Le bouffon de la loge

Il était une fois dans une loge semblable à toutes les autres, un Frère qui tenait le rôle de bouffon auprès du Vénérable, permettant à la Parole de circuler, suivant la forme accoutumée. Dans la Loge, il y avait presque toutes les sensibilités de représentées, tout comme un large éventail de professions, participait aux travaux de la Loge, la loge étant le microcosme de la vie profane.

Notre maçon, bouffon, avait la sensibilité suffisante pour déceler dans la Loge le non dit des autres frères et d’en faire part à haute voix et à l’Ordre, afin d’éviter les conflits inhérents aux rancœurs comme aux rumeurs, en cela le Vénérable pouvait maintenir l’Harmonie de la Loge dans la plus grande équité. Lorsque le bouffon prenait la parole, il le faisait avec beaucoup d’humour et même de tendresse, personne n’était visé, personne ne se sentait atteint par ses propos, mais bien au contraire il y avait du soulagement dans la Loge et cela se sentait sur les Colonnes. On s’apercevait de cette bonne ambiance sur les parvis et les frères visiteurs étaient très souvent surpris de la bonhomie qui régnait dans et au dehors de la Loge.

Du savetier au financier, du médecin à l’artisan, tout le monde trouvait son compte dans les propos du frère bouffon et de Saint Jean d’été en Saint Jean d’hiver, les travaux de loge comme de table, enrichissaient l’humble apprenti comme le maître confirmé.

Gémissons ! Gémissons ! Car les instants de bonheur ne durent jamais bien longtemps… Et l’Orient éternel est là pour nous rappeler à la réalité. Le Vénérable de cette loge prit le chemin de la Loge d’en Haut, et comme il se doit un vote eut lieu pour remplacer le frère défunt. Qui pouvait se douter, dans cette Loge en apparence sereine, qu’un mauvais compagnon allait monter sur le trône de Salomon ? Personne… !

Le nouveau Vénérable, plus jeune plus tempétueux, cru bon de se passer des services de notre Frère bouffon, estimant qu’il était assez grand pour diriger le Loge dans les voies de la Lumière, et ce qui devait arriver arriva… Tout d’abord un recrutement axé sur une seule profession, celle du Vénérable, avec la création au fil du vénéralat d’un clan dévoué au Vénérable en chaire, puis la Parole restant bloqué sur les Colonnes, c’est la rumeur qui prit le relais avec son cortège de médiocrité et de bêtises, les travaux de table prirent une tournure digne d’une cantine de prison ; avant le Frère servant devait mettre à la porte les Frères qui dépassaient largement minuit plein, maintenant son travail se trouvait allégé, puisque moins de Frères participaient aux Agapes, pressés de quitter les lieux. Sans parler des élections, où les Frères du Vénérable se réunissaient dans un restaurant pour établir la liste des candidats favorables au Vénérable, ce qui ne faisait qu’accentuer les dissensions dans la Loge… ! Ce qui devait arrivait arriva… !

Des démissions arrivèrent chez le Vénérable, ce dernier ne voulant pas remettre en cause sa conduite des travaux, laissa faire… ! La loge prit un mauvais chemin, au point de voir arriver une scission en son sein, les travaux devenant plus une réunion de travail profane que du travail maçonnique, cela finit par lasser les Frères les plus tolérants. La Loge existe toujours, mais elle a perdu de sa vigueur et de sa force… !

Il y a une moralité : même les Rois les plus puissants, écoutaient les conseils, les avertissements du Bouffon, car ils avaient la Sagesse de comprendre que du haut d’un trône on ne voit pas tout, et qu’un humble personnage peut vous être d’un grand secours… ! C’est un hommage aux maçons qui ont quelque chose à dire et qui le disent ! 

Lux ex Ténébris.

P\ L\