Obédience : NC | Loge : NP | 29/05/2006 |
L'Etoile Flamboyante
Encore proches de l'animal, l'instinct vital des premiers hommes leur dictait l'impérieuse nécessité de conforter leur force morale et de ne pas craindre la mort pour sauvegarder à l'humanité ses chances de survie. Craintifs, inquiets, ils puisaient leur espérance dans la contemplation de l'univers qui leur suggérait les lois immuables et sereines de l'harmonie universelle. Très tôt, ils utilisèrent les astres pour exprimer leur vision du monde, avant que leur pensée ne soit affinée, rationalisée. Ces luminaires célestes ont donc été et demeurent les premiers symboles véhiculant jusqu'à nos jours toute la culture accumulée depuis l'aube des temps. Présentement, ils décorent notre temple, présidant au destin de l'humanité et riches de toutes les significations que des siècles d'éclaircissement méthodique ont permis de leur adjoindre. Nous y reconnaîtrons la place et l'importance du soleil et de la lune. Les étoiles, plus mouvantes, de formes plus variées, ont exprimé des significations plus subtiles; tel est le cas de l'étoile à cinq branches, le pentagramme. L'étoile à cinq branches est commune à toutes les traditions, comme en témoigne sa présence sur plus de quarante drapeaux. Figurant déjà parmi les graffitis néolithiques (en Ariège, à Olargues dans l'Hérault), elle apparaît dans la mythologie égyptienne, comme représentant Isis et Horus, la Terre-Mère et le Soleil. Le ciel étoilé, peint à l'intérieur des tombes égyptiennes, est également pourvu de ces étoiles à cinq branches. Dans la mythologie grecque, sous le nom d'Ugéia, à cause de Hygie, déesse de la santé, elle avait une valeur thérapeutique en tant que pentalpha de la vie et de la santé. Dans la Bible, les Rois Mages surent percevoir et suivre l'étoile scintillante qui devait les conduire à l'enfant qui allait naître. Plus que tout autre polygone régulier, l'étoile à cinq branches est représentative des lois de l'harmonie et symbolise le macrocosme et le microcosme. Elle constitue en effet une application stricte de la relation privilégiée par excellence, la relation dorée ou divine proportion, qui s'exprime par le nombre d'or. Tout ce qui procure à nos yeux ou à nos oreilles une sensation agréable de beauté et d'harmonie a été construit sur la base du nombre d'or et sur le rythme cinq, d'où ses multiples applications dans tous les arts : peinture, sculpture, architecture et musique. C'est pourquoi les pythagoriciens choisissent l'étoile à cinq branches pour emblème et en font le centre de leurs méditations. En effet, ils étaient des scientifiques et les premiers à traduire en lois les secrets de l'univers. Qui ne connaît pas le fameux théorème de Pythagore ? Persuadés de l'unité profonde du inonde et souhaitant s'incorporer au rythme de l'Univers qu'ils s'appliquaient à déchiffrer, ils en percevaient et en traduisaient la mystérieuse harmonie qui leur permettait à la fois de comprendre la création et de poursuivre l'acte créateur. La représentation parfaite de cette harmonie universelle était précisément, pour les pythagoriciens, le pentagramme ou triple triangle recroisé. Pourquoi ? Cinq est le premier nombre qui résulte de l'addition du deux et du trois, c'est-à-dire des premiers nombres pair et impair. Le nombre pair représente le principe féminin et le nombre impair le principe masculin. Par conséquent, l'addition des deux figure la vie manifeste, la génération et plus précisément le produit ultime de la génération : l'Homme harmonieux, créé, selon la Genèse, à l'image de Dieu. La symétrie pentagonale est présente dans la plupart des organismes vivants; cette observation est valable chez l'homme, qui a cinq sens, cinq doigts, chez les plantes, fleurs à cinq pétales, chez les échinodermes, étoile de mer, et pour la pomme qui, coupée perpendiculairement à Faxe de son pédoncule, contient en son centre une étoile à cinq branches. C'est donc à juste titre que les pythagoriciens ont pu faire du pentagramme étoilé la représentation parfaite du corps humain en harmonie et solidaire de l'ensemble du monde vivant, illustré plus tard par Léonard de Vinci qui y inscrivit un homme, tête levée dans l'angle supérieur, pieds écartés, solidement