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L’étoile flamboyante Lorsque notre V\ M\ et mon premier surveillant m’ont demandé de leur proposer un sujet de planche, je n’avais alors en tête aucune idée particulière, contrairement aux fois précédentes ; j’ai donc pris mon Jules Boucher, et je me suis mise à parcourir la table des matières, en quête d’inspiration. Elle est très vite venue : quel beau nom en effet que celui d’« étoile flamboyante », suggérant simultanément le céleste, la beauté, la lumière et la force ! En outre, si ce nom a frappé à ce moment-là mon regard et mon esprit, c’est sans doute qu’il devait faire écho en moi à quelque chose qui n’avait pas encore affleuré à ma conscience et lui demeurait caché ; il convenait donc de tenter de cerner ce dont il s’agissait, avant même de m’immerger dans des recherches livresques. Enfin, l’étoile flamboyante est le guide des compagnons dont je suis, aussi était-il bienvenu que j’en sache un peu mieux sur elle. Mais je dois l’avouer, il m’a été très difficile de la comprendre, car pour une fois, les ouvrages que j’ai compulsés ne m’ont été que d’un faible secours ; sans doute n’étais-je pas prête à recevoir leur enseignement. C’est donc une réflexion toute personnelle que je vous livre, davantage faite d’intuitions que d’appuis théoriques. Symbolisme de l’étoile : Commençons par le mot étoile : alors que j’étais à l’école primaire, une collègue de ma mère institutrice me prêta un très beau livre d’astronomie ; les couleurs, la lumière des étoiles et des planètes me fascinaient, à tel point qu’à l’époque j’ai caressé l’espoir de faire mon métier de les étudier – espoir qu’il a fallu abandonner quand il devint par trop flagrant que je n’avais aucune aptitude pour la physique. Mais si l’étoile est un corps bien matériel, objet d’investigations savantes, elle est aussi un sujet de méditation et de rêverie pour les poètes. Les Romantiques et les Symbolistes, en particulier, épris d’idéal et d’absolu, ont su trouver les mots pour signifier ce que l’étoile portait en elle de puissance évocatoire. Ils ont dit sa beauté, sa pureté, mais aussi sa distance, son caractère a priori inaccessible. En tant que littéraire, j’ai été imprégnée par cette approche et par l’aspect intimidant de l’étoile ; si j’ajoute que le livre qui m’a été prêté l’a été par une religieuse, vous comprendrez que son sujet, dans l’esprit de l’enfant que j’étais, a pris une dimension sacrée et quelque peu magique. Le pouvoir que je prêtais alors aux étoiles filantes, capables d’exaucer mes vœux les plus chers, ont beaucoup fait pour renforcer cette croyance, qui me reprend encore parfois malgré mon âge avancé. Ajoutons que je m’intéresse au tarot, et que l’arcane 17, chanté par André Breton, est celui dit de l’Etoile, luminaire qui précède l’arcane de la Lune et celui, ensuite, du Soleil. Ces deux derniers luminaires se retrouvent à l’Orient, mais à l’inverse de ce qui se produit dans le Tarot, l’étoile se trouve placée entre les deux, entre principe féminin passif et principe masculin actif. Dans le tarot, l’étoile figure un principe féminin comme la Lune, mais actif, car elle a une vertu de protection agissante, qui tel un ange gardien, repousse les influences néfastes. Schématiquement, l’arcane 17 est symbole de chance, d’inspiration et de protection ; le tirer dans un jeu est toujours synonyme d’espoir. La comparaison s’arrête là, car si l’étoile figurée sur la lame est rayonnante, ce n’est pas un pentagramme. Il est à noter que dans notre temple, l’étoile flamboyante ne se trouve pas à l’orient, mais à l’entrée du temple, et à l’intérieur, en une position liminaire et supérieure, au-dessus et entre les colonnes Jakin et Boaz. Lorsque nous