GLDF Loge : NC Date : NC


De midi à minuit plein

Ce sujet m'a d'emblée touché. Je viens d'avoir 40 ans, je suis donc au midi de ma vie. Plancher de midi à minuit revient pour moi, à plancher sur la seconde moitié de la vie. A partir de maintenant commence la phase descendante car ce n'est qu'au zénith que le soleil reconnaît son véritable but, la descente vers la nuit et minuit plein, la fin de la lumière.
Ce constat est douloureux, les anglo-saxons parlent de "mild life crisis" la crise du milieu de la vie. C'est un double constat, au midi d'une part l'homme est censé avoir atteint son apogée, il ne grandira pas plus haut et d'autre part la suite est une longue et irrémédiable peau de chagrin. Le défi de cette planche sera de trouver du sens à cette inéluctable réalité.
 
Midi, le soleil est au zénith, midi plein, c'est la plénitude de la lumière, c'est l'heure ou l'ombre est la plus courte,  midi immobile évoque l'absolu et l'éternité, "midi la haut, midi sans mouvement en soit se pense et convient à soit même" chante Paul Valery dans le Cimetière marin, midi le juste dit Camus où l'homme se trouve dans sa vérité toute entière. C'est à ce moment que le 2nd surveillant qui suit le soleil au méridien appelle les frères au travail.

A midi,  les apprentis franc-maçons ouvrent leurs travaux. C’est la loge qui est ouverte mais c’est aussi le travail. Les apprentis sont dans le Temple pour travailler à l'éveil de leur être, à l'édification de l'Homme Ce travail de midi à minuit est comme le Hata Yoga, traduit littéralement par le yoga du soleil (Ha) et de la lune (ta), un travail sur soit qui doit mener à l'équilibre. Et devant l'ampleur de la tache, il n'y a pas de temps à perdre. Il y a même urgence car la vie est courte et parfois brutale. Et lorsque arrivera minuit il sera trop tard.  Comme Diogène qui sortait à midi avec une lanterne pour chercher l’Homme, à midi, il est l'heure de se mettre en chantier, de changer pour donner force et vigueur à sa vie.

A midi, les apprentis francs-maçons entrent dans le temps sacré. Le temps profane s'arrête, les soucis et l'agitation du monde profane restent à la porte du Temple. Pendant la durée des travaux, les apprentis quittent le temps chronologique pour atteindre un temps juste, un silence intérieur, une orientation pour  retrouver l'harmonie avec eux-mêmes et avec le monde. Pénélope défaisait à minuit ce qu’elle filait à midi pour immobiliser le temps. Midi marque le passage du profane au sacré, minuit le retour au profane. Ce temps sacré dont l'intensité est plus importante que la durée. Ce temps sacré plus facile à appréhender à couvert mais peu à peu doit s’apprécier dans le monde.

Minuit, le milieu de la nuit, heure des ténèbres, heure du crime, heure du fantôme d'Hamlet, l'heure ou Cendrillon doit quitter le bal pour retourner au triste monde des apparences

A minuit, c'est l'heure du repos, d'un repos mérité après un dur labeur. C'est l'heure de la digestion. L'apprenti a besoin de la nuit pour assimiler. Ce temps de réparation de régénération d'élimination de tout ce que le soleil a usé ou brûlé, est indispensable et doit se faire dans le noir. Le travail du connaît toi toi-même, doit passer par l'exploration de la face cachée et obscure de notre personnalité, par l'appréhension de cet inconscient qui travaille en chacun de nous. C’est la descente verticale le long du fil à plomb, c’est le VITRIOL du cabinet de réflexion, c’est le temps de la récréation dit le second surveillant, de la re-création.  Ce temps de préparation est nécessaire car la lumière pourrait détruire ce qui est trop jeune ou trop faible, comme le soleil a fait fondre la cire des ailes d' Icare.  Ainsi, le récipiendaire commence son voyage initiatique par la profondeur de la terre avant de remonter par étapes à la lumière et l’apprenti se tient au septentrion la région la moins éclairées car il n’est pas en état de supporter une trop grande lumière.

A minuit, l'ombre est totale. C'est la fin du travail. C'est l'heure de poursuivre hors du temple l'oeuvre entreprise et de garder brillante la lumière qui nous a été donnée. C’est l’heure de renvoyer les frères pour comme dit le rituel ils puissent continuer à travailler dans la Liberté la Ferveur et la Joie. Minuit n’est pas une fin, c’est un recommencement. Minuit c'est l'heure ou naissent les Dieux C'est le début d'un nouveau jour, et l’aurore, le point de départ d'une nouvelle croissance de la lumière. Cette petite lumière qui brille dans les ténèbres, qui triomphera des forces de la nuit, et s'engagera dans une phase ascendante vers un nouveau midi.

Pourquoi travailler de midi à minuit et non de minuit à midi? Pourquoi ce chemin de la lumière vers les ténèbres? Alors que tout le rituel tend vers la lumière, que l'apprenti entrant dans la loge va des ténèbres à la lumière, que l'apprenti prend place sur la colonne du Nord en attendant d'aller sur celle du Midi.

Essayons une explication rationnelle. Au midi de sa vie, l'homme fait généralement le point. Il est devenu adulte. Dans les temps précédents certaines ténèbres ont été vaincues : Il a à peu près, trouvé sa place dans la société, il a presque fait la paix avec lui-même et son enfance. Les biens matériels, la reconnaissance sociale ne suffisent plus à satisfaire sa soif, il cherche d'autres lumières. C'est le moment de s'avancer sur le chemin de l'initiation. A midi, l'homme n'est pas encore alourdit par le repas, il est temps de se mettre au travail. C'est aussi l'heure de se rendre utile pour ses semblables, de redonner ce qu'il a reçu et travailler sans relâche au bonheur commun.

La démarche analogique propose une autre lecture. En changeant de plan, on doit appliquer la règle d'inversion. Ce principe est enseigné dans la Table d'Emeraude : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Midi dans une première lecture est l'heure de la pleine lumière et minuit l'heure des ténèbres. Cela peut se renverser. Midi devient le moment de la calcination ou apparaît le soleil noir de la mélancolie et à minuit culmine le soleil spirituel, le soleil de minuit des mystiques, ce soleil visible par les seuls yeux des éveillés.  En passant de notre monde à un monde supra-sensible, le chemin de midi à minuit devient alors une quête de l’éveil, un lent travail vers la véritable lumière.

A midi, il n’y a pas d’ombre. Midi passé l’ombre apparaît, nous permettant de nous orienter. Les bâtisseurs de cathédrales plantaient un bâton dans le sol. Cet outil très simple permettait d’orienter la construction, et de faire passer la lumière aux endroits choisi. Cette orientation donnée par le soleil est aussi essentielle pour l’apprenti qui cherche sa voie dans les ténèbres. Elle lui permet d’ordonner les informations qu’il reçoit, d’éviter les impasses, de se centrer. Nous sommes dans un rite solaire, dont les bornes sont les mouvements du soleil. A midi, il est l’heure de se mettre en mouvement, de dépasser notre quotidien, d’explorer un monde nouveau, en confiance puisque la lumière guide notre chemin.
 
A l’heure où je conclue cette planche, j’ai 40 ans depuis quelques mois. Midi est passé, je me suis mis en chemin et comme dit Giono le soleil n’est jamais aussi beau qu’un jour où l’on se met en route…

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