Naissance -
Vie - Mort ou les trois pas du Maître
Dans les trois pas au-dessus du cercueil
d’Hiram qu’accomplit le compagnon lors de son
élévation à la maîtrise est
symbolisé le couronnement d’une Maîtrise
affirmée. Mais quel sens donner à cela ?
La naissance : Nous donnons
naissance, par l’initiation, à une
création d’un nouveau nous même. Elle
est l’occasion de sonder les profondeurs les plus intimes de
soi dont saint Jean nous encourage à en rechercher tout
l’Amour.
Entre la naissance, la vie et la mort.
Trinité troublante à laquelle il faut se
résoudre si l’on veut découvrir en
maçon la raison d’être de notre Ordre en
tant qu’œuvre créatrice universelle.
Mais comment véritablement expliquer les trois pas du
Maître ?
La naissance par l’Initiation, c’est
le mystère de l’apprenti qui se
découvre lui-même et qui le communiquera au
Compagnon qu’il sera. Ce compagnon est identique.
L’une de nos grandes Lumières, La Bible, le
confirme, la vie nous est donnée car nous avons
été engendré et non pas
créé tout en étant de la
même nature que le Père.
Il y a dans le secret de la vie le mystère
qui appartient à l’essence de notre Ordre,
désignant le temps de la parole. Il faut du temps
à la parole pour venir, ce qu’elle dit est appris,
dans une écoute du monde et d’autrui lors de notre
période d’apprentissage, ce qu’elle dit
doit trouver son chemin à l’intérieur
de nous par le filtre que nous sommes devenu. C’est un peu de
ces chemins que je vais tenter de parcourir.
La vie : En comprenant l’homme
à partir de la Vie, de la seule et unique Vie qui existe et
qui est celle que le GADLU. En donnant sa vie à chaque
initié comme il l’a donnée à
Hiram, a conféré à chacun de ses Fils
de la Veuve une destination propre à chacun. Mais qui se
complète et forme un tout quand nous formons la chaine
d’union.
L’initié diffère
d’Hiram en ceci qu’il ne s’est pas mis
lui-même dans la condition qu’était
celle d’Hiram et qui était de
s’éprouver soi-même jusqu'à
la mort. Et pour autant par la cérémonie cette
transposition s’accomplisse et que
l’initié par lui-même simule il
deviendra le Fils dans le Fils. De cette incapacité de
l’initié de vivre de lui-même et en soi
cette mort, témoignent de la paralysie face à la
mort qui marquent toute sa vie d’un trait
indélébile et qu’il s’exprime
par son second pas. C’est uniquement parce que cette
épreuve s’accomplit hors du monde
qu’elle peut être épreuve de soi.
C’est seulement dans l’invisible que vivre est
possible.
Selon St. Jean, Dieu est Vie. Invisible donc, comme tout
ce qui, portant en soi cette Vie, se trouve ainsi être
vivant. La première est qu’aucune vie
n’est possible sans un autre être vivant, de
même qu’aucun vivant n’est possible sans
la Vie. Cette appartenance réciproque de la Vie et du vivant
est immuable. Elle résulte de la façon dont la
vie vient en soi dans le procès de son auto
génération éternelle.
Le présent n’est jamais notre fin. Le
passé et le présent sont nos moyens et des
étapes, le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons
jamais, mais nous espérons de vivre et nous aspirons
toujours à être heureux, et il est
inévitable que nous ne le soyons jamais
compétemment.
Nous sommes toujours hors de nous dans la recherche de ce qui, au
dehors, doit nous libérer de nous-mêmes, toujours
en dehors du présent que nous ne pouvons supporter. Nous
vivons sans le savoir aux abonnés absents.
La question concerne chacun dans la partie la plus intime de nous.
Angoisse, impuissance et révolte minent
irréductiblement les bases de nos vies, mais elles ne sont
pas pour autant insensées. Elles balisent un chemin, un
chemin de vérité sur soi-même dont les
épreuves peuvent se révéler
libératrices. Nous ne savons pas, en effet. Ce
qu’à en tête le GADLU, quand notre image
réfléchie dans le miroir du 1er et
2ème grade et que nos frères nous tendent pour
progresser dans la recherche de la Vérité.
Le présent ne prend corps que sur fond d’un avenir
possible. Il n’est pas assez riche en lui-même pour
se tenir par lui-même. L’avenir impossible
disqualifie le présent dans lequel nous sommes pourtant
vivants et bien vivants. Le présent ne tient que par le
futur. Il en va comme si nous étions
séparés de cette source présente de la
vie. Il faut à tout prix qu’elle trouve
consistance à travers la représentation
d’un avenir possible. Pourtant la vie est là et
bien là, tant que nous vivons.
