GLND | Loge : Johary - Orient d'Antananarivo | Date : NC |
La Mort, phénomène nécessaire à la Vie Dans cette phrase le mot mort précède le mot vie. Dans la Nature il n’en est pas de même, la vie précède la mort et pour comprendre le phénomène de la mort il faut d’abord parler de la vie et de l’amour au sens biologique de la reproduction sexuée. Tout le règne animal, des bactéries aux hommes en passant par les insectes, tout le règne végétal, toute cette diversité cache une grande unité, avec comme concept de base la cellule, qui est présente comme la brique élémentaire de tous ces organismes. Dans le noyau de ces cellules se tapissent nos gènes. Les gènes sont les porteurs de nos caractères physiques héréditaires (couleur de la peau ou des yeux par exemple). Ils s’enchaînent le long de la molécule d’ADN, une longue chaîne de blocs de base accrochés linéairement et appelés nucléotides. Ces blocs de base ne sont que de quatre sortes différentes et se nomment : Adénosine (symbole A), Thymine (symbole T), Cytosine (symbole C) et Guanine(symbole G). Ils ont un caractère d'universalité puisque ce sont les mêmes pour les hommes, les animaux et les plantes. Ce qui diffère, c'est l'ordre dans lequel ils sont assemblés. Un bloc G provenant d'un humain est exactement pareil à celui qui provient d'un escargot ou d'une orchidée. Chacune de nos milliers de millions de cellules contient une copie de l'ADN de notre corps. Cet ADN peut être considéré comme un ensemble d'instructions, en terme informatique on dirait un programme, donnant au moyen d'un alphabet de quatre lettres (A,T,C,G) le mode d'emploi de la fabrication d'un corps. C'est comme si, dans chaque pièce d'un immense bâtiment, il y avait une bibliothèque contenant les plans de l'architecte pour tout le bâtiment. Cette « bibliothèque» cellulaire s'appelle le noyau. Les plans de l'architecte comportent quarante-six volumes chez l’homme. Ces "volumes" sont les chromosomes. Ils sont visibles au microscope et ressemblent à des bâtonnets le long desquels les gènes qui sont une portion de l'ADN, l’ADN étant les pages du volume, sont disposés dans un ordre précis. Les molécules d'ADN font deux choses importantes. D'abord, elles se répliquent, c'est-à-dire qu'elles font des copies d'elles-mêmes ce qui permet de recopier le plan et ensuite elles supervisent la fabrication des protéines qui sont le matériau de base de notre corps. Elles traduisent en effet le message écrit dans l'alphabet des nucléotides en employant un autre alphabet, celui des acides aminés qui décrit la construction des molécules protéiques. Les gènes contrôlent donc bien la fabrication du corps humain. Une particularité de l’ADN est que lorsqu'il se recopie, il fait parfois des erreurs, des bugs. Les rayonnements, les produits chimiques présents dans le milieu ou le seul hasard peuvent faire que, dans un mot tel BBC, l’une des lettres soit mal recopiée et que le mot transmis soit BAC ; on dispose alors d’une molécule d’ADN nouvelle que l’on appelle un mutant. C’est un changement brusque et irréversible puisque, à moins d’une très improbable erreur dans l’autre sens, cette mutation est définitive pour l’ADN qui la subit et pour tous ceux qui en seront issus par la reproduction. Dans la plupart des cas cette erreur fait que le texte devient inintelligible ce qui entraîne la disparition de l'être vivant porteur du message. Mais dans certains cas le texte reste compréhensible, quoique différent de la version initiale et prend une profondeur nouvelle. La diversité est ainsi créée. C'est donc paradoxalement l'erreur et non la perfection qui est à la source de la variation des êtres vivants, variations qui ont conduit à l'apparition de l'homme. "Errare humanum est", "l'erreur est humaine", je ne peux m'empêcher de déformer l'esprit de cette citation pour la faire coller à mon propos. Nous sommes tous fruits de l'erreur mais heureusement, comme le dit le proverbe, « l'erreur a parfois du bon». Ce sont donc les erreurs de copie, les mutations, qui constituent la seule source de la variation des êtres vivants et qui vont permettre l’apparition de nouveaux caractères et avec le temps de nouvelles créatures. Tous les êtres vivants présentent des variations. Par la sélection artificielle, les hommes choisissent d’ailleurs parmi les variations celles qui les