Alchimie
Indienne
V. - Sur l’alchimie indienne.
Matériaux pour un chapitre
négligé de l’histoire de la Chimie ou
contributions à l'Alchimie indienne (Mémoire
manuscrit de 43 pages), par PRAPULTA CHANDRA RÂY, professeur
à Presidency College, Calcutta.
Albirouni’s India, 2 volumes traduits de l’arabe en
anglais, par le Dr SACHAU, London, 1888 ; t. 1, p. 187.
BURNOUF, Introduction à l’histoire du
Bouddhisme indien : sur les Tantras, t.
1, p. 522-554.
Zeitung deutsch. Morg. Ges., tXXIII, p. 261
; t. XXX, p. 189, p. 617 ; t. XXXI, p. 647 ; t. XL, etc. : Sur
Hippocrate et la médecine indienne.
Journal asiatique, 1858 : Recherches sur
l’histoire naturelle et la physique d’albirouni.
Dans le cours de mes études sur
l’histoire de la Chimie j’ai
été conduit à rechercher les traces de
l’introduction des idées alchimiques chez les
divers peuples, à partir de l’Egypte et des
Egypto-Grecs, qui semblent en avoir été les
promoteurs dans le monde. J’ai établi
nommément cette filiation pour l'occident, au moyen
âge, en tant que dérivant d’une double
source, savoir : la tradition industrielle directe des arts relatifs
à l’orfèvrerie, au travail des
métaux, du verre, des produits céramiques et des
matières colorantes, d’une part ; et de
l’autre, le retour indirect, par les Arabes
d’Espagne, de traditions orientales. Ces
dernières, d’ailleurs, provenaient
également d’une origine égypto-grecque,
les écrits grecs des alchimistes égyptiens ayant
été traduits d’abord en langue syriaque
et transmis aux Arabes d’Asie, en communication avec ceux
d'Espagne. J’ai publié les textes grecs,
syriaques, arabes et j’ai commenté les textes
latins, qui établissent toute cette histoire.
Cependant l’alchimie, c'est-à-dire
la Chimie sous sa forme originelle, demi-scientifique et
demi-chimérique, s’est étendue dans le
monde civilisé, et spécialement sur
l’Asie tout entière. C’est ainsi
qu’il existait des textes persans, de
l’époque sassanide, et peut-être
même plus anciens, qui ont exercé quelque
influence sur le développement de la science arabe,
parallèlement aux textes syro-grecs. J’ai
raconté quelles traces subsistent de ces textes et quelles
tentatives, jusqu’à présent
infructueuses, j’ai faites pour les retrouver, en m'adressant
spécialement aux Parsis de Bombay.
Ces tentatives m’ont mis, entre autres, en relation avec un
savant professeur indien de Presidency Collège, à
Calcutta, M. Rây, qui m’a envoyé un
mémoire manuscrit sur les origines de l’alchimie
indienne. C’est ce mémoire que je me propose
d’examiner, en en résumant les principaux
résultats, mais sans en partager toutes les opinions. Cette
étude historique et critique pourra d’ailleurs
être rapprochée de celle que j’ai faite
sur l’alchimie chinoise (voir plus
loin), à l’occasion de la publication de M. de Mély
sur les Lapidaires chinois. Les
origines de l’alchimie chinoise et de l’alchimie
indienne ont probablement une certaine connexité, de
même que les origines de l’astronomie scientifique
en Chine et dans l’Inde. Toutes ces sciences, sous leur forme
rationnelle, paraissent également originaires de
l’Occident et avoir pénétré
jusque dans 1’Extrême Orient, par des voies et avec
des péripéties diverses, sous les influences
successives des civilisations grecque, persane et arabe.
En ce qui touche l’Inde en particulier, le
Kitab-al-fihrist renferme seulement une phrase vague sur
l’invention de l’alchimie (1) et
l’indication d’un prétendu alchimiste,
Khathif, dit l’Indien ou le Franc
(2 ). Les
premiers textes un peu étendus que nous
possédions à cet égard sont contenus
dans un chapitre de l’Arabe Albirouni, astronome,
mathématicien et polygraphe célèbre,
qui vécut au commencement du XI° siècle.
Son Ouvrage sur l’Inde, connu depuis longtemps, a
été traduit en anglais et publié par
le Dr Sachau, en 1888. Les doctrines alchimistes y sont
désignées sous le nom de Rasayana (science
du mercure, relative à la fabrication de l’or et
à l’élixir de vie). Albirouni en parle
avec peu d’estime et ajoute que les Indiens n’y ont
pas attaché une attention particulière, quoique
nulle nation ne soit complètement exempte de ce genre
d’études et d’imaginations. Il y
consacre quelques pages, mais sans nous fournir de renseignements
positifs sur les doctrines propres aux Indiens.
C’est dans d’autres
Traités qu’Albirouni a exposé les
théories de son temps sur l’origine et la
formation des métaux, théories qui sont
précisément celles des Arabes,
d’après lesquelles les métaux
résulteraient de la combinaison du soufre et du mercure.
