GLDF | Loge : Louis Aguillon - Orient de Parthenay | 30/11/2000 |
De la sphère au cercle le centre de l'union comme lieu d’humilité Le titre de ce morceau d'architecture a dû vous sembler provoquant. Provoquant des questions, auxquelles vous avez voulu trouver des réponses. Ce titre, car il en fallait vite donner un au F\ Secrétaire, recouvre une réflexion sur un symbole qui apparaît plusieurs fois au 3ème degré, le cercle, la circonférence et le point. BAYARD' y consacre plusieurs pages, que vous avez certainement lues. On y retrouve une compilation de doctrines où chacun peut trouver le point de départ d’une planche. Je ne les ai pas exploitées. C'est donc avec l'aide d'auteurs anciens que j'ai dressé cette planche, où le Maçon Ecossais qui recherche la Grande Lumière verra comment des hommes du passé, séparés par plus de deux siècles, l'ont aussi recherchée dans leur désir d'unir le haut et le bas. Commençons par absorber quelques G, G comme Géométrie... et la suite. Sphère et cercle ont en commun une seule mesure, leur rayon. La sphère peut être produite par un cercle tournant sur l'axe de son diamètre. Le cercle se définit par l'équidistance au centre de chaque point qui le trace. Le centre est le lieu qui crée la circonférence ; c'est par lui qu'existe cette figure; c'est en lui que se retrouve la couronne; c'est vers lui qu'elle tend. Car il y a tension, comme dans tous les cas d'une périphérie et d'un centre. Si l'un des éléments du couple disparaît, devient virtuel ou potentiel, notre esprit le cherchera, comme il cherche la quatrième colonnette. La sphère nous projette dans l'espace où la géométrie cesse d'être plane. Nous touchons au volume de révolution. De quelque côté que nous la regardions, en la faisant tourner, elle reste visible, elle est toujours sphère. Le cercle, lui, s'il pivote sur son diamètre, disparaît un moment dans le plan, pour n'être plus qu'un segment de droite. Il ne survit donc pas toujours au mouvement, lui qui a été créé par celui d'un compas autour d'un centre. Et s'il fallait à partir du segment qu'il est devenu, retracer le cercle, une erreur de centrage pourrait nous donner deux cercles concentriques au lieu du cercle initial et différents de lui... Le centre est donc l'essentiel du cercle, comme il l'est de la sphère, où la même erreur de centrage dans le pivotement tous azimuts d'un segment de droite autour d'un faux centre tracerait deux sphères emboîtées l'une dans l'autre. N'y aurait-il pas alors une sphère invisible, comme une petite Matriochka contenue dans la plus grande, ainsi que font les poupées russes ? Ces réflexions de petit géomètre nous ramènent toujours au centre. Centre que l'on n'identifie pas toujours: n'a-t-on pas dit de Dieu qu'il était ce cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part ? Perdre le centre, ne serait - ce pas en termes triviaux "perdre la boule" ? Mais c'est aussi perdre l'Orient, car sans point de départ connu, comment s'orienter ? Pour l'Orient éternel, le chemin part d'un point, l'initiation, autre naissance, point majeur, central, d'où commence le vecteur d'une existence qui ne deviendra destin qu'à son terme. Et en disant cela, nous savons que le point n'existe pas, par définition, et que, si nous le marquons par convention, il ne reflète que mal le moment où le néophyte cesse de l'être, pour débuter sa quête. L'initiation est moins un déclic que la promesse d'un déclic. Nous sommes dans un ordre initiatique. Nous y pratiquons l'Ecossisme, et notre mode prend une dimension différente du temps historique. Si nous baignons comme toute association, dans le devenir historique, dans la diachronie, et si par certains côtés nous évoluons avec le monde profane d'où nous venons et dans lequel doivent s'inscrire nos actions, nous avons en propre la dimension du sacré. Le sacré nous coupe du monde extérieur, il nous oblige à une démarche transhistorique, où nous retrouvons nos grands ancêtres, les Initiés, qui restent présents dans notre chaîne. Parce que ces concepts d'initiation et de sacré nous sont familiers, nous ne devrions pas trop avoir de mal à pratiquer l'Ecossisme. Ce rite nous oriente vers la transcendance, vers une montée au plan spirituel. Et cette ascension se retrouve suggérée, et même prescrite par nos symboles du grade, dès lors qu'ils ne sont plus perçus comme seulement des accessoires. En recevant le compas, le Maître trace la figure parfaite, le cercle. Au rite Irlandais, le compas invite à la maîtrise des passions, vertu magistrale des Grecs la sophrosuné. Son ouverture variable permet des gradations dans les buts à