entrons, nous passons sous elle sans la voir ; peut-être son rayonnement a-t-il alors un effet sur nous sans que nous nous en rendions compte, au moment où nous franchissons le seuil, quand les travaux n’ont pas commencé et que le temple n’est pas encore un lieu consacré. Cette position est celle qui lui est propre lors des travaux au 3ème degré. Symbolisme du feu : Evoquons à présent la flamboyance de cette étoile : il va sans dire que toute étoile possède une grande luminosité, capable parfois d’aveugler, si l’on pense au Soleil, et même de tuer, si l’on s’en réfère à la légende d’Icare. D’ailleurs cette dernière peut être interprétée de façon symbolique : deux hommes, le père et le fils, sont prisonniers d’un labyrinthe que le père a lui-même construit. Pour s’échapper, le père, Dédale, fabrique des ailes pour eux deux, qui seront fixées par de la cire sur leurs épaules. Les deux s’envolent, le fils suivant d’abord son père, son guide ; ils volent sous le soleil, mais bientôt le fils aspire à rejoindre ce dernier, abandonnant son père qui sagement maintient une distance à la fois entre la terre et les cieux, une voie moyenne, celle de l’humain qui connaît sa part de divin le soustrayant à l’emprise de la terre et de la matière, mais qui ne prétend pas tout de suite se fondre dans la lumière qui l’éclaire. Icare, par contre, dont on pourrait dire qu’il a reçu la lumière initiatique (figurée par les ailes qui permettent de s’extraire du profane et de la matière) mais qu’il a choisi de voler de ses propres ailes trop tôt, s’approche seul et sans guide de la flamme suprême. Il n’est pas réellement consumé ; c’est bien plutôt la cire de ses ailes qui fond, et lui s’abîme dans la mer, à la fois dans la matière et l’origine, sans avoir eu la chance de vivre sa vie d’adulte (autrement dit d’initié). Icare n’a pas écouté son père ; et pour la petite histoire, son père, Dédale, était un architecte… La flamboyance peut être synonyme de vie, car elle signifie la chaleur, peut-être celle du vrai foyer, mais elle peut aussi détruire. Rappelons la belle maxime de La Rochefoucauld : « Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement ». La mort et l’étoile ne sont pas antinomiques : de fait, nombre d’étoiles brillantes sont en fait des astres défunts, dont les derniers éclats nous parviennent à travers l’espace et le temps. La flamme qui consume le vieil homme, lui apporte la mort pour une nouvelle naissance, vient peut-être de l’étoile flamboyante. Mais le feu ne signifie pas seulement chaleur, pour le meilleur comme pour le pire ; il est également synonyme de lumière ; or l’étoile flamboyante, de par son rayonnement, apporte au compagnon une flamme qui l’éclaire est le guide sur son chemin. Le terme « flamboyante » me ramène à un autre élément du temple et du rituel, je veux parler de « l’épée flamboyante ». Cette épée repose à l’Orient, auprès du Vénérable Maître ; celui-ci s’en sert pour confirmer le récipiendaire dans son nouveau statut d’initié. Les courbes de la lame reproduisent le mouvement de la flamme, qui ainsi figurée, représente le dissolvant alchimique qui sert à dégager l’or ou la pierre philosophale de la matière vile ; c’est par le feu que la matière pure se révèle. L’épée prolonge le pouvoir et l’autorité du Vénérable Maître, l’étoile le surplombe, comme pour l’inspirer et le guider. Toutes deux purifient la matière et l’esprit. Il convient donc de s’interroger sur l’élément feu, car si les quatre éléments sont présents dans le symbolisme de l’étoile flamboyante, le feu est celui qui émane d’elle. Selon Héraclite, c’est l’élément originel, primordial ; certaines traditions le rapprochent aussi du cinquième élément, l’éther. Sa nature divine apparaît