GLNF Loge : NC 21/07/2008

Les cinq sens
Compagnon, 5 ans

C’est lors de son premier voyage que le futur compagnon est appelé à méditer sur les cinq sens.

Muni d’un maillet et d’un ciseau qu’il tient dans la main gauche, il fait un tour du temple en effectuant de la main droite le signe de l’apprenti.

Arrivé  à l’ouest, à la fin du voyage, il s’arrête à la colonne beauté et lit le cartouche où est inscrit : vue, ouïe, toucher, odorat et goût.

Au cours des explications  qu’on lui fournit, il apprend que le ciseau représente les connaissances acquises durant l’apprentissage et que le maillet symbolise l’énergie agissante qui les met en œuvre. C’est grâce au maillet et au ciseau que la pierre sera changée en cube digne de prendre place dans l’édifice de la franc maçonnerie.

Mais comment travailler la pierre si on n’en connaît pas les aspérités ?

« Avant tout, le maçon qui veut approcher de la perfection doit chercher à se connaître lui-même » il faut apprendre à bien connaître sa nature profonde pour ne pas se mentir.

Pour être un bon ouvrier, il faut développer les cinq sens car ils constituent le moyen de contrôle indispensable pour la recherche de la vérité, de même qu’ils sont les outils nécessaires à la prise de contact avec l’extérieur.

On peut se demander en  quoi les sens peuvent bien être nécessaires pour une connaissance de soi ? Faut-il envisager la connaissance sensible dont il est question comme le symbole d’une connaissance profonde ?

« Le grand architecte nous a doté de sens pour transmettre à notre intelligence la perfection de ce qui est au dehors, comme au dedans de nous »Il existe une correspondance entre les sens physiques et les sens de l’âme.

Il nous faut développer nos sens afin de se connaître et de faire disparaître nos imperfections.

De ce que je connaisse à ce jour du rituel de la maçonnerie bleue, le passage de compagnon est le seul cas où il soit fait mention des cinq sens.

Toutefois, on ne saurait dire que les références implicites soient inexistantes par ailleurs.

C’est à « ses signes, paroles et attouchements » qu’on  reconnaît un Maçon » les signes s’adressent à la vue, les paroles à l’ouïe, les attouchements au toucher.

L’ordre de mots correspond à celui du  cartouche lu au pied de la colonne beauté. Il semble que la vue soit placée volontairement en premier sens avant l’ouïe.

Cette priorité accordée à la vue peut sans doute s’expliquer par la nature de la franc maçonnerie où l’accession  à la connaissance se comprend symboliquement comme réception de la lumière.

L’œil situé au centre du delta lumineux confirme une fois de plus la primauté accordé par la franc maçonnerie au sens de la vue.

En loge, c’est au Vénérable que s’accorde la lumière et donc ainsi la vue, tandis que l’orateur s’accorde l’ouïe (il est le dernier à parler, il est celui qui a écouté jusqu’au bout).

Enfin remarquons que deux sens sont particulièrement négligés dans le rituel : celui du goût, lequel n’entre en jeu qu’une fois au premier degré, lors de l’absorption du breuvage d’amertume et celui de l’odorat, lequel n’est jamais requis pour ce que je connaisse du rituel.

Moyens d’approche de la réalité, les cinq sens sont des chemins menant vers la connaissance ; connaissance de soi, connaissance des autres, connaissance du monde extérieur.

Les organes sont des récepteurs d’informations capables de nous renseigner sur les formes, les volumes, les couleurs, etc., et ainsi d’appréhender la réalité d’une chose ou d’un être en nous livrant diverses caractéristiques.

 Avec le développement de son intelligence, l’homme tend à se libérer  des données brutes communiquées par ses sens. Ceux-ci sont progressivement secondés et façonnés par le raisonnement et par des éléments socioculturels. L’esprit opère comme le filtre et l’interprète des messages transmis par les organes des sens.

Instrument de connaissance, les cinq sens permettent aussi la communication avec autrui.

Le message sensoriel est donc souvent chargé d’une dose d’affectivité. Les sens ouvrent la voie de l’émotion esthétique, de l’amour, de la foi.

L’être aimé représente simultanément une image visuelle agréable, un parfum, un son de voix harmonieux.