atteindre. Ouvert à 90°, il forme l'angle droit, que les Anglais appellent just angle. Sa pointe fixe indique la source éternelle de la vie. Permettant de relever et de rapporter une mesure (le métrios), d'établir une proportion, rien d'étonnant à ce qu'il figure au centre du fameux tableau de William BLAKE, l’Ancien des Jours, où un noble vieillard chenu, agenouillé dans des nuées se penche pour mesurer avec cet outil-symbole le globe terrestre. La montée au spirituel, ce dépassement de soi vers un ailleurs, nous la faisons par la pensée. Nous pensons, c'est-à-dire nous nous élevons par la pensée. Pour traduire cette progression vers le haut, la symbolique a retenu l'image de l’échelle. Qu'elle soit celle vue en songe par Jean, à trente degrés, ou par Jacob (Genèse 28), dans la religion de Mithra, ou encore par Mahomet (Le Livre de l'Echelle)2, elle est moins objet de pensée que mode de penser fondamental. Si nous atteignons un niveau supérieur de conscience, alors le mouvement vers le haut aura parcouru les échelons successifs de l’échelle de l'être. Notre démarche progressive ne veut pas dire autre chose. L'ascension vers Dieu, le Grand Architecte, la Grande Lumière (selon les habitudes de langage de chacun) est dans notre école de pensée la condition pour réaliser l'idée humaine. Sans transcendance, il n'y a pas d’Ecossisme. Ce mouvement vers le haut revêt différentes formes, selon la façon dont il est vécu: Charles de BOVELLES3 en voyait trois. L'extasis, une sortie de soi qui est déjà une montée; l'excessus, un dépassement de soi par un excès d'être (l'excès n'ayant pas ici de sens péjoratif, mais plutôt ce que l’on entend par l'expression familière de "se monter sur les épaules"); enfin le "raptus", où le râvi est brutalement saisi par le ravisseur, sans gradualité, par une projection abrupte dans un autre état. Aucune de ces formes ne trouvant grâce aux yeux de notre théologien, il lui fallut créer un vocable, où le remettre à son goût, vocable qui traduirait cette transascendance sur un mode calculé, progressif: ce fut l'assurrection. Il devait développer ce terme dans les deux volumes de la Divina assurrectio, traité malheureusement détruit dans un incendie. Le terme est attesté en latin, ne serait - ce que dans la Vulgate de St Jérôme, ou dans Job XXIX,8: "Et senes assurgentes stabant". Les mathématiques aussi employaient "assurgérer" pour l'élévation d'un nombre à une puissance (carré, cube...) Pour BOVELLES, "la théologie a son siège dans les assurrections plutôt que dans les analogies" (Conclusions théologiques). En effet, l'analogie, ainsi que nous l'avons évoqué plus haut, ne propose rien de ce qui meuble la contemplation des choses sublimes. On en reste à un plan médian, et l'on compare des entités d'ordre moyen. Avec l'assurrection, mouvement de bas en haut, d'un point de départ à un point d'arrivée, on ne revient jamais vers des réalités inférieures. Sur ce point, l'échelle de Jacob, où les anges montaient et descendaient librement, poserait problème. Pourquoi quitteraient-ils les cimes éthérées qui leur sont familières? Peut-être pour ne pas abandonner les glaiseux d'en bas au néant, et pour les amener à leur suite vers un saut qualitatif. Je vous proposerais une image pour aider à la compréhension de cette assurrection: celle d'un escalier d'immeuble collectif, que l'on monterait pour atteindre un paradis qui serait la terrasse, dont on ne reviendrait pas; et à chaque palier, horizontalement, s'articulent des appartements que l'on visiterait, et qui seraient autant d'analogies. Les comparaisons de ces symboliques F2, F3 etc... seraient de l'ordre de la science, sur un même plan médian, et ne constitueraient que des pauses réparatrices dans notre ascension vers un autre niveau, supérieur, celui de la connaissance parfaite ou du divin. Pour reprendre Paul QUILLET, l'assurrection serait "une échelle souple que la divinité déroule jusqu'à nous pour nous sauver du néant". Sauvetage qui nécessite cette aide extérieure, car avec sa qualité d'intelligence, ratio, la raison, l'homme ne se tirerait pas d'affaire; ratio Si différente de l'intelligence des anges, que BOVELLES nomme intellectus, réservant à Dieu la mens. Avec cette raison, la science qui est à notre portée nous montre le comment des phénomènes, le pourquoi de leur finalité n'est pas de notre compétence. Y vouloir répondre c'est entrer en métaphysique et ramener la réalité à la recherche d'un but. Comme si les points de la circonférence, sachant comment ils sont à la place qu'ils occupent (par le fait du rayon), s'inquiétaient de savoir pourquoi ils ne