dans le mythe de Prométhée, un Titan, c’est-à-dire un être intermédiaire entre les dieux et les hommes. Il eut pitié de ces derniers, qui avant son intervention vivaient dans la peur et le chaos ; il déroba donc le feu aux dieux pour l’offrir aux hommes qui, doté de cet élément divin, purent progresser et créer la civilisation. C’est que le feu donne la chaleur et la lumière, il est un rempart contre les ténèbres – et ceci peut bien sûr s’entendre au sens figuré. Il est fondamentalement ambivalent, car il est à la fois synonyme de vie et de mort ; non domestiqué, il peut tout dévorer sur son passage. Lorsque l’homme a maîtrisé le feu, il a accédé à la divinité qui reposait en lui, ou alors l’a gagnée, tout en sachant que c’était là quelque chose qui lui échapperait toujours pour partie. Il a compris que le feu était purificateur, et régénérateur. On le voit dans le mythe du phénix : cet animal légendaire, arrivé au terme de sa vie, se consume dans les flammes, mais renaît oisillon de ses cendres. Ainsi pourrait-on dire, pour nous maçons, que le vieil homme meurt et renaît à la vie, ni tout à fait un autre, ni tout à fait le même. Autrefois, dans les campagnes, on fertilisait le sol avec des cendres ; c’est dire que ce qui peut paraître mortifère a des vertus génératrices. Mais autrefois aussi, on brûlait les hérétiques et les sorciers, pour les purifier du « mal » ; en réalité, c’était un instrument perverti par des religieux dogmatiques pour annihiler ceux qui leur opposaient un contre-pouvoir, soit celui d’une sagesse antique et païenne, soit celui d’une pensée libre et ouverte sur l’avenir. On voit par là que le pouvoir du feu peut être utilisé à bon comme à mauvais escient par l’être humain. Et son ambivalence profonde, qui lui est propre indépendamment de l’usage que l’homme en fait, doit nous maçons nous interpeller : qu’allons-nous faire de ce feu, à nous généreusement dispensé par l’étoile flamboyante ? Allons-nous simplement nous y réchauffer, où allons-nous nous y brûler ? Allons-nous jalousement le garder pour nous, ou allons-nous le dispenser autour de nous ? Selon moi, le maçon doit garder la juste mesure : apprendre, graduellement, ne pas vouloir aller trop vite, et quand il aura ressenti en son sein l’action bienfaisante de l’étoile flamboyante, transmettre sans arrogance cette flamme révélée. Car l’ambivalence du feu nous invite à la prudence : il y aurait trop de présomption, trop d’hubris comme disaient les Anciens à croire que nous maîtrisons entièrement cet élément, même à un niveau avancé de notre parcours maçonnique. Le divin dont participe le feu est notre but dernier, mais si nous faisons preuve d’un peu de sagesse et d’intelligence, nous savons que nous pouvons y tendre comme une asymptote, mais comme une asymptote, de par notre nature humaine, trop humaine, nous sommes condamnés à ne jamais l’atteindre. L’approcher au plus près, c’est déjà un dessein bien noble, et c’est le nôtre à nous maçons. Symbolisme du chiffre 5 : L’étoile flamboyante est un pentagramme, elle a cinq branches, dont les pointes représentent les quatre éléments traditionnels (le feu, l’eau, l’air, la terre), et le cinquième, la quintessence, l’éther ou l’esprit (en haut, c’est-à-dire entre le ciel et la terre). Le pentagramme est un symbole de protection et de méditation ; on s’en sert notamment en magie cérémonielle ; on peut donc imaginer qu’elle veille sur les maçons au cours de leurs travaux. On peut se demander pourquoi ce n’est pas un hexagramme, une étoile à six branches, puisque celle-ci est aussi appelée « sceau de Salomon », Salomon qui construisit le premier temple hébergeant l’arche d’alliance, dont le temple maçonnique se veut un reflet. Cela s’explique