Obédience : NC Loge : NC 11/2012

 

Originalité du symbolisme maçonnique

« Au sein de chaque société, l’ordre du mythe exclut le dialogue ; on ne discute pas les mythes du groupe, on les transforme en croyant les répéter ». Claude Lévi-Strauss (1)

« Un symbole ne transmet pas un message précis, il agit comme un miroir qui reflète le niveau de conscience du chercheur. Il n’y a pas, en soi, de textes sacrés ; le caractère sacré, c’est le lecteur qui le donne. La vérité n’est pas dans un livre, mais dans l’esprit de celui qui, s’appuyant sur le symbole, découvre dans les profondeurs de son être ce mystère essentiel qui est son vrai maître ». Alexandro Jodorowsky (2)

J’apprécie l’honneur d’avoir à vous présenter deux planches pour deux tenues successives. Ces planches correspondent à des travaux simultanés sur le symbolisme, et vous pourrez donc appliquer à la planche précédente les conclusions de celle d’aujourd’hui, qui présente mes réflexions sur la parenté et les distinctions entre les symbolismes religieux et maçonnique. Rite et rituel, église et temple, office et tenue, prêtre et Vénérable, sacrement et initiation, et jusqu’à un certain dédain des hommes pour le monde des femmes, tant de ressemblances ne peuvent être ignorées. Remarquons les origines voisines des deux mots « symbole » et « religion » : l’un vient du grec et signifie « présenter ensemble », l’autre vient du latin et signifie « réunion » ou « recueil ».

Ce qui prime dans la religion chrétienne, c’est la Parole révélée ; faire son salut, c’est souvent, plutôt que manifester sa soumission à Dieu, s’efforcer d’imiter Jésus-Christ, ou encore, c’est rechercher l’absolution du prêtre.

À l’opposé, pour le Franc-maçon, c’est en lui-même qu’il trouve les raisons de son action. Audelà de ces affinités, il m’est apparu des différences fondamentales entre les symboles religieux et les symboles maçonniques, et c’est ce qui a motivé cette planche.

Je sais que les convictions divergent sur les origines de la Franc-maçonnerie et du symbolisme, et j’ai étudié cette question, en particulier dans le très riche ouvrage (3) de Luc Néfontaine. Au 2ème tome de cet ouvrage, une préface de Jean Dierkens débute par les réflexions suivantes : « Il est erroné de vouloir comprendre ou interpréter les symboles un à un, sans les insérer dans leur contexte. Mais il serait erroné de vouloir imposer un seul contexte aux symboles maçonniques dont les apparitions et évolutions se sont succédé au cours des siècles ». Il écrit plus loin : « Le discours maçonnique reste celui de gens qui s’acceptent complémentaires plutôt que de devenir un dialogue de sourds ». Et enfin : « La multiplication des significations symboliques possibles entraîne une très large zone d’incertitude et d’ambiguïté dans laquelle les Maçons aiment vivre ». Je suis de ceux-là, et voilà l’éclairage de mon travail.

Un symbole « indique, réunit, et enjoint » :

c’est dire son caractère indispensable dans une communauté restreinte comme la Maçonnerie. Aujourd’hui, Irène Mainguy (4) dit clairement que « Définir un symbole, c’est le limiter, lui donner un sens réducteur. Le symbole ne doit pas être idolâtré ni considéré comme une fin,
mais, au contraire, servir d’outil de compréhension et d’exploration ; il est fait pour être transmis ». C’est bien la caractéristique de nos symboles.

J’extrais quelques phrases de l’ouvrage de vulgarisation de Philippe Benhamou (5) :

« L’apôtre Paul a dit : « Savez-vous que vous êtes le temple de Dieu et que l’esprit de Dieu réside en vous ? » Cette parole est le fondement du symbolisme maçonnique du Temple de Salomon ». Pour un incroyant comme moi, l’ajustement est évident : je porte en moi la
dignité de l’Humanité. En effet, Benhamou dit plus loin : « Le temple de Salomon n’est vu comme objet ni historique, ni religieux, mais dans sa signification symbolique. […] Les symboles permettent d’accéder aux enseignements de la Franc-maçonnerie, et non l’inverse. Ils ne sont pas sacrés et ne font l’objet d’aucun culte, jamais un Franc-maçon ne se prosternera devant eux ». Pour moi, faute de source plus sûre que la Bible, même la réalité dupersonnage de Salomon reste mythique…

Le symbole ne s’active pas du seul fait qu’il est transmis. L’apprenti doit savoir que les outils symboliques déposés devant lui ne lui dictent rien. Le symbole est un vase dans lequel chaque Maçon verse le contenu que sa conscience lui propose. Imposer l’interprétation d’un symbole, c’est l’abaisser, c’est lui ôter son caractère maçonnique, c’est trahir la maçonnerie.

