Le
voyage, le chemin, la voie
Travail
de passage de Compagnon
PARTIR SUR LE CHEMIN DU PERFECTIONNEMENT.
Le
livre du compagnon se termine par un commentaire sur les pas du
compagnon : «Le compagnon ne se
contente pas de marcher dans
la direction de
l’Orient ; il veut
connaître le monde dans son ensemble, …
étudier le bien et le mal, la
lumière et les ténèbres, la vertu et
le vice, la vie et la mort. De chaque
valeur positive il cherche le complément négatif
et grâce à son intelligence,
il ramène à l’unité les
termes contraires ».
Dans
ce même livre, à la question : Pourquoi
le compagnon touche un salaire
plus élevé ? Il est
répondu : Afin d’avancer avec
d’autant plus
d’ardeur sur le sentier du perfectionnement.
Après
l’immobilité silencieuse de
l’apprentissage, devenu compagnon, je suis est
incité
à prendre la route dans la grande tradition du compagnonnage
de métiers.
Va
de chantiers en chantiers, dit-on au compagnon, que la main qui tient
les
outils s'affermisse, apprend des meilleurs ouvriers, ouvre-toi aux
autres
techniques, soit conscient de tes lacunes et faiblesses, en bref va
t’enrichir
et te perfectionner dans ton métier et reviens nous montrer
la preuve de ta
maîtrise par la présentation de ton
chef-d’œuvre.
Pour
tous, profane comme initié, partir est un puissant et
attractif appel à aller
regard
...monter
en des cieux ignorés
Du
fond de l’océan des étoiles nouvelles.
Ne
sommes-nous pas tous nomades de lointaine origine, curieux de ces
autres
horizons dont se nourrissent nos songes, impatients d’admirer
les merveilles du
vaste monde, de ressentir mille nouvelles émotions, de
s’approprier de
multiples petits ou grands secrets !
Clairement
le voyage à accomplir n’est pas un
congé sabbatique, une parenthèse
"loisir" dans mon parcours de cherchant, ou encore une fuite pour me
faire oublier ou m’oublier moi-même.
Son
essence se trouve dans la définition que lui donne Daniel
Ligou dans son
Dictionnaire de la franc-maçonnerie : « le
voyage est l’épreuve de
l’homme, c’est à la fois une
nécessité de sa condition, le moyen de son
émancipation, l’occasion de faire ses preuves, de
découvrir d’autres aspects de
monde et de soi-même ».
Ainsi,
le voyage que je me dois d’accomplir est un travail
structuré et
structurant le long
du sentier du
perfectionnement.
LE VOYAGE
Le
voyage c’est d’abord un éloignement qui
porte à l’abandon des repères et
certitudes habituels. C’est ensuite un moyen
d’apprendre et de me parfaire
dans mon métier d’homme au contact de nouvelles
dimensions géographiques et
humaines. C’est enfin l’occasion,
l'épreuve, d’une exploration des espaces
intérieurs inconnus de moi en moi.
Voilà
mon programme de voyage et son résultat doit être
ma propre transformation.
Ces différents
aspects me renvoient aux voyages
symboliques que j’avais accomplis en tant
qu’impétrant puis apprenti dans le
Temple :
Au
sortir du cabinet de réflexion me voici conduit par le
maître des cérémonies à
effectuer trois voyages de purification par l’eau, la terre
et le feu. Comme le
dit le catéchisme de l'apprenti, ces trois voyages
symbolisent la pénible
ascension vers la lumière. Épreuve, qui, par
dissolution et coagulation avec le
monde et moi-même, me fera apprenti maçon.
Plus
tard, tenant la main de mon frère Jean-Luc Garcia,
je me revois soumis à
l’épreuve de nouveaux voyages, à gravir
cinq marches de reconstruction, de
recentrage à la lumière de l'Etoile Flamboyante.
Voilà
donc le motif, la raison du voyage, mon viatique : Le voyage
est le socle
de l'évolution maçonnique, c’est le
moyen de passer d’un état à un autre;
une
épreuve suivie d’une transformation.
Mon
voyage ne peut donc être qu’une prolongation des
voyages rituels accomplis. Une
trans-formation : partir en un voyage qui me conduira vers un
ailleurs
(lumière, perfection, vérité,
paradis ?) que je dois chercher,
découvrir ou créer.
Partir pour
m'instruire, c’est-à-dire me former, me reformer,
me réformer.
La
destination du voyage n’est pas un lieu mais un nouvel
état de conscience né de
ma propre transformation. Il n’est donc pas
nécessaire d’aller loin pour
l’entreprendre car le monde tout entier est là,
devant ma porte et de partout
on voit le ciel étoilé. Ce voyage, action
dynamique par excellence, est en fait
statique dans son essence.
LE CHEMIN
J’ai
vite compris, et plus lentement accepté, que personne ne
m’indiquerait la route
à prendre. Il me fallait partir sans carte ni
itinéraire; sans chemin défini.
