Justice
et Equité
Thème
d'étude
Introduction
La
Justice est définie comme
une juste appréciation, une reconnaissance et un respect des
droits et du
mérite de chacun. L'Equité est définie
comme une " justice naturelle
" dans l'appréciation de ce qui est dû
à chacun, comme une vertu qui consiste
à régler sa conduite sur le sentiment naturel du
juste et de l'injuste. Il y a
plusieurs définitions et sortes de justice;
l'expérience dans la vie profane et
la tradition dans la vie maçonnique nous ont
démontré, depuis fort longtemps,
la manière et le comportement à adopter selon les
domaines qu'elle se propose
de régler.
Les
justices
La
justice commutative règle
les rapports entre les individus, ceux des droits particuliers des
personnes,
en dehors de leurs répercussions sur le bien commun. Il
s'agit de droits
portant sur les biens privés de la personne (contrats,
dettes, successions,
etc.). La règle principale de cette justice est la
réciprocité et l'échange
mesurés uniquement par l'objet en question. Aussi,
l'égalité à faire respecter
par cette justice doit refléter
l'égalité foncière de personnes et ne
se
mesurer que par l'objet ou la prestation extérieure qui a
donné naissance à ce
droit. Elle doit être une égalité
quantitative pouvant être évaluée
financièrement (dommages, juste de prix, etc.).
La
justice distributive
considère la personne, non plus dans son
égalité avec les autres, mais comme
membre d'un groupe social. Cette justice essaie de faire respecter le
bien qui
unit une personne, non pas à une autre personne physique,
mais avec le groupe
social lui-même, que ce soit une commune, une entreprise, un
groupe politique
ou une nation. Il s'agit ici de donner aux membres de la
collectivité ce
qu'elle est en droit d'attendre du bien commun qui est principalement
fait pour
aider les membres de cette société. Il ne s'agit
plus alors d'un échange, mais
d'une distribution, en fonction non pas de l'apport des individus mais
de leurs
besoins réels (est-ce de l'équité?).
L'exemple
le plus connu est
celui de l'assurance maladie dont les prestations ne sont fournies en
proportion des cotisations. Cette justice distributive prouve
l'existence d'une
solidarité entre humains et se mesure en besoins,
c'est-à-dire en fonction des
conditions des personnes comme membres du corps social, de leur
responsabilité,
de leurs devoirs et également en fonction de leur
qualité de cœur et de leur
générosité. Il s'agit alors d'une
égalité non mathématique mais
proportionnelle
entre les nantis et ceux qui le sont moins. Son appréciation
reste délicate à
établir. Elle doit respecter l'égalité
de personnes et répondre à des
critères
particuliers en veillant à servir le corps social et la
solidarité à l'égard de
tous ses membres.
Justice
et équité en
maçonnerie ?
Peut-on
parler de justice et
d'équité en Maçonnerie ? Le niveau et
le fil à plomb déploient un effet
évocateur dans la mesure où par excellence le fil
à plomb synthétise la
dimension verticale et permet de rapprocher l'imparfait de la
perfection. Le
niveau, plus modestement, enseigne l'égalité
entre les maçons dans le respect
de leurs qualités et de leur diversité.
Dans
ce sens. l'on pourrait
appeler l'équité, la dimension horizontale entre
les maçons, attribut de
l'image de la perfection, du respect et de l'harmonie. L'harmonie est
la preuve
de l'équité dans la justice, mais aussi dans le
ressenti de l'autre, donc le
maçon tend à devenir juste et
équitable au travers de son harmonie et de
l'exercice de la tolérance.
La
justice est-elle un
sentiment égoïste ou altruiste ? La justice
n'est-elle qu'un sentiment ? A
travers cette vision s'établit la suprématie, de
l'idéal sur le concret, des
idées sur la matière, de la perfection sur
l'imparfait. Sans doute est-il
difficile pour l'homme d'aujourd'hui, tout entier tourné
vers l'exploration de
la matière et de l'emprise extraordinaire qu'il a acquise
sur elle, d'imaginer
qu'il puisse exister une autre réalité !
Pourtant,
il s'agit bien du
sens et même du seul sens possible d'une
Maçonnerie qui ne soit pas réduite au
rôle d'une association stimulante pour la
réflexion et généreuse à
travers son
activité caritative.
En
maçonnerie, la recherche
de la vérité est une démarche
permanente, une recherche qui tire son origine du
monde profane et qui se déploie dans le monde initiatique en
se développant et
en se perfectionnant.
La
Fraternité en loge repose
sur une justice sans jugement, dépourvue de
volonté de surpasser autrui,
fraternité mise au service de Frères travaillant
à une oeuvre commune. Les
symboles découverts à l'occasion du passage du
ler grade renvoient aux symboles
du Soleil et de la Lune, appel à la tolérance et
aux convictions que chaque
Maçon vit en conscience et en actes. Acquérir une
conscience vive de la justice
renforce l'idée d'un travail personnel sur la justice,
harmonie de l'être,
équilibre entre ses dons personnels et son désir
de les proposer comme pierres
données à la construction du Temple. Cette
construction peut s'identifier à une
école de la vie, à une école du
devenir; de la vérité de chaque Frère
qui
accepte de poursuivre son ouvrage par la pensée, par la
réflexion et par le
travail comme une mission personnelle s'inscrit une
amélioration dans ce qu'il
vit dans le monde visible et invisible.
