Obédience : NC Loge : NC Date : NC

 

La Musique, Le Sacre, Le Rituel

J'ai eu la chance de grandir dans une famille où la musique tenait une grande place. Elle m'a accompagné dès ma première enfance et tout au long de ma vie, colorant mes expériences et mes sensations. très jeune, j'ai assisté à des concerts et des opéras. Mon plus vieux souvenir est celui d'une représentation de la « FLUTE ENCHANTEE ». J'avais 6 ans.

Les trois voyages de TAMINO et PAPAGENO m'ont fortement impressionné et les images m'en sont restées vivaces jusqu'à aujourd'hui. Rien d'étonnant, alors, que ma première pensée dans le cabinet de réflexion ait été : je suis de retour à la maison.

J'ai tout de suite été frappé par sa place en loge. Dès mon initiation, sortant du silence du cabinet de réflexion, elle me saisit  par sa violence au moment où, courbé pour franchir la première fois la porte du temple, j'y entrais. Très vite, quand, sorti de l'émotion de l'initiation et de la première tenue, je me suis mis à réfléchir  au sens du rituel que je vivais, essayant de le pénétrer, j'ai perçu son importance. Les airs que j'entendais aux colonnes d'harmonie n'étaient pas dus au hasard. Ils venaient renforcer chaque moment de la cérémonie de leur couleur émotionnelle propre, la rendant plus présente, plus forte. Il me devint vite clair que la musique avait une fonction essentielle dans la force de l'Egrégore qui nous unissait. Je voulais comprendre pourquoi...
C'est le résultat de cette réflexion que je vous présente.

J'ai intitulé ma planche : la musique, le sacré, le rituel. Je vais donc situer brièvement les rapports de la musique et du sacré puis ceux de la musique et du rituel. Puis je ferai un survol de sa place dans les grandes traditions de l'humanité. Je parlerai ensuite  plus longuement de la fonction et de la place de la musique en maçonnerie. Après une définition introductive, je retracerai une brève histoire de la musique  en Maçonnerie spéculative avant de parler de la colonne d'Harmonie, pour ne pas conclure sur un sujet si vaste ; le temps qui m'était imparti ne m'a pas permis de l'explorer suffisamment. 

I : MUSIQUE ET SACRE :

Mon axiome de départ est provocateur : il n'est pas de musique profane. La musique est toujours en lien avec le sacré, elle nous y lie. Elle est la langue qui nous permet de communiquer avec le G\A\D\L\U\.Tout ce que nous savons de l'histoire de l'humanité depuis son émergence montre que depuis l'utilisation des premières percussions primitives (1), les rythmes puis les mélodies ont servi de trait d'union entre la terre et le ciel.

Pour GUENON le germe de tout le « sacré » est la « tradition primordiale » qui s'est par la suite ramifiée dans les différentes civilisations humaines. Le sacré s'exprime dans la grammaire numérologique qui rend compte de l'organisation du monde.
PYTAGORE affirme : « de la proportion naît toute vibration ». « L'univers chante puisqu'il est vibration, l'homme est une note résonnant dans l'Harmonie Cosmique ». La science de la musique se fait donc à partir des rapports des nombres. Rythmes et mélodies en sont le reflet. Les intervalles des notes dans les différentes gammes en sont la traduction (2). Parce que les nombres formulent les lois de l'univers qui peuvent être perçues par les sens, l'harmonie musicale classique y trouve ses bases...et MOZART peut commencer.

Le sacré est la manifestation du divin dans le monde humain. C'est un mouvement  de haut en bas à l'inverse du spirituel qui est élévation. L'espace de la rencontre s'est fait d'abord dans des lieux naturels : grottes, sources, sommets, qui sont des trous dans la texture de l'espace profane habituel, ouvertures, passages, destinés à permettre la communication avec l'autre dimension. (3) Les temples récupèrent ensuite la fonction de transformer l'espace de la présence sacrée : les églises sont construites sur et autour de cavités, voûtes, cryptes, destinées à capter la lumière et à émettre des sons. Le vide est conçu comme un révélateur acoustique ne pouvant être franchi que par la résonance des octaves et des quintes. Mais surtout il est là pour révéler la source silencieuse de toute musique.

