »
· Le silence est aussi présent dans des lieux non
religieux : les cinémas où pendant un film on
entend des « chut » par ci par là pour
réclamer le silence ; au théâtre
où le fait qu’une personne tousse ou
éternue provoque un bruit assourdissant ; dans une salle de
concert où on écoute d’une
façon religieuse les musiciens et la musique.
· Des silences également présents dans
les milieux plus mafieux ou terroristes, où règne
la loi du silence, « l’omerta
». Le silence du mépris.
Il ne faut ainsi pas confondre le silence du sage et celui de
l'ignorant… Pourtant ils ont tous deux quelque chose
à dire !!
3. Le silence intérieur du monde sacré.
Plus symboliquement, le silence représente le repos de
l’âme, la paix, le deuil, la
sérénité ou la manifestation du divin.
Je l’ai pratiqué lors des formations
d’enfant de cœur à Montmartre par
exemple.
Le silence occupe une place privilégiée dans tous
les grands courants spirituels. Tous le prônent comme facteur
concomitant de l’élévation de
l’âme vers un plan spirituel supérieur.
Universellement répandue est la pratique de la
prière, situation de solitude silencieuse censée
rapprocher du Divin, tout comme les pratiques plus extrêmes
de l’ermitage ou de la retraite monastique.
Dans l’occident chrétien les monastères
imposaient par exemple le Grand Silence, qui durait des Complies au
Tierces matinale, favorisant l’union avec Dieu. « Reste
dans ta cellule et ta cellule t’apprendra tout »
disait St Benoît.
Exception faites de quelques rares cas, tous les mystiques
chrétiens pressentent le silence recueilli comme permettant
à une présence cachée de se
manifester, peut être à « un
murmure doux et léger de se faire entendre »
(1er Livre des Rois 19/12).
C’est le silence de la première leçon
de Bouddha : « Fait silence en toi et
écoute ».Surenchérissant
encore sur cette notion de Silence, certaines disciplines orientales
pratiquées dans le bouddhisme et l’Hindouisme,
n’y voit plus un moyen de transcendance mais le but ultime de
leur travail sur soi. Le silence n’est alors plus une
condition stimulante de l’environnement extérieur
mais un idéal d’état
intérieur à atteindre, où
l’esprit débarrassé des scories du
langage et de la pensée peut enfin se
révéler à lui-même dans la
lucidité et la sérénité.
A noter cette très intéressante et
inédite conception d’une pratique mystique
basée sur le silence qu’est
l’Hésychasme. A mi-chemin entre orient et
occident, cette branche du monachisme orthodoxe cherche
également à défaire la conscience du
flux incontrôlable des pensées
indésirables pour faire descendre la grâce de
Jésus Christ dans son cœur, devenu temple du saint
Esprit et ce par la répétition de mantras
analogues aux méthodes orientales. « Quiconque
aime le silence devient l'ami particulier de Dieu
» enseignait saint Jean Climaque, un des ses plus ardents
représentant.
Ainsi, par cette absence de vibration, l’âme peut
se replier sur elle même, et se déplacer du
matériel vers le spirituel, voire le divin. Dans la plupart
des religions, le silence permet un recueillement de
l’âme (état de méditation ou
de contemplation) : c’est le contact divin.
Lors d’un décès, il est dit que
l’âme quitte le corps pour aller vers
l’Orient éternel. Le silence de celui qui
n’est plus est la manifestation de ce voyage vers
l’éternel (49 jours chez les bouddhistes
tibétains soit 7*7). Dire que le silence est la
manifestation du divin revient à parler de la
lumière qui éclaire chacun de nous…
Cette lumière qui se trouve au plus profond de nous se
manifestera plus facilement dans le silence, dans la
méditation.
Au fond d’une crypte, d’un sanctuaire,
d’un temple, d’une cathédrale le silence
est ; ainsi des monastères ou certaines
communautés ont fait vœu de silence pour
être plus à l’écoute de Dieu
(j’ai dîné chez les
carmélites d’Autin).
4. Le silence de l’App\.
Cette association silence et lumière me rappelle mon passage
dans le cabinet de réflexion. Alors que le silence
régnait, j’avais à rédiger
mon testament philosophique. Cela m’a amené
à faire un bilan de ma vie, à
réfléchir sur moi-même et sur les
symboles présents. Un voyage silencieux était
proposé. V.I.T.R.I.O.L, signifiant « visites
l’intérieur de la terre et en progressant, tu
trouveras la pierre occulte ». Je me suis mis a
parler au crâne car le silence me troublait. Puis je suivais
les yeux bandés un futur F... me tenant le bras dans un
silence parfait. Ce silence a été
brisé par un tintamarre assourdissant.
