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La
Liberté de penser
Un voyage permanent de la raison vers l’imaginaire Je vous propose de ce soir « la liberté de penser » comme thème de réflexion. Associer la notion de liberté et le verbe penser, c’est déjà en soi créer apparemment un pléonasme, puisque, à l’évidence, la pensée s’exerce pour chacun de nous, dans un cerveau autonome ! En fait, avec ma planche, je veux tenter de considérer de quelle liberté il s’agit et essayer d’analyser par quels mécanismes se forme en permanence le contenu de cette pensée libre. Ce qui m’a conduit dans 5 directions et au total, vers 5 « comment ». A savoir : 1) Comment et pourquoi pensons-nous ? 2) Comment cette pensée s’est développée dans l’histoire de l’homme ? 3) Comment Freud et la psychanalyse ont contribué à éclairer notre condition d’êtres pensants. 4) Comment pouvons-nous aujourd’hui enrichir notre pensée ? 5) Enfin, comment le franc-maçon, lui, se pense-t-il et pense-t-il le monde librement, avec la méthode symbolique ? Dans cette approche de la pensée, mon désir est surtout de trouver du sens pour favoriser notre liberté intérieure, selon notre démarche maçonnique même. Et je suis sûr d’avance que vous en apporterez lors du débat ! L’étymologie du verbe « penser » nous indique d’entrée, au sens figuré, une notion d’évaluation, d’appréciation, de jugement. De la sorte, nous pouvons définir l’acte de penser comme la disposition de l’esprit à former et combiner des idées, à comparer, à peser les choses à la balance de la raison. Grâce à cette faculté de former des représentations mentales, l’homme peut aussi, en lui-même et pour lui-même, se souvenir, imaginer, spéculer, méditer, réfléchir. Apparaît ici «l’ état d’indépendance » qui caractérise l’intellect individuel. C’est cette spécificité, à type d’autonomie, qui permet d’évoquer judicieusement la « liberté de penser ». Qui dit penser, dit parler. La pensée, associée au langage, évoque bien entendu la communication. Et pose indirectement la question originelle récurrente : la pensée est-elle venue avant le langage, ou inversement ? Quoi qu’il en soit, il est certain que l’Homme, animal social, a besoin pour se construire, physiquement et mentalement, du contact permanent avec les autres. Ainsi la pensée, comme la fleur du même nom, nécessite d’être alimentée en « nutriments de croissance » que sont les multiples signes de reconnaissance donnés à autrui et reçus de lui, au quotidien, pour vivre et prospérer. L’animal supérieur Depuis notre naissance et nos premiers rapports gestuels et verbaux avec notre mère d’abord, puis notre père, la fratrie éventuelle et l’entourage familial, amical et éducatif-qui s’agrandit au fil des rencontres - nous ne cessons, grâce à eux, d’enrichir nos sens, notre bagage culturel, notre vocabulaire et donc notre pensée. Celle-ci est en permanence constituée par le stock d’images et de mots appris et engrangés permettant la formation et l’expression - orale ou écrite - des idées à un auditoire ou à un lectorat, lesquels émettent les leurs, en retour. C’est par le biais des échanges, du « frottement aux autres », librement consentis, que nous nous pensons nous-mêmes et nous pensons le monde. Sans cet acquis, cette éducation de base suivie d’une instruction permanente, sans la possibilité de se mouvoir et de faire, la liberté de penser précitée n’est pour l’individu qu’une expression vide de sens. Il est clair que les peuples opprimés, analphabètes et cloués sur place, peuvent toujours penser mais avec un intellect appauvri, desséché même, parce que privés de la liberté d’agir et de se nourrir du regard, de la pensée et de la parole de l’autre. Il en est de même pour le prisonnier au fond de sa cellule, libre de penser certes…mais sans vraiment disposer de « matière à penser », s’il n’a pas de contacts autres qu’avec son geôlier et ne reçoit pas