intéressent. Ainsi tous les chiens qui existent aujourd’hui proviennent d’une souche commune le Loup et de croisements opérés par l’Homme. Autre facteur de diversité, le sexe, la génération sexuée, dans laquelle deux organismes mélangent leurs gènes pour fabriquer un troisième organisme. Chaque génération nouvelle est constituée d'individus différents de ceux qui les ont précédés. La sexualité contrairement à l’erreur de copie dont je viens de parler ne crée pas de nouveaux gènes mais innove puissamment en créant de nouvelles associations de gènes. La sexualité accélère donc à l'extrême le rythme autrement très lent, de l'évolution par l'erreur de copie et crée ainsi de la diversité. Et enfin, nous y sommes, condition sine qua non : La mort, indissociable de la sexualité pour grimper toujours plus haut sur l'échelle de la complexité biologique au sommet de laquelle se trouve aujourd’hui l’espèce humaine. Mais pour combien de temps encore ? Les dinosaures qui nous ont précédés sur ce sommet il y a 65 millions d’années auraient pu tenir à leur époque le même raisonnement. Attendons pour voir ! Ce sont des questions qui se règlent en millions d'années. Le sexe et la mort sont les deux tributs que nous payons au progrès évolutif. Ce sont deux phénomènes complémentaires mais étonnamment contrastés. Le premier se passe dans la joie, le plaisir et l’espérance d’une naissance ; le deuxième dans la souffrance, l’horreur et le néant de la disparition. A une jeune fille en fleur, le cadavre peut dire comme Corneille : « On
m’a vu ce que vous êtes
Vous serez ce que je suis » La sexualité, la vie donc et la mort jouent de concert pour créer sans cesse et éliminer sans cesse, ce qui est source constante de diversification. La sexualité et la mort ont permis la merveilleuse histoire de la vie avec les règnes animal et végétal, leurs millions d'espèces et leurs milliards de milliards d'individus, tous différents les uns des autres. Telle était la volonté de Dieu exprimée dans la Genèse 1-22 et 15-5 : "Soyez féconds, multipliez, emplissez l'eau des mers et que les oiseaux multiplient sur la terre" ou encore "Et après l'avoir conduit dehors, il dit : regarde vers le ciel et compte les étoiles, si tu peux les compter. Et il lui dit : telle sera ta postérité". Chaque être vivant, la puce comme la baleine, comme l’orchidée, comme l’homme est un acteur qui joue toujours la même tragédie, même si les modalités en sont innombrables. Il naît, il se reproduit et meurt, c’est le drame en trois actes de la vie. Son but est d’assurer la perpétuation du groupe dont il est issu, son souci est de ne pas interrompre la chaîne de la lignée à laquelle il appartient. Dotées d’une fécondité sans limites les espèces s’affrontent : la lutte pour l’existence, la régulation imposée par le milieu, sélectionne les porteurs de variations avantageuses, éliminant les défavorisés. Les chanceux transmettent à leurs descendants les caractères divergents auxquels ils doivent leur triomphe. La vie ainsi se ramifie comme un arbre. Les branches mortes et brisées sont enfouies dans les couches de l’écorce terrestre pendant que ses magnifiques ramifications, toujours vivantes et sans cesse renouvelées en couvrent la surface. La mort vous l’avez compris est absurde sinon révoltante tant que l’on ne raisonne pas en biologiste. Sous cet angle on réalise que si les premiers êtres vivants avaient été éternels, ils auraient très vite recouvert l’ensemble de la planète et n’auraient pas évolué. La suppression de la mort entraînerait ipso facto celle des naissances. Dans tous les êtres vivants, les cellules se reproduisent en permanence, mais elles possèdent une espèce d’horloge biologique qui limite le nombre de reproductions entre 40 et 50, car à mesure que les cellules se divisent, elles multiplient les erreurs de copie qui s’accumulent avec le temps, finalement il y a tellement d’erreurs que l’organisme se dégrade et meurt. La mort entraîne la dispersion d’éléments jusque-là rassemblés dans un tout fonctionnel et qui formaient l’individu. A sa mort, l’être se décompose : ses éléments constitutifs vont rejoindre les chaînes organiques naturelles dont ils étaient issus pour un temps. Ils rejoignent le fond commun de la biosphère, d’où la vie tire sa substance. La mort est suivie, assez rapidement, de la désorganisation