C’est en voyageant au cœur de nous-même
que l’on trouvera la lumière. Mais ce voyage
introspectif ne pourra se faire qu’en silence philosophique.
Le silence n’est donc pas un objectif, mais un moyen pour
mieux se trouver, se retrouver, avoir conscience de sa place dans
l’univers et du fait que l’on fait partie
d’un tout. Le silence est un moyen pour parvenir à
la connaissance, à la lumière.
Il n’est pas aisé de définir le silence
d’un F\, en tenue, aux agapes, à l’appel
du Vénérable M\ de la Loge, il est relatif
à chaque être humain. Plus symboliquement, le
silence se définit comme le moyen pour parvenir à
la lumière. Il permet à l’âme
de s’élever, à l’Homme de se
concentrer.
Pourquoi est-il l’attribut de l’App\ ?
Comme son nom l’indique, l’Apprenti subit une
période d’apprentissage au cours de laquelle il va
apprendre, méditer sur les paroles de ses F\.
Etre App\, c’est accepter d’être
silencieux d’être à
l’écoute de l’autre,
d’apprendre, de se placer dans une position
d’humilité.
L’App\ se définit comme ne sachant ni lire, ni
écrire, ne pouvant qu’épeler. Lors
qu’il épelle le mot sacré, il est
guidé par un interlocuteur, un F\M\ qui lui donne la
première lettre. Alors l’App\ est en mesure de lui
fournir la seconde.
Entre chaque lettre prononcée, il y a le silence qui nous
révèle que l’App\ ne peut parler.
Pourquoi ?
L’App\ se trouve sur la colonne du septentrion pour apprendre
à parler et si il savait le faire, il ne serait pas
là… Pourtant, l’App\ sait
épeler lorsqu’il est guidé par un M\.
L’App\ ne sait donc pas encore bien penser. Pendant toute la
durée de son apprentissage, le maçon va
méditer dans le silence sur les paroles de ses F\,
même si il est en désaccord avec eux le fait de
rester silencieux l’oblige à travailler sur
lui-même, à refouler ses impulsions et
à réfléchir sur ce qui a
été dit.
Il deviendra réellement Maçon compagnon
qu’à partir du moment ou son esprit se sera ouvert
par l’étude à l’intelligence
des mystères maçonniques.
La Franc Maçonnerie sollicite les efforts de chacun, tout en
évitant d’inculquer des dogmes. On met le
néophyte sur la voie de la vérité,
mais il doit travailler par lui même,
c’est-à-dire, tailler sa pierre.
Le signe d’ordre, main droite placée en
équerre sur la gorge, paraît contenir le
bouillonnement des passions et préserver ainsi la
tête de toute exaltation susceptible de compromettre notre
lucidité d’esprit. Le signe de l’App\
signifie de ce point de vue : je suis en possession de moi
même et je m’attache à juger tout avec
impartialité…
Le silence de l’App\ serait constructif.C’est dans
le silence que l’App\ taille sa pierre. Mais quel paradoxe :
le Maçon doit d’abord se taire pour ensuite
parler, et lorsqu’il a parlé, il doit se taire a
nouveau. « Connais-toi
toi-même et tu connaîtras l’Univers et
les Dieux… »
A l’aide des outils qui figurent sur le Tableau
d’App\ (le ciseau pour la pensée
arrêtée, les résolutions prises et le
maillet pour la volonté qui les met à
exécution et le perpendiculaire, symbole peut
être du silence), nous App\ de cette Loge, nous allons
travailler sur nous même, commencer cette alchimie
mystérieuse qui consiste à transformer le Profane
en Initié, le plomb en or, la pierre brute en pierre
angulaire. Le silence est nécessaire à ce
travail.
Toujours, il devra s’inspirer des idées de justice
(Equerre), viser au nivellement des inégalités
arbitraires (Niveau), et contribuer à élever sans
cesse le niveau de l’humanité (Perpendiculaire).
Ce silence maçonnique reste dans nos cœurs et nos
âmes quand nous sortons du temple.
J'ai dit.
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