d’informations de l’extérieur. Les pouvoirs persécuteurs le savaient bien pour avoir imposé le sinistre « lavage de cerveau » dans les camps de travail où ont été enfermés des années de nombreux opposants aux régimes en place, notamment au temps de la Russie soviétique. Un système qui perdure en Chine et dans le turbulent Moyen-Orient…Un exemple encore que nous fournit régulièrement l’actualité : Il est possible qu’une autre forme perverse de persécution compromette soudain le discernement et la liberté de penser de personnes prises en otages, en l’occurence dans un avion. Leur esprit manipulé et privé de sens critique peut, contre toute attente, par contagion émotionnelle, leur faire prendre le parti du preneur d’otages ! Un phénomène que l’on a appelé le « syndrome de Stockholm », depuis qu’il s’est produit la première fois sur l’aéroport de cette ville, en 1978. L’Homme pense, parce que l’évolution l’a équipé d’un système nerveux performant, apte à la pensée précisément, et qui n’a d’ailleurs pas forcément atteint aujourd’hui le maximum de ses possibilités. Grâce à cette faculté de penser assortie de la parole, il se dit « animal supérieur », sans être vraiment sûr que les autres animaux ne pensent pas ! Il est en tout cas perfectible, car ne disposant pas (encore ?) de « centre de l’amour » dans le cerveau, il conserve depuis son origine un caractère belliqueux et, au delà même du nécessaire instinct de conservation, il entretient toujours le désir de détruire l’autre, son semblable ! Certes, l’Homme est doté de cette forme de « bon sens » qu’il nomme la raison. Cette raison devenue un credo maçonnique depuis l’époque des Lumières. Mais, les francs-maçons le savent aussi, la raison n’est pas forcément toujours raisonnable…Chacun de nous est en fait pris dans cette contradiction de la condition humaine qui veut qu’il soit à la fois indépendant, par nature, et dépendant de son groupe, par nécessité vitale ! Sa liberté de penser, expression même de cette indépendance, voudrait qu’il n’obéisse qu’à sa raison personnelle, c’est à dire à sa seule conscience et à sa seule logique, pour aboutir à un mode de vie partant anarchique, donc hors d’un champ social, lui délimité et réglementé ! Or cette conception égotique ne prend pas en compte que la raison, précisément en tant que faculté humaine, n’est pas la propriété d’un seul être humain, mais d’une communauté entière qui s’en sert comme outil de réflexion et d’action. Ce qui permet d’affirmer qu ‘il ne s’agit pas d’avoir raison, mais de raisonner ! Les trois blessures narcissiques Raisonner revient ici à comprendre que le concept de « liberté de penser » n’échappe pas au principe de la loi, par l’homme inventé. Sans forcément prendre la nature pour modèle, on sait que l’univers lui-même obéit à des lois. De son côté et à son échelle, toute vie terrestre, individuelle ou « groupale », est contrainte d’observer une ou des règles, ne serait-ce que, tout bonnement, pour survivre. Le libertaire, qui se dit sans « Dieu ni maître », donc « sans foi ni loi », est évidemment dans la totale illusion, quand il prétend vivre selon sa ou ses propres et seules décisions. Vivre implique, pour « la mécanique humaine », d’échanger avec soi et les autres. C’est à dire se donner (des consignes et des satisfactions), mais aussi donner, recevoir, demander, refuser. L’exercice d’une loi individuelle entraîne l’acceptation de la Loi commune, créée par le groupe. Parce qu’il n’est d’Homme qu’en relation. Ce qui permet de penser que l’homme « fraternise » d’abord parce qu’il a besoin de l’autre ! Et cette « coopération imposée » lui fait refouler ses ressentiments….qui éclatent soudain avec conflits et guerres ! Exister parmi ses semblables, impose donc à l’homo sapiens condamné à cette communauté, une maîtrise permanente de ses pulsions physiologiques, dominatrices et meurtrières ! Nous venons