peut-être par le fait que l’étoile à six branches symbolise le macrocosme, l’univers, tandis que l’étoile à cinq branches figure le microcosme, soit l’humain. Et même s’il est dit que le dernier est à l’image du premier, la distinction a un sens. Ce sont des travaux bien humains qui se déroulent en le temple, même si la voûté étoilée est là pour signifier le macrocosme, et la lettre G la divinité (pour partie). L’on dit qu’avec la pointe en bas, le pentagramme représente l’homme négatif, maléfique, à tête de bouc, d’où son usage dans les cercles satanistes, alors qu’avec la pointe en haut, l’esprit tourné vers le ciel, vers la voûte étoilée, il s’agit de l’homme positif. C’est donc l’humain qui est ainsi représenté à l’orient, et cela évoque l’homme de Vitruve dessiné par Léonard de Vinci, dont la tête et les membres écartés rappellent un pentagramme inscrit dans un cercle. Ce n’est cependant pas l’être de chair corruptible, l’être mortel appelé à disparaître, mais bien plutôt l’homme doté d’une parcelle de divinité sous la forme de l’esprit en quête de sagesse et de connaissance. Pour preuve, une des significations données à la lettre G, au centre de l’étoile flamboyante, est « gnose », connaissance, et une autre, moins traditionnelle, est « God » Dieu ; ce dieu trouvé au centre du microcosme humain, c’est peut-être le secret de l’initié. Mais avant d’aborder les mystères de la lettre G, revenons au symbolisme du chiffre 5. Cinq ans, c’est l’âge du Compagnon ; lors de son élévation à ce grade, l’apprenti fait cinq voyages ; au terme du dernier, l’étoile flamboyante est allumée. C’est dire si elle est importante dans son parcours : c’est par ses rayons, renforcés par ceux de l’épée flamboyante, que l’apprenti reçoit à nouveau la lumière, et devient compagnon. La cinquième lame du Tarot est le Pape, un guide, un protecteur, et un homme de Dieu, qui participe donc du terrestre et du spirituel ; or, l’étoile flamboyante est elle aussi un guide, entre ciel et terre. Cinq, c’est aussi le nombre des sens matériels de l’humain, ceux par lesquels ce dernier appréhende le monde. Mais le cinquième élément est celui qui transcende les quatre premiers, donc qui dépasse la matière connue par les cinq sens ; peut-être figure-t-il donc une manière, d’aboutissement, d’achèvement ; cet achèvement n’est pas définitif, il y a d’autres étapes à franchir, et en premier lieu celles qui mèneront au sept, âge du Maître. On peut donc voir ce chiffre comme transitoire, le signe de l’accession à une dimension spirituelle, que nous ne faisons cependant que découvrir au grade de compagnon. Ce mélange de divin et d’humain se retrouve, comme dit précédemment, dans l’étoile flamboyante. Remarquons aussi que le chiffre 5 peut être obtenu par l’addition du 2 (principe féminin) et du 3 (principe masculin) ; il figure donc leur quintessence, leur équilibre. Enfin, le 5 est à égale distance numérique du 3, chiffre et âge de l’apprenti, et du 7, chiffre et âge du maître. Un équilibre, un sommet provisoire, une éminence d’où méditer avant de partir vers d’autres cimes. Symbolisme de la lettre G : La lettre G m’a beaucoup intriguée, car a priori j’aurais mieux compris un alpha (symbole de l’origine et du commencement) ou un oméga (la fin dernière), deux lettres qui associées sont employées pour parler de Dieu. En fait, ce dernier est bien au cœur de l’étoile flamboyante, puisque selon certaines traditions, la lettre G renverrait à God, « Dieu », comme nous l’avons dit précédemment ; on peut aussi voir en la lettre G le Grand Architecte de l’Univers, ce qui revient au même. Mais revenons aux cinq attributions les plus courantes de la lettre G : Géométrie, gravitation, génération, génie, gnose. On trouve