GLDF Loge : Ecossaise - Les Amis de L'Ordre - Orient de Niort 15/05/2001

Quelques regards sur le pentagramme

S’il est vrai quede l’ensemble des points de vue peuvent naître la vérité, quelques angles de vue sur le pentagramme pourront nous aider par leur variété. Pour chacun d’entre eux, j’ai essayé de relier mes impressions personnelles aux lectures que j’ai faites.

Quel fut mon premier regard sur ce symbole ? C’est lors de ma récente augmentation de salaire que j’ai pris conscience que l’étoile flamboyante fait face au delta lumineux. Les frères des colonnes sont plus ou moins tournés vers l’orient, alors que les frères de l’orient, sous le delta lumineux, sont tournés vers ce pentagramme ; le lien entre les deux semble aussi discret qu’il est immatériel et au-dessus de nos têtes. J’y ai d’abord vu des lignes droites alors que la nature n’est faite que de courbes : cette énergie ne peut pas être réduite à celle de la vie ; elle semble trop pure pour être naturelle. L’étoile brûle au milieu d’un espace incompatible avec la vie et c’est elle qui permet la vie. On pourrait se fourvoyer et penser que l’énergie de l’étoile la fait se consumer elle-même, comme une sorte de phénix éternellement juvénile, rendu anxieux par son désir, un désir lui-même aiguillonné par l’anxiété. Ce pourrait être l’image d’un être cherchant une perfection narcissique, rendu vibrant et fébrile par l’accession aux feux de la rampe. Mais non : l’étoile reste immobile.

« L’inaccessible étoile » comme a chanté le grand Jacques, ne devrait-elle pas rester le but vers lequel on ne doit que tendre ? J’ai la sensation que vouloir sa place et s’approprier sa lumière ne serait pas le bon choix. Ce serait vouloir conquérir la lumière hypothétique d’un sommet supposé, s’identifier à la source de la lumière céleste sans permettre à cette lumière d’éclairer le tréfonds de notre forge, là où rougeoie le feu le plus intense, celui qui permet de fondre et de refondre, à côté de la meule qui rectifie, dans la pénombre et les étincelles. Renoncer à atteindre l’étoile permettrait de bénéficier de sa lumière.

« Attirer à soi la clarté ambiante pour s’en saturer ». Cette clarté serait-elle l’esprit que certains reconnaissent partout, jusqu’aux particules les plus infimes de la matière ? Comme les aborigènes australiens depuis des dizaines de millénaires sur des écorces d’arbres, je rêve. Je songe à la présence imperceptible d’un ordre qui nous baignerait tous, nous dépasserait de si loin que l’idée même d’une volonté quelconque lui serait étrangère. « Les amis de l’ordre… » Quoiqu’il en soit, l’étoile rayonne, mais elle reçoit aussi. L’apprenti a œuvré à se connaître, le compagnon poursuit son regard intérieur en s’intégrant à l’univers. Vers le centre de l’étoile comme vers l’éternel apprenti semblent converger les apports de multiples traditions. Chaque angle sortant suivi d’un angle entrant : dans sa marche aussi le compagnon fait un pas de côté, montrant l’initiative qui lui appartient de s’écarter de la ligne de l’apprenti afin d’explorer le monde extérieur.

Quel est ce pentalpha, quels sont ces cinq A majuscules qui entourent un G ? Ces branches paraissent être autant de pointes de flèches tournées dans 5 directions : une sorte de boussole verticale, un regard porté sur l’environnement tout autour. Le point de départ d’aller-retour entre centre et périphérie : se recentrer pour s’élever, mais pour mieux se recentrer, faire l’effort de considérer le monde extérieur et toujours avoir la conscience de revenir aux présupposés, aux évidences, à ce son [a] qui fut notre premier rapport au monde. Ne pas seulement penser, mais aussi agir. Se connaître dans le monde, par une expérience de soi dans le monde. Se développer dans toutes les directions en restant conscient du centre, pour connaître l’univers total en nous malgré notre nature fragmentaire. Apprendre à faire dans la vie matérielle pour savoir réaliser dans la vie spirituelle. Connaître et communier avec le monde avant de penser à l’amender. Eclairer le monde pour mieux le voir, avant de lui donner à voir.