des structures tissulaires et cellulaires et remet ainsi en circulation les atomes, les molécules, les sels minéraux dont les animaux et les plantes ont besoin pour continuer à se développer et évoluer. « Rien ne se perd, rien ne se crée ». Nos éléments constitutifs, réduits à leurs composants de base, vont donc continuer à « vivre » au plan moléculaire dans le corps de plantes et d’animaux. N’est-ce pas là une forme de renaissance voire d’immortalité. Sur le plan chimique, l’eau contenue dans notre corps retourne dans le sol, entraînant avec elle des sels dissous et des bactéries. Les glucides sont décomposés en alcools et acides qui vont aussi dans la terre. Certains se dégradent jusqu’au stade de gaz carbonique. Les protéines, naguère formées sur les ordres du programme génétique, se redécoupent en acides aminés, parfois en ammonium ou en nitrates et nitrites qui seront assimilés par les végétaux. C’est alors qu’est accomplie la parole de l’Ecriture : « C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière » - Génèse 3-19. Lucrèce, le chantre latin d’Epicure, avait lui aussi réussi à nous transmettre cette vision de la vie et de la mort dans son poème « De natura rerum », 10 ans avant la naissance du Christ : « Ainsi donc, tout ce qui semble détruit ne l'est pas; car la nature refait un corps avec les débris d'un autre, et la mort seule lui vient en aide pour donner la vie. Les corps ne s'anéantissent donc pas quand ils sont dissous, mais ils retournent et s'incorporent à la substance universelle ». De surcroît, les gênes que j’ai décrit au début de ma planche sont comme les diamants, éternels. Ils continuent leur existence de gênes dans les cellules de nos descendants et des descendants de nos descendants sous forme de copies. Avec nos enfants nous semons donc nos graines d’éternité. Nous ne mourrons donc jamais complètement. Birago Diop le poète sénégalais illustre à la perfection cette nouvelle métempsychose (du grec déplacement de l'âme) : « Écoute
plus souvent
Les Choses que les Êtres La Voix du Feu s’entend, Entends la Voix de l’Eau. Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots : C’est le Souffle des ancêtres. Ceux qui sont morts ne sont jamais partis : Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire Et dans l’ombre qui s’épaissit. Les Morts ne sont pas sous la Terre : Ils sont dans l’Arbre qui frémit, Ils sont dans le Bois qui gémit, Ils sont dans l’Eau qui coule, Ils sont dans l’Eau qui dort, Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule : Les Morts ne sont pas morts ». Extrait de Souffle de Birago Diop Ainsi puisqu’il n’y a pas d’après, pas de paradis qu’il faut mériter au prix d’une morale castratrice, pas d’enfer alors pourquoi avoir peur de mourir. C’est tout les sens du message d’Epicure à son ami Ménécée dans sa lettre sur le bonheur : « Accoutume-toi à penser que pour nous la mort n'est rien, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l'éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l'amputant du désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'effrayant dans le fait de vivre, pour qui est authentiquement conscient qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre à l'idée qu'elle approche. Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes plus ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grands des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie ». Comme vous l’avez compris, à mon sens la symbolique de la mort ne concerne en rien la survie indéfinie de l’âme après la cessation de la vie. Toute la cécité de l’homme et son malheur viennent à mon avis de ce que son individualité lui masque son destin collectif et qu’il rêve de transférer sur lui seul l’éternité de la vie sans jamais prendre la mesure de sa vraie place dans l’Univers. Le feu d’un foyer peut durer indéfiniment. La bûche qui l’alimente se réduit en cendres après s’être entièrement consumée mais avant de s’éteindre elle aura pu brûler, éclairer, transmettre aux bûches voisines la flamme dont elle est temporairement le support et maintenir ainsi la flamme toujours vive. Comme la bûche dans le foyer, l’homme n’est porteur de la flamme que s’il joue son rôle et accomplit son destin dans la Chaîne d’Union sinon il n’est qu’un mort-vivant. J\ L\ |
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