C’était
donc à moi seul de le faire, de le construire en marchant.
En avançant sans
m'interroger à chaque carrefour sur la bonne route, la plus
directe ou la plus
confortable.
Le
Mat, arcane majeur du tarot me
suggérait que tous les chemins sont mon
chemin, car c'est marcher qui
importe, pour puiser une nouvelle énergie dans la
beauté des espaces qui
s’ouvrent et se découvrent en me
déplaçant, dans un temps reconstruit au rythme
de mes pas.
Le
premier chemin que je choisissais était celui de la
liberté retrouvée, la page
blanche sur laquelle peut s’inscrire un nouveau
présent; c’était celui qui
m’unissait aux forces vibrantes de la terre et du ciel, ou le
cœur et la raison
ne s’opposent plus mais s’équilibrent et
se renforcent, libérant une force
créatrice qui fait prendre conscience de soi et pousse au
dépassement.
L’esprit
ouvert et libéré par ce mode de cheminement
était propice à l’éveil de
mes
pensées. Car, comme me l’inspirait Jean Guitton
dans son « Nouvel Art de
Penser », la pensée est
suscitée par l’étonnement,
état d’innocence propre
à concevoir et sentir, et par l'admiration,
c’est-à-dire l’interrogation active
des images observées, des hommes
rencontrés, des événements
vécus.
Je
jetais un regard naïf et curieux, un regard
d’enfant, sur le paysage et les
personnes rencontrés. Je faisais raconter ce que je
rencontrais en un
questionnement rendu fécond par
l’étonnement et l’admiration.
C’est
à l’étape que mon travail
commençait. Je cherchais à donner du poids
et du sens au dialogue
avec les
autres et, dans le même état
d’esprit, j’entreprenais un dialogue avec
moi, considéré comme un autre.
Je
m’efforçais de comprendre ce qui compte et ce qui
pèse, à reconnaître ce qui
est bon et ce qui est mauvais, à identifier ce que
j’ai en commun ou de
diffèrent, à accepter les contradictions,
à tenter de les
combiner vers un mieux, un bien.
L’EPREUVE
Ce
chemin passait naturellement par les autres mais aussi par
l’intérieur de moi
et y descendait au
plus profond.
VITRIOL :
je devais aller au fond de la caverne, à la matrice,
à l’origine, là ou,
m'enseigne-t-on, l’âme est
encore en
contact avec l’Un.
Le véritable
itinéraire était donc intérieur, et je
le
redoutais :
Amer
savoir, celui que l’on tire du voyage !
Le
monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier,
demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert
d’ennui !
Il me fallait accepter la
peur de cet intérieur laid et
repoussant dans tant de ses aspects ; il me fallait la vaincre
et m’en
débarrasser afin de me
sentir libre,
serein et généreux. Alors, et alors seulement, je
pourrai m’approcher d’un
autre état fait de sagesse et de plénitude.
Je
devais trouver l’harmonie avec moi et avec les
autres. Prendre ce chemin qui me permettrait de communier, dans un
nouvel état
de conscience, avec toutes les présences en moi et hors de
moi.
LA VOIE
Ce
Mat que je prenais pour modèle pouvait être aussi
celui du fou, enivré par
cette liberté sauvage qui se suffit à
elle-même, ne voyant plus dans le voyage
que le chemin. Certes, qui veut penser grandement doit errer grandement
disait
Heidegger. Au risque de l’errance perpétuelle,
celui de se perdre en route sans
arriver au but, sans possibilité de retour.
Singulière
fortune ou le but se déplace
Et,
n’étant nulle part, peut être
n’importe ou !
La
raison me soufflait que tous les chemins ne sont pas à
prendre, que je devais
trouver et choisir parmi eux une voie.
Au
sens abstrait, la voie est une conduite, une suite d’actes
orientés vers une
fin et considérée comme un chemin que
l’on peut suivre (Le petit Larousse).
Une
voie est une conduite finalisée; le chemin est le moyen.
Prendre une voie c’est
adopter une conduite pour atteindre un but.
Quelle
est cette finalité et quelle conduite y
mène ?
Quelle
finalité?
Reformulant
ce que j’ai écrit plus haut, je crois que le but
premier d’un voyage est
d’accroître sa connaissance des outils et de la
matière sur laquelle ils
s’appliquent. Cette connaissance mise en pratique concoure
à l’élaboration
d’une forme parfaite, symboliquement
représentée par la pierre polie, qui, bien
travaillée, peut alors
prétendre
s'intégrer utilement et harmonieusement au temple que nous
construisons.
L’outil
maîtrisé utilisé sur soi va faire
apparaître de nouvelles valeurs, de nouveaux
modes d'agir et d’être par
dépouillements besogneux.
