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Le silence

« Sachez écouter, et soyez sûrs que le silence produit les mêmes effets que la science ! » disait Bonaparte.

Lorsque les feux de la cérémonie d'initiation du nouvel apprenti s'éteignent, la première des richesses qui lui est offerte consiste…en une obligation : celle de garder le silence sur le « banc des apprentis ».

Ce n'est pas seulement un conseil de prudence mais aussi et surtout une imposition, un impératif, une exigence. Et ce, à chaque tenue, pendant toute la durée de l'apprentissage.

Cette contrainte, difficile à contenir ou humiliante pour certains, n'est pas le fruit du hasard mais constitue une nécessité initiatique. En effet cet usage qui peut être perçu comme une nouvelle frustration est, en réalité, pour apprenti, l'excellente occasion de renforcer ses autres sens. « D'en prendre plein la vue », au noble sens du terme, et d'écouter, pour mieux penser, aussi bien sa voix intérieure que les sujets débattus. « D'échanger » avec les symboles exposés, de saisir le sens des rituels en mouvement. Bref, de sentir l'ambiance est de mieux participer à la vie de la loge.

À condition toutefois d'être patient. Parce que si ce taire, ce mieux emmagasiner, c'est aussi s'insurger mentalement, « bouillir » même à l'écoute parfois pénible des autres. Ne croit-on pas, avec quelque présomption, détenir la vérité, d'autant qu'on est empêché de parler ?

Prétendre que j'apprécie ce silence imposé serai mentir !

D'abord parce que cet isolement, derrière mon tablier virginal et mes gants blancs à fait monter en moi un sentiment d'abandon. Souvent seul sur la colonne du Nord, j'ai l'impression de ne plus retrouver le chaleureux regard de ceux qui se sont dit mes frères, une fois mon bandeau enlevé, …même après les tenues.

Ensuite, en constatant parfois que je ne comprends strictement rien aux planches présentées par les maitres et les compagnons ! Comme si j'étais projeté au cœur d'une société savante, exposant de surcroît ses prétentieux travaux dans une langue étrangère ! Je suis souvent perplexe en rentrant chez moi après une tenue, me demandant si cette maçonnerie qui m'a initié mais qui demeure tellement hermétique et bien ma voix spirituelle !

« L'initiation, c'est comme le permis de conduire, une fois que tu l’as, il faut apprendre à conduire, a bien conduire ! » m’a dit mon frères Guy, amusée par mon désarroi et parfois ma colère. « Baisse ta garde, laisse-toi imprégner, fais l’éponge et attends les effets de cette mystérieuse chimie interne pour enfin libérer tes émotions et laissez l’enfant en toi étonner l'adulte. Pour mieux avancer, perdre tes réflexes de profane motorisé, impatient aux feux rouges ! Il est nécessaire de prendre son temps et de profiter du paysage, quand on voyage sur la du sens ».

Celui qui ne s'y conforme pas stagnera longtemps encore en dans un engluement nihiliste. Heureusement tout être plongés dans les sombres marécages peut subir une poussée de bas en haut lui offrant une possible réalisation, à la seule condition de fréquenter le silence. Pythagore imposait sept années de silence à ses disciples, et la première leçon de bouddha est : « fais silences en toi et écoute ».

Les règles monastiques disent que le silence d'une grande cérémonie et les cultures traditionnelles usent de celui-ci comme étant une introduction sur la voie qui relie le monde manifesté à celui des archétypes. Ainsi pratiquaient les Templiers, les Esséniens et bien d'autres.

Alors qu'en est-il précisément du silence ? Étymologiquement le mot silence provient du latin classique SILENCIUM : « absence de bruit, de parole » et « propos, inaction, oisiveté » dérivée de SILERE « être silencieux, taire et se taire ».

À l'origine le verbe était envoyé pour parler de l'absence de mouvement et de bruit. Depuis le moyen français, ce mot est pratiquement l'équivalent de « absence d'agitation » et de « calme », d'où le sens disparu aujourd'hui de « lieu retiré », « secret », « mystère » ainsi que de l'usage figuré dans le domaine moral, par exemple dans « le silence des passions ». Tous ces mots et notamment les plus anciens, portent en eux le sens profond de notre démarche, mais avant d'en saisir tellement toute la portée, que nous pouvons éventuellement découvrir dans un certain nombre d'années, nous devons franchir des étapes précises.

Tout d'abord, le silence peut être une abstention volontaire de parole afin d'éviter une diffusion de secrets, garantissant à ces derniers toute leur pureté. En effet, la mauvaise intégration des mystères aboutit à une transmission détériorée, mais aussi à tous les abus possibles ; la lettre n'est pas l'esprit, la surface n'est pas la profondeur, l'apparence n'est pas l'unique vérité.

Une autre notion évidente, mais qu'il est bon de rappeler, nous indique que le silence s'oppose aux chuchotements, aux bruits, aux cris, aux tumultes. Il est contraire au tapage, aux événements et aux excitations diverses.