posés dans les deux branches d'en bas, tendant les bras dans les deux branches supérieures, comme pour embrasser l'univers. Avec une seule pointe en haut, il est considéré comme actif et bénéfique; par contre le pentagramme inversé, avec deux pointes en haut, est considéré comme passif et maléfique; certains occultistes y ont inscrit une tête de bouc, emblème des instincts et de l'animalité. N'oublions pas d'évoquer les bâtisseurs de cathédrales du Moyen-Âge, maçons opératifs, qui ont exprimé leur génie constructeur par l'étoile que l'on retrouve dans de nombreuses églises, reflets de l'harmonie parfaite du cosmos, où tout est soigneusement ordonné. Ils connaissaient donc le pentagramme et ce dernier constituait effectivement l'un de leurs symboles majeurs, en même temps que l'outil géométrique privilégié pour bâtir les temples, c'est-à-dire transformer la pierre brute et inerte en édifices construits à la gloire du Grand Architecte de l'Univers. En franc-maçonnerie, l'étoile flamboyante est une figure centrale de notre symbolique. Dans le Temple, elle brille à l'Orient, entre le soleil et la lune, lorsque les travaux sont ouverts au second degré et c'est à l'issue du cinquième voyage que la future compagnonne la découvre. Elle passe de la perpendiculaire au niveau, c'est-à-dire qu'ayant suffisamment approfondi les éléments de la connaissance, elle devient apte à les envisager dans leurs relations avec le monde, avec le cosmos. Dans le rituel au grade de compagnonne, la Vénérable Maîtresse pose la question : "êtes-vous compagnonne ?", et la compagnonne de répondre : "j'ai vu l'étoile flamboyante". Les cinq points de l'étoile représentent les cinq sens. Ceux-ci nous informent sur le inonde extérieur et nous permettent de communiquer avec lui. Ils assurent notre relation avec notre environnement et nous procurent le plaisir ou la souffrance, selon que cette relation est harmonieuse ou agressive. Aussi, le sixième point, invisible, induit et équidistant des cinq sommets, représente le centre, notre centre. Ce centre, celui du cercle, exprime la présence du principe divin, la prévalence de l'esprit sur la matière, la nécessité d'un rapport harmonieux entre l'individu et le monde extérieur, d'une coordination heureuse entre son corps et son esprit. En considérant cette étoile qui rayonne, qui flamboie, la maçonne doit comprendre ce précepte des alchimistes : "l’œuvre cachée et mystérieuse est en toi; partout où tu iras, elle sera avec toi, à condition de ne pas la rechercher au dehors". Le flamboiement est le signe du rayonnement; il émane d'un feu intérieur qui éclaire et régénère. La maçonne a reçu la lumière; cette lumière est en elle et a réveillé sa conscience. La conscience est surtout celle de la solidarité, de la double solidarité : horizontale, avec l'ensemble des êtres vivants, et verticale, avec l'aspiration d'une vie évoluant vers plus d'intelligence, d'amour, de fraternité. Retrouver son centre c'est par conséquent être au centre de l'union. L'étoile à cinq branches représente l'homme, mais pas n'importe lequel : l'homme harmonieux, lumineux. Il est appelé à développer en lui un principe plus fort que les quatre éléments et surmonte proprement dit l'animal. Le cinq s'est imposé à quatre, la cinquième essence ou quintessence a prévalu sur le quaternaire des éléments. Ainsi le cinq est le nombre de l'homme, comme il est celui de la compagnonne : elle a cinq ans, elle a effectué cinq voyages, elle frappe cinq fois dans ses mains pour exécuter la batterie, sa marche est de cinq pas. Au grade de compagnonne, l'équerre et le compas se croisent de manière équilibrée; une branche du compas prévaut sur une branche de l'équerre et réciproquement. Ces deux outils permettent de construire l'étoile à cinq branches. Selon Boucher, l'étoile peut être construite dans un carré (face de la pierre cubique); quatre des points joignent les côtés latéraux et inférieurs et les deux cercles directeurs sont tangents au côté supérieur. Il y a là un rapport métaphysique essentiel : l'étoile ne touche pas les plans supérieurs; seuls les cercles tracés avec le compas permettent d'y atteindre. Nous savons que l'équerre, outil passif, sert à tracer le carré, symbole