GLNF | Loge : Nicolas Dalayrac – Orient de La Réunion | 14/10/2007 |
Le Bâton du Compagnon Qui a quatre pattes le matin, deux à midi et trois le soir ? C’est l’homme, qui marche à quatre pattes lorsqu’il est enfant, marche debout lorsqu’il est adulte et a besoin d’une canne dans sa vieillesse … Cette énigme, le Sphinx - selon la légende - la posait à ceux qui venait aux pyramides pour y chercher la Connaissance qui devait leur être révélée. Pour les Compagnons, ce n’est pas d’une canne qu’il s’agit mais d’un bâton de voyageur, ce genre de bâton qui peut servir à se protéger du danger mais aussi sur lequel on s’appuie lorsque l’on est las tout comme je m’appuie sur les conseils de mes maîtres dans ma recherche initiatique. Il est tout à la fois la canne du pasteur ou la houlette du berger et un signe de commandement comme l’est le bâton des maréchaux ou la crosse de l’évêque. Il est aussi le symbole de la puissance divine transmise comme le fut le bâton de Moïse qui frappa le rocher pour en faire jaillir l’eau qui apaisa la soif de son peuple ou ouvrir la mer Rouge pour lui permettre de fuir la tyrannie des pharaons. Que de symboles depuis le cabinet de réflexion ! Celui-ci est extraordinairement riche : ce bâton, bien planté à la verticale me rappelle aussi la perpendiculaire, l’axe du monde. J’avais 6 ans lorsque mon père nous a fait quitter l’Europe ma mère et moi pour nous emmener en pleine Afrique Centrale où il s’est installé. Nous avions une maison dont la parcelle était seulement limitée sur trois côtés par la ligne de défrichage de la forêt. Devant c’était la rizerie. La prise de poste se faisait le matin à 7 heures. Les travailleurs répondaient à un tam-tam énorme dont le son pouvait porter à plusieurs dizaines de kilomètres. J’étais arrivé de quelques mois que le contremaître m’avait montré comment frapper le message et depuis, je me levais tous les jours suffisamment tôt pour battre l’appel. Tout enfant, j’avais l’impression de communiquer avec l’au-delà par des moyens mystérieux. Peut-être est-ce à ce moment que ma quête de l’invisible à commencé ? Je ne voyais que rarement mes parents car, ils étaient fort occupés et je prenais mon déjeuner seul. L’après midi était pour moi le moment de la découverte. Je partais à pied sur les chemins de forêt, explorant les environs. J’ai surtout été fasciné par les berges du fleuve et la jungle qui l’entourait. J’y ai rencontré des personnages simples et riches d’enseignements, ressenti ces choses mystérieuses que la forêt transmet à ceux qui peuvent les percevoir. J’étais seul mais j’ai appris en regardant autour de moi, et ce que je ne pouvais déduire de l’observation est venu de l’intuition… un bâton de compagnon avant la lettre, qui m’a évité des dangers et protégé de ceux-ci, un bâton qui m’a aidé sans que j’en sois conscient. Enfant, je m’appuyais déjà dessus sans le savoir car le bon sens qui me faisait éviter de toucher quelque chose est venu avec la connaissance de ses dangers mais aussi de l’intuition qu’il y en avait … Que de temps perdu, que d’occasions manquées, que de fautes commises … Enfant unique, je suis devenu et resté un solitaire. J’ai perçu et ressenti le monde plutôt que de l’avoir appris. J’ai commis beaucoup d’erreurs, blessé beaucoup de gens, parlé souvent beaucoup trop vite, raté des tas d’occasions, et surtout celles de faire plaisir à quelqu’un. Tout cela, je le fais encore bien plus souvent que je ne le voudrais. J’ai souvent pensé à moi, très peu pensé aux autres et cela ne m’a guère préoccupé pendant de longues années. Mon univers ? C’était moi … la noosphère ? … on verrait plus tard ! Mais j’avais soif de connaissance et de découverte … Adolescent, j’ai lu la bible, ancien et nouveau testament, mais aussi le coran. J’ai dévoré la mythologie Grecque et Romaine, lu l’histoire des Templiers et des Rose-Croix et même Fulcanelli, auquel j’admets ne pas avoir compris grand-chose. En Afrique centrale, l’absence de lumière offre des nuits magnifiques, alors j’ai passé des heures le nez en l’air à contempler les étoiles. Le choc fut lorsque je me mis à piocher les manuels d’astronomie et à réaliser que cette merveilleuse horloge devait forcément avoir un horloger. La soif de spiritualité m’est venue tôt et je me suis lancé dans la quête. J’étais peut-être déjà compagnon avant l’âge, moi qui avançais en zigzags, explorant toutes les vérités qui me paraissaient plausibles, mais qui revenait sans cesse vers cet horloger que je n’ai eu de cesse d’appréhender comme on essaie de toucher un mirage. Avec ce bâton-outil que j’utilisais sans le savoir, j’ai marqué mes pas, mesuré des angles et des distances, pris des repères et des hauteurs. Il m’a fait découvrir une valeur universelle : celle de la parole donnée. Les autres sont plus floues : c’est le clan plutôt que la famille, le village plutôt que la patrie, l’aumône plutôt que la fraternité. Mais la parole donnée, tout le monde sait, sent intimement ce que cela veut dire et ce que cela appelle … et tenir ma parole, je l’ai toujours fait même si parfois, ce fut trop tard. Vint la maturité … tardive, très tardive même dans mon cas, le midi de ma vie et la découverte d’une voie. Ce fut l’entrée en F\ M\ et l’ouverture sur un monde qui se disait aux antipodes de ce que j’avais connu. Oh, je ne me fais pas d’illusions … la F\ M\ est une aventure humaine, et que ce soit dans une loge ou ailleurs, j’y rencontre les travers humains dont j’ai bien ma part, ceux qui font que l’on oublie que l’on est sensé construire ce temple qu’est l’humanité pour se préoccuper de ses petits problèmes personnels. Même ici, dans ce temple ou notre part de divin devrait nous faire construire l’Humanité avec un grand « H », les honneurs, l’apparat, les appellations ronflantes et les querelles d’argent ou de clocher ont leur place. Même ici, nous pensons parfois qu’il vaut parfois mieux être seul à avoir raison que de rechercher le vrai consensus. Humains nous sommes et humains nous resterons, moi y compris ! Mais les humains, s’ils sont parfois capables du pire sont aussi capables du meilleur. Notre ordre bien imparfait reste le seul endroit ou j’ai trouvé un bâton sur lequel je m’appuierai pour le reste de ma route. Oh … c’est bien un bâton droit et ferme comme tout bâton qui se respecte mais par endroits rude et noueux. Je devrai apprendre à m’en servir car il ne fait pas toujours ce que je penserai qu’il fera. Parfois même, il glisse et me fait perdre l’équilibre … mais j’apprends à me rattraper … et quel levier ! Compagnon, je reçu les outils et le bâton afin que je puisse œuvrer utilement sur d’autres chantiers et je pris la route. Le V\ M\ qui tenta de me retenir sait que je reviendrai. Fragile de mes expériences et de mes doutes, de ma vie bien remplie et de ce qu’il me reste à faire pour que de midi à minuit, je me tourne maintenant vers les autres. Si je ne vous ai pas, mes frères, sur quel bâton pourrais-je m’appuyer et quel bâton me soutiendra lorsque je serai las et me défendra dans mon voyage ? Mes Frères, je sollicite votre indulgence pour cette planche bien imparfaite. Merci de m’avoir écouté. J’ai dit, Très Vénérable. J\M\ C\ |
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