Obédience : NC Loge : NC Date : NC


Apprendre à se connaître

« Avant tout le Maçon qui veut approcher de la perfection doit chercher à se connaître
 lui-même »

Connaissance et perfection seront donc les termes majeurs de ce travail. Pourquoi le maçon veut il approcher la perfection, en quoi la connaissance de soi est une étape nécessaire pour cette quête ?

Le parcours du Maçon est jalonné d’incessantes invitations à des retours interrogatifs sur soi. Dans le cabinet de réflexion, le profane initialise un processus de transformation qui l’incite à rentrer dans lui-même. « Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies Occultum Lapiden » : Descend au plus profond de toi-même et trouve le noyau insécable sur lequel tu pourras bâtir un homme nouveau. C’est l’invitation de l’acronyme VITRIOL. Quête de soi, quête en soi de la présence divine, quête du sens, quête de la « pierre cachée des sages » qui préside à la construction intellectuelle et morale du Grand Œuvre. Le profane rentre ainsi au contact de l’Œuvre divine par ses quatre éléments Terre, Air, Eau, Feu, dont il s’imprègne à travers leur expérience sensible durant les épreuves symboliques. L’apprenti est immergé dans un univers de correspondances si bien exprimées Baudelaire.

« La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »

Correspondances entre le Créateur et la Création, entre l’Homme et son Créateur, entre l’Homme et la Création. La spécificité du travail du maçon est sa nature symbolique. Dans sa démarche de connaissance le Maçon utilise à la fois les outils symboliques et le symbole des outils. Le symbole permet une médiation un mode spécifique de connaissance. Il représente autre chose, en vertu d’une correspondance analogique. C’est un signe concret évoquant quelque chose d’absent ou d’impossible à percevoir. Dans tout symbole, il y a deux parties l’aspect concret perceptible (le signifiant) et l’aspect invisible, ineffable ce que je ne peux ni voir, ni toucher, ni entendre, ni goûter, ni sentir (le signifié). Le propre du symbole est de donner du sens non pas un sens, il oblige à penser par soi-même en évitant les doctrines. La plasticité du symbole pallie à l’impossibilité qu’a le langage d’exprimer la totalité de l’être.

« (...) Voici que le premier sujet de vos études porte sur les organes dont le Grand Architecte nous a dotés pour transmettre à notre intelligence la perfection de ce qui est au-dehors, comme au-dedans de nous » dit le Vénérable Maître au Futur Compagnon.

La perception du monde est un vieux problème qui hante la philosophie depuis toujours. Sur cette question, deux types d’approches s’opposent réalisme et subjectivisme. Pour les premiers percevoir ce n’est rien d’autre que de capter des informations du monde réel, pour les seconds nous ne pouvons percevoir le réel qu’à travers des catégories mentales. La perception nous place directement dans une problématique de dualité intérieur/extérieur, substance/essence, esprit/matière, compas/équerre.

Le dépassement de la dualité inhérente à la perception constitue l’un des travaux du maçon. « La raison humaine divise et borne artificiellement ce qui est Un et sans limites. L’unité est ainsi partagée entre deux extrêmes, auxquelles les mots seuls prêtent une fausse apparence de réalité ». La raison place l’Homme et le monde comme deux objets hétérogènes, comme deux entités étrangères l’une à l’autre, considérant le connaissant (l’Homme) et l’objet à connaître (le Monde) comme irréductibles l’un à l’autre. Dans les conceptions de la beauté héritées de Pythagore, de Platon, les proportions du corps humain, celle du cosmos et celle de la construction se répondent. A travers l’intelligence ordonnatrice de l’homme et le média de ses organes de perception passe l’harmonie de l’intelligence divine. L’homme, par son ouverture au monde, est créateur de sens. Les connaissances ne sont pas innées chez l’enfant seule l’est l’aptitude de les acquérir par les sens et l’intelligence. L’esprit se constitue, se tisse par sa propre activité. Percevoir c’est non seulement recevoir des informations sur les objets mais aussi assigner une signification aux objets en leur donnant un sens. Actif/passif les significations s’établissent dans un rapport au monde, elles ne sont ni dans l’objet, ni dans ma seule conscience.
« Il y a lieu de ramener le Binaire à l’Unité par le moyen du nombre Trois »

A travers son injonction bien connue Socrate nous invite à considérer l’Homme dans le Monde et le Monde en l’Homme comme l’envers et l’endroit d’une même réalité. « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ». La connaissance de soi ne se limite pas à une quête nombriliste ou narcissique. C’est avant tout un travail qui amène à chercher en soi les lois de la vie. Le créateur se fait voir dans la création. Accéder à l’universel par la contemplation de la nature, du cosmos. « Mon frère d'où venez-vous »« De la loge de saint Jean, vénérable maître » Pour le maçon cette accession à l’universel se fait par la médiation de la loge représentation symbolique du cosmos c’est le travail de silence, d’observation et d’imprégnation de l’apprenti. Certains auteurs synthétisent respectivement le premier et second degré par les questions suivantes « d'où venons-nous ? », « Que sommes nous ? »