Il s’agit d’abord de travail sur soi : dans la composante plus intérieure de ce travail, l’éclosion de l’âme se produit lorsque l’ego renonce (projections, identification, narcissisme, protection et ambition). L’épuisement obligeant à relâcher ses tensions, c’est dans une sorte de cohérence interne que l’on peut devenir accessible à la conscience de la vigilance immobile au sommet du triangle. Prendre conscience de son corps permet de mieux le libérer de ses crispations, ressentir son unité, nous libérer de nos angoisses et crispations ; respirer toujours, méditer dans l’action, abolir la dualité ressentie entre l’agissant et l’agi. Dans cette voie l’on doit compter sur sa propre sensibilité : le savoir se transmet, pas la connaissance. Mais ce travail comporte aussi un aspect plus extériorisé, une cohérence externe pour trouver le juste milieu entre les idées cartésiennes et mystiques. Rester au centre des branches, au point de rencontre de tous les contraires pour créer un vortex de rencontre, d’équilibre qui entraînera vers la lumière. Il faut développer les deux pôles : terrestre et céleste et apprendre à faire avec tout son être. Comprendre les lois du monde pour comprendre ses propres lois. Ne pas travailler qu’intellectuellement pour cela, mais en sentant vibrer en soi la vie éveillée par ce qu’on perçoit par ses 5 sens, cultiver une mémoire holistique et non seulement déclarative.

En s’éliminant de ses propres conceptions scientifiques, l’homme a bâti un système où il s’éliminait lui-même. Mais se dépasser n’est pas s’oublier. La plus profonde aliénation de l’homme est de n’avoir pas d’axe de vie, d’être comme un fétu livré aux vents. L’esprit conçoit, l’affect ressent, le corps réalise. Sous le voile de ce que nous sommes, existe ce que nous cherchons. Tout en développant son identité, travaillé à rencontrer les éléments de l’édifice universel pour les intégrer au centre de l’étoile flamboyante.

Un regard géométrique : l’étoile flamboyante est avant tout un pentagramme étoilé : pour sa signification, on doit la représenter avec la continuité de son tracé. Comme la série de Fibonacci et la spirale logarithmique, le pentagramme incarne la Loi de la section dorée. Le nombre d’or y est contenu 20 fois, dans les rapports de longueur entre les segments linéaires qui le forment. Le principe du nombre d’or est connu : le rapport entre la somme des deux longueurs et la plus grande d’entre elles est le même qu’entre la plus grande et la plus petite longueur. Il y a donc possibilité de passagedu deux à l’un (l’un formé des deux les rassemble, il y a identification entre la somme et l’unité). Mais il y a aussi possibilité de passage de l’un au deux (comme en alchimie : « un en sa naissance, double en sa polarisation »), c’est-à-dire aptitude en puissance de subir toutes les métamorphoses. J’y vois l’expression d’un potentiel double, à la fois involutif et évolutif, intensif et extensif, multiple et authentique.

Certains y ont vu l’association de l’équerre et du compas : la rectitude et la mesure. Le pentagramme est inclus dans un pentagone et contient un pentagone inversé contenant lui-même un pentagramme inversé : nous sommes toujours là où ne nous y attendions pas et nous n’aurons jamais fini de nous connaître. C’est peut-être pour cela que la mesure est si importante et découle de cette rectitude même qu’elle pourrait paraître contredire : elle nous évite la fatuité ridicule et la pusillanimité de celui qui affirme précipitamment, avec aplomb, pour faire volte-face peu après sans beaucoup de mémoire. En particulier, cette équerre et ce compas forment le pentagramme sur le volume de la loi sacrée : est-ce le signe que, ce qui nous oppose fondamentalement à toutes les sectes et à tous les intégrismes, chez nous la foi en Dieu  ne fera jamais oublier la foi en l’homme ?

5 : le nombre 5 est celui qui participe de la façon la plus repérable à la structure du pentagramme ; il peut représenter l’union des inégaux (microcosme) l’union féconde des principes masculin et féminin (androgynat, filiation). Il ouvre la voie du secret, moyen d’acquisition de la puissance faite de la synthèse de forces complémentaires. C’est l’accomplissement, étincelle du feu sacré.

3 : cette étoile était le triple triangle recroisé des pythagoriciens au bas des lettres, qui signifiait : « porte-toi bien ». Mais par quel moyen se porter bien ? Chacun de ces triangles est un delta aux angles respectivement de 36°, 36° et 108°, nombres sacrés du bouddhisme et du tantrisme. Ce flamboiement pourrait être celui de l’énergie ascendante qui fait mouvoir les lignes de cette étoile.

2 : un carré long permet de tracer le pentagramme avec précision. On pourra y voir le Logos ternaire s’exprimer dans le fini, c’est-à-dire dans le binaire. Un segment de droite divisé en 13 parties égales (5+3+5) et 2 cercles permettent de la tracer si l’on fait l’approximation « nombre d’or = 3/5 » (les âges de l’apprenti et du compagnon). Dans ce delta s’inscrivent le pentagone et l’étoile flamboyante ; par conséquent le quinaire se trouve inclus dans le ternaire dès le départ, chaque totalité dans une unité qui la dépasse, de par les possibilités d’inscriptions successives de pentagrammes.

