GLSA Loge : Fidélité et Prudence - Orient de Genéve - Suisse 08/03/2007


Le voyage, le chemin, la voie

Travail de passage de Compagnon

PARTIR SUR LE CHEMIN DU PERFECTIONNEMENT.

Le livre du compagnon se termine par un commentaire sur les pas du compagnon : «Le compagnon ne se contente pas de marcher dans la  direction de l’Orient ; il veut connaître le monde dans son ensemble, … étudier le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, la vertu et le vice, la vie et la mort. De chaque valeur positive il cherche le complément négatif et grâce à son intelligence, il ramène à l’unité les termes contraires ».

Dans ce même livre, à la question : Pourquoi le compagnon touche un salaire plus élevé ? Il est répondu : Afin d’avancer avec d’autant plus d’ardeur sur le sentier du perfectionnement.

Après l’immobilité silencieuse de l’apprentissage, devenu compagnon, je suis est incité à prendre la route dans la grande tradition du compagnonnage de métiers.

Va de chantiers en chantiers, dit-on au compagnon, que la main qui tient les outils s'affermisse, apprend des meilleurs ouvriers, ouvre-toi aux autres techniques, soit conscient de tes lacunes et faiblesses, en bref va t’enrichir et te perfectionner dans ton métier et reviens nous montrer la preuve de ta maîtrise par la présentation de ton chef-d’œuvre.

Pour tous, profane comme initié, partir est un puissant et attractif appel à aller regard

...monter en des cieux ignorés
Du fond de l’océan des étoiles nouvelles.

Ne sommes-nous pas tous nomades de lointaine origine, curieux de ces autres horizons dont se nourrissent nos songes, impatients d’admirer les merveilles du vaste monde, de ressentir mille nouvelles émotions, de s’approprier de multiples petits ou grands secrets !

Clairement le voyage à accomplir n’est pas un congé sabbatique, une parenthèse "loisir" dans mon parcours de cherchant, ou encore une fuite pour me faire oublier ou m’oublier moi-même.

Son essence se trouve dans la définition que lui donne Daniel Ligou dans son Dictionnaire de la franc-maçonnerie : « le voyage est l’épreuve de l’homme, c’est à la fois une nécessité de sa condition, le moyen de son émancipation, l’occasion de faire ses preuves, de découvrir d’autres aspects de monde et de soi-même ».

Ainsi, le voyage que je me dois d’accomplir est un travail structuré et structurant  le long du sentier du perfectionnement.

LE VOYAGE

Le voyage c’est d’abord un éloignement qui porte à l’abandon des repères et certitudes habituels. C’est ensuite un moyen d’apprendre et de me parfaire dans mon métier d’homme au contact de nouvelles dimensions géographiques et humaines. C’est enfin l’occasion, l'épreuve, d’une exploration des espaces intérieurs inconnus de moi en moi.

Voilà mon programme de voyage et son résultat doit être ma propre transformation.

Ces  différents aspects me renvoient aux voyages symboliques que j’avais accomplis en tant qu’impétrant puis apprenti dans le Temple :

Au sortir du cabinet de réflexion me voici conduit par le maître des cérémonies à effectuer trois voyages de purification par l’eau, la terre et le feu. Comme le dit le catéchisme de l'apprenti, ces trois voyages symbolisent la pénible ascension vers la lumière. Épreuve, qui, par dissolution et coagulation avec le monde et moi-même, me fera apprenti maçon.

Plus tard, tenant la main de mon frère Jean-Luc Garcia, je me revois soumis à l’épreuve de nouveaux voyages, à gravir cinq marches de reconstruction, de recentrage à la lumière de l'Etoile Flamboyante.

Voilà donc le motif, la raison du voyage, mon viatique : Le voyage est le socle de l'évolution maçonnique, c’est le moyen de passer d’un état à un autre; une épreuve suivie d’une transformation.

Mon voyage ne peut donc être qu’une prolongation des voyages rituels accomplis. Une trans-formation : partir en un voyage qui me conduira vers un ailleurs (lumière, perfection, vérité, paradis ?) que je dois chercher, découvrir ou  créer. Partir pour m'instruire, c’est-à-dire me former, me reformer, me réformer.

La destination du voyage n’est pas un lieu mais un nouvel état de conscience né de ma propre transformation. Il n’est donc pas nécessaire d’aller loin pour l’entreprendre car le monde tout entier est là, devant ma porte et de partout on voit le ciel étoilé. Ce voyage, action dynamique par excellence, est en fait statique dans son essence.

LE CHEMIN

J’ai vite compris, et plus lentement accepté, que personne ne m’indiquerait la route à prendre. Il me fallait partir sans carte ni itinéraire; sans chemin défini.