Cette
transformation opérée,
l’unité de
l’être, dispersé dans la
multiplicité de ses
désirs et de ses renoncements, est retrouvée.
Cette finalité, cet
ultime but, difficile sinon
impossible à atteindre peut cependant s'approcher en
accomplissant pleinement
ses devoirs d’homme en l’harmonie avec soi et avec
les autres.
Partir
pour accomplir ET pour s’accomplir.
Quelle conduite ?
Je
me disais que c’est celle qui fait de chaque pas une occasion
de se connaître
pour se dépasser. Il n’y a pas
d’accomplissement sans dépassement et pas
de dépassement sans effort.
Le
premier effort est de maintenir une attention soutenue propre
à découvrir,
lever le voile au sens étymologique
du
terme. Derrière ce voile, il faut trier ce
qu’on y trouve :des
habitudes et des pensées faites de
préjugés et d’intolérance
qu’il faut
chasser ; d’autres enfouies et affaiblies par de
mauvais mélanges qu’il
faut ôter avant de les remonter à la
lumière de sa conscience pour les faire
renaître, grandir et renforcer.
Se
concentrer sur soi-même, à travers les mille
chemins des sensations, des
émotions et des idées ; laisser venir
l’intuition pure ; la combiner
au logos afin de s’armer pour une action
plus efficace et plus juste sur soi et sur le monde.
Puis
recommencer ce mouvement de flux et de reflux de bas en haut, de la
périphérie
au noyau des choses et de soi-même,
jusqu’à la rencontre de la cohérence
harmonieuse, reflet du jardin d’Eden, du sens
véritable.
Quels moyens employer?
Cette
quête de sens, il faut la chercher au moyen
privilégié du langage symbolique.
Les
voyages de l’apprenti et du compagnon sont les
références les plus immédiates.
Mais l'allégorie du labyrinthe me paraît plus
vivante, probablement parce que
plus anciennement ancrée dans ma mémoire.
Je
résume ce que m’a appris sur ce thème
la revue ALPINA dans son numéro de mai
1999 :
"Le
labyrinthe fait appel à l’aspect
féminin, intuitif, irrationnel de notre
personnalité, fait d’hésitations,
d’engagements et de retour sur ses pas. C’est
un chemin nécessaire à la
compréhension de soi et par là de
l’univers et des
dieux. Il symbolise la démarche de l’individu en
quête du secret de la vie et
du sens de l’humanité. Il exprime les deux grandes
difficultés de l’ouvrage
alchimique : accéder à la chambre
intérieure, puis avoir la possibilité
d’en sortir. D’abord vaincre les embûches
du dédale pour atteindre le centre,
enfin, en sortir. Ce centre c’est l’image du moi
profond, enfoui dans les
ténèbres de l’inconscient, apparaissant
dans toute son hideuse nature. C’est
là, dans cette crypte, que se retrouve
l’unité perdue de l’être, qui
s’était
dispersé dans la multitude des désirs. Il faut
ensuite ramener cette image à la
conscience, c’est-à-dire au grand jour,
à la lumière, pour acquérir la pleine
conscience, la pleine connaissance de soi, qui est celle de la
lumière
initiale, et ainsi faire à nouveau rayonner cette
lumière dans le monde".
L’homme
perfectible, parvenu au centre de soi-même,
perçoit la lumière emprisonnée dans
les formes ténébreuses de tréfonds de
son être Il ne peut se contenter de
la regarder, il doit vaincre les ténèbres du
chaos qui l’empêche de ramener ce
flambeau au jour. Ne pas trouver le chemin du retour c’est
rester prisonnier des
ombres, c’est-à-dire ne pas accepter de ramener
maîtrisée l’image qu’il
refoule
dans son inconscient.
LE RETOUR.
De
ce voyage dans le voyage, qu’ai-je rapporté?
Avant
tout une certitude :celle que le voyage initiatique, forme
maçonnique de
pèlerinage, est une voie vers la connaissance ;
connaissance de soi et,
par extension, « de l’univers et des
dieux ».
Cette
connaissance est le moyen de bâtir une vie
intérieure libre et harmonieuse.
Cette vie intérieure apaisée ne sera une
perspective d’accomplissement que partagée
avec les autres qui viendront à leur tour la consolider,
l’entretenir. Voilà le
sens que je donne à cette belle parole qui
clôt les travaux: L’harmonie
par la fraternité.
Je
n’ai pas ramené mon
chef-d’œuvre, car j’ai la conviction que
ce voyage n’est
pas terminé et ne le sera probablement jamais. Il est
à faire et à refaire pour
que grandisse
l'homme nouveau qui germe
lentement en moi. À chaque retour, un nouveau partage avec
mes frères qui
me donneront un nouvel élan, une
nouvelle force pour le prochain départ.
Jusqu’au
dernier.
Gilles
L\ -
Frère de la Loge Fidélité et Prudence
à l'Orient de Genève |