Obédience : NC | Loge : NC | Date : NC |
«Ma
Sœur, je vais vous donner
maintenant une preuve de confiance. Elle est constituée par la
communication
d’un mot de passe qui conduit au degré auquel vous aspirez à être
admise. Le
mot de passe est Schibboleth ». Un mot de passe est un mot dont la
connaissance délivre un passage, qui
permet de franchir une limite fermée à ceux qui ne le possèdent pas. Il
donne
la clef pour permettre à un individu de rejoindre ceux qui sont du même
cercle
que lui. Il y a donc ici l’idée de sécurité, de secret, de mystère. Alors pourquoi faut-il
un mot de passe à la compagnonne, alors que l’apprentie n’en possède
pas ? La compagnonne est sortie d’une
longue période de silence,
pendant laquelle elle a observé le rituel et le travail en Loge et a
été
instruite par la seconde surveillante et les autres sœurs. Au grade de
compagnonne, ce travail d’introspection, réalisé dans la solitude et
l’obscurité, devient un travail avec les autres, dans l’immensité du
monde et
du cosmos. La compagnonne a le devoir de faire pousser le germe déposé
au fond
d’elle-même dans cette première étape, et ce travail passe
obligatoirement par
une extériorisation, par des voyages, à la recherche des connaissances
nécessaires pour comprendre le monde. Alors l’obligation de se faire
reconnaître par les autres s’impose. Par ailleurs, la compagnonne
entame un cycle de travail de
création, de participation active et concrète à l’œuvre commune. Le mot
de
passe permet de franchir une étape, de découvrir de nouveaux horizons. Dans le langage commun, un
schibboleth est une phrase ou un mot qui ne
peut être utilisé ou prononcé correctement que par les membres d'un
groupe,
c’est un signe de reconnaissance verbal. Selon le Littré,
c’est aussi signe de difficulté, de la capacité ou non à subir une
épreuve. Ce mot étrange que nous découvrons
un peu interloquées lorsque la VM nous
le révèle à l’Orient avant la cérémonie d’augmentation de salaire, est
un mot
issu de l’hébreu ancien qui signifie « épi » ou
« nombreux comme
les épis de blé », et également « fleuve »
ou
« torrent » selon les interprétations. On le trouve
dans plusieurs
langues sémitiques en dehors de l’hébreu, l’araméen, le phénicien. Le mot SCHIBBOLETH
trouve son origine dans un
épisode biblique (Livre des Juges, XII, 5-6 ) qui met en scène un conflit entre
2 tribus d’Israël,
celle de
Galaad dirigée par Jephté,
l'illustre général qui venait de vaincre les envahisseurs ammonites, et
celle
d’Ephraïm, jalouse de ce succès dont elle n’avait pas partagé les
honneurs ni
le butin. L’armée des hommes d'Éphraïm, qui se trouvait à l’ouest du
Jourdain
traversa le Jourdain vers l’est pour attaquer les Galaadites. Jephté tenta par tous les moyens
pacifiques de les calmer, mais sans
succès, il rassembla donc son armée, livra bataille aux gens d'Éphraïm,
les
vainquit. Puis, pour se garantir à l'avenir
contre de nouveaux troubles avec ses
voisins, il envoya son armée occuper les passages du Jourdain, puisque
les
insurgés devaient nécessairement traverser ce fleuve pour rentrer dans
leur
pays. Il commanda à ses soldats de tuer sur le champ tout fuyard qui
tenterait
de forcer le passage et avouerait qu'il était d'Éphraïm. Mais si le
fuyard
hésitait ou s'il niait, les soldats devaient le mettre à l'épreuve et
lui faire
prononcer le mot Schibboleth. Or les gens d'Éphraïm, par un défaut
particulier
à leur dialecte, ne pouvaient prononcer correctement ce mot, mais
disaient Sibboleth.
