Obédience : NC | Loge : NC | 03/03/2010 |
La Franc-Maçonnerie peut-elle changer le monde ? En guise d’introduction, laissez moi vous exposer ce qu’Oswald Wirth dit : « La Franc Maçonnerie est appelée à refaire le monde. La tâche n’est pas au-dessus de ses forces à la condition qu’elle devienne ce qu’elle doit être ». Il a raison mais je ne suis pas d’accord. En effet, je prends le risque de dire que la Franc-Maçonnerie ne peut pas changer le monde. Je prends le risque de dire que je n’arrive pas à relier Temple et Monde profane. Comment dois-je interpréter qu’il faille « enfermer nos Secrets dans un lieu sûr et sacré » d’une part, et que notre idéal doive « inspirer notre conduite dans le monde profane, guider notre vie ». La distance affichée entre sacré et profane m’apparaît comme infranchissable. Je mesure tous les jours un peu plus la difficulté de mettre en pratique la tolérance que je vis dans nos tenues. Je m’efforce d’écouter, de témoigner de l’empathie envers mes collègues, mes amis, ma famille. Mais je n’arrive pas, quand l’Autre devient adversaire par choix, à rester réfléchi et posé. Les bonnes résolutions sont oubliées, les raisonnements rationnels sont balayés. Se retrouver face à une personne haineuse, ou malhonnête, fragilise l’homme que je suis. Et à ce moment précis, le Franc-Maçon a du mal à réapparaître. Pourtant, comme le dit Rudyard Kipling dans son magnifique poème « Si », je dois « me défendre sans haïr à mon tour ». La Franc-Maçonnerie m’apparaît futile, ou plutôt inadaptée, face à ces situations où la parole et l’écoute ne sont plus, alors que dans le même temps elles sont les meilleurs moyens de se comprendre, ou au mieux de se respecter dans la différence. Est-ce l’Homme qui n’est pas à sa place, ou la Franc-Maçonnerie qui ne peut pas proposer une solution ? Sans doute les deux car tout n’est pas blanc ou noir. Ainsi, même si nous partons du principe qu’un Homme de bonne volonté peut être réceptif, nous ne pouvons pas appliquer avec lui les outils et la méthode maçonnique. Il ne peut pas a priori apprécier la portée des symboles et de leurs significations intrinsèques, non pas par manque d’intelligence, mais simplement parce qu’il n’est pas dans la démarche d’évoluer. La Franc-Maçonnerie est destinée aux personnes de bonne volonté, certes, mais qui sont désireuses de se perfectionner. Le monde veut-il se perfectionner ? Ou alors faut-il qu’on l’incite à se perfectionner ? Le changement est-il alors une utopie dans le cas de ma planche ? Faut-il que la Franc-Maçonnerie abandonne ce noble but ? Et si changement il y a, il faut alors s’interroger sur qui ou quoi est capable de la changer. Prenons la constitution américaine. Elle a été rédigée par un groupe de personnes, et plusieurs d’entre elles étaient des Franc-Maçons. Ces hommes étaient tous animés de la même volonté de rédiger un texte régissant une société dans la paix et l’harmonie. Pourtant, faut-il être obligatoirement Francs-Maçons pour faire aboutir les grands projets ? Nous connaissons tous des Hommes non franc maçons qui sont d’une grandeur d’âme et d’une sagesse utiles à la réflexion et la perfectibilité de l’humanité. Souvenons nous par exemple de Robert Badinter et de son discours sur l’abolition de la peine de mort. Ce sont les Hommes qui font avancer les choses, pas la Franc-Maçonnerie selon moi. C’est mon intime conviction. Le rituel nous demande de « finir au dehors le travail commencé au-dedans ». L’Homme a toujours le choix, l’Homme est maître de lui et de l’utilisation des outils qu’il emploie. Le sujet d’étude est vaste : étudier tous les moyens offerts à l’Homme pour refaire le monde n’est pas chose aisée. Je choisis donc maintenant d’explorer uniquement comment la Franc-Maçonnerie peut aider le Franc-Maçon à se changer et par voie de conséquence changer le monde. En premier lieu, le Franc-Maçonnerie a à sa disposition la démarche maçonnique, qui doit mener à la maîtrise de soi. Le travail d’Apprenti et le travail de Compagnon prennent tous leurs sens en encourageant la déconstruction, puis la reconstruction de soi, induisant la possibilité d’appréhender le Monde dans sa globalité avec Vérité et Efficacité. Mais attention, la tâche est ardue, et les exigences nombreuses pour qui veut faire un travail de qualité. Sans dévoiler les secrets des degrés suivants, à l’action du cerveau (au stade d’Apprenti) doit s’ajouter l’action du cœur (au stade du Compagnon), et le Franc-Maçon peut alors parcourir le monde et agir avec discernement, sans se limiter à une spéculation intellectuelle pure car la réflexion seule mène à la stérilité si elle