aussi parfois les notions de gloire et de grandeur, qui peuvent être rattachées à celle de God, et celle de générosité, qu’on peut à la fois attribuer à la divinité comme à l’être humain ou à tout le moins au maçon ; cette générosité, cette chaleur tournée vers l’extérieur, est figurée par les rayons de l’étoile flamboyante. Géométrie : la Géométrie est la cinquième des sciences, et dite la plus utile au maçon par Armand Bédarride. Le fait est que lors de la cérémonie qui le sacre compagnon, l’apprenti apprend à tracer l’étoile à cinq branches simplement par l’usage du compas et de la règle ; il doit donc maîtriser cet art, et il est une sentence, attribuée à Platon et inscrite au fronton de son Académie, reprise par les maçons, qui dit : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». C’est dire si la conception du savoir et de la sagesse, entendues par Platon comme l’aptitude à appréhender l’essence des Idées éternelles, passe par la projection dans l’espace de ces dernières, donc par la géométrie. En elle se rejoignent l’abstraction et l’application concrète, l’esprit et la matière. Elle est liée à l’architecture de l’univers et du corps humain, et renvoie à l’harmonie au sein du microcosme et du macrocosme, celle que nous devons établir au sein de notre temple intérieur. Cette harmonie des proportions s’exprime dans le nombre d’or, cher entre autres aux Pythagoriciens, mais aussi à nombre de cercles ésotériques. Vous me pardonnerez, je l’espère, de ne pas vous fournir des digressions savantes sur la nature mathématique du nombre d’or (1,618), qui m’a paru bien complexe. Ce que je puis dire, c’est que le nombre d’or, aussi appelé « loi de la section dorée », intervient dans la construction du pentagramme, donc de l’étoile flamboyante. A noter qu’il s’obtient d’ailleurs grossièrement en divisant le nombre du compagnon, cinq, par celui de l’apprenti, trois. Les maçons opératifs s’en sont servis, ainsi que du motif de l’étoile, pour construire leurs cathédrales, reflets médiévaux du temple originel, et hommages rendus à Dieu vers lequel elles s’élèvent. Tout leur savoir (et cela nous amènera à la gnose) est mis en acte dans cet unique but, et c’est-à-nous, maçons spéculatifs, de poursuivre leur oeuvre en nous-mêmes. Et c’est l’art de la géométrie, art divin du Grand Architecte, qui peut nous y aider. Gravitation : la gravitation est un phénomène physique qui fait interagir les objets matériels entre eux, et plus particulièrement les astres et les planètes ; elle est rattachée à une autre loi physique, celle de l’attraction. La gravitation concerne les objets célestes, ordonne leur ballet, ainsi des planètes du système solaire autour de leur étoile fixe. L’attraction est dite terrestre, c’est le mouvement par lequel tous les êtres animés ou inanimés sont irrésistiblement renvoyés au sol et plus largement au centre de la Terre. Il est alors bien légitime de se demander ce que la gravitation vient à faire en franc-maçonnerie, d’essence spiritualiste, philosophique, symboliste et ésotérique. Nous avons vu en effet que la géométrie, pour concrète qu’elle soit dans ses applications, avait avant tout une dimension abstraite et spéculative. Il est difficile de voir dans la gravitation quelque chose d’autre que purement physique, à moins de transposer symboliquement le soleil en l’étoile flamboyante, et les planètes en les maçons qui gravitent autour d’elle. Peut-être. Et dans ce cas s’expliquerait l’attraction que l’étoile flamboyante exerce sur nous. Ce serait aussi une explication des liens qui existent entre nous frères et sœurs, malgré les différences de grades et d’obédience, qui nous unissent comme les pierres d’un même temple et font tenir ce dernier debout. Au