C’était donc à moi seul de le faire, de le construire en marchant. En avançant sans m'interroger à chaque carrefour sur la bonne route, la plus directe ou la plus confortable.

Le Mat, arcane majeur du tarot me  suggérait que tous les chemins sont mon chemin, car c'est marcher qui importe, pour puiser une nouvelle énergie dans la beauté des espaces qui s’ouvrent et se découvrent en me déplaçant, dans un temps reconstruit au rythme de mes pas.

Le premier chemin que je choisissais était celui de la liberté retrouvée, la page blanche sur laquelle peut s’inscrire un nouveau présent; c’était celui qui m’unissait aux forces vibrantes de la terre et du ciel, ou le cœur et la raison ne s’opposent plus mais s’équilibrent et se renforcent, libérant une force créatrice qui fait prendre conscience de soi et pousse au dépassement.

L’esprit ouvert et libéré par ce mode de cheminement était propice à l’éveil de mes pensées. Car, comme me l’inspirait Jean Guitton dans son « Nouvel Art de Penser », la pensée est suscitée par l’étonnement, état d’innocence propre à concevoir et sentir, et par l'admiration, c’est-à-dire l’interrogation active des images observées,  des hommes rencontrés, des événements vécus.

Je jetais un regard naïf et curieux, un regard d’enfant, sur le paysage et les personnes rencontrés. Je faisais raconter ce que je rencontrais en un questionnement rendu fécond par l’étonnement et l’admiration.

C’est à l’étape que mon travail commençait. Je cherchais à donner du poids  et du sens au dialogue avec les autres et, dans le même état d’esprit, j’entreprenais un dialogue avec moi, considéré comme un autre.

Je m’efforçais de comprendre ce qui compte et ce qui pèse, à reconnaître ce qui est bon et ce qui est mauvais, à identifier ce que j’ai en commun ou de diffèrent, à accepter les contradictions,  à tenter de les combiner vers un mieux, un bien.

L’EPREUVE

Ce chemin passait naturellement par les autres mais aussi par l’intérieur de moi et  y descendait au plus profond.
VITRIOL : je devais aller au fond de la caverne, à la matrice, à l’origine, là ou, m'enseigne-t-on, l’âme  est encore en contact avec l’Un.

Le véritable itinéraire était donc intérieur, et je le redoutais :

 
Amer savoir, celui que l’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Il me fallait accepter la peur de cet intérieur laid et repoussant dans tant de ses aspects ; il me fallait la vaincre et m’en débarrasser afin de  me sentir libre, serein et généreux. Alors, et alors seulement, je pourrai m’approcher d’un autre état fait de sagesse et de plénitude.

Je devais trouver l’harmonie avec moi et avec les autres. Prendre ce chemin qui me permettrait de communier, dans un nouvel état de conscience, avec toutes les présences en moi et hors de moi.

LA VOIE

Ce Mat que je prenais pour modèle pouvait être aussi celui du fou, enivré par cette liberté sauvage qui se suffit à elle-même, ne voyant plus dans le voyage que le chemin. Certes, qui veut penser grandement doit errer grandement disait Heidegger. Au risque de l’errance perpétuelle, celui de se perdre en route sans arriver au but, sans possibilité de retour.

Singulière fortune ou le but se déplace

Et, n’étant nulle part, peut être n’importe ou !

La raison me soufflait que tous les chemins ne sont pas à prendre, que je devais trouver et choisir parmi eux une voie.

Au sens abstrait, la voie est une conduite, une suite d’actes orientés vers une fin et considérée comme un chemin que l’on peut suivre (Le petit Larousse).

Une voie est une conduite finalisée; le chemin est le moyen. Prendre une voie c’est adopter une conduite pour atteindre un but.

Quelle est cette finalité et quelle conduite y mène ?

Quelle finalité?

Reformulant ce que j’ai écrit plus haut, je crois que le but premier d’un voyage est d’accroître sa connaissance des outils et de la matière sur laquelle ils s’appliquent. Cette connaissance mise en pratique concoure à l’élaboration d’une forme parfaite, symboliquement représentée par la pierre polie, qui, bien travaillée, peut  alors prétendre s'intégrer utilement et harmonieusement au temple que nous construisons.

L’outil maîtrisé utilisé sur soi va faire apparaître de nouvelles valeurs, de nouveaux modes d'agir et d’être par dépouillements besogneux.

Cette transformation opérée, l’unité de l’être, dispersé dans la multiplicité de ses désirs et de ses renoncements, est retrouvée.