seraient pas ailleurs. C'est que le rayon choisi par le Maître Architecte ne révèle pas ses desseins à celui qui n'a pas la connaissance totale. La revendiquer, c'est déjà en avoir l'idée. Peut-être parce que, disait le poe te, l'homme est "un dieu déchu qui se souvient des cieux", et qu'il sent en lui la goutte de lumière dont parlent les gnostiques, la scintillula de Tertullien, qui lui murmure l'éternité et l'infini. Dans notre processus initiatique, cette prise de conscience démarre par l'ouverture à l'initiation de l’œil intérieur. Puis, dans une démarche dynamique ascendante, nous parcourons des degrés, en absorbant leur contenu symbolique avant que de passer au degré suivant, et ainsi jusqu'à la plénitude. A chaque degré les analogies nous offrent la substance des symboles, mais c'est par le passage à la verticalité que nous progressons, par une assurrection. "Et la sphère? Et le cercle?" me direz-vous. Ces figures géométriques, je ne les ai pas oubliées; nous allons les retrouver. Jusqu'ici nous avons vu un cheminement du bas vers le haut. Mais le rapprochement des extrêmes de cette bipolarité que suggère notre binaire d'apprenti, peut aussi se faire par une descente du haut vers le bas. Non pas grâce au phénomène bien connu de la kénose, l'incarnation de Dieu en un homme, son Fils, mais par l'écoulement du divin dans un réceptacle humain convenablement préparé. Et d'une théologie classique nous passons à une mystique. Un représentant de cette démarche est Maître ECKHART4, mystique rhénan, figure la plus moderne du christianisme médiéval. Maître de Théologie de la Sorbonne, le Lesemeister fut aussi un Lebemeister, un maître de vie. Si ECKHART fut étiqueté "mystique spéculatif", c'est que l'on considère en lui l'intellectuel, le disciple d'Albert le Grand, aux confins du néo - platonisme et de l'aristotélisme. En cela, dit-on, il suivrait l'orientation d'un dominicain vers la connaissance, alors que le franciscain primerait la volonté et l'amour de la charité. Prédicateur, confesseur et directeur des Béguines ou des religieuses de Teutonia, son enseignement vise le retranchement, la séparation, le dépassement en vue d'obtenir ici-bas la "vie bienheureuse", où l'homme divinisé ne fait qu'un avec Dieu. Ce que E.GILSON résumait en 44 dans sa Philosophie du Moyen Age : La doctrine d'Eckhart conduit droit à l'union de l'âme à Dieu par un effort pour se retrancher dans la "citadelle de l'âme", où l'homme ne se distingue plus de Dieu, puisqu'il n'est plus lui-même que l'Un. (Cependant) pour que cette union mystique soit possible, il faut d'une part insister sur la réalité de cette unité de l'homme et de Dieu (...) et il faut d'autre part recommander une ascèse de l'état de séparation et de dépassement, pour rallier cette citadelle intérieure de l'âme qui est seule libre en raison de son unité même. Une fois là, on peut se désintéresser du reste. "La béatitude est accessible sur terre". Ce leitmotiv irritera la papauté d'Avignon, un Jean XXII, pour qui n'existe qu'une théologie de la béatitude, que l'on n'obtiendrait que dans l'autre monde, différée après le Jugement Dernier. Eckhart pense que la philosophie des maîtres aristotéliciens de la seconde moitié du XIIème siècle, et leur idéal de "félicité intellectuelle", peut être christianisée, déclinée en termes théologiques. C'est donc une théologie desbéatitudes qu'il nous propose, celles du Sermon sur la Montagne. Dans ce texte fameux sont tracées les béatitudes in via, et les contours d'une noblesse qui ne vise plus seulement le clerc ou le professionnel de la pensée, mais tout laïc ou tout homme simple. Le plus humble devient un aristocrate s'il suit la voie indiquée, et siégera avec le Christ sur la Montagne, "sur les cimes de la contemplation". Cet état de grâce repose sur deux fondements: l'Incarnation et l'Inhabitation intérieure. En termes clairs, si Dieu s'est fait homme (dans l'Incarnation), c'est pour que l'homme soit fait Dieu (Inhabitation). Il faut donc créer les conditions pour que cette "mystique de Noël" s'accomplisse, pour que naisse dans l'âme le Verbe ou le Fils, une théophanie. Le Christ, "nouvel Adam, est le prototype du chrétien, l'homme restauré dans sa plénitude" originelle, dans sa nature supralapsiste, renouvelée par la grâce, "à la fois indifféremment humble, pauvre et noble". Dans cette vision idéale, le Christ n'apparaît plus comme le sujet de la Passion. La souffrance n'est pas valorisée, ne fait pas l'objet d'une imitation nécessaire. Point donc de dolorisme. Le Christ est "au delà de la joie et de la peine", et ce qu'il faut suivre, c'est moins