d’examiner la liberté de penser dans le cadre de vie communautaire. Nous pourrions dès lors évoquer une liberté de penser devenue « liberté d’expression », quand cette dernière signifie la formulation et la verbalisation en public, d’un point de vue, d’une position, d’une opinion. Il pourrait même être question d’une « liberté d’opposition » quand, politiquement parlant, ladite opinion exprimée par une personne ou un groupe de personnes, est non seulement différente de celle d’un autre groupe, mais encore cherche à combattre cette pensée adverse, voire à la supprimer pour s’imposer en remplaçante. Il est également intéressant de considérer une liberté de réflexion particulière : celle qui existe dans le silence même de la pensée individuelle, dans son intimité, pour ne pas dire dans son secret, seul véritable « isolement » possible. Il n’est d’évidence plus question d’échange ici, mais tout au contraire d’une volonté de se taire, donc de ne pas révéler ce que l’on pense, une attitude qui nous éloigne de toute obligation, telles les contraintes imposées aux prisonniers et otages précités. Il s’agit d’une forme puissante de liberté de penser : celle correspondant au refus de communiquer. On peut dire que ce mutisme est en soi une véritable loi que « le « taiseux » s’impose. C’est un choix calculé, raisonné, à l’image de ces résistants capturés par les nazis pendant la dernière guerre mondiale qui ont refusé de livrer leurs camarades et après d’affreuses tortures, sont morts fusillés. La liberté de pensée guidée par la raison, n’obéit ici qu’à sa propre loi. L’homme qui préfère mourir que de trahir met un point d’honneur à respecter son engagement, voire son serment, et partant, ne s’incline pas sous le joug des lois de l’ennemi. La liberté de pensée, quelle qu’en soit la forme d’expression, ne répond pas forcément à une fantaisie ou un caprice de l’intellect, mais peut bel et bien relever - si elle est considérée comme le résultat d’une vraie réflexion - de la responsabilité individuelle. Nous venons de le voir. Lorsque la raison s’impose à elle-même une loi, en quelque sorte à la manière d’un filtre volontairement interposé entre la pensée et la parole, intervient sans nul doute une forme d’auto-discipline : celle que justement observe, tout homme libre et maître de sa pensée. Cette possibilité d’accès à l’autonomie de la pensée est de fait, assez récente : elle n’a été acquise, rappelons-le, que progressivement, et au prix de trois « blessures narcissiques » infligées à l’humanité – qui à la fois, ont tempéré sa vanité et remis en question ses croyances premières - par le développement des sciences. En l’occurrence, grâce aux découvertes incontestables de trois grands scientifiques, qui ont affirmé, successivement : - Nicolas Copernic (1473-1543) : « La terre n’est pas le centre de l’univers, mais une planète dans les multitudes de galaxies » - Charles Darwin (1809-1882) : « L’homme est le fruit de l’évolution, et donc un animal comme les autres » - Sigmund Freud (1856-1939) : « L’homme n’est pas maître à bord de ses pulsions. Ce n’est pas lui le rameur qui mène sa barque, mais un passager clandestin, l’inconscient » Une théorie de la vie mentale Il est de bon ton en France de brocarder régulièrement la psychanalyse freudienne*, voire de la condamner au bûcher et son concepteur avec, taxé d’imposture, par magazines à gros titres et livres pamphlétaires interposés ! Faut-il rappeler que les nazis ont brûlé, avec ceux de Karl Marx et de Stephan Sweig, les livres de Sigmund Freud en place publique (autodafé du 10 mai 1933 à Berlin) ?! Doit-on souligner que les franquistes ont également brûlé les livres de Lamartine, Rousseau et Voltaire, puis le lendemain, à nouveau les livres de Freud ( autodafés du 30 avril et 1er mai 1939) ?! Comme par hasard, lors de l’avènement du nazisme puis juste avant la seconde guerre mondiale, la poésie