L’avenir, mais le passé aussi, perd
sa signification, si nous nous sommes battus, si nous avons
travaillé, souffert pour disparaître, à
quoi bon ? La révolte gronde contre
l’insensé. L’impuissance
révoltante dans la quelle nous nous trouvons et qui
accompagne la conscience de notre mort, ne se comprend que sur le fond
d’une compréhension du temps et de soi. Il ne
semble qu’il n’y ait pas d’autre
alternative à la maîtrise de son avenir ou
à la mort, symbolique ou réelle.
La mort : C’est
l’étrangeté absolue. Que peut-on en
penser ? La diversité contradictoire des
réponses, comme la résurrection,
réincarnation, etc., dévoile une
résistance incontrôlée. Car on ne peut
savoir ce qu’il y a après.
L’esprit s’y brise, impuissant et
pressent sans se l’avouer l’inutilité
des représentations dans ce fouillis de significations que
l’on perçoit dans les diverses
interprétations que s’en font les Sœurs
et les Frères.
Le récit de la légende d’Hiram
témoigne d’une nouvelle manière de
vivre le présent. Le présent se suffit
à lui-même. Le présent ne se justifie
pas obligatoirement d’un avenir possible. Il se peut que se
soit le présent qui structure l’avenir et le
passé. Il est des expériences
présentes qui donnent au passé et au futur leur
consistance. Telle est l’expérience mystique,
l’expérience amoureuse, la création
artistique. Moments qui se suffisent par leur richesse pour irriguer
subrepticement passé et futur de significations nouvelles.
Le temps se mets en perspectives : le passé
préparait le présent ; le présent
oriente l’avenir.
Dans cette perspective, l’angoisse suscitée par la
pensée de la mort manifeste le vide de notre
présent. L’initié se projette
d’autant plus dans le futur et le passé que son
présent lui échappe. Les impasses que nous
traversons obligent à remanier, malgré nous,
notre temps vécu, goûter la richesse du
présent. De notre rapport corporel et immédiat au
monde. L’épreuve suscite ainsi une nouvelle
manière d’être. C’est
à ce prix qu’une épreuve peut
être décisive. C’est là
quelques réflexions qui, au cours de mon histoire
personnelle, m’ont suggéré une certaine
proximité, une certaine urgence de la mort. Le profit,
s’il en est un, est de fournir à l’un ou
l’autre, initié mortel lui aussi,
l’occasion de se situer par rapport à sa mort,
d’entendre en lui-même : « Souviens-toi
que tu es poussière et que tu retourneras en
poussière ». Et cela pour
être initié, en est la
vérité de sa condition.
La conscience de sa mortalité dans la vitalité
contribue à sa place à un art de vivre
authentiquement. Elle permet de dire non seulement « tous
les hommes sont mortels », mais
« je suis mortel ».
Grâce à elle chacun réalise mieux dans
le quotidien de ses jours sa limite.
La mort est ce qui caractérise celui qui ne peut plus
répondre à l’appel de son nom.
S’il y a une suite dans l’histoire d’un
initié, comme dans celle de tout homme, il faut
plutôt se la figurer tel un enchaînement
imprévisible d’événements,
qui déconcertent tour à tour ou
émerveillent. Ce qui est sûr, c’est que
l’initié ne peut échapper à
sa transformation, à moins de ne plus rechercher la
vérité. Aussi bien, on s’en doute, si
la vérité ne s’arrête pas,
comme l’initié à la mort car « la
vérité demeure et Franc-maçonnerie
traverse les temps et les générations ».
Le désir conduit
l’initié plus loin que la mort parce que le
désir chez lui s’est transformé en
amour. Pourtant, l’initié n’a pas le
privilège d’une telle transformation du
désir en amour. Le non initié, lui aussi, en fait
l’expérience. Alors nous consentons à
ce que notre désir ne vive que de l’autre, et
même de la volonté, éprouvée
comme un bonheur, que présent ou absent, l’autre
soit là. Car aimer autrui, au sens que nous venons de dire,
ne peut être isolé de l’acte par lequel
je m’aime moi-même. Mais
l’initié traite ce vœu d’une
façon qui n’est pas celle du non initié.