La musique est médiation entre l'homme et le ciel. C'est une zone de contact, une interface. Sa fonction est analogique à celle de l'initié, médiateur entre terre et ciel. Ce qui renvoi, dit GUENON, à la notion de thérapie, c'est-à-dire de soin religieux : le thérapeute ne soigne pas, il est celui qui accompagne, qui relie. La musique doit être interprétée par le musicien comme la parole doit être interprétée par le psychothérapeute pour devenir Verbe, c'est-à-dire avoir un pouvoir opérateur sur le monde, un pouvoir transformateur sur l'advenir. La musicothérapie à une place centrale dans les médecines sacrées, ce que la médecine contemporaine est en train de redécouvrir. Je n'ai pas la place ici de développer cette question. J'en ferai le thème d'une planche future.

II : MUSIQUE ET RITUEL :

Le rite est l'ensemble des formes et usages qui sont pratiqués en Loge par les F\M\. Il est à la base de l'enseignement initiatique en étant vécu dans les différents rituels. Son emploi réitéré favorise l'introspection nécessaire à l'accomplissement du « devenir meilleur ». La musique y  participe puissamment en créant une atmosphère qui aide l'initié dans la recherche de sa propre voie en harmonie avec la quête des F\ qui l'entourent et font de même.
Qu'est-ce à dire ?

Le Rite commence quand le symbolisme de D\ remplace l'esprit de D\ (4). Aujourd'hui consacrer et sanctifier désignent plutôt ce qui est séparé car ce qui touche au divin est retranché du monde de l'homme profane. Les Rites sont constitués pour franchir cette séparation. C'est ce nous opérons à chaque tenue. Le rite est l'instrument de la communication avec l'invisible. Il reproduit le geste originel. Il est re-présentation, c'est-à-dire, remise au présent. C'est une liturgie qui repose sur la puissance du symbole et de l'énergie des individus.

Nous le savons, l'humanité depuis ses origines a utilisé le chant, la danse et la musique comme moyen de communication, voire comme moyen de passage pour abolir la distance. transe chamanique et Vaudou en sont 2 exemples connus. la musique est alors une introduction au monde sacré par le changement d'état physique et psychologique qu'elle permet. Au delà de la religion et de la philosophie, elle permet un contact intuitif  avec le monde de l'Esprit, communication directe entre terre et ciel, entre équerre et compas, la mise en présence des initiés de la loge avec le principe divin. La musique est un des passages possibles et il se fait pour chaque individu dans un cadre collectif ce qui est propre à la quête initiatique. En effet, chaque individu est en relation avec la communauté, elle-même régie par l'ordre de l'énergie divine qui s'exprime à travers les gestes et les rituels. « Le rite est une gestuelle traduisant le mythe en actes symboliques » dit M.A.OUAKNINE. Le rite est l'essence de la F\M\ ; la tradition y est transmise sans idéologie ni philosophie mais dans un psychodrame inchangeable qui confère à l'initiation son caractère traditionnel, permettant à l'initié de comprendre peu à peu le sens profond de la démarche qu'il a entreprise. Au delà du langage l'assimilation devient « vécu » et non intellectualisation. La musique par son aspect non verbal, mais vibratoire,  y participe en aidant à la mise en route des énergies intérieures, constructives sur le plan de l'Etre.

Mais la musique dans le rituel n'a pas seulement une fonction symbolique. Elle doit avant tout l’illustrer en agissant sur les sentiments et les émotions. Elle doit agir sur le coeur plus que sur l'intellect. L'accompagnement doit être adapté à chaque geste rituel, il doit en souligner les traits et les césures mais il ne doit jamais boucher des trous ou meubler des silences. Au contraire, il doit même parfois les souligner.

III : LA MUSIQUE DANS LES GRANDES TRADITIONS :

1) La tradition ésotérique :

Pour paraphraser l'Evangile de JEAN, je dirai : « Au commencement était la musique ». FABRE d'OLIVET nous dit que pour PYTHAGORE, ZOROASTRE, GONG TSEU, et PLATON, la musique est la science universelle qui permet de pénétrer dans l'essence intime des choses. Selon lui, la cosmogonie  de l'âge précédent, celui des atlantes, rapportait tout à l'Unité absolue, faisant tout dépendre d'un seul principe, purement spirituel. Or l'examen du système musical fit apparaître qu'il ne répondait pas à ce principe unique mais qu'il était nécessaire d'en admettre 2 dans la génération des sons. Ce qui faisait l'importance de la musique pour les anciens, c'est la faculté qu'ils lui avaient reconnue de pouvoir servir de moyen de passage du physique à l'intellectuel. Ils se sont rendu compte que les lois de l'Univers étaient celles d'une dualité combinée : le Yin - Yang pour simplifier, ce que le monde judéo-chrétiens appellera le principe et la création. La musique, sacrée par essence, était ce qui permettait de distinguer les 2 principes universels dans leur nombre et leurs qualités opposées. (5)