Il se produit entre la réception sensorielle et sa traduction au niveau de l’intellect un cheminement dialectique qui explique que, si les jugements de valeur se forment souvent à partir du témoignage des sens, en retour l’opinion que nous nous sommes forgés de l’objet rétroagit sur la représentation physique de nos sens. Autrement dit nous aimons quelqu’un pour sa beauté et nous le trouvons beau parce que nous l’aimons.

Il existe une correspondance entre les cinq sens traditionnels et certaines facultés de l’esprit humain.
- Ainsi à la vue au sens physique du terme correspond souvent la clairvoyance. Il y a des visionnaires mais aussi des raisonnements à courte vue.
- A l’ouïe correspond l’écoute voire la compréhension, c'est-à-dire une attitude mentale de disponibilité et d’ouverture.
- A l’odorat peut correspondre un ressentiment tel que le flair d’un homme d’affaire.
- Au goût correspond le jugement d’ordre intellectuel, esthétique ou éthique.
- Et enfin le toucher peut correspondre au tact dans la relation avec les autres.
Outils du savoir et instruments de la communication, les sens peuvent donc constituer des auxiliaires précieux pour celui qui recherche la vérité.

Il faut maintenant se demander quel degré de confiance nous pouvons accorder au témoignage de nos sens et par extensions à nos facultés intellectuelles qui en sont les pendants spirituels. Les sens, loin d’être infaillibles se révèlent souvent insuffisants, soit même trompeurs.

Les individus ne disposent pas tous du même matériel sensoriel : personne ne voit, ne sent, n’entend de la même manière .Les daltoniens n’ont pas la palette chromatique commune. Pire, un aveugle, ou un sourd ne perçoit pas le monde qui l’entoure de la manière que nous, même si l’atrophie d’un sens est souvent compensée par l’hypertrophie d’un autre, il n’en résulte pas moins un handicap difficile à surmonter.

Les inégalités naturelles peuvent même être aggravées par l’usage inégal des mécanismes sensoriels ou mentaux.

Au début de l’humanité, l’homme était capable de prouesses olfactives, visuelles et auditives puis le besoin diminuant, la fonction s’est appauvrie et l’organe limité.

Les sens sont donc des moyens incomplets et relativement peu fiables : pire, ils peuvent nous induire en erreur.

Nous pouvons être un jour victime d’hallucinations auditives ou visuelles soit par le biais malheureusement de pathologie soit tout simplement par des truquages au cinéma, ou par une peinture en trompe l’œil par  exemple.

De façon identique, dans l’exercice de la vie spirituelle, il n’est pas rare de commettre des erreurs dues à des sympathies irraisonnées, des intuitions incontrôlées, des conclusions trop hâtives. Les sens sont trompeurs parce qu’ils appartiennent au domaine des apparences. C’est pourquoi il convient sans doute d’équilibrer en nous perception et raisonnement, expérience vécue et doute méthodique.

Le maçon doit s’efforcer de développer au maximum ses capacités (les cinq sens) sans se dissimuler que pour progresser il doit travailler en acceptant les critiques et les conseils. C’est à ce prix qu’il pourra intégrer son travail à l’œuvre commune en conformité avec ses possibilités.

Certains êtres possèdent des dons exceptionnels qui leurs permettent d’avoir des visions ou de se projeter dans l’avenir. L’inspiration est une projection des sens dans le temps, on parle alors de pressentiment, de prévision.

Afin de développer l’acuité des sens, on observe parfois l’emploi de techniques naturelles –jeûne, solitude, obscurité sont des procédés que l’on retrouve chez Mahomet comme chez Jésus., d’autres emploieront des techniques artificielles telles que l’absinthe que Verlaine appelée sa fée verte.

Ses êtres vont développer un nouveau sens qui regroupe à la fois les cinq sens traditionnels  et que l’on nomme simplement le sixième sens. On dit symboliquement que ces individus sont dotés d’un troisième œil.

Mais pour la plupart d’entre nous, il peut nous arriver durant quelques rares instants d’avoir ce sixième sens mais nous devons l’accueillir avec prudence et humilité. Si parfois nous pouvons nous dévier du côté de l’imagination, il nous faut revenir rapidement du coté de la raison. Grâce à ce type de démarche, jointe à une attitude de tolérance,  le maçon peut espérer s’appuyer sur les cinq sens traditionnels pour déchiffrer, par delà le visible, l’invisible.

J’ai dit.

A\ A\


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