Pour le non initié, l’évitement de la
mort qui tue se suffit à lui-même : il
n’est à aucun titre un signe. Pour
l’initié, au contraire, alors que pourtant la mort
continue à régner sur l’existence des
hommes, l’amour devient le signe mystérieux que la
mort est défaite : la chaire quitte les os. C‘est
donc une mission que le Maître reçoit et accepte
avec d’autres et pour d’autres depuis le
début de ces trois pas, vécus comme un exode
intérieur, qui commence par le cabinet de
réflexion et où je retourne
régulièrement mentalement.
Le cabinet de réflexion est toujours là, au plus
profond de moi, pour m’y replonger
régulièrement dans le silence et où le
Vitriol est celui du Corps d’Hiram et qu’il
s’est donné dans sa mort et sa
résurrection par l’acacia. Ainsi, la relation
mystique s’élargit dans une dimension universelle,
« je » est
devenu « nous ».
« On ne voit bien
qu’à deux, mais que Tu sois cet Autre Nous menant
dans sa disparition jusque dans cette tombe improvisée
(Hiram au corps éparpillé, recomposé
par Isis, veuve dont nous sommes les fils) ».
C’est là que j’ai
trouvé et vécu la véritable
solidarité, celle faite des Sœurs et des
Frères maçons, dans l’univers
d’alliance, je peux espérer passer au
delà du « je ».
Du côté des hommes aussi, car que sais-je de ma
nuit ? Il y a peut-être en elle un « nous »
enfoui... un nous recomposé dans l’Homme
épars dont nous parlons en loge. Les trois pas du
maître où la différence de la mort
profane de celle rituelle.
Cessant d’être des objets
à posséder, le Maître devient pour lui
appel à reconnaître qu’il ne peut rien
ramener à lui. Il n’est centre ni de
l’univers, ni de la société, ni de son
couple, ni même de sa propre existence. Sachant cela et
cessant de se faire centre par son désir toujours
frustré, il manifeste la conversion de sa liberté
par la « distance »
libératrice qu’il garde à
l’égard de tout, de tous, et surtout de
lui-même. C’est en ce sens qu’on peut
parler de « mort à
soi-même ».
Mais ce n’est pas la mort de soi-même ;
c’est celle de L’égoïsme et des
prétentions, c’est la condition de
l’adhésion à la véritable
vie. C’est le contraire d’un
désengagement par rapport aux « choses
de ce monde », car on ne meurt ainsi
à soi-même qu’à travers ses
relations au monde et aux autres.
L’amour de l’Autre n’est
alors vécu que dans le refus de la possession et de la
domination. Créant, libérant, utilisant la part
de richesse et de savoir dont il se sait responsable, celui qui vit
répond aux appels d’autrui reconnus comme appels
de l’Autre. Il est certes submergé, mais
c’est l’amour de l’Autre qui le submerge
et il se sait « aimer »,
car l’amour est au bord du chemin mais il n’est pas
vu et même souvent négligé.
J’aurais dû être plus
compréhensif. Je sais bien, en effet, pour avoir
à le vivre, qu’il faut de la patience et du temps
pour défaire les nœuds qui nous maintiennent
prisonniers. Pas seulement les nœuds de l’orgueil,
de l’égoïsme ou des pulsions charnelles,
mais les nœuds de l’esprit qui se nouent dans
l’imagination de celui qui cherche.
Le maître par ses trois pas lents, refuse de
s’embarquer trop vite sur des chemins dont il pressent les
embûches. Peu désireux d’abandonner ce
qu’il a cru déjà comprendre, il
hésite à intégrer un nouvel
élément qui le contraindrait à tout
remodeler. Ce n’est pas nécessairement de la peur.
C’est peut-être aussi de la prudence, car il est
trop sérieux pour s’aventurer dans un
désert sans boussole. Il lui faut du temps pour
s’équiper avant de faire un pas décisif.
L’Amour est discret. « Il
attend ». Et nous passons dans la vie
sans deviner sa présence tellement nous sommes distraits et
occupés de nous-mêmes. Sur le chemin qui
mène vers sa découverte, la grande souffrance,
qualifiée de nuit des sens et de l’esprit par
l’initié, n’est pas un fantasme. Celui
qui s’aventure sur ces chemins le sait quand les grandes eaux
le submergent. Jusqu’à
l’anéantissement parfois. C’est au fond
de cet abîme que l’initié est le plus
proche du non initié, en même temps que le plus
éloigné, ayez une pensée mes
Sœur et mes Frères pour ce prisonnier que je suis,
abandonné de tous, à la veille de son
exécution ?