sa souffrance que son "détachement", son "délaissement", au cœur de l'action comme de la passion. Chaque être humain, homme ou femme, clerc ou laïc, sans avoir besoin de connaître une expérience extraordinaire, "affective" (un miracle, un prodige), est appelé à renaître dans le Christ. Si les formes et les pratiques religieuses du temps sont conservées, par prudence, mais surtout pour éviter de troubler les fidèles, c'est l'intention qui les porte et les structure qui a changé. Trois clés nous ouvrent cet état de grâce: l'humilité, le détachement et le délaissement. Pour ce qui est de l'humilité, qui fera l'objet d'une communication future, je n'en dirai que peu de choses. Elle est centrale à la doctrine d'ECKHART. Par elle, se plaît à répéter notre dominicain, l'homme commande à Dieu. En effet, dans une âme vide de toute représentation, Dieu ne peut qu'être en son lieu naturel, en face de lui-même. "Il ne peut alors que se donner entièrement à elle, puisque rien ne faisant obstacle à son épanchement, c'est à lui-même qu'il se donne, en lui-même. L'âme ne contraint donc pas Dieu à lui obéir, elle le laisse être en lui-même ce qu'il est." Incréé, abaissé intérieurement, il ne déchoit pas de sa déité, car il descend en lui-même. "La hauteur de Dieu et la profondeur de l'humilité coïncident dans le Fond sans fond, dans l'unité de Dieu avec l'homme soumis à Dieu en Dieu lui-même." Thèse difficile. Aussi l'exemple géométrique du Maître est là pour nous aid~r ~ compréhension. (document affiché). Le pivot de la sphère ne vient pas seulement coïncider avec le bas, mais avec le centre de sa projection plane. Ctest donc un abaissement intérieur, du haut vers le centre. Dans l'âme, les opposés que sont le haut et le bas coïncident là où le pôle universel et le centre universel, l'intérieur et l'extérieur se rejoignent. Dans le centre le haut et le bas s'identifient, dans la naissance du Fils en l'âme du chrétien. Le détachement est le grand thème eckhartien (abgeschiedenheit), terme inventé pour ce phénomène. Souvenir peut-être de la notion d'apathéia empruntée à la patristique grecque. L'apathéia n'y est pas seulement l'ascèse des représentations (il y a aussi une connaissance sans image, entbildung), mais une participation active à la vie divine. Avec elle s'écoule en l'âme l'impassibilité divine, une image de Dieu qui lui permet de le connaître à la fois en elle-même et en lui-même. En l'âme s'opère l'Union, elle est devenue le Centre de l'Union. Le délaissement (gelâzenheit) autre voie vers le Dieu incréé, participe avec l'humilité et le détachement, à la divinisation de l'homme. Délaissement de Pierre (Evangile de Marc, 10.28), où parlant de lui et des apôtres, il nous dit "Nous avons laissé toutes choses". Délaissement qui n'est pas sans rappeler la démarche du Maçon qui laisse les métaux à la porte du Temple. Mais surtout le délaissement "des sensations et opérations intellectuelles" de la patristique. Le "laisse" de Denys l'Aréopagyte, le pseudo Denys, placé au début de sa Théologie mystique. Ou encore 1' aphélé panta de Plotin (laisse toutes choses). Dans cette tradition, des épigones tel St Jean de la Croix 5, chez qui l'inconnaissance est une sortie de soi, une extase, réalisant selon Denys6 "la connaissance de Dieu par l'inconnaissance, selon l'unition qui est au delà de l'intelligence". Après ces quelques propos inhabituels, retiendrons-nous cette version nouvelle pour bien des FF\, mais si ancienne, du Centre de l'Union comme lieu d'humilité? Il est si conventionnel de broder autour de ce rassemblement de personnes si différentes sous bien des aspects, et qui trouveraient dans nos Temples un ciment pour s'unir. Mais dans cette phraséologie et acception politique, si noble soit-elle, pense-t-on assez au mot Centre? L'Union a-t-elle un "centre"? De beaux esprits, brocardant sur des parvis un F: ministre, siégeant au centre de l'hémicycle, disaient de lui qu'il voulait moins faire le centre de l'union que l'union des centres. Ou prendrez-vous ce mot dans le sens topographique de "Centre des Congrès" ? Ou encore comme moyen terme entre des extrêmes, une via media qui pacifierait tout le monde dans une endormeuse tiédeur ? C’est oublier d'où nous venons, et la longue tradition qui, plaçant l'homme au Centre, entre terre et ciel, "ni ange ni bête", a imaginé bien avant la Maçonnerie Ecossaise, qu'il pourrait être, sous certaines conditions, le lieu de l'Union de ce qui est en haut et de ce qui est en bas. Bayard. "Symbolique
Maçonnique Traditionnel", vol. J, PP. 410 et Sq. |
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