Mais tout ceci ne peut suffire à l’initié qui cherche à pénétrer le mystère. (Le mot mystère est emprunté au latin MYSTERIUM « cérémonie en l'honneur d'une divinité accessible aux seuls initiés » d'où « choses tenues secrètes, cachées »).

Les cherchants que nous sommes doivent, pour avancer, considérer les difficultés avec discernement.

Nous avons deux éléments distincts et complémentaires. D'une part, ce mystère, ce but que nous pouvons imaginer comme étant une sagesse retrouvée, fruit d'un parcours particulier et d'autre part comme étant l'état initial du néophyte.

Ce dernier, si brillant soit-il, n'est pas parvenu au sommet de la réalisation, il est sur le départ, au commencement de la quête. Et puisqu'il n'est pas, il doit se rendre compte que son état actuel l'empêche de monter. Il doit corriger celui-ci pour tendre vers la perfection, pour ressembler, ce qui exige une prise de conscience et de gros efforts.

À ce propos, Annick de Souzenelle nous dit que le mot hébreu « silence » est DHAMAH qui contient les mots Ma « l'eau » et DAM « le sang ». Mais il porte aussi en lui le mot DAMAH qui signifie « ressembler à », le silence peut être une ressemblance.

Elle ajoute que les expressions spirituelles véritables ne peuvent se faire entendre que dans le silence. La solution du silence est contenue dans son contraire : le bruit.

Le monde aujourd'hui, par son agitation, son éparpillement, ces distractions et ses nombreuses préoccupations nuisent au retour. Le temps manque pour réfléchir posément, regarder la simplicité, s'éveiller à la pureté de l'indicible et tout naturellement retrouver son âme d'enfant, celle qui questionne la manifestation dans une grande innocence.

Nous les adultes, nous SAVONS beaucoup de choses, nous avons des HABITUDES, des CERTITUDES sur notre entourage, nos sociétés, nos relations avec la nature ; nous possédons des réponses plus ou moins justes sur un grand nombre de sujets.

Sont-elles justes ?
Est-ce juste ?

Toute la difficulté tient au DESIR et à la VOLONTE de faire taire cette cacophonie. Trouver « le juste » demande un retour à l’ORDRE en se débarrassant de cette agitation qui nous éloigne sûrement de la Connaissance véritable.

L'écoute est un art, la tension ne peut venir qu'en rejetant les a priori, ces fausses réalités et ces pauvres conventions relatives.

L'Univers dans son essence et pur amour, les vérités éternelles ne sont pas celles du vulgaire, du monde des agités et des affairés.

L'homme n'est pas seulement un animal vivant de débauches, un monstre d'égoïsme, un tacheront du quotidien, il est aussi, en son fond, une parcelle de Lumière.

Bien entendu, il ne s'agit pas de rejeter les biens de ce monde et tous les éléments qui font de la vie un agréable passage, mais bien de les considérer comme insuffisants et limités, comme une part seulement de ce que nous sommes.

La vie est riche mais il faut savoir se détacher des possessions temporelles, si éloignées des intérêts exclusifs, des plaisirs de la manifestation, les relativiser pour accéder petit à petit à notre part manquante et faire de notre présence une plénitude. Cette « part » absente n'est pas dans un ailleurs diffus mais simplement hors de notre conscience. Elle est cachée sous le manteau trompeur de la dualité.

L'individu poussé par son orgueil, enflé par sa vanité, s’aveugle, erre seul dans ses contradictions, rendre les autres responsables de ses propres manquements et n'imagine pas un seul instant qu'il n'est qu'une moitié d’existence :

- un demi-ETRE sans guide.
-il ne sait pas que dans sa jugulaire bat la pulsion de l'Univers, il ignore son esclavage et son attache au néant.

Vautré dans son diabolique destin, conforme aux sociétés de ce jour, il court en tous sens, fourmi dans la fourmilière, il répand alentours son ignorance et ses limites.

Pour éviter le désastre et cette fatale situation, l'apprenti a besoin de silence. Cet ARRET nécessaire doit s'accompagner d'une solitude intime, d'un état réceptif, d'une ouverture sereine aux influences ordonnées, d'un ABANDON propice aux énergies célestes.

Repoussant les parasites, le silence ouvre un passage, chasse la dispersion, autorise l'imprégnation de la grâce, favorise le retour du sublime et permet de quitter l’AVOIR pour l’ETRE.

L'écoute du silence intérieur est aussi une vertu liée à un nouvel état d'être, celui d'une disposition, d'une disponibilité, d'une identité profonde entre soi et l'ineffable. Il doit être un voyage dans son inconscient, dans ses ténèbres.

Le silence n'est plus une soumission contraignante mais un accord, une joie, une paix, un enthousiasme, une puissance très génératrice et un signe de liberté. Il fait reconnaître en soi et dans l'autre une authentique similitude. Le respect et l'amour de l'autre engagent l'homme sur le chemin du DIVIN.

Alors laissons le dictionnaire des symboles conclure par cette de très belle phrase « le silence est un prélude d'ouverture à la révélation ».

J'ai dit V\ M\

G\ L\


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