et la philosophie, c'est-à-dire l’imaginaire et la raison, ces deux formes d’expression de la liberté, ont aussi été bannies par le feu ! Comme par hasard, la toute jeune psychanalyse, avec sa dimension libératrice, faisait donc déjà peur ! Rappelons très succinctement le principe psychanalytique, proposé par Freud* : Permettre à l’homme tourmenté, par la verbalisation d’idées associées et le transfert vers un tiers, d’évacuer ses souvenirs enfouis douloureux (retour du refoulé), ses préjugés acquis par la socio-culture (Surmoi), et de dominer ses instincts blottis dans son inconscient (Ca) pour enfin ouvrir au monde sa vraie personnalité consciente (Moi). Autant de sacrilèges pour la société bourgeoise bien-pensante, reine de l’hypocrisie et du camouflage, du début du siècle dernier ! Autant de conditionnements et d’auto-manipulations mentales douteuses, pour une frange intellectuelle d’aujourd’hui, qui vise, par esprit de nivellement, à substituer au sujet, être pensant, l’individu, maillon de la chaîne collective. Or, tenter d’empêcher un être humain d’avoir sa vision sociale et sociétale personnelle, c’est non seulement nier son statut d’être désirant, et de décideur pour lui-même, mais c’est finalement contribuer à la production d’adultes infantilisés, faibles et « étroits », flexibles et soumis. Alors même que la psychanalyse, bien comprise, si elle n’est certes pas une science exacte ni miraculeuse - et si elle peut connaître des échecs, parce que non adaptée à tout un chacun - est avant tout une pratique émancipatrice. Fondée sur la topique précitée - non démentie à ce jour, notons-le - elle a fait largement ses preuves en libérant le psychisme de millions de souffrants dans le monde entier, depuis plus d’un siècle. Il est à noter que ses détracteurs les plus féroces, n’ont souvent qu’une approche superficielle de la psychanalyse, quand ils ne se posent pas en simples relayeurs de rumeurs destructives, en toute méconnaissance ! D’autres, au nom de fumeuses sociétés mystiques dédiées à la « descente en soi » de leurs adeptes, escortée d’occultisme et de magie (dans lesquels la franc-maçonnerie du 19ème siècle aurait pu complètement basculer !) déclarent avec suffisance la méthode freudienne, inapte aux plongées en grandes profondeurs ! Au vrai, ces « spiritualistes », ne sont rien d’autre que des ennemis du « Connais-toi toi-même » socratien. Sans même évoquer l’aventure du divan dont ils ne savent rien, ils n’ont jamais appréhendé cette « théorie de la vie mentale » qu’est aussi la psychanalyse, en dehors de la cure classique. Une dimension, entre autres, à portée linguistique et symbolique, qui éclaire quotidiennement la pensée, dans de nombreux secteurs. Mais cette plus que centenaire, alerte et généreuse, a l’habitude des attaques jalouses périodiques. Elle y est heureusement devenue imperméable ! Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si la psychanalyse, comme la franc-maçonnerie, sont encore pourchassées ou carrément interdites dans les pays totalitaires. Bien entendu parce que le but, autant dire le credo commun à l’une et l’autre, est la liberté de penser et d’agir de chacun. Celle-ci ne peut évidemment que déranger quand la règle d’Etat est l’idée unique imposée à tous. Ainsi, nous ne mesurons pas toujours la chance dont nous bénéficions en Occident de pouvoir vivre en démocratie, avec toute la valeur que porte ce mot, en termes de souveraineté des citoyens. Franc-maçonnerie et psychanalyse sont également des indicateurs rassurants : Tant que fonctionneront des loges en « Loi 1901 » (Loi d’origine maçonnique autorisant la liberté d’association), tant qu’il y aura des « médecins de l’âme » certifiés et ayant pignon sur rue, nous vivrons dans une Europe ouverte, où prospèrera encore, avec une pluralité de pensées, l’écoute et le dialogue. Il est de la sorte à souhaiter que ces deux méthodes, en