de la terre; le compas, outil actif, sert à tracer le cercle, symbole du ciel. Le cercle sera donc au carré ce que le ciel sera à la terre, l'éternité au temps, mais le carré s'inscrit dans un cercle, c'est-à-dire que la terre est dépendante du ciel. Comme l'a énoncé Hermès Trismegiste dans la Table d’Emeraude : "ce qui est en bas est semblable à ce qui est en haut, et ce qui est en haut est semblable à ce qui est en bas pour accomplir les miracles d'une seule chose". Donc à ce grade, celui de l'Homme harmonieux, lumineux, la matière et l'esprit s'équilibrent parfaitement. Pour l'aider et l'accompagner dans cette recherche d'équilibre, d'harmonie, la compagnonne dispose de plusieurs leviers. La géométrie, c'est la science du maçon, celle qui s'exprime par l'équerre et le compas. Cependant la science du maçon ne saurait demeurer contemplative; elle doit être opérative. La structure géométrique du temple, c'est son armature cachée, sur laquelle il est construit et grâce à laquelle il subsiste encore de nos jours; pour la maçonne, la structure cachée est son armature mentale. La géométrie intérieure, c'est le travail de l'esprit, la maîtrise de ses passions, la juste valorisation des actes, des pensées. Aussi, je citerais la formule de Platon :" que nul n'entre sous mon toit s'il n'est géomètre". À l'instar du temple élevé à partir de pierres inertes, la maçonne doit se construire un organisme susceptible de déchiffrer l'énigme de la vie, les mystères de la génération; l'homme du génie est celui qui maîtrise l'art de construire, celui qui relie, au moyen d'un pont, les deux rives d'un fleuve, entre le microcosme et le macrocosme, entre lui-même et l'univers, entre ses impulsions immédiates et son projet de vie. La maçonne doit éprouver le sentiment de constituer un maillon utile dans la chaîne d'union. Ainsi, le génie implique la connaissance, la gnose. Elle s'acquiert par le travail que la compagnonne doit glorifier, et par la recherche personnelle du sens caché des symboles. Par conséquent, il faut se dépouiller pour se découvrir soi-même, retrouver sa réalité première, son centre, celui de l'étoile, invisible, ordonnant et structurant les cinq branches. De même que l'univers doit sa stabilité à l'attraction que tous les corps exercent les uns sur les autres, la gravitation, qui régit ainsi le monde physique, devient dans la sphère morale l'image de cette force de cohésion sans laquelle les pierres vivantes que nous sommes ne manqueraient pas de se disjoindre. Unité de l'univers, de la matière, la gravitation symbolise également l'unité fraternelle. C'est par l'étoile que nous trouverons la voie véritable, suivant le fil à plomb qui, par la pesanteur, nous confère l'autre sens : celui de la profondeur qui permet, plus on la creuse, de nous élever et ainsi de dépasser l'ego. Elle synthétise à la fois notre quintessence et notre géométrie intérieure. Nous sommes toutes des poussières d'étoiles, véritables creusets alchimiques qui nourrissent l'univers; elles sont la matière dont nous sommes constituées. Entre le ciel et la terre, entre le compas et l'équerre, l'étoile figure l'homme, harmonieux, assemblage d'un peu de boue auquel, selon la Genèse, a été insufflée une parcelle du souffle divin. Elle permet le passage du carré au cercle, c'est-à-dire de l'équerre au compas, de la prévalence progressive de l'esprit sur la matière. Ainsi par un jeu indéfini de résonances, de rythmes qui se reflètent et se répondent, la construction s'élève, se verticalise, devient aérienne, en même temps qu'elle élève la maçonne qui la contemple et la fait communiquer avec la beauté, la force , la sagesse qui ne sont que les diverses appellations de l'harmonie universelle. Savoir regarder et comprendre, passer de la compréhension à l'acte et, pour que l'acte soit juste et parfait, se rectifier soi-même, se mettre préalablement à l'équerre, à la perpendiculaire et au niveau. Pour conclure, je souhaiterais citer ce quatrain de Nicolas de Lyre, poète du XIVème siècle : "La lettre enseigne les faits, L'allégorie ce qu'il faut croire, La morale ce qu'il faut faire, L'anagogie ce vers quoi il faut tendre ". J’ai dit… |
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