Au GODF, nous sommes fiers de déclarer notre obédience « adogmatique ». Les religions, elles, sont pleinement « dogmatiques », et le mot n’est nullement péjoratif : il indique qu’elles sont bâties sur un corpus de textes ou de faits que leurs fidèles, pour se considérer comme tels, doivent tenir comme indiscutables. D’ailleurs, la partie de la théologie consacrée à l’exposé des fondements de la foi s’appelle la « dogmatique ». Toutes les obédiences, Grand Orient compris, ont édifié leur histoire légendaire, ainsi qu’une partie de leur symbolisme, en écartant les symboles strictement chrétiens, mais en s’appuyant sur cette base dogmatique que constitue la Bible.

C’est donc tout naturellement que des symboles ont été acceptés dans l’environnement protestant où a pris naissance la F\ M\ spéculative, et ensuite, au sein du monde catholique.

Certains éléments symboliques tirent leur pouvoir de l’Histoire ; ils évoquent un événement, ou un ancêtre glorieux : il en est ainsi du triangle des Maçons comme de la croix des chrétiens ; le triangle traditionnel des Loges d’ouvriers bâtisseurs est resté le symbole de la maçonnerie moderne par référence à l’ancienne, de même que la croix renvoie directement à l’histoire du Christ et à la communauté qui l’a vénéré. Pour Edgar Morin, le symbole se fonde sur une relation d’identité avec ce qu’il symbolise ; mais Néfontaine refuse cette propriété aux symboles maçonniques, et je suis de son avis : par exemple, le fil à plomb, par sa seule représentation, n’impose le respect de la verticale que sur un chantier du bâtiment ; en franc-maçonnerie, la verticalité prend un sens tout autre, de sérieux et d’authentique, totalement étranger aux règles de la construction, et ce sens est induit chez l’apprenti, puis enrichi grâce à l’éclairage oral de ses F\ F\ ou par l’Orient.

Un autre exemple ? Prenons la truelle : Irène Mainguy, comme Jules Boucher, et comme vous et moi, mes T\ C\ F\ F\, l’associent à l’idée de parfaire un ouvrage, d’en unir les composants, de faire oublier sa rugosité. Très bien. Et voilà que dans un article polémique sur le travail en L\, pour reprocher les ergotages immobilistes de certains de ses F\ F\, j’apprends que l’on doit donner à ce symbole un autre contenu, tout aussi pertinent : l’auteur propose de compléter les trois bijoux du rite écossais – la règle, l’équerre et le compas – par la truelle, symbole, à ses yeux, du travail véritable ! Cette truelle n’a-telle pas ainsi été chargée d’un contenu symbolique nouveau, et tout aussi pertinent, par la seule réflexion de notre F\ ? Et s’il a trouvé cette idée chez Louis-Claude de Saint Martin, à la fin du XVIIIème siècle, son pamphlet n’en est pas moins clair. Une telle liberté d’interprétation est reconnue à tous nos FF\, et c’est l’une des propriétés de notre symbolisme. Une telle dérive du sens serait-elle concevable avec un symbole religieux ? J’en doute ; pour moi, les symboles religieux sont figés de par leur contenu historique ou sacré.

Nefontaine reconnaît que certains symboles peuvent apparaître en contradiction avec la raison, ou avec la notion qu’exige une certaine tradition. Par exemple, il en est ainsi, pour moi, du pavé mosaïque : je suis prêt à y voir évoqué tout ce qui confine au dualisme, à la répétition du pas initial, à l’infini du temps et de l’espace, à la complémentarité de l’ombre et de la lumière…mais quand mes FF\ me parlent d’un chemin empruntant les arêtes des carrés… Eh bien non, moi, je refuse, je suis aveugle ; mon chemin restera d’accord avec la géométries réelle, mais pas avec un mysticisme de cet ordre ; et personne n’est en droit d’exiger de moi une telle mise au pas.

Nos symboles ont bientôt 300 ans. Pour y voir plus clair et expliciter leurs similitudes et leurs différences, j’ai réuni sur papier les éléments symboliques des univers chrétien et maçonnique, regroupés face à face ; pour simplifier, je n’ai pas séparé les domaines chrétien et hébraïque, et j’ai omis tout ce qui concerne les hauts grades ; c’est ainsi que m’est apparue l’originalité maçonnique, que je vais résumer :

L’importance du symbolisme a été admise dès le début de la maçonnerie spéculative, et faute de traces écrites, il paraît aujourd’hui impossible de préciser quand et par qui a été réuni et imposé ce corpus symbolique initial.