soi modèles de communication, qui jusqu’à présent ont eu tendance à s’ignorer, voire à se critiquer, découvrent leur complémentarité. Le constat pourra alors être fait qu’elles s’inscrivent avec bonheur dans le même cadre social, nourri par le même terreau : celui des sciences humaines. C’est sur le thème de la construction monumentale et de ses outils qu’Anderson et Désaguliers, promoteurs de la franc-maçonnerie spéculative moderne, ont systématisé une symbolique de réflexion. C’est en visitant les ruines de Pompéï, la ville ensevelie, que Freud s’est représenté l’inconscient, imaginé comme des couches superposées « d’éléments psychiques ». La franc-maçonnerie et la psychanalyse sont ainsi nées du même « principe d’élévation » et de la même matière métaphorisée : la pierre ! Avec la même idée noble : permettre à l’homme de grandir, en toute liberté ! Un bouquet de savoirs Bien sûr, le mot n’est pas la chose : cet homme est prisonnier d’entrée de son vocabulaire. Et surtout de ses déterminismes, nous rappelle la philosophie*. -Déterminisme biologique. Nous sommes locataires d’un corps exposé (besoins, pathologies, finitude...). -Déterminisme psychologique. Chacun de nous est un « roman vivant » (passé, vécu, personnalité). -Déterminisme social. Selon notre lieu de vie, nous évoluons tous dans un cadre traditionnel répétitif (coutumes, mœurs, lois). On pourrait ainsi déduire qu’il nous reste bien peu de place, pour « vivre une liberté », hors de ces causes ! Ces déterminismes font évidemment le profit des rédacteurs d’horoscopes, des voyants et clairvoyants. Parce que les « choses de la vie » qui jalonnent nos chemins individuels ne dépendent pas toujours de notre volonté : la santé, le travail, les rencontres, l’amour, l’argent, la chance, etc. Même si comme l’assure Paul Léautaud : « il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ! ». C’est bien pourquoi des millions de clientes et clients fréquentent les « marchands d’avenir ». Pour tenter de savoir. Parce qu’un « regard d’avance » est à même de donner le sentiment d’être libre de penser et de faire, de maîtriser son destin ! Et quand la raison n’est plus vraiment aux commandes, les illusions renouvelées deviennent des aides à vivre. Pour essayer de s’échapper de la cage du quotidien. Mais combien de gens « se croient » libres de la sorte, alors qu’ils sont inconsciemment cramponnés aux barreaux du verbe « croire » qui les encerclent ?! Ces fausses libertés ne doivent pas nous faire oublier les vraies ! Celles qui, précisément, en nous donnant la possibilité, autant que faire se peut, de dépasser nos déterminismes précités, participent à notre liberté de réflexion, donc d’action. Trois d’entre elles figurent dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, notamment : -La liberté de conscience, permettant à chacun de pratiquer ou non une religion. En ce sens, le principe de laïcité, cher à la franc-maçonnerie qui a participé à son instauration en 1905, est une valeur précieuse à plus que jamais entretenir. -La liberté d’opinion et d’expression, qui implique le droit de ne pas être inquiété pour leur exercice, souligne ladite Déclaration. -La liberté de communication, qui autorise, outre la parole publique, l’écriture et l’imprimerie, à l’évidence, dans le cadre de la loi correspondante. A ces libertés fondamentales, s’ajoute pour qui le veut, la liberté d’apprendre, au vrai la joie d’apprendre ! Celle-là même qu’éprouve le franc-maçon en loge et au dehors, lorsque l’étude de la méthode symbolique l’invite, selon les Constitutions d’Anderson, à aller plus loin. A entendre comme donner de l’amplitude à la pensée. Par exemple, en embrassant parallèlement ce « bouquet de savoirs » constitué par les arts et les sciences humaines : poésie, art, anthropologie, linguistique et langues étrangères, musique, morale, littérature, philosophie, psychologie, sociologie