« Avez-vous vu, dans la loge, un signe qui exprime ce mystère de l’organisation de l’homme? »
« Oui vénérable maître ! on voit briller à l’est une étoile dont les cinq pointes figurent notamment les sens. Elle se nomme l’Etoile Flamboyante, à cause des lumières dont les sens peuvent être porteurs. Elle exprime aussi la divine harmonie du nombre d’Or et la valeur symbolique du nombre cinq. »

 C’est par le spectacle de la nature et le secours de l’intelligence que le maçon prend connaissance de Dieu, auteur de tout ce qui est. Cette intelligence dont nous a doué le grand architecte de l’univers nous distingue de l’animal. Ce pallier qualitatif entre l’homme et l’animal se traduit par un ascendant de la raison sur l’instinct. Bergson définit l’intelligence comme « la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particuliers des outils à faire des outils et d’en varier indéfiniment la fabrication ». L’homo sapiens est en même temps homo faber. On ne saurait se servir d’outils si l’on ne pense pas, si l’on n’est pas capable de comprendre leur destination. C’est, me semble-t-il, l’une des significations des cinq voyages du compagnon :
- Connaissance de soi pour guider et redresser mes cinq sens à l’aide du maillet et du ciseau
- Connaissance de l’architecture pour me construire et me maintenir dans l’harmonie avec la règle et le compas
- Connaissance des arts libéraux et compréhension de leur influence sur la société à l’aide d’une règle et d’un levier.
- Connaissance des propriétés de la sphère, avec la règle et l’équerre calculer et vérifier ses faits
- Enfin avoir les mains libres pour réfléchir sur mes connaissances et de me mettre en état d’instruire
Lors de ces cinq voyages, on incite le compagnon à acquérir des connaissances. On peut s’interroger sur la nécessité d’accéder à ces connaissances. La vocation de l’humanité est elle en l’omniscience. Tout connaître ou connaître le tout ? Pourquoi Adam a-t-il croqué la pomme de l’arbre de la connaissance ?

Dans son état antérieur, au sein du Paradis terrestre, l’humanité n’a qu’à se laisser vivre. « (...) le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal ». Dans le choix de croquer la pomme, l’humanité a la possibilité de respecter les injonctions divines en restant dans la félicité et l’inconscience du paradis ou de désobéir mais aussi de tenter de s’élever dans l’échelle de l’être. Certains auteurs affirment que le symbolisme de la pomme lui vient de ce qu’elle contient en son milieu des alvéoles qui enferment des pépins formant une étoile à cinq branches. Elle représente en cela le fruit de la connaissance et la liberté. En croquant la pomme l’homme acquière le pouvoir de réfléchir son action et sur son action. La connaissance du bien et du mal est le fondement de la conscience morale. Cette conscience autorise la possibilité de viser des fins supposées les meilleures et de choisir ses actes. La créature est capable de création. L’homme peut reprendre à son compte le plan du créateur, comme un fils poursuit l’œuvre de son père, comme un maçon apporte sa pierre à l’édifice.

Attardons nous un instant sur l’étymologie du mot perfection qui vient de perfectus participe passé du verbe latin perficere qui veut dire « achever ». Achever la création, la créature laissée imparfaite tel est le travail de l’initié. Le compagnon à l’issue de son cinquième voyage a les mains libres. Il symbolise l’homme conscient, capable de distance et de réflexion sur ses perceptions, sur ses représentations et sur ses actes. Cette liberté suppose des devoirs « former son plan de conduite pour l’avenir, afin de pouvoir par l’exemple et par la parole, rendre à ceux qui viennent après lui l’instruction qu’il a reçue lui-même de ceux qui l’ont précédé (...) » Le compagnon s’inscrit ainsi dans la tradition maçonnique.
« Qu’appelle-t-on salaire en maçonnerie? »
« C’est la récompense du travail, le résultat qu’il produit pour l’ouvrier »
« Par quoi se traduit le salaire des Maçons »
« Par un perfectionnement graduel de soi-même »

Tout perfectionnement se fait à travers une spéculation sur ce qui est bien ; projection de soi dans le monde, projection de ses propres valeurs. La démarche vers la perfection est un chemin semé d’embûches ; combien de persécutions, de tortures physiques et morales, de crimes ont été commis au nom d’une idée du parfait, de la pureté, du bien de l’humanité... La porte est étroite et le chemin escarpé. D’où venons nous, que sommes nous, où allons nous ? La question reste ouverte...

Pour conclure, quelques mots de Saint-Exupéry qui nous invitent à poursuivre notre chemin avec l’humilité, vigilance et détermination.
« Certes est hors d’atteinte la perfection. Elle n’a d’autre sens que celui de l’étoile pour guider la marche. Elle est direction et tendance vers. Mais la marche compte seule et il n’est point de provisions au sein desquelles tu te puisses asseoir. Car alors meurt le champ de force qui seul t’anime et te voilà comme un cadavre ».

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