Cette simple différence prouvait leur origine de membres d’Ephraïm et
leur
coûtait la vie. Il en mourut selon la Bible 42000 ce jour-là. Nous allons d’abord
nous intéresser au mot lui-même pour en dégager le sens symbolique,
celui lié à
sa traduction d’épi de blé et de fleuve. Puis nous chercherons à
comprendre le
sens profond, pour notre degré, du récit biblique plutôt barbare qui
met en
scène l’exécution par la gorge tranchée d’une tribu cousine considérée
comme
« étrangère ». Le blé a de tout temps été une
céréale vitale pour l’homme. Il
nécessite de l'eau pour se développer et pousse en épis, qui possèdent
chacun
une multitude de grains, symbolisant l’abondance. C’est le cycle
éternel de la
naissance, de la reproduction, de la fécondité, ce qui nous ramène aux
mystères
d’Eleusis, dont le grand enseignement était celui de l'immortalité de
l'âme et
de son éternelle résurrection après la mort. L'épi de blé est aussi
l'emblème
d'Osiris, dieu mort et ressuscité, et nous renvoie donc à tous les
mystères qui
incluent un mécanisme de mort et de résurrection. Pour nous, maçonnes,
cela
correspond à la descente en nous-mêmes pour que la graine y meure à la
St Jean
d’Hiver, et à la renaissance en un épi à la St Jean d’été. Mais la
multitude des grains de l’épi de blé provient d’une unité : il est né
d’un seul
grain parmi de nombreux et va-t’en générer de nombreux à son tour. Le
grain,
l’apprenti, devient l’épi, le compagnon. Ainsi, après la
grenade, premier symbole végétal de l’apprenti, où les pépins, nombreux
et
serrés restent à l’intérieur du fruit sans se transformer, l’épi de
blé, second
symbole végétal, exprime le long travail de maturation du grain à
l’intérieur
de la terre pour qu’il ait la force de s’élancer vers la lumière du
dehors.
Ainsi le compagnon devra mûrir, et sa maturité lui permettra de se
réaliser au
travers du chemin qui lui a été indiqué lors des 5 voyages de la
cérémonie,
celui de sa recherche de la connaissance dans tous les domaines qui
s’offrent à
lui. De plus la notion de multitude comprise dans l’épi rappelle la
solidarité
et la fraternité entre les compagnons, de même que les épis de blé
poussent
serrés les uns contre les autres. Mais SCHIBBOLETH c’est aussi le fleuve, le torrent : le
symbole de la
traversée d’un cours d’eau est très ancien. Nous le trouvons dans le
taoïsme,
où les novices doivent franchir un fleuve lors de l’équinoxe du
printemps,
cette épreuve marquant le passage du yin au yang pour conduire à une
purification fécondatrice. Les fleuves étaient, chez les Grecs, objet
de cultes
divinisés car mystérieux, inspirant vénération et crainte. Ils
symbolisaient
l’épreuve ultime, les traverser permettait d’accéder au monde de
l’éternité et
des dieux. Le symbolisme du fleuve ou du cours d’eau est lié lui aussi
à la fertilité,
au renouveau de la vie : mourir pour renaître, mais ici avec
une notion de
communauté et de partage, qui est propre au compagnon. Durant la cérémonie d’augmentation
de salaire, lorsqu’elle prononce les
mots « passe, SCHIBBOLETH », la Vénérable Maîtresse
affirme à la
nouvelle Compagnonne son identité : elle est SCHIBBOLETH. Ce
mot lui est donné avant la cérémonie de
passage, en entier, et sans être épelé, ce qui
signifie que par cette parole, elle devient un membre appartenant à la
Loge. La
consécration qui succèdera aux voyages n’en sera que la confirmation. Le pouvoir
de création est porté par la capacité de nommer les choses et les êtres. Par le mot de passe exprimé
fortement, il y création
d’un nouvel état. A
son tour, à chaque voyage, la Compagnonne doit « nommer »
les éléments constitutifs de ces voyages figurant sur les cartouches,
mettant
ainsi en branle ce pouvoir de création. Dans le récit historique, la Bible
nous dit que les
hommes d'Ephraïm, prononçaient mal le SHIN et disaient SIBOLETH, ce qui
signait
leur arrêt de mort.
Ce n’est pas qu’ils
ne savaient pas le dire,
c'est qu'ils ne pouvaient pas le prononcer correctement. Le
Shin
de Schibboleth,
l’une des trois lettres
mères de l’alphabet hébraïque, signifie feu intérieur et est le symbole
de
Shaddaï, un des noms de Dieu. En prononçant Sibboleth au lieu de
Schibboleth,
ils retiraient à la lettre SHIN son sens, donc ils niaient le lien
entre les
hommes et le divin, le chemin vertical entre la terre et le ciel. SHIN,
qui
permet et autorise le passage, permet de passer du signe au sens, du
matériel
au spirituel. La
lettre S (Samek) prononcée dans SIBOLETH, se rapporte quant à elle à la
tradition, au chemin tracé que l’on suit sans se poser de questions.