et psychanalyse précitée. Autant d’approches culturelles en constants progrès, nouvelles pour le maçon ou revisitées, si enrichissantes pour l’esprit curieux. Ce concept de « pensée élargie », dans le sillage du philosophe Emmanuel Kant - qui va jusqu’à y voir le sens même de la vie – est d’une importance majeure en ce que, non seulement, il offre l’opportunité au sujet responsable, de nourrir son intellect en nutriments supplémentaires de grande qualité, mais encore, il lui ouvre le chemin de l’autre. En effet, cette vision du monde, soudain panoramique, ne peut que « faire sortir de soi » et de la sorte, éveiller une curiosité neuve pour les êtres et les évènements de la planète. Parce qu’il n’est d’homme libre qu’en relation. « La liberté des uns s’arrête là ou commence celles des autres ! ». Combien de fois entendons-nous cette affirmation définitive, qui, après une seconde lecture attentive, s’avère, au vrai, irrecevable. Précisément par son caractère compétiteur, voire hégémonique ! Elle signifierait, en effet, que j’ai le loisir d’agrandir mon jardin, en empiétant sans vergogne sur celui du voisin ! Et donc que, tout simplement, ma volonté peut prévaloir sur la sienne ! Il y a une différence totale entre « se rendre maître de la place » et « se mettre à la place de ». Cette dernière et noble attitude illustre parfaitement l’idée kantienne de « pensée élargie » m’invitant, tout au contraire du sans-gêne, à m’identifier à autrui pour appréhender son point de vue. Pour ressentir son ressenti. Définition même de l’empathie, qui m’indique que ma liberté de penser et d’agir doit accepter celle de mes semblables, libres dans le même instant, de penser et d’agir autrement que moi. Dans la mesure, bien sûr, où avec cette pluralité d’opinions et d’actions, les uns ne nuisent pas aux autres. Je dois donc admettre avec générosité qu’autrui est aussi important que moi sur terre. Ce n’est qu’en sortant de mon ego que je peux comprendre et accepter mes égaux ! Encore faut-il que ma liberté de penser ne me cantonne pas aux belles promesses du discours mais m’engage du projet au devoir. Du dire au faire. La loge est un cercle de raison, où chaque frère vient chercher son centre de rayonnement. Il s’agit pour moi, à la sortie du Temple, de mettre le symbole en œuvre. De passer de la lumière à la lucidité. D’amplifier ainsi mon humanité dans la cité, cette loge sans les murs. Pour rencontrer et aimer. Davantage et mieux. Alors et seulement, je serai en parfait accord avec le poète et peintre libanais Khalil Gibran, lorsqu’il dit joliment : « Toute pensée que j’ai emprisonnée dans la parole, force m’est de la libérer par mes actes ». La liberté de penser du franc-maçon Qui dit actes libres dit mobilité, déplacement. Le franc-maçon sait que la première liberté pour lui, comme pour tout un chacun, c’est d’abord celle du corps, la liberté de mouvement. Soit de pouvoir aller et venir, sans entraves, où il veut. Et de la sorte, entre autres, de pouvoir rejoindre sa loge chaque quinzaine. Le franc-maçon sait aussi qu’il est un « corps-esprit », que l’un n’est pas supérieur à l’autre, mais qu’ils se complètent. La maxime du poète antique latin Juvenal, Mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain, est toujours d’actualité. C’est cette indissociabilité du physique et du psychique qui a fait bouger et réfléchir l’Homme, au sortir de son berceau africain. Avec ce vocable interrogatif, fondateur de sa curiosité, mêlée d’angoisse existentielle : POURQUOI ? Pourquoi l’homme ? Pourquoi MOI ? Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? questionne les philosophes antiques ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? demande après eux, le philosophe allemand Gottfried Leibnitz. Pourquoi existons-nous ? demande plus tard Voltaire? Ce POURQUOI, c’est notre spécificité humaine, notre marque de fabrique, l’expression même de notre liberté de penser ! Nous avons un besoin viscéral et mental de savoir. Vraisemblablement, seuls de tous les animaux, nous disposons de deux savoirs de base : nous savons, grâce à notre système nerveux sensitif ouvert au monde, que nous sommes nés et que nous mourrons. Entre ces deux évènements, nous suivons une trajectoire que nous jalonnons de POURQUOI, précisément parce que dans la foulée de notre question, nous voulons donner du SENS, non seulement à la vie mais à notre vie personnelle. Du sens à tout, en sommes ! Que signifie « donner du sens » ? Notre esprit veut appréhender, apprendre, connaître, découvrir, à la fois la raison et la cause des choses. Apporter des « PARCE QUE » aux POURQUOI. C’est le fondement même de la science. De la sorte, dans cet espace-temps dont nous ignorons encore tout et où nous vivons, nous avons inventé la durée. Comme à l’image de la nature, nous avons horreur du vide, notre souci premier est de remplir cette durée de vie. Comme nous sommes des êtres de répétition - pour tenter de gérer ce milieu indéfini qu’est le temps - nous l’avons séquencé en un immense « calendrier-agenda », rouleau historique, parfaitement artificiel, que nous déployons et structurons au fil des années, en fêtes renouvelées, en dates anniversaires, en rituels saisonniers. Bref en marqueurs du temps. Ainsi se déroule, se déplie, s’étire le sens humain, pour ainsi dire s’épanouit notre intérêt constant pour les êtres et les faits, au cours des diverses activités que nous avons inventées pour passer le temps, notre grande occupation ! Comment se construit, comment se développe le sens que nous donnons aux circonstances ? Nous sommes reliés les uns aux autres par la grande chaîne du langage dont nous sommes dotés. Et parce que nous aimons raconter, c’est par le récit, répété, augmenté, renouvelé, maquillé, au long de l’histoire humaine que nous apportons sans cesse de la signifiance aux choses de la vie. A y regarder de plus près, nous pouvons même dire que le récit, sous toutes ses formes, a sauvé l’espèce humaine. Parce que son intelligence s’est heurtée et se heurte encore, malgré les progrès fulgurants de l’astro-physique, tant au mystère de l’univers qu’à celui de sa propre existence, l’homo sapiens a fini par croire à ce récit. Avec toute l’imprécision des mots qui ne peuvent refléter fidèlement la pensée, il a interprété et continue d’interpréter le monde et son début. Comme il ne s’est pas fabriqué lui-même, il s’est aussi inventé une origine, des cieux et des dieux, puis un dieu et un diable, un paradis et un enfer. Et sont ainsi entrés en scène, toute une déclinaison de récits, profanes et religieux, nés de sa pensée en liberté : histoires et contes, mythes et allégories, fables et légendes, romans et nouvelles, paraboles et métaphores. Et bien sûr, ce Livre des livres qu’est la Bible, riche mélange de constructions imaginaires et de réalités magnifiées. Comme nous nommons les choses par des mots et que nous ne pouvons expliquer les mots que par d’autres mots, nous devons être conscients que nous vivons dans une fiction circulaire permanente. Elle est notre réalité. Avec cette fiction, donc du mensonge accepté, nous fabriquons de la vérité humaine. Et non pas bien sûr, la Vérité, avec une majuscule, qui est une utopie. C'est-à-dire, non pas une chimère au sens courant, mais tel que nous francs-maçons l’entendons, un idéal, un but à atteindre, que savoir jamais. Ce que tu peux rêver, tu peux le réaliser, disait John Kennedy. Et il a ainsi favorisé la réalisation d’une utopie ancestrale : l’envoi effectif d’hommes sur la lune, dont un cosmonaute franc-maçon, Eldwin Aldrin ! Si j’analyse ma carte d’identité avec un esprit poétique, je peux aisément constater que mon nom et mon prénom sont des attributions, donc des fictions, avec les histoires de leurs parcours qui s’y rattachent. Même constat pour ma