Cette  finalité, cet ultime but, difficile sinon impossible à atteindre peut cependant s'approcher en accomplissant pleinement ses devoirs d’homme en l’harmonie avec soi et avec les autres.

Partir pour accomplir ET pour s’accomplir.

Quelle conduite ? 

Je me disais que c’est celle qui fait de chaque pas une occasion de se connaître pour se dépasser. Il n’y a pas d’accomplissement sans dépassement et pas de dépassement sans effort.

Le premier effort est de maintenir une attention soutenue propre à découvrir, lever le voile au sens  étymologique du terme. Derrière ce voile, il faut trier ce qu’on y trouve :des habitudes et des pensées faites de préjugés et d’intolérance qu’il faut chasser ; d’autres enfouies et affaiblies par de mauvais mélanges qu’il faut ôter avant de les remonter à la lumière de sa conscience pour les faire renaître, grandir et renforcer.

Se concentrer sur soi-même, à travers les mille chemins des sensations, des émotions et des idées ; laisser venir l’intuition pure ; la combiner au logos afin de s’armer pour une action  plus efficace et plus juste sur soi et sur le monde.

Puis recommencer ce mouvement de flux et de reflux de bas en haut, de la périphérie au noyau des choses et de soi-même, jusqu’à la rencontre de la cohérence harmonieuse, reflet du jardin d’Eden, du sens véritable.

Quels moyens employer?

Cette quête de sens, il faut la chercher au moyen privilégié du langage symbolique.

Les voyages de l’apprenti et du compagnon sont les références les plus immédiates. Mais l'allégorie du labyrinthe me paraît plus vivante, probablement parce que plus anciennement ancrée dans ma mémoire.

Je résume ce que m’a appris sur ce thème la revue ALPINA dans son numéro de mai 1999 :

"Le labyrinthe fait appel à l’aspect féminin, intuitif, irrationnel de notre personnalité, fait d’hésitations, d’engagements et de retour sur ses pas. C’est un chemin nécessaire à la compréhension de soi et par là de l’univers et des dieux. Il symbolise la démarche de l’individu en quête du secret de la vie et du sens de l’humanité. Il exprime les deux grandes difficultés de l’ouvrage alchimique : accéder à la chambre intérieure, puis avoir la possibilité d’en sortir. D’abord vaincre les embûches du dédale pour atteindre le centre, enfin, en sortir. Ce centre c’est l’image du moi profond, enfoui dans les ténèbres de l’inconscient, apparaissant dans toute son hideuse nature. C’est là, dans cette crypte, que se retrouve l’unité perdue de l’être, qui s’était dispersé dans la multitude des désirs. Il faut ensuite ramener cette image à la conscience, c’est-à-dire au grand jour, à la lumière, pour acquérir la pleine conscience, la pleine connaissance de soi, qui est celle de la lumière initiale, et ainsi faire à nouveau rayonner cette lumière dans le monde".

L’homme perfectible, parvenu au centre de soi-même, perçoit la lumière emprisonnée dans les formes ténébreuses de tréfonds de son être  Il ne peut se contenter de la regarder, il doit vaincre les ténèbres du chaos qui l’empêche de ramener ce flambeau au jour. Ne pas trouver le chemin du retour c’est rester prisonnier des ombres, c’est-à-dire ne pas accepter de ramener maîtrisée l’image qu’il refoule dans son inconscient.

LE RETOUR.

De ce voyage dans le voyage, qu’ai-je rapporté?

Avant tout une certitude :celle que le voyage initiatique, forme maçonnique de pèlerinage, est une voie vers la connaissance ; connaissance de soi et, par extension, « de l’univers et des dieux ».

Cette connaissance est le moyen de bâtir une vie intérieure libre et harmonieuse. Cette vie intérieure apaisée ne sera une perspective d’accomplissement que partagée avec les autres qui viendront à leur tour la consolider, l’entretenir. Voilà le sens que je donne à cette belle parole qui clôt les travaux: L’harmonie par la fraternité.

Je n’ai pas ramené mon chef-d’œuvre, car j’ai la conviction que ce voyage n’est pas terminé et ne le sera probablement jamais. Il est à faire et à refaire pour que  grandisse l'homme nouveau qui germe lentement en moi. À chaque retour, un nouveau partage avec mes frères  qui me donneront un nouvel élan, une nouvelle force pour le prochain départ.

Jusqu’au dernier.

Gilles L\ - Frère de la Loge Fidélité et Prudence à l'Orient de Genève
Les Liens vers plus de 15 Travaux sur ce sujet, sont au sommaire du Recueil R108 : Le Cinq, Cinq Voyages, Cinq Sens
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