mystère de la gravitation je n’ai pas de réponse, si ce n’est que peut-être que des attaches invisibles nous lient au Grand Architecte de l’Univers, invisibles et paradoxalement bien sensibles. Je voudrais terminer ce paragraphe sur la gravitation par une réminiscence littéraire : je crois bien que c’est dans « Voyage au bout de la nuit », de Céline, que le narrateur raconte être tombé amoureux d’une danseuse. Il l’admirait beaucoup, et disait que quand elle dormait, elle ronflait comme une bienheureuse, presque animale, et en tout cas bien charnelle ; mais quand elle s’élançait sur scène, alors elle semblait s’élever du sol et s’arracher à l’attraction terrestre ; les meilleures danseuses ne sont-elles pas appelées « étoiles » ? Peut-être nous maçons devons-nous nous appuyer sur les forces qui nous rapprochent les uns des autres, mais aussi parfois, nous en émanciper quand nous les sentons trop limitatives. La seule force d’attraction qui n’est pas source d’erreurs ou de malentendus, car supra-humaine, c’est celle qui nous lie indéfectiblement au Grand Architecte de l’Univers, par le biais de l’étoile flamboyante. Génération : la Génération est à distinguer de la création (et son corollaire, la procréation, étant attendu que les maçons ne se reproduisent pas entre eux, sauf exception), même si le terme « genèse », de même étymologie, pourrait y faire penser. Le latin « gens » signifie « race », « famille » et même « famille noble » ; on retrouve le même sens dans le grec « genos », exception faite du sème de supériorité. Or les maçons forment une fraternité, une famille symbolique, et qui plus égalitaire, puisqu’il n’y est pas question de père ou de mère ayant un droit légal sur ses enfants. En revanche, on y trouve des parrains et des marraines, qui ne sont pas des figures hiérarchiques ou autoritaires, mais des guides spirituels. Ils conduisent le profane qu’ils en ont jugé digne sur le chemin de l’initiation, approuvée par les frères et confirmée par le V\ M\. C’est peut-être cela, la génération de l’étoile flamboyante : davantage qu’une création, apanage de la divinité, une transmission de la lumière par nos frères plus avancés en savoir et en sagesse à ceux qui n’en sont qu’à leurs premiers pas, et aussi aux profanes ignorant l’existence de cette parcelle divine en eux - le génie peut-être. Génie : le Génie, précisément, est sans doute, entre autres, le vecteur de la génération. Il est la capacité intellectuelle supérieure de l’homme quand il se dépasse, qu’il la possède de façon innée ou qu’il l’ait acquise et entretenue par son travail, et qu’elle se manifeste de façon permanente ou par fulgurances. On qualifie de « génies » des hommes qui réalisent des exploits dans leurs domaines respectifs, et le plus souvent pour le bien de l’humanité. De fait, l’expression « génie du mal » signifie bien qu’il va de soi, sans donc qu’on n’ait nul besoin de le préciser, que le génie est du côté du bien, et j’ajouterai, pour reprendre une tripartition chère à Platon que nous avons déjà rencontré, du beau et du vrai. Ce faisant, à mon sens, il se rattache au divin. Cela ne transparaît plus trop dans notre société occidentale bien souvent rationaliste. Mais nous connaissons tous le conte d’Aladin et du génie de la lampe ; celui-ci, sans être un dieu, possède des pouvoirs qu’il met au service du jeune homme, pour son bien. Aussi le génie est-il peut-être le nom de quelque chose qui nous vient d’en haut, du Grand Architecte, par le biais de l’étoile flamboyante, et qui nous aide à atteindre la gnose. Gnose : la
gnose (du grec « gnosis »,
connaissance) prône le salut de l’âme par
la connaissance et l’expérience de la
divinité ; mais celle-ci passe par la connaissance de soi.