n’est pas destinée à être appliquée. Ensuite, il faut approfondir en continu la recherche et la réflexion. Cela passe par l’écoute d’autrui, vecteur principal de l’initiation. En effet, la Parole donnée est reçue, analysée, comprise, contredite afin d’avancer vers la Véritée. Une qualité nécessaire à cette étape de la démarche maçonnique est la Tolérance, et plus précisément celle qui permet d’aller chercher chez des « adversaires » supposés honnêtes dans leurs démarches des idées contradictoires. Alors, il faudra perdre toute illusion et avoir une vision pénétrante des choses afin de ne pas se laisser abuser par l’apparence. Enfin, il faudra exercer la Maîtrise, et remplir notre rôle de citoyen. La boucle est bouclée : notre travail particulier doit déboucher sur nos actions collectives. Le Franc-Maçon peut influer sur le monde. Le Franc-Maçon doit passer de l’Equerre au Compas. Il doit passer de la rectitude, en respectant l’instruction maçonnique, au Compas, outil de la décision, en tenant compte des relativités. Mieux même, il doit travailler à réunir les deux ! Se réunir, voilà quelque chose que nous faisons en ce moment : nous nous écoutons, nous écoutons les planches de chacun d’entre nous. N’est-ce pas déjà un changement de notre monde personnel ? Nous travaillons, nous nous influençons, nous nous construisons, et nous influençons notre entourage obligatoirement. A ce stade de ma planche, il est essentiel de s’attarder quelques instants sur le Rituel. Le rituel est la base, le socle de notre démarche et de notre progression. A chaque lecture apparaît une couleur différente, une explication supplémentaire qui nous enrichit, nous fait réfléchir, nous conforte dans notre démarche. C’est « pour mettre une fin salutaire à nos passions que nous nous assemblons dans nos Temples ». C’est parce que « nous travaillons sans relâche à notre amélioration », c’est parce que « nous accoutumons notre esprit à ne concevoir que des idées d’honneur et de vertu…à l’aide de l’Outillage Rationnel » que nous pouvons essayer de donner le meilleur dans le monde profane. D’ailleurs, le Franc-Maçon ne doit-il pas « travailler au bonheur de l’Humanité » ? Ne devons nous pas comme dit lors de notre initiation « faire aux autres tout le bien qu’il pourrait nous faire à nous-mêmes ». En conclusion, le non que je vous ai soumis au début de ma réflexion était certes réfléchi mais provocateur par choix. Le monde profane et le sacré ne pouvaient pas se rejoindre, et le contact entre l’Homme et le Maçon est souvent mince voir inexistant. Mais pourtant, par transitivité, le Maçon travaille et termine au dehors ce qu’il a commencé au-dedans, puis l’Homme nouveau, bonifié, influe à son tour par ses actions sur les Hommes profanes. Sous réserve que cette transmission se fasse avec modestie, humilité, et sans vanité d’aucune sorte, tel est le chemin de l’amélioration de l’humanité que les Franc Maçons veulent et espèrent. Voici ma conviction, si évidente à mes yeux, que je ne peux pas encore expliquer les raisons de cette certitude : cela relève de ce que vous avez déjà ressenti j’en suis sûr, cette sensation que ce que vous faites vous mènera à quelque chose de beau, de bon, mais sans savoir véritablement pourquoi ni comment. La Franc-Maçonnerie ne change pas le monde, mais elle a changé et change encore mon monde. Additionner tous les mondes de chacun des Hommes et vous aurez une chance de retrouver l’Humanité toute entière. Aussi, j’ose reprendre à mon compte les paroles d’introduction d’Oswald Wirth pour terminer cette réflexion incomplète qui j’espère ne laissera pas de doute sur mon implication et ma détermination à travailler sans relâche. « Le Franc-Maçon est appelé à refaire le monde. La tâche n’est pas au-dessus de ses forces à condition qu’il devienne ce qu’il doit être ». Une dernière chose : laissez moi vous faire part d’une expérience toute récente pour finir mon propos de ce soir. Peut être l’avez-vous vécu récemment vous aussi. En me rasant ce matin, je me suis retrouvé devant ma glace de salle de bains, face à moi-même, comme pendant la cérémonie d’initiation. Je n’y ai pas trouvé mon pire ennemi, mais un ami, encore timide, courageux mais pas téméraire. Le changement est mince je vous l’accorde. Mais en y réfléchissant bien, se considérer comme un ami, même dubitatif et ne sachant pas encore comment influer positivement sur l’Humanité, me réconforte dans cette certitude que si le Franc-Maçon peut se changer, grâce à la Franc-Maçonnerie, alors il peut changer le Monde. Vénérable Maître, j’ai dit. W\ |
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