Notons que récemment, en 1971, il a été rappelé publiquement que « la Grande Loge de France se refuse à donner une explication théorique et officielle du symbolisme maçonnique et de ses raisons d’être. Chaque Maçon est libre de trouver à chaque symbole son interprétation personnelle, est-il précisé, et, de même, il est en droit de se faire l’idée qu’il veut de tout l’ensemble symbolique ». A fortiori au GODF…

Ma vision personnelle tient dans les trois constatations suivantes :

1 - Les symboles religieux renvoient à des idées strictement religieuses, de 2 classes :

- la classe des dogmes : existence de Dieu, du Ciel, de la Trinité, de l’Âme, de l’Eucharistie, plus les notions que la religion est censée apporter à l’Homme : le Péché, la Rédemption, le Salut ; donc, des cibles de l’ordre de Dieu, du Bien et du Mal, et de l’amour divin.

- la classe des personnages, réels ou mythiques : leur vie exemplaire, leur valeur morale : le Christ, ses proches, les Apôtres, les Saints ; donc, à des supports symboliques de l’image du Père. Ces personnages, à leur tour, peuvent devenir les symboles des vertus religieuses.

2 - Les symboles maçonniques, en revanche, ne renvoient pas à un personnage idéalisé, historique ou objet de croyance, pas même à l’architecte Hiram, ni au roi Salomon, dont les existences ne sont nullement précisées. Aucun symbole maçonnique ne renvoie à une vertu (6), la plupart renvoient à des notions abstraites, de 3 ordres :

- l’ordre du Travail : les outils à bâtir, la Géométrie, la perfection, le chemin, la Loi ;
- l’ordre de la Nature : l’Univers, les repères de l’Espace, les États de la matière, la Lumière, le Temps ;
- l’ordre de la Dignité humaine, que je tiens bien distincte des vertus morales : la droiture, la dignité du temple intérieur, mais aussi le savoir, l’ouverture au Monde, la beauté, la fraternité… et jusqu’à la vigilance, symbolisée par l’oeil ouvert au-dessus de l’Orient.

3 - Ainsi, les contenus symboliques maçonniques constituent non pas des articles de foi, des vérités révélées, des personnages ou des qualités à imiter, mais, à partir de mythes légendaires et de signes devenus abstraits, des ouvertures à la réflexion, sur le monde ou sur soi-même. Ces choix ont eu pour effet d’assurer la cohérence de la Maçonnerie, corps social nouveau, avec l’ensemble du monde occidental qui lui a donné naissance, et aussi de maintenir le monde maçonnique ouvert aux librespenseurs.

Moi, je m’émerveille sur la clairvoyance de nos Maîtres qui ont su bâtir un ensemble symbolique assez souple pour guider jusqu’à aujourd’hui le chemin des Francs-maçons, tout en leur permettant, planche après planche et livre après livre, de continuer à s’enrichir par des discussions fraternelles sans qu’aucun dogme interdise d’y montrer un regard neuf.

J’ajoute un dernier commentaire : j’ai fait observer que le corpus symbolique religieux renvoie le plus souvent à des personnalités dont la haute stature morale représentait des modèles de l’image du Père, ou du Dogme ; j’appelle cela : « s’adosser au passé ». À l’opposé, le corpus symbolique de la Franc-maçonnerie s’appuie, non sur les morts, mais sur les vivants ; en leur offrant les outils symboliques essentiels, il fait confiance à leurs capacités à s’améliorer eux-mêmes en même temps que la Société ; j’appelle cela : « faire confiance à l’avenir ». Sur ce point, religion et Franc-maçonnerie diffèrent donc radicalement. Pourtant, ce qui les réunit, c’est, au-delà de l’esprit de corps, le besoin d’amour réciproque, entre Frères en religion comme entre Frères en Maçonnerie. Si l’amour de son prochain, d’essence religieuse, a chez nous pour contrepartie l’amour fraternel, tous deux ne peuvent que concourir, par-delà les différences de croyances, à l’espoir commun de concorde universelle.

J’ai dit.

F\ C\

Notes :

(1) Claude Lévi-Strauss, in Mythologiques, 4, 585 (Plon, 1971).
(2) Alejandro Jodorowsky (né en 1929), cinéaste et essayiste chilien (http://quetespirituelle.com)
(3) Luc NÉFONTAINE, Symboles et symbolisme dans la Franc-maçonnerie, Ed. Université de Bruxelles, 1994.
(4) Irène MAINGUY, La symbolique maçonnique du 3ème millénaire, Dervy, 2003.
(5) Philippe BENHAMOU et Christopher HODAPP, La Franc-maçonnerie pour les nuls, First et France-Loisirs, 2006.
(6) Vertus, théologales (la foi, l’espérance, la charité) ou cardinales (prudence, tempérance, force, justice).


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