2) la Chine :

La science des sons et des notes de musiques remonte à la plus haute antiquité en Asie.
Le couple mythique fondateur de la Chine, FUXI et NÛGUA est représenté tenant à la main l'équerre et le compas, symboles masculin et féminin de la terre et du ciel. Si FUXI enseigne aux hommes les rites, l'agriculture, l'art de bâtir, NÛGUA ne leur enseigne qu'une seule chose : la musique qui est donc de nature féminine, en lien avec l'intuitif. En s'unissant à FUXl, elle symbolise la complémentarité, l'union des contraires, des relations entre l'homme et l'univers, inscrite pour nous au pavé mosaïque.

La gamme chinoise est pentatonale (6) sur le modèle de l'organisation du monde : 5 mouvements, 5 éléments, qui résonnent sur les 5 organes de l'homme. Le son est révélateur de leur état. Les 5 notes symbolisent, dit TSEU TCH'AN, « les délimitations du Ciel et les répartitions équitables de la Terre. La musique oblige tous les êtres à vivre en bonne harmonie ».  Les vibrations sonores  permettent de communiquer avec l'invisible. Rythmes et mélodies sont toujours présents dans les rites comme en thérapeutique. Quand un enfant naissait, on appelait un musicien qui devait déterminer la note sur laquelle le nouveau - né vagissait et de là on choisissait les idéogrammes de son nom  personnel : la note juste désignait la place juste de l'enfant dans l'Univers.
Rites et Musique sont 2 aspects complémentaires de l'Etiquette, ciment social de la Chine impériale. De l'harmonie des notes dépend l'harmonie de l'état.

3) le Japon :

Dans le Shintoïsme on trouve une représentation divine de la nature établie sur les vibrations sonores au nombre de 50. Encore le nombre 5 (7). Il y a 5 accents toniques dans le langage parlé, appelés les « 5 voix », et un texte traditionnel dit qu'ils englobent la terre, l'homme et toutes les créatures. Et d'ajouter « Entendre ne signifie pas entendre par l'oreille (écouter) mais entendre par le cœur ».Ce qui me fait penser à cette phrase de MOZART : « Il faut que nous soyons attentifs, ma musique nous écoute ».

4) les Hébreux :

Elle accompagne toutes les réjouissances, et en particulier les noces qui sont à entendre aussi au sens des épousailles mystiques. Les rois sont couronnés au son du cor, les vainqueurs accueillis par les tambourins. La lyre de DAVID est instrument thérapeutique quand il apaise la mélancolie de SAÜL en chantant et jouant pour lui. Le chant accompagne joie et douleur. Mais avant tout, elle exprime la louange de D\ et scande tous les rituels. Le culte des louanges institué par DAVID devant l'arche d'alliance se poursuit  jusqu'à aujourd'hui, repris dans les rites chrétiens qu'ils soient romains ou orthodoxes, à travers les psalmodies grégoriennes, puis dans le développement de la musique d'église.

Dans la GENESE il est dit que le fils de LAMEC, YOUBAL, 7eme génération après ADAM, frère de TUBAL-CAÎN, est l'ancêtre de tous les musiciens : « il fut le père de tous ceux qui jouent de la lyre et du chalumeau ». Son nom évoque « YOBEL »qui désigne la corne de bélier, le « Chofar » qui semble avoir été le 1er instrument des Hébreux  au temps du nomadisme pastoral. La fonction d'inventeur de YOUBAL est à mettre en relation avec la fonction paternelle (8) qui est au 1er plan dans les monothéismes. Je l'évoque parce que FREUD, qui disait ne rien y comprendre et ne pas l'aimer, situait la musique du coté de l'inanalysable, c'est à dire du coté de la « métaphore paternelle », donc du coté solaire.

