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Quête
spirituelle ou athéisme de
combat ? À l’aube du XXIe siècle, la Franc-maçonnerie est-elle restée fidèle à ses convictions premières et à son héritage spirituel ou a-t-elle succombé aux courants matérialistes du XIXe siècle ? Certaines des préoccupations de la Franc-maçonnerie sont très anciennes. L’intérêt pour les symboles, la spéculation sur les nombres et la recherche de la perfection spirituelle sont des éléments dont on trouve la trace très loin dans l’histoire de l’homme. D’aucuns avaient besoin de croire en éliminant le doute de leur esprit et d’autres avaient besoin de savoir et de comprendre. Le compas et l’équerre, le nombre et la gnose sont présents dans l’école pythagoricienne, la civilisation égyptienne ou les mystères de la Kabbale. Ils faisaient partie du quadrivium médiéval et leur emploi est évident lorsqu’on analyse la proportion des nombres dans l’architecture d’une cathédrale. Les mouvements ésotériques ont été nombreux en Occident à partir de la Renaissance. Leur côté secret s’explique aisément quand on connaît le sort que l’Inquisition réservait à tous ceux qui osaient s’écarter du dogme. Nous ne traiterons ici que de la Franc-maçonnerie moderne et de son parcours depuis le siècle des lumières jusqu’à aujourd’hui. Avant de prétendre aborder un sujet aussi vaste, il conviendrait de définir ce que l’on entend par “Franc-maçonnerie”. La Franc-maçonnerie moderne est un mouvement spirituel de type initiatique et fraternel dont les membres croient en l’amélioration de l’homme et de la société. Elle a attiré des esprits indépendants, en quête d’un savoir perdu et en opposition avec le dogmatisme de l’Église. La Franc-maçonnerie régulière a des points communs avec la religion : la croyance en Dieu ou en un “Grand Architecte de l’Univers”, la présence de rites (rite français, rite écossais ancien et accepté, rite de Misraïm, etc.) et le fait d’avoir des temples pour se réunir. “Le véritable maçon, comme ouvrier de l’intelligence constructrice de l’Univers, est l’artisan de son propre temple intérieur.” Elle a été appelée “La Religion des religions” par les Francs-maçons eux-mêmes. D’après le rituel du 1er degré symbolique de la Grande Loge de France : “Ce n’est pas une religion dans le sens étroit du mot. Mais, elle a pour effet de relier les hommes entre eux ; c’est par ce fait une religion dans le sens le plus large et le plus élevé du terme”. L’attitude de la Franc-maçonnerie concernant les questions métaphysiques est loin de l’arrogance de la science du XIXe siècle : ” L’Initiation n’impose rien, n’oblige pas à croire, mais elle incite à penser, elle sollicite l’intelligence à découvrir par elle-même la Vérité. Le grand mystère de nos destinées ultimes ne se dévoile [pas] à nous avant l’heure de l’initiation suprême. Nous ignorons ce qui est hors du cercle limité de nos constatations et nous évitons donc d’affirmer ou de nier avec présomption”. Au-delà de la tombe commence pour nous la Nuit Sacrée, dont il serait impie de profaner le mystère. Devant ce mystère, inclinons-nous humblement, conscients de l’étendue de notre ignorance et de l’infinitude de ce qui dépasse notre savoir “. La Franc-maçonnerie a grandi en conflit permanent avec l’Eglise Catholique, qui l’avait toujours jugée comme une secte dangereuse jusqu’au milieu des années soixante-dix. On pourrait aussi considérer la Franc-maçonnerie comme une sorte d’anti-religion ou, dans le cas du Grand Orient de France, d’une religion laïque. L’initiation maçonnique est aux antipodes de la foi chrétienne. La mystique chrétienne implique un côté passif de négation de soi pour se donner au Seigneur, la grâce est un don du ciel et dépend de la volonté divine. Dans la tradition maçonnique, l’homme par son travail sur lui-même devient bâtisseur de son temple intérieur et accède à des niveaux supérieurs de conscience. Il plonge dans les profondeurs du chaos primordial, afin de distiller par l’œuvre au noir le subtil du solide et s’élever vers la conscience supérieure. Cette ascèse est résumée par l’ancienne formule hermétique V.I.T.R.I.O.L. (Visita Interiora Terrae Rectificandi Invenies Occultum Lapidem). C’est la recherche de la pierre philosophale et l’accomplissement du grand œuvre, autrement dit, la transmutation alchimique des métaux en or dont le sens profond n’est autre que l’élévation spirituelle de l’être. Ce discours montre bien les buts spirituels et les préoccupations premières de la Franc-maçonnerie, cependant elle n’est pas toujours restée dans le domaine spéculatif ; ceci est particulièrement visible dans le cas du Grand Orient qui s’est éloigné de la quête intérieure pour interférer de plus en plus dans la politique. Il est probable que les clivages de la Franc-maçonnerie correspondent à des clivages qui existent en amont dans la société elle-même. En Occident, les défenseurs d’interprétations matérialistes et spiritualistes du monde et de la nature humaine n’ont pas cessé de s’affronter depuis la Renaissance. La grande scission a eu lieu au XIXe siècle : Marx et Engels tournèrent le dos à l’ontologie de Kant en adoptant la dialectique matérialiste ; la psychologie Freudienne et la psychiatrie feront de même, en adoptant une vision mécaniste de l’être humain, complètement étrangère à la religion et la morale traditionnelles. Renan avait dit alors : “La science est une religion, la science seule fera désormais les symboles, la science seule peut résoudre les problèmes de l’homme…” Cette vision va affecter profondément