Donc les
hommes d’Ephraïm exprimaient ce qu’ils avaient appris par la Tradition,
mais
sans l’avoir approfondie ni comprise. On ne peut maîtriser que ce que
l’on est
capable d’appréhender avec justesse, de nommer. Si on ne comprend pas
bien, on
ne prononce pas bien. En même temps,
l’épisode biblique nous met en garde quant au poids et au danger de la
parole:
le compagnon sait
le poids des mots, il
en connaît la force créatrice (la vie) ou destructrice (la mort). Doté de l’usage de la parole,
il se devra d’utiliser le langage avec discernement. Associée à sa
maturité
nouvellement acquise, la parole juste est le moyen d’action du
compagnon dans
la poursuite de ses voyages. Le rituel nous indique clairement
que le premier
devoir du compagnon est de voyager,
d’aller œuvrer sur d’autres chantiers, c’est à dire de devenir lui-
même un
étranger qui sait se faire reconnaître au cours de ses voyages en disant avec justesse le
mot de passe
qui lui a été transmis en la forme accoutumée. La prise de
parole en Loge, que ce soit dans sa Loge ou au cours de ses voyages
dans
d’autres Loges, est participation à la construction collective, elle
est
indispensable à sa propre construction. A l’extérieur du Temple, cette
parole
est témoin d’exemplarité et de poursuite du travail commencé dans le
Temple. On est
maçon pas seulement
dans la Loge, mais aussi et surtout hors de la Loge. Bien apprendre à
prononcer
le mot juste témoigne aussi de l’attention et du respect portés à
autrui : il
s’agit de se mettre en lien avec l’autre pour être compris. Si on devient Franc Maçon par
l’initiation, on le
demeure par sa parole juste et par son comportement de tous les
instants… Ainsi, s’il peut paraître
contradictoire que le mot de passe de la
compagnonne, qui doit vivre et faire vivre la fraternité, l’ouverture
vers les
autres et la Tolérance universelle évoque un épisode de la bible
synonyme de
mort de l’autre, de l’étranger, il faut y voir davantage
l’encouragement qui
lui est fait de poursuivre son travail tout en se protégeant de ceux
qui ne
sont pas encore prêts à franchir cette étape. Elle doit préserver le
secret du
chemin maçonnique, qui nous le savons, est constitué d’étapes
progressives
qu’il ne faut pas « brûler. Les hommes d’Ephraïm ont
eu la gorge
tranchée car ils ont prononcé un mot qu’ils n’avaient pas la capacité
de
comprendre. Schibboleth/sibboleth forme un
couple de mots opposés qui sont liés au
couple vie / mort : schibboleth donne la vie, sibboleth entraîne la
mort. Le
mot est donc vital. Mais sibboleth est contenu dans schibboleth : ainsi
le mot
juste qui donne la vie révèle un supplément d’'être, mais le mot faux
qui donne
la mort est contenu dans le mot juste. De cet épisode de la Bible se
dégage une leçon
essentielle : le savoir ne suffit pas pour progresser vers la
lumière : il faut aussi avoir la connaissance du sens profond
du symbole.
On ne demande pas à l’impétrante si elle « sait » le
mot de passe
mais si elle le « connaît », donc on établit
clairement une
différence entre Savoir et Connaissance, c’est-à-dire que l’on demande
à la
compagnonne, non pas de réciter un mot, mais d’en avoir la
compréhension. Enfin il faut souligner que Jephté,
le
héros de Galaad, était issu de la tribu des Ephraïmites, son père étant
d’Ephraïm. Il est donc la synthèse des deux origines, Ephraïm et
Galaad… Schibboleth relie ce qu'il semble séparer. Les 2 rives
représentent le monde matériel et le monde spirituel qui, bien
qu'apparemment
séparées, forment un tout. Jephté, dont le nom signifie « il
ouvrira, il
libérera » est le gardien du passage. Schibboleth est la clé qui permet
l’émergence d’un élément qui
nous transcende, l’accès à une autre dimension. Le fleuve est
l’obstacle à
franchir, à la fois séparation et passage entre deux territoires. C’est
en le
traversant qu’on passe d’une rive à l’autre, c’est-à-dire
symboliquement de la
vie à la mort, du matériel au spirituel. Il nécessite un sésame pour le
traverser. Dans le franchissement de la Mer Rouge, ce fut le bâton de
Moïse.
Pour les Grecs et les Egyptiens, c’était la barque. Dans l’épisode des
Juges,
le mot de passe Schibboleth permet le passage de la mort à la vie
seulement si
on l’utilise avec justesse. |
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