5) la Grèce :

La place de la musique était telle à Athènes que les infractions à l'harmonie étaient punies de mort.
La mythologie nous apprend que c'est  ApoLlon qui inventa la lyre à 5 cordes. Il épousa la muse CLIO  qui inventa la  cithare et dont il un fils : ORPHEE. Celui-ci recevra de son père et d’HERMÈS, les D\ solaires,  la lyre à laquelle il ajoutera lui-même 2 cordes, créant ainsi la harpe ! Selon une tradition ésotérique ces 2 cordes supplémentaires, signifient que ceux qui suivront le VERBE (au sens où nous l’entendons par Saint Jean) atteindront la plus haute initiation, la source du Verbe elle-même. C'est la promesse  d'ORPHÉE aux hommes.
La nature entière est soumise à sa musique : les animaux féroces accourent à ses pieds, les fleuves suspendent leur cours... Il est l'auteur mythique des hymnes sacrés, des prières rituelles, et d'incantations magiques (mantras), rappel du pouvoir du Verbe et du Son. Il peut même par sa musique, charmer les divinités infernales pour obtenir d'elles le retour de sa fiancée à la vie.

Le centaure CHIRON qui apprend la musique à AESCULAPE guérit les maladies par les accords de sa lyre mais il sait aussi utiliser la puissance du VERBE et du son. Le SON est l'épée à double tranchant de l'APOCALYPSE, il peut construire ou détruire. C'est un moyen de guérison physique et de rédemption spirituelle pour celui qui sait l'employer. La boîte crânienne était appelée par les Anciens, la « Lyre d'Apollon ». Ce lieu où siège le cerveau, harmonise les fonctions de l'homme, et c'est le son, Energie primordiale, assimilable au souffle du D\ biblique, qui maintient l'homme en vie.

6) L'Islam : 

« La musique rappelle à l'homme l'acte de création, elle est une manifestation du divin » disent les soufis  qui pratiquent une écoute particulière, le « SAMA » concert spirituel où sont admis  quelques instruments et en particuliers la flûte.
A l'inverse les SUNNITES voient la musique comme un appauvrissement préjudiciable à la foi, « une clameur désordonnée des djinns ». Pourtant le « ZAR » qui signifie à la foi « esprit » et « rituel » est un très ancien rite de guérison fait de musique et de danse, sans doute venu de l'Egypte ancienne ou de l'Ethiopie (royaume de la reine de Sabba), transité par l'Islam. Son rituel trouve son efficacité dans l'association danse -musique, ce que reprendrons ou retrouverons les HASSIDIM d'Europe centrale au 17ème  siècle, y cherchant l'extase, ivres de D\ !

7) L'occident Chrétien :

reprend les traditions musicales juives et grecques. La gamme à 7 notes est associée aux 7 planètes qui émettent une musique céleste. Ainsi s'établit une communication entre terre et ciel, dont l'église est l'amplificateur permettant d'entendre distinctement musique et paroles. Et l'art des bâtisseurs opératifs romans ou/et gothiques est bien là : créer des zones de résonances qui concentrent les harmoniques. Alors la musique, art magique envoûte, fait naître des sensations hypnotiques, qu'on appellerait aujourd'hui : expansions de conscience. L'ensemble du temple est caisse de résonance, lien sonore entre le monde sensible st le monde intelligible. Les incantations harmonieuses conduisent à une prise de conscience, une recherche de la connaissance.

C'est au 7ème  siècle  que saint Grégoire introduit le GREGORIEN. Au 11ème  siècle, Pierre le VENERABLE défend le chant polyphonique ou mesuré à 2 ou 3 voix que BERNARD DE CLAIRVAUX critique. Pourtant la musique est étudiée dans les universités et appartient à la section supérieure des 7 arts libéraux : le QUADRIVIUM. (9) Les liens entre musique et géométrie sont connus.

Dans les cathédrales, l'alliance entre rythme de construction et rythme musical est une évidence : les pouvoirs symboliques de l'une et de l'autre sont en concordance. CHARTRES construite sur le rythme régulateur 6-7 en est la démonstration : ses caractéristiques géométriques reproduisent les intervalles des notes de la gamme...
Les bâtisseurs cisterciens incluent à l'intérieur de leurs constructions des vases de terre cuite qui à rendre la parole plus intelligible et aident à la résonance. Le silence des cloîtres répond à l'unité sonore de la voûte. Tous ceux qui ont visité une de leurs abbayes en ont fait l'expérience. (10)

Au symbolisme de la forme s'ajoute celui de la musique, de la vibration des voix, des rythmes qui pénètrent chaque participant et agissent sur son psychisme. Le fidèle baigne dans un égrégore de forte intensité. Modifier ces structures ne peut qu'en amoindrir la valeur sacrée.