Une
école initiatique
Reconnaître
que la Maçonnerie
propose une voie initiatique dans laquelle chaque Frère peut
choisir d'évoluer
librement rejoint la question du sens de la vie que chacun se donne
à soi-même.
Hors mode, hors credo, hors dogme, la Franc-Maçonnerie donne
une orientation
aux générosités, aux aspirations des
Frères, aux espérances qui dépassent
en
l'homme, ses limites et ses insuffisances. Cette dimension traverse le
temps et
les générations; cette recherche porte en
elle-même le sens de l'équité et la
promesse d'une justice, exprimée dans le sens d'une
acceptation du
libre-arbitre individuel.
Quelle
justice
pratiquons-nous à l'égard des Apprentis, des
Compagnons, des travaux que nous
leur demandons et des appréciations que nous leur
réservons ? L'aspect
communautaire de la Loge donne l'occasion de mettre en
évidence ce que chacun
porte en lui et qu'il peut donner à ses Frères.
Le respect de règles
personnelles importe davantage que le souci de suivre les lois d'un
droit en
décalage avec la société profane, lois
souvent imposées comme un dogme. Ce
pouvoir personnel sur ma propre orientation fait naître un
sentiment individuel
de justice toujours en écho et en coopération
avec mes Frères. Cette nouvelle
justice tient compte des intuitions et des émotions que
parvient à ressentir et
que se permet de vivre, chaque Frère.
La
nouvelle alliance
L'univers
des symboles
instruit ce nouveau comportement, inspire une nouvelle conduite,
génère de
nouvelles habitudes et demande une acceptation "juste" pour une
existence guidée par ce renouvellement et les forces qu'il
procure. Ces forces
intègrent le pardon, la reconnaissance du doute, l'ouverture
à la parole de
l'autre, la puissance d'un amour, la soif d'un absolu. Ce
dépassement de
soi-même crée la nouvelle alliance, ce
perfectionnement de soi-même suscite
I'espérance, le rituel initiatique porte une
lumière comme la force d'un idéal.
Dans la vie profane l'usage représente la justice semblable
à une femme aux
yeux bandés tenant en ses mains un glaive et une balance. On
peut comprendre
par ce symbole que la justice ne doit pas tout voir. Il y a des aspects
de son
oeuvre qui ne peuvent être accomplis que si elle
reconnaît la différence entre
les humains, de manière à pouvoir appliquer une
stricte égalité.
La
justice idéale imaginée
par les hommes ne tient pas compte de leur religion ni de leur couleur
de peau
ni du degré de sympathie que leur visage peut inspirer, elle
appliquera la même
règle à chacun. Pour les juristes,
l'équité apparaît simplement comme un
correctif de l'application rigoureuse de la loi. Les juristes sont
tellement
conscients de l'imperfection de leur système
qu'ils
admettent que l'application
stricte de la loi peut conduire à des situations aberrantes.
Justinien
écrivait déjà:
summum jus summa injuria.
Ce
rapprochement entre le
comble de la loi et le comble de l'injustice tel que l'exprime cet
adage, en un
saisissant raccourci, montre à lui seul l'imperfection
évidente du système.
Dans ces situations, le juge est autorisé par le Code civil
suisse à corriger
l'imperfection de la loi, dans des circonstances
particulières; c'est ce que
les juristes appellent l'équité.
L'équité serait ainsi une valeur
supérieure à
celle de la justice, elle-même confondue avec l'application
de la loi. Dans
l'usage courant, le sentiment contraire prévaut. Dire d'un
arrangement qu'il
est équitable, revient à dire qu'il n'est pas
parfait, qu'il n'est pas vraiment
l'image de la justice idéale, mais que l'on peut s'en
accommoder. L'équité est
donc à placer à un rang inférieur
à celle de la justice, notion qui est
tellement ancrée dans le coeur des hommes qu'elle est
nécessairement associée à
l'idée de perfection.
Le
Grand Architecte de
l'Univers
Dans
le rituel de Fidélité et
Prudence, à l'entrée du Temple, lorsque le
bandeau tombe des yeux du maçon, il
voit immédiatement le mot JUSTICE écrit en
lettres de feu à l'Orient. Il s'agit
d'un emprunt remarquable au rite rectifié. La vision
idéale de la Maçonnerie
implique un retour à la théorie des
idées de Platon. A travers cette vision
s'établit la suprématie de l'idéal sur
le concret, des idées sur la matière, de
la perfection sur l'imparfait. Sans doute est-il moins simple pour
l'homme
contemporain entièrement tourné vers
l'exploration de la matière et l'emprise
extraordinaire qu'il a acquise sur elle, d'imaginer qu'il puisse
exister une
autre réalité.
Le
Grand Architecte de
l'Univers conçoit un plan et les maçons, ses
humbles collaborateurs, essayent
de le réaliser. Ils le font en taillant leur pierre, pierre
destinée à occuper
une place dans l'édifice. L'ogive et le contrefort de la
cathédrale gothique
livrent à cet égard le meilleur enseignement.