l’idée que l’homme du XXème siècle aura de lui-même et de ses semblables. A partir du postulat que l’être humain est une chose, qu’il n’a pas d’âme, il sera plus facile de franchir les barrières et de disposer de lui comme d’un objet. Toute réalisation commence par une idée et derrière l’épuration idéologique ou raciale, il y a l’idée tacite de l’homme objet dont on peut disposer à sa guise. Les régimes totalitaires, d’ailleurs, ne s’en sont pas privés ! La morale et l’éthique traditionnelles issues de la religion et de la philosophie seront mises à l’écart. Ce siècle aurait pu être un âge d’or, caractérisé par les progrès de la science et de l’éducation, par la fin de la maladie et de la misère. Le mythe de la pureté raciale, le marxisme scientifique et l’absence de valeurs spirituelles feront de lui un enfer. A la fin du vingtième siècle, des scientifiques comme David Bohm, Karl Pribam, Jean Charon vont se rapprocher de la métaphysique et de la religion . C’est un retour vers la spiritualité par la porte de la science. Sir James Jeans , grand précurseur, avait déjà dit en 1932 : “Aujourd’hui on est largement d’accord pour dire que la physique se dirige vers une perception non-mécanique de la réalité. L’Univers commence à apparaître plus comme une grande pensée que comme une grande machine. Cette nouvelle connaissance nous oblige à revoir notre première impression hâtive que nous nous sommes pris le pied dans un univers pas très concerné par la vie ou qui lui est très hostile. En effet, n’importe quel arrangement concevable de la matière et de l’énergie est postulé comme existant dans un Univers séparé”. Le mélange de certitudes et de l’absolutisme de la science a mené à un athéisme sans appel. Dans ce monde là, seuls les phénomènes de la réalité concrète observables et quantifiables avaient droit de cité. Il n’y avait pas encore de trous noirs et on n’avait pas encore pénétré la matière assez en profondeur pour voir que ce n’est que du vide. Or voici que la physique quantique va donner un vigoureux coup de pied dans la fourmilière pour nous dire que l’espace, le temps et l’univers physique n’existeraient pas, qu’ils feraient partie d’une illusion. Les écrits des scientifiques d’aujourd’hui se rapprochent étrangement de la conception de l’Univers et de la nature spirituelle de l’homme que l’on trouve dans les textes sacrés. Ce dont parlent Niels Bohr et les autres physiciens depuis les années trente avait été décrit dans le Tao de Lao-tseu ou dans les Védas bien avant notre ère. Les théories les plus récentes sur la naissance de l’univers parlent d’un principe organisateur transcendant la matière. Le physicien John Wheeler décrit ce qui a précédé l’univers comme “un océan infini d’énergie ayant l’apparence du néant”. David Bohm parle d’une “source éternellement créatrice située au-delà de l’espace et du temps”. L’univers est une vaste pensée, où chaque particule vit en interaction avec tout ce qui est. La séparation apparente des particules n’est qu’une illusion. Elles font partie d’une unité sous-jacente. Non seulement Einstein est mis en cause, mais Darwin et sa théorie de l’évolution aussi. La probabilité mathématique pour que l’univers ait été engendré par hasard est nulle. Les Maçons n’avaient-ils pas fait allusion au Grand Architecte de l’Univers ? Il existe une vision du monde imprégnée d’humilité et de sagesse, loin des partis politiques, des clubs d’affaires et du népotisme, où l’homme peut devenir meilleur et aider ses semblables. Cette vision fait partie de l’héritage spirituel et de la quête de la Franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie a été souvent attaquée : “mais aux persécutions dont la maçonnerie est l’objet, il y a une autre cause, celle-ci née dans son propre sein (…) Elle a oublié sa raison d’être, oublié sa catholicité, c’est-à-dire son universalité. Elle est descendue dans l’arène des partis, elle a manqué à sa mission salvatrice ; au lieu de se cantonner dans la sphère de l’autorité et de la sagesse, elle a voulu participer, en tant que maçonnerie, au pouvoir et à la politique… Elle s’est ravalée au rôle de chapelle clandestine des intérêts privés, elle a fait sa cour aux puissants du jour, pour avoir sa place parmi eux, sans penser à la fragilité des colosses aux pieds d’argile (…) La vraie maçonnerie s’est élevée contre l’injustice et l’intolérance, elle a voulu, partout et toujours, rétablir l’équilibre rompu. Parce qu’ils étaient humains, les moyens employés par elle ont, peut-être, dépassé la limite de la sagesse. Pour lutter contre la détresse matérielle, elle est descendue sur le plan strictement physique, elle a ainsi perdu de vue son rôle spirituel et son office de médiateur. Dans certains cas, elle s’est aussi prêtée aux réalisations partisanes. Mais son action était légitime dans son essence, sinon dans ses modalités. Les hommes qui, dans son sein, ont dirigé la lutte étaient, pour la plupart, plein de foi et de bonne volonté, ils avaient un seul objectif : le bien ; il faut les absoudre. Même si leur œuvre est condamnable, la maçonnerie est innocente, elle ne préconise pas l’erreur, mais la vérité”. Ces citations sont tirées de l’oeuvre d’un franc-maçon : Le Vrai Visage de la Franc-maçonnerie de Constantin Chevillon, Ed. Paul Darain, 1945. Constantin Chevillon fut arraché à son domicile par des collabos, le 25 mars 1944, pour un soi-disant interrogatoire ; son corps fut retrouvé dans la nuit, percé de balles, dans la banlieue lyonnaise. |
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