IV : MUSIQUE ET F\ M\ :

INTRODUCTION :

Autre axiome provocateur : il n'y a pas de musique m\, il n'y a que des musiciens f\ m\.
Il n'y a pas de musique m\, pas plus qu'il y a de musique sacrée car la musique est langage sacré. Pour peu que le compositeur soit « branché », il traduit sa communication directe, intuitive  avec le divin. La musique remplit alors sa fonction réelle : conduire à la paix intérieure, à l'intériorisation, à la méditation.

La musique est à l'art royal ce que le LOGOS est à l'Univers selon Saint Jean. La valeur symbolique du phénomène sonore tient à son pouvoir de réunir les hommes quelque soient leur origine, leur langue, leur culture. Plus abstraite que le verbe, elle a une valeur universelle, ce qui est proprement à l'image de l'idéal maçonnique. En même temps, elle est quelque chose de tellement personnel, intime, qu'il est difficile d'en parler. Elle se ressent plus qu'elle ne s'écoute. En parler c'est déjà la mettre à distance, l'intellectualiser alors qu'elle est avant tout émotion.

La musique, comme le symbole, est destinée à unir. Elle crée une communication entre les hommes. En elle-même, elle n'est pas porteuse de sens, elle en est le vecteur. En touchant le coeur et l'imaginaire de l'homme, elle est avec le symbolisme un des vecteurs essentiels de la tradition. L'artiste rend compte d'un vécu, d'un ressenti qui est participation directe à l'ordre cosmique. La musique est un modèle destiné à conduire l'initié à sentir lui-même les souffles vitaux agissants.

TERRASSON dit que la musique est « art immatériel, langage magique, clef sensorielle de ce qui ne peut être cerné par les mots, invoque l'Incommunicable. N'est-elle pas l'unique possibilité d'approcher l'lnéffable ? ». Transcendant la vie, elle serait l'élément médiumnique par excellence. Elle est  « Esprit-Elévation ». Par l'émotion, elle aide l'esprit à percevoir l'incommunicable en accentuant et en précisant  les vibrations intérieures issues du texte rituel.

J'ai montré comment les nombres 5 et 7 président à la musique jusque dans la gamme. Le C\ est particulièrement concerné. Des 7 arts libéraux, dont les trois 1miers ne font  qu'un (11) ce qui les ramène à 5, la musique est le paradigme : étymologiquement ce mot dérive de « Muses » et désignait à l'origine à lui seul tous les Arts. Ce n'est que plus tard que Géométrie, Arithmétique, Astronomie qui en découle et les 3 arts de la parole s'en sont différenciés. Des 5 sens, elle concerne l'ouïe mais aussi les capacités du corps à percevoir les vibrations sonores par la transmission osseuse et  les perceptions énergétiques. L'expérience vous a tous prouvé que selon la longueur d'ondes, différents niveaux du corps résonnent : les graves au ventre, les aiguës à la tête.

HISTORIQUE :

Il est donc peu de musiques spécifiquement maçonniques même si de très nombreux musiciens ont appartenu à la F\M\, beaucoup plus proportionnellement que de peintres. De l'apparition de la colonne d'harmonie à l'invention de la reproduction sonore,  la musique en loge dépendait d'une pratique vivante. Il fallait disposer d'un ou plusieurs musiciens.

Re-situons - nous dans l'atmosphère de l'époque. Au18ème siècle le musicien est un saltimbanque. La F\ M\ en tant qu'institution va jouer un rôle capital dans la reconnaissance de leur fonction et dans la valorisation de leur place sociale, et cela dans toute l'Europe. Nous sommes à un moment où notables et intellectuels cherchent à se réconcilier. Ils sont tous nourris de musique. On n'imagine pas, aujourd'hui, l'importance majeure des pratiques d'amateurs. Ce sont tous des mélomanes, exécutants et parfois compositeurs. La pratique chorale est très développée. La musique est partout : au théâtre, à l'église, à la cour, en famille...mais il n'existe pas d'orchestres indépendants, de musiciens « libéraux » au sens où nous l'entendons aujourd'hui, et pas de concerts payants.