date de naissance qui sort d’un calendrier conventionnel. Même observation encore pour ma généalogie et ma nationalité, qui résultent évidemment de divers mélanges, comme chacun de nous ici. Je n’existe que par d’autres qui vivent en moi. Autant de destinées individuelles dans mon rétroviseur familial, autant d’évènements incertains, déformés, enjolivés, cachés peut être, qui font de ma personne sur la grande scène de la vie, un roman vivant ! A noter ici que le mot « personne » vient de la langue étrusque, qui veut dire « masque de théâtre » ! Le passé n’existe que parce que nous l’imaginons et racontons. De même pour le futur. Avec toutes les transformations que nous leur imposons par la tradition orale, donc notre liberté de penser, d’interpréter et de dire. Le récit, c'est-à-dire la création, la transposition, la représentation, le symbole, bref la fiction, toujours ! Ce sont des outils précieux pour nous, puisque, nous le savons, c’est de la métaphore que naît le sens. Et que nous trouvons dans ce sens, nos actions à mener dans la cité. Dans les bons récits romanesques et adogmatiques, écrits pour libérer et élargir les esprits, les faits humains sont tissés de paradoxes, de controverses, de questionnements. Ce n’est pas le bien et le mal, ce duo simpliste et moralisateur qui est mis en avant, mais plus finement, le profitable et le détestable, l’acceptable et l’intolérable. Bref, le positif et le négatif. Ainsi nos mythes, légendes et symboles racontés, nous permettent d’approcher l’empathie, la sympathie, l’amour, ces territoires de liberté, égalité et fraternité entre les êtres. De mon point de vue, le sens de l’existence humaine n’est déterminé ni par un dieu tout puissant, ni par l’histoire, ni par nos inventions technologiques : la vie a les sens que nous attribuons, que nous lui apportons, en toute liberté, de penser et d’agir. La fiction est notre condition psychique, bien, alors attention aux fantaisies de notre cerveau fabulateur: Une croyance fanatique et mortifère peut m’imposer de me ceinturer de dynamite pour me faire exploser dans un autobus bondé. Une autre, bénéfique et altruiste, peut m’inciter à devenir un donneur de sang ou de moelle régulier. Pour ou contre la vie : A moi de choisir un modèle fictionnel éclairant. Et non ténébreux ! Si j’ai conscience que le versant pessimiste de mon imagination cherche souvent à assombrir ma raison, je dois écouter mon intuition. Elle me commande de nuancer mes opinions. Et de retarder mes jugements définitifs. Le doute est la certitude du maçon. Ce n’est pas par hasard si le prestigieux Temple de Salomon, ce séculaire « donné-à-bâtir » et les légendes qui gravitent autour, unissent, à tous leurs rites, tous les francs-maçons du monde. Cette épopée de pierres, fable biblique mêlée de réalités historiques, nous permet, encore et toujours, de réfléchir de manière constructive, au rythme du sablier temporel. Parce que de la fiction - ou pour le dire autrement, de la poésie - peuvent surgir sans cesse de nouveaux sens maçonniques. Des sens novateurs, oui, mais aussi, si je puis dire, des sens « élévateurs ». Autant de signifiants et signifiés originaux, générés par nos indispensables « pourquoi », périodiquement actualisés, et à visée créative. « Celui qui a un pourquoi dans la vie, peut supporter tous les comment », dit Nietzsche. Gil GARIBAL *Sources : - Qu’appelle-t-on s’orienter dans la pensée ? Texte d’ Emmanuel Kant (1786) publié sous le titre Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée- Editions Vrin (2001) - Apprendre à vivre - Luc Ferry - Editions Plon (2006) - Le comptoir philosophique - Christian Godin - Editions First (2007) - Sigmund Freud, l’homme, le médecin, le psychanalyste - Gilbert Garibal - Editions de Vecchi ( 2001) - L’espèce fabulatrice – Nancy Huston – Editions Actes Sud ( 2008) |
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