Entre l’initié et le non initié, la
différence n’est pas une différence de
sentiments, car on peut vivre la maçonnerie au
cœur du doute.
On ne prouve pas l’absence du GADLU. On ne prouve pas non
plus sa présence. Mais on peut éprouver
très réellement l’une et
l’autre.
A partir de là, peut-être, votre sentiment de
solitude qu’il serait abusif d’attribuer
à une « exclusion »
voulue, mais qui recouvre fatalement une souffrance. Vous
êtes sûr d’être seul et, selon
moi, il ne s’agit pas seulement de
l’éloignement des Sœur et des
Frères.
Vous êtes sans doute plus seul que vous ne
croyez. Pour ma part, je suis sûr de
n’être pas seul et ce n’est pas seulement
grâce à mes Sœur et mes
Frères. J’ai vécu seul dans mon esprit,
dans les pires conditions. Mais je n’ai jamais
été seul vraiment. A mes yeux, la
différence est cependant réelle. Je ne suis
maître de rien et surtout pas de moi-même. Je me
sais libre et responsable, mais je ne détermine que peu ce
dont je suis responsable. Les occasions, les rencontres,
l’action des autres, les événements
aussi hasardeux soient-ils, me commandent.
Alors, aujourd’hui, j’essaie de
retrouver cette attitude d’acceptation positive en vivant
pleinement le jour qui passe, en acceptant de ne pas savoir ce que sera
mon lendemain, tout en le préparant de mon mieux,
c’est ce que j’appelle
l’espérance. J’essaie de vivre la
fraternité pour aller à la rencontre de
l’Amour absolu. Je suis conscient de ma fragilité,
mais fragilité n’est pas impuissance. Le
dépouillement n’est pas forcément signe
de mort. Il peut être l’occasion d’une
vie plus intériorisée.
C’est une difficulté qui peut
être source d’un bien. J’ai là
l’occasion de creuser mon sillon, d’approfondir ma
quête initiatique. Le temps qui passe m’invite
à réfléchir sur mon propre parcours.
Si je le fais dans l’honnêteté de la
lucidité, je deviendrai plus indulgent pour les autres ET
surtout pour moi même. J’accéderai
à la possibilité de me pardonner au lieu de
réchauffer les vieux remords. Un vrai pardon, qui dit oui
à la vie de toutes ses forces.
Le cercueil déposé au pied de
l’Orient est une invitation à se mettre en route
vers l’amour, plutôt qu’une
réponse. Le sage, le vieux sage, est donc en route dans son
propre chemin, qu’il débroussaille peu
à peu en marchant vers sa mort, dans
l’espérance que ce jour-là le GADLU
aura du talent.
Mais, au regard de la Franc-maçonnerie,
l’élan de croissance de ma condition humaine
n’est pas brisée par la mort, non parce que je
vais renaître une énième fois pour
continuer à croître, mais parce que, à
ce moment-là, je ne suis pas abandonné
à moi-même. GADLU est présent, comme il
l’a été tout au long de ma vie. Et
c’est seulement dans le cadre de cette relation entre le
GADLU et moi que je peux espérer réaliser la
plénitude de mon potentiel, ce potentiel dépasse
d’ailleurs largement tout ce qu’il peut imaginer,
puisqu’il est créé à
l’image de Dieu qui est Amour. Il est donc d’ordre
relationnel, de l’ordre de l’amour. Et celui qui
fait l’expérience d’être
aimé dans cette vie sait bien qu’en un seul
instant la vie tout entière peut basculer et être
transformée par la grâce d’une rencontre
de la mort.
En ce dernier moment, c’est donc l’amour de Dieu,
dans son sens générique du terme, librement
donné et librement accueilli, qui mène
l’homme à la plénitude de la vie. Venir
dans la condition de s’éprouver
soi-même, c’est se révéler.
L’action d’auto génération de
la Vie est son action d’auto révélation.
La vie vient en soi, s’éprouve
elle-même, et se révèle à
elle-même. Ajoutons, sans pouvoir développer ici
ce point essentiel, que la révélation
d’Hiram étant la révélation
du Maitre, de même que la révélation du
Maitre est la révélation d’Hiram, cette
révélation commune, cette gloire ou cet esprit
commun, est l’âme. Celle-ci procède donc
d’Hiram et du Maitre que l’on pourrait aussi
transposer dans le monde profane, du Père et du Fils, elle
est leur intériorité réciproque
existante en soi et pour soi.
Très Vénérable Maitre,
j’ai dit.
Par W\ L\
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