Apparaît à ce moment précis une co-incidence sociologique, économique et institutionnelle majeure. Il y a une conjonction historique rigoureuse entre la constitution des 1eres grandes sociétés de concert et l'émergence des 1ers cercles maçonniques. La F\M\ va naturellement devenir le « sponsor » et le lieu où les musiciens pourront exercer leur activité. Ils y trouveront l’honorabilité et entreront en même temps en M\ et en bourgeoisie, surtout en France où règne encore la suspicion envers eux. On peut affirmer que c'est la F\M\ qui a donné à la profession de musicien son aspect actuel.

Dès 1717, les chansons à thème maçonnique ou anti - maçonnique connaissent une grande vogue populaire. Le « livre des constitutions » d'ANDERSON de 1723 contient, en appendice,  le premier recueil de chansons maçonniques. En France, dès 1737, un énorme catalogue de chansons maçonniques comprenant les chants du Maître (V\M\), des surveillants, des C\, des A\, est publié. On y repère les noms de musiciens comme NAUDOT, DE CLAIRAMBAULT. A partir de 1776, les concerts publics se multiplient et les 9 loges les plus représentatives groupent jusqu'à 230 musiciens. Les oeuvres jouées ne tiennent à la M\ que par les musiciens et les compositeurs, mais pas par les oeuvres elles-mêmes. Dans un même concert, on retrouve morceaux symphoniques, d'opéra, extraits de messes et cantates. Le signe de l'importance de  la place des musiciens comme « talents » dans les loges est le fait qu'ils ne paient pas de cotisation à l'ordre, en échange de quoi ils doivent prêter leur concours en toute circonstance. Ils reçoivent commandes : les 6 symphonies parisiennes de HAYDN par exemple, lui sont demandées par le comte d'ODI pour ses « concerts des amateurs » aux Tuileries. Mais jusqu'à la fin du 18ème siècle, la musique n'intervient pas en tant que telle dans le rituel normal d’une loge. Bien que SCHEIBE, élève de BACH, note dans son recueil de chansons maçonniques, l'intérêt de la musique pour « rendre les frères plus attentifs » et les écarter des  « idées soudaines qui n'ont rien à voir dans nos tenues », seules les chansons entonnées par tous les frères trouvent place...et encore peut-être plus aux Agapes qu'en loge elle-même, sur des airs populaires avec des mélodies simples à retenir et à exécuter. Le fait de chanter ensemble, ajoutant à la convivialité et à la fraternité, a plus d'importance que la qualité du résultat… Il s'y ajoutera deux violons et une viole de gambe au centre de la table en U du banquet. Il faut dire que les instruments tiennent de la place et que constituer un orchestre n'est pas chose aisée. Les locaux ne s'y prêtaient pas vraiment. L'arrivée de l'enregistrement modifiera profondément les choses, faisant disparaître la chanson mais donnant une  présence orchestrale aisée et permanente.

LA COLONNE D'HARMONIE :

La F\M\ moderne accorde dès le début une place à la musique dans le rituel même si cette place, restée quelque peu  marginale, est remise régulièrement en question, surtout en France où la musique n'a pas l'importance culturelle qu'elle peut avoir en Angleterre ou en Allemagne...où le pupitre du musicien est souvent devenu un plateau, toujours installé à la colonne du septentrion pour des raisons rituelles.

Le terme apparaît après 1848 pour désigner un groupe de F\ musiciens formant un ensemble instrumental et \ ou vocal, différent des chansons à capella des banquets. La notion d’harmonie est un aspect central de l'idéal maçonnique. Quand elle désigne des musiciens, elle ne désigne que l'ensemble des instruments, d'abord à vent, puis à la fin du 18ème siècle tous les ensembles instrumentaux.

Le terme de colonne est peut-être d'origine militaire. On sait l'importance du vocabulaire militaire dans certains rites, en particuliers au Français. Surtout il évoque les autres colonnes du Temple, signant ainsi la distinction que la musique a eue pendant une courte période de l'histoire m\.