1 : le pentagramme est fait d’une seule ligne : l’étoile est comme un cycle fait d’une ligne partant de la périphérie pour approcher le centre, comme attirée par une gravité, puis repoussée pour traverser et rejoindre la rive opposée, là où l’on ne se croyait pas, et recommencer. On pense à la respiration dans l’esprit du bouddhisme zen : unification par l’inspiration, délivrance par l’expiration.

On est en présence d’un symbole particulièrement dynamique : chute de l’esprit dans la matière (du haut vers la gauche), remontée-organisation plus lente (vers la droite), équilibre de plus en plus instable (vers la gauche), nouvelle chute plus lente (vers la droite) où l’homme donne toute sa mesure, remontée rapide vers l’unité (en haut), après avoir effectué deux involutions et deux évolutions. Chiffres pairs (féminins, passifs) à gauche, impairs à droite.

Un regard gnostique : expression de la divinité dans l’humanité ou conception la plus élevée de la conscience humaine ? Entre les deux conceptions suprêmes, la franc-maçonnerie ne contraint personne à choisir. On peut voir le pentagramme au milieu d’une pomme coupée horizontalement, la fameuse pomme offerte par Marie à Jésus, par le serpent à Eve (connaissance du bien et du mal). Il contient les pépins, c’est le fruit de la connaissance et de la liberté, la présence de l’esprit en germe tout au fond de la matière charnelle. Le gnostique prend parti pour le serpent qui invite à la gnose du bien et du mal.

La chute, c’est en fait le mélange de l’ombre et de la lumière en chaque être ; la gnose permettrait de retrouver la lumière pure, le salut de l’âme, connaissance salvatrice qui révèle à l’homme le secret de sa descente ici-bas (la génération) et de son retour à l’origine (la régénération), révélation intérieure qui a toujours été regardée avec méfiance par l’église. Par l’ascèse, aller de la dualité (bien et mal, ciel et terre) vers l’unité. Symbole silencieux : nommer c’est connaître, et ce qui est suprême ne peut être nommé et glorifié mieux que par le silence.

Un regard alchimique : le pentagramme y serait le symbole classique de la pierre philosophale. On recherche l’absolu, l’universel, mais on délivre l’esprit par la matière tout en délivrant la matière par l’esprit : l’alchimie affirme et glorifie l’incarnation. Alors que la guérison psychologique peut passer par un retour aux origines de l’individu, la guérison alchimique advient par un retour symbolique aux origines du monde. La délivrance n’est pas une évasion, mais une nouvelle naissance. Par l’art, l’homme achève l’œuvre de la nature, ce qui lui donne une entière et lourde responsabilité terrestre. On pourrait dire en des mots plus récents qu’un travail psychologique sur soi précède parfois utilement le travail maçonnique, plus psychologique, concernant plus l’épanouissement.

Pour Paracelse, l’homme était le microcosme, un extrait, un résumé, la quintessence de l’organisme du monde ; son corps était composé de soufre, mercure et sel (pour l’esprit, l’âme et le corps) et l’enjeu est la conquête de la liberté de l’esprit pur, extrait de la vie psycho-mentale asservie. Au principe mathématique d’identité des sciences est donc opposé un principe poétique d’analogie. Un symbole flamboyant : l’art du feu a constitué, pendant des millénaires, un savoir humain essentiel. Pour l’art alchimique également la flamme est on ne peut plus importante, d’ailleurs c’est symboliquement le grand soleil qui produit l’œuvre ; pour le tantrisme (hatha-yoga), la principale opération du grand œuvre alchimique est l’union de l’eau et du feu. Cette étoile flamboyante ne semble pas beaucoup nous parler de la prudence, de la mesure, sauf peut-être par cet espace vide qui l’entoure, la laissant s’imprégner et irradier. Comme la loge avec le maçon : le maçon silencieux quand elle parle, la loge silencieuse quand il parle.

Un regard sur ce que nous appelons la lettre G : récemment, la lettre G nous a été présentée au premier degré, mais il m’a semblé difficile de ne pas évoquer ce signe en lien avec le pentagramme. Il est investi et concentre une grande quantité de significations : coagulation, condensation, compression, gravitation, mais aussi organisation, génie, génération, gnose, unité du généré et du générateur (père et fils-verbe qui deviendra générateur à son tour) ; on pense à la théorie cyclique d’un univers alternant expansion et reconcentration.