Parler du salut de l’âme me paraît un peu
trop empreint de religiosité pour nous maçons,
qui nous retrouvons autour du Grand Architecte de l’Univers,
mais sans dogmes, et de l’Orient Eternel, sans
qu’il soit question de punition ou de récompense
post-mortem. Ce qui me paraît intéressant,
c’est l’invitation à se
connaître soi-même, précepte socratique
qui fut gravé à l’entrée du
temple de Delphes. On retrouve curieusement cette injonction dans la
science de l’âme moderne qu’est la
psychanalyse, qui invite à trouver la paix, sinon la
rédemption qui ne la concerne pas, par une étude
sans complaisance de la psyché. Se connaître,
c’est prendre conscience de ses failles, de ses atouts, pour
progresser sur le chemin de l’initiation et se rapprocher de
la lumière de l’étoile flamboyante, et
du sens de l’harmonie enseigné par l’art
de la géométrie. Mais la gnose, « savoir
», ne serait rien sans la sagesse ; à quoi bon
engranger le premier s’il ne doit être
couronné par la seconde ? Les lumières
intellectuelles qui ont pris leur véritable essor au
XVIIIème siècle, époque de la
naissance institutionnelle de la maçonnerie
spéculative, ne sont que de peu de poids en regard de la
lumière spirituelle, et doivent se mettre à son
service, bien qu’elles ne lui soient au fond nullement
nécessaires. Enfin, la lettre G de notre alphabet latin correspond au Gamma, troisième lettre de l’alphabet grec, qui reproduit la forme d’une équerre. Nous n’utilisons que deux outils, deux joyaux, pour tracer l’étoile flamboyante, la règle et le compas ; le troisième, l’équerre, est déjà au centre de l’étoile. Certains voient également dans le G le début d’une spirale, celle formée par la suite de Fibonacci basée sur le nombre d’or : un point, un centre, et une ligne qui tourne autour tout en s’élargissant. Peut-être cela figure-t-il le parcours de l’initié, qui partant de lui-même, en étudiant, en méditant, élargit sa conscience vers une appréhension de plus en plus vaste de l’univers, faisant régulièrement retour sur lui-même. La troisième lame du tarot d’Oswald Wirth, initié que nous autres maçons connaissons bien, l’Impératrice, est dotée de la troisième lettre hébraïque Guimel, qui correspond au Gamma grec ; or cette carte favorise la fécondité (génération), la communication (génération toujours), et la connaissance (génie, géométrie et gnose). Enfin Oswald Wirth voit dans la lettre G une déformation du symbole alchimique du Sel, un cercle barré d’un trait en son milieu (tracé que nous commençons par faire pour aboutir à celui du pentagramme étoilé) ; « G » pourrait alors signifier « Grand œuvre » ; or le sel (présent dans le cabinet de réflexion et objet de réflexion pour le futur initié) représente la matière, le corps, donc l’homme, figuré dans le tracé de l’étoile, et non le G\ A\ D\ L\ U\. Pourtant, ce symbole alchimique se rapproche beaucoup du thêta grec ; et ce dernier est la première lettre du mot « theos », qui signifie « dieu ». Ainsi Dieu et sa créature se retrouveraient-ils réunis dans la lettre G, et dans l’étoile flamboyante, symbole du divin manifesté dans l’humain. Conclusion : la lettre G, qu’elle signifie en dernier lieu « God » ou « Grand Architecte de l’Univers », est suivie dans notre alphabet par la lettre H ; cette lettre est celle par laquelle commence le mot « homme », et cette succession me paraît signifiante en termes de symbolique. En effet, l’homme arrive après Dieu, mais dans son cheminement, il ne cesse d’aspirer à le rejoindre, donc de le suivre (d’assez loin, il faut dire). Et toujours en anglais, puisque notre origine - institutionnelle du moins - est écossaise, le cœur se dit « heart », avec un H\. J’en tirerais donc des conclusions que vous jugerez peut-être tirées par les cheveux, à savoir qu’après l’esprit de Dieu (je n’oserais dire le feu de Dieu) arrive le cœur de l’homme abritant la divinité. Et enfin la lettre F qui les précède est celle par laquelle commence les mots « feu » et « flamboyante » (« fire » en anglais pour le premier). Or en magie cérémonielle et en préparation à la médiumnité, on recommande de purifier les plans subtils qui constituent notre être, à côté et au-delà de nos plans matériels. Et cette purification commence par celle du feu, par une bougie consacrée. Je ne développerai pas sur celles qui suivent. Simplement, il est à noter que l’élément feu est premier, que les autres éléments arrivent après. Alors peut-être le feu flamboyant, à la fois éblouissant et purificateur, nettoie-t-il l’âme et le cœur du compagnon de ses scories, pour qu’il puisse avoir la connaissance, la gnose de la grandeur divine qui le conduira à être un homme et un maçon accomplis ; en sachant qu’une fois maître, le chemin, éclairé par l’étoile, ne fait que commencer. J’ai dit, V\ M\ S\ C\ |
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