La colonne d'harmonie a fonction de rehausser  les tenues dans les loges en complément de l'ensemble des F\ présents. C'est la contribution d'un ou plusieurs membres à la vie de leur loge, comparable à tout autre travail : morceau d'architecture, préparation des banquets, etc... Si la pratique vivante donne à la musique une présence physique et humaine donc un plus grand respect de l'acte musical, les enregistrements donnent une bien plus grande souplesse d'utilisation et un répertoire infiniment plus vaste.

La musique vient compléter le moment rituel et doit, me semble-t-il, faire l'objet du même effort d'accomplissement que le rituel. C'est le soin mis par tous les membres de la loge dans l'application du rituel qui en fait ressortir toute la valeur. Ainsi la colonne d'harmonie peut devenir une lumière stable.

La musique est l'art d'organiser le son. Chaque note est une pierre taillée et l'ensemble des notes réalise un édifice dont la Force réside dans la densité du son, la Sagesse dans sa longueur, la Beauté dans sa hauteur. Ces pierres sont assemblées en une architecture et l'oeuvre musicale par son Harmonie, son Equilibre est bien un art royal qu'il convient de respecter en évitant les coupures intempestives autant que brutales. Ce n'est qu'en étant une architecture juste et parfaite qu'elle s'intègre au rituel. En cela le contenu de l'oeuvre doit être en harmonie avec le contenu du rituel. C'est le sens que l'on lui donne au rituel qui devrait déterminer le choix de la musique...qui a pour finalité de s'y intégrer et de le servir. Elle devrait être le souffle dans le corps du rituel : inspir - expir, son et silence. Elle vient alors seconder le V\M\ au cours de la cérémonie. La tache de celui qui à la charge de la colonne d'harmonie est de trouver dans la matière musicale ce qui peut aider au maintient de l'équilibre de la tenue en l'adaptant au moment rituel et au vécu général de la loge à cet instant. Ce qui est un idéal, donc rarement atteint, car il faut s'adapter instantanément  au temps, au geste et au caractère de la fonction rituelle. Sans oublier les difficultés techniques liées au matériel utilisé. Mais il m'apparaît essentiel qu'il s'en dégage une sensation d'unité perceptible tout au long de la tenue. C'est pour cela que je m'efforce de choisir un thème unique, soit autour d'un compositeur, d'une époque, d'un thème musical (12), ou à partir d'un événement, d'un moment de l'année (13).

L'une des plus grandes difficultés tient au silence !...qui peut \ doit savoir remplacer la musique. Isaïe ne dit-il pas que D\ n'était ni dans l'orage ni dans la tempête mais dans le murmure du silence. Je crois qu'il faut éviter tout remplissage pour permettre de garder la qualité du travail maçonnique dans son ensemble. Le silence est essentiel comme le rappelle le 1er règlement de loge connu, 1732. Sans lui le vide intérieur nécessaire à l'accueil ne peut se faire. Sans lui la musique ne peut prendre sa place dans le rituel. Pour finir, je n'ai pu résister au plaisir de citer Rabbi NAHMAN de BRASLAV : « plus grande que la parole est la prière,
                                plus grand que la prière est le chant,
                               plus grand que le chant est le silence. »

J'ai dit.

Notes :

1) Jusqu’au rock’n roll et ses dérivés obscurs et sataniques, « inversions malignes » du divin.
2) Par exemple le rapport 1-16 appelé rapport d'Osiris, est aussi l'intervalle musical de la Tierce Sol-Mi.
3) C'est un des usages possibles du cabinet de réflexion.
4) cf. Deut. 10,8 où  la tribu de Levy est chargée de faire le service du seigneur en son nom.
5) En particulier le temps et l'espace.
6) Alors que la gamme occidentale est formée de 7 notes dans l'intervalle d’une octave.
7) Mais les rythmes sont au nombre de 12.
8) A l'inverse des chinois, comme nous l'avons vu plus haut. Cette inversion se retrouve dans d'autres domaines, en particulier dans la symbolique du corps.
9) Ainsi G de MACHAUT crée le motet basé sur le principe de l'isorythmie.
10) Ceux qui ont visité la CHAISE-DIEU l'ont constaté.
11) Grammaire, Rhétorique, Logique ce qui permet d'établir la référence à la symbolique de 4+3.
12) comme le chant monastique de diverses traditions, l'écossisme, etc...
13) Noel, Paques, l'initiation, etc...

BIBLIOGRAPHIE

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