La lettre Yod serait l’initiale du mot « yod », autrement dit la main, détentrice de puissance créatrice, de connaissance, qui ordonne et crée, force germinative de l’œuvre qui lui donne une impulsion de vie, devenant autonome et obligeant l’artiste à coopérer. Mais  également Yod = 10 = l’unité au plan intermédiaire entre Dieu (1) et l’homme (100). Principe actif fondamental, c’est le symbole par lequel l’homme perçoit et exprime ce que Dieu est. Le gamma minuscule ressemble à une boucle, (le nœud, symbole identique au pentagramme), la lettre G en est la traduction latine. Le g évoque la boucle, le G évoque le nœud simple : la ligne circulaire bifurque pour aller vers le centre ; vers quoi s’éloigne-t-elle ensuite ? Ce nœud, c’est quand on tire dessus des deux côtés que la corde se raidit, qu’il se serre. Ce faisant, plus il tend vers la perfection linéaire, plus en fait il s’en écarte.

Le nœud, cette rose, faut-il le serrer ? Le dénouer ? Doit-on souhaiter la pureté de la ligne ou bien choisir l’aspérité, la solution de continuité ? Dieu aurait séparé les eaux d’en haut avec celles d’en bas. Tout nivellement est entropique, toute construction dérange la pureté de l’horizon. Je crois donc devoir choisir une certaine tension contre le repos, une certaine forme d’imperfection inconfortable contre l’absence d’histoire. Prendre appui sur les oppositions manifestes en vue d’une édification solide.

Un nœud : comme si la solidité résultait de l’opposition de forces ; comme si notre plus fidèle engagement était de lutter contre notre penchant entropique le plus profond. Comme si le libertin se défendait d’appartenir, le fidèle de tromper, l’athée de croire, le croyant de douter, le vivant de mourir... Comme si nos oppositions les plus flagrantes ne recouvraient souvent que le rejet de notre propre reflet, ce reflet que nous voyons chacun, dans le miroir qu’involontairement et parfois plus ou moins adroitement… Notre frère nous tend.

Etoile tournée vers le haut, l’esprit commande la matière (et non l’inverse comme l’illustre la tête de bouc – pentagramme inversé). Pour s’élever, arrêter de tourner comme une toupie ; S’inspirer de la ligne circulaire au milieu de l’étoile, qui forme un coude pour approcher le centre. Se sentir comme un cœur, un point immobile dans l’action, comme un axe immobile, un moyeu peut-être même vide, autour duquel tourne le mouvement perpétuel qu’il accompagne sans en être perturbé : la roue tourne, elle se déplace et ce point-là la suit sans désemparer. Il fait de son mieux parce que c’est ce qu’il a de mieux à faire, parce qu’il sait au fond qu’il ne risque pas d’empêcher le cours des choses. Changer d’endroit serait quitter l’équilibre auquel il participe, il peut juste choisir de participer, ou pas.

Poème : « Axel »

Axel

Depuis que j’ai senti l’écart,
Fondamental à toute aurore,
Depuis que je sens détenir,
L’essence de toute éternité,
Je sens que je tourne en lenteur,
Au point que l’enveloppe s’étend,
Que la gravitation revient.

Moyeu, prolonge ma finitude,
Et sens venir des corps stellaires,
Comme un écho de galaxie,
Dans un formidable murmure,
Rien ne se passe,
Bien que je sache,
Où vibrionne,
La multitude.

Je Suis Là.

Discussion :

- Les oppositions ne sont pas seulement inévitables : elles sont nécessaires ; notre travail sur nous-mêmes consiste aussi à faire en sorte de ne pas les provoquer ni les recevoir de façon passionnelle. Pour ce faire, la façon d’énoncer notre opinion raconte très bien l’état d’esprit dans lequel nous le faisons et influe beaucoup sur la façon dont elle sera entendue. (Caducée : l’axe planté pour ordonner la lutte des deux serpents).

- Ce qui compte dans la nature constructive ou destructrice d’un désaccord, c’est ce qui motive son expression : on peut très bien opposer deux opinions dans le respect et même dans un sentiment authentique de fraternité mutuelle, si l’on discute dans le but d’aller ensemble vers du mieux et non dans une recherche psychologique bien compréhensible de réassurance ou de supériorité personnelle.

- Notre prise de parole est-elle provoquée par une émotion, euphorique ou agressive ? Dans ce cas elle mérite d’être ajournée. Sommes-nous en mesure de remettre sincèrement notre opinion en doute à l’instant même où nous l’exprimons ? Dans ce cas nous sommes en mesure de bénéficier de toute la richesse des lacs d’amour, ces nœuds qu’il importe de ne pas défaire, ni de trop serrer.

J\ L\


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