Chaque pierre est indispensable,
l'absence de l'une d'elles et tout l'édifice
s'écroule. A cet égard, les
pierres sont strictement égales entre elles. Elles sont
cependant toutes
différentes, par la taille et par la position qu'elles
occupent, de sorte que
chacune "oeuvre" à la stabilité de
l'édifice, quelle que soit la
poussée qu'elles subissent ou l'effort qu'elles
accomplissent.
Néanmoins
toutes sont
Indispensables. L'édifice ne se conçoit que par
la suprématie d'une vision
idéale, qui assigne à chaque pierre un
rôle défini, unique, en parfaite
harmonie avec l'ensemble des autres pierres. L'enseignement de Platon
au
Sixième livre de la République rappelle que la
Justice est l'ordre parfait dans
lequel chaque chose est à sa place. Cette
démonstration fait référence
à l'âme
humaine, qu'il divise en trois parties: l'esprit, faculté
cognitive et
intellectuelle, le courage ou capacité d'affronter les
épreuves, et enfin le
désir, soit ce qui motive et met en oeuvre l'ensemble de le
personnalité. Il
n'atteindra sa propre perfection que grâce à un
équilibre entre ces trois
facultés, aucune ne devant empiéter sur les
autres. Ce philosophe poursuit
son analyse par une comparaison; observant la cité comme une
entité politique,
en rapport analogique avec l'âme humaine puisque la
cité est aussi composée de
trois unités: les sages, qui devraient la diriger, les
guerriers, qui devraient
la protéger, et les travailleurs, qui doivent la faire
prospérer.
Ici,
comme dans d'autres
parties de son oeuvre, Platon puise dans les vieux textes coptes
indoeuropéens,
la fameuse répartition tri fonctionnelle des rôles
mise en lumière par Georges
Dumézil. Or il est intéressant de constater que
cette idéologie tripartite est
encore présente dans non temples. Si l'on veut bien se
souvenir du rôle que
joue Eros dans la vision de Platon et dans la Grèce antique,
l'objet aimé est
une image qui nous renvoie à la perfection et à
ce qui le rend désirable.
Comparer cette explication aux trois facultés de
l'âme ou à la tri partition de
la Cité, vous obtiendrez la Sagesse, la Force et la
Beauté. La Sagesse attire
l'esprit de l'homme comme la réflexion de ceux qui devraient
gouverner la Cité;
la Force renforce le courage de l'individu comme l'effort des
guerriers; la
Beauté provoque le désir de l'homme; la
Production suscite l'activité des
travailleurs dans la Cité.
L'harmonie
et la justice
L'harmonie
caractérise le but
à atteindre. On sortirait sans doute du sujet en recherchant
l'origine
pythagoricienne de la notion d'harmonie et le corollaire musical de
l'édifice.
On imagine aisément, les maçons
"opératifs" complétant la cathédrale
de pierres par une cathédrale de notes. Retenons simplement
la notion
d'Harmonie comme indissolublement liée à la
notion de Justice. En nous
référant, une fois encore à la
voûte et au contrefort de l'architecture
gothique, nous pouvons définir la Justice comme l'image de
la vraie science.
Nul ne pourra jamais dire jusqu'où s'étendait la
science des maçons
"opératifs". Étaient-ils des experts dans le
domaine de la géométrie,
science par excellence, qui leur permettait de comprendre la terre et
le Temple
?
Nous
ignorons s'ils avaient
connaissance des mesures la de force pour déterminer la
poussée que chaque
pierre devait supporter; nous ne savons, non plus, s'ils avaient un
moyen de
calculer l'importance du contrefort qui devait contenir cette
poussée.
Cependant les cathédrales sont là, qui
témoignent de la perfection de leur
savoir. Ce témoignage vaut aussi pour les modestes outils
qu'ils employaient. Aujourd'hui
encore, ils sont utilisés de manière symbolique
par les Maçons
spéculatifs.
L'actualité
du travail
maçonnique
La
philosophie maçonnique
invite chaque Frère à rechercher l'harmonie
à partir d'une quête personnelle,
la Maçonnerie montrant la voie d'une justice
équitable. Pour chaque Frère, le
cheminement sera différent, personnel et souvent en fonction
d'une motivation à
trouver destinée à guider son
élévation spirituelle. Dans le domaine de
l'équité
le travail de chaque Frère demande du courage, de la
persévérance et de la
tolérance. Cette recherche ressemble à un
cheminement actif, à une initiation
volontaire, à un désir en soi et autour de soi
d'harmonie universelle.
Rechercher sa vérité se résume bien
souvent à l'accomplissement d'un désir profond
visant à découvrir les intentions de G.A.D.L.U.
accessible aux vérités
profondes de chacun. Le Temple de Salomon, la construction du Temple
maçonnique
symbolisent cette volonté de trouver dans la
Fraternité les instruments du bon,
du vrai et du juste nécessaires, à la
pensée généreuse contribuant
à donner à
l'homme sa dignité et sa responsabilité. |