J’ai exposé l’histoire de ces
théories en détail, dans le premier volume de La
Chimie au moyen âge (3) ; il n’est pas
utile d’y revenir, sauf pour insister sur ceci,
qu’Albirouni ne signale aucune doctrine propre aux Indiens,
soit plus ancienne, soit différente de celles-là.
Le Mémoire de M. Rây ne fournit non plus aucun
renseignement à cet égard. Tout ce que
l’on constate sous ce rapport, ce sont les
prétentions alchimiques communes, relatives à la
transmutation des métaux et à la fabrication de
l’élixir de vie, destiné à
restaurer les forces, à guérir toutes les
maladies, à prolonger l’existence et à
rétablir les capacités juvéniles ;
j’y reviendrai tout à l’heure.
Les renseignements personnels relatifs aux alchimistes
indiens ne nous conduisent qu’à des dates
relativement modernes. En effet, le plus ancien nom qui soit prononce
par Albirouni est celui de Nâgârjuna, qui aurait
vécu un siècle auparavant,
c’est-à-dire au Xe siècle ; date
elle-même douteuse, comme toutes celles qui se rattachent
à l’histoire alchimique, où les
faussaires et les auteurs pseudépigraphes abondent. Quoi
qu’il en soit, c’est
l'Hermès Trismégiste des alchimistes indiens ;
et, comme il est arrivé pour l’Hermès
Egyptien, pour Geber et pour beaucoup d’auteurs alchimiques,
on a mis sous son nom des ouvrages plus modernes. Le nom même
de Nâgârjuna figure dans la littérature
canonique bouddhiste comme celui de l’auteur du
système de philosophie madhyamina, et on le fait remonter
jusqu’à une époque plus
reculée de plusieurs siècles, vers le IIIe
siècle de notre ère, époque
à laquelle il n’existait aucune trace d'alchimie
dans l'Inde. La même chose d’ailleurs est
arrivée à 1’Hermès
égyptien (Toth), dont le nom et le rôle mythique
ont précédé de bien des
siècles ses attributions alchimiques.
Nâgârjuna est cité avec respect, suivant
M. Rây, dans l’ouvrage intitulé Rasendra
chintamannis, c’est-à-dire les Joyaux
des préparations, mercurielles écrit
par Ram-Chandra vers le XII° ou XIII°
siècle. II est cité comme l'inventeur de
procédés de sublimation, distillation,
calcination, et on lui attribue un traité de magie, Yogaral
namala. Cet alchimiste se rattache par là
à la tradition des Tantras, dont il sera parlé
plus loin et plus amplement. Ses Ouvrages ont été
commentés par Gunakara, personnage quelque peu mythique ;
car il se désigne lui-même comme un Bouddha et
prétend avoir écrit en l’an 1240, date
qui ne doit être acceptée que sous
bénéfice d’inventaire, les alchimistes
et magiciens étant sujets à antidater leurs
livres, comme l’attestent, en Occident, le pseudo Raymond
Lulle et le pseudo Geber.
L’histoire des personnages alchimiques indiens
se confond ainsi de plus en plus avec celle des médecins et
des magiciens, jusqu’à ce qu’on arrive
aux Ouvrages mieux datés du XVIe siècle, tels que
les Bhavaprakasas, vers 1550. On voit en tout cas que les personnages
alchimiques de l’Inde sont de date relativement moderne, et
fort postérieurs non seulement aux Egypto-Grecs et aux
Syriens, mais même aux Arabes. Ce caractère de
postériorité, que j’ai
déjà signale pour les Chinois, du moins en ce qui
touche les documents incontestables de leur littérature
scientifique, est plus frappant encore pour les alchimistes indiens.
En effet, on peut l’établir d’une
façon plus nette, par l’examen technique des faits
signalés dans cet ordre d’écrits. Mais,
avant de procéder a un examen intrinsèque des
divers Traités médicaux et chimiques des Indiens,
il est nécessaire de compléter la
caractéristique des origines de l’alchimie
indienne, en en rappelant les relations avec les Tantras.
Les Tantras représentent tout un ensemble de
doctrines magiques et mystiques, qui ont joué un
rôle important dans le Bouddhisme indien. Burnouf a
consacré a ce sujet une trentaine de pages dans son Introduction
à l’histoire du Bouddhisme indien (t.
1, p. 522-554). Ce sont, d’après lui, des
Traités d’une physionomie spéciale, ou
le culte de dieux d’un caractère bizarre ou
terrible s’allie au système monothéiste
et aux développements du Bouddhisme septentrional.
C’est une sorte de
dégénérescence mystique de la pure
doctrine bouddhiste, souillée en quelque sorte par son
mélange avec des pratiques superstitieuses, occultes et
magiques, dérivées des anciennes religions de
l’Inde.
Le système des Tantras s’est incorporé
au Çivaïsme, dans les derniers jours du Bouddhisme
indien, et il a subsisté au Bengale, après le
déclin et l'expulsion de ce dernier culte. C’est
ainsi que certains livres médicaux savants contiennent des
chapitres séparés sur l’alchimie,
chapitres qui débutent par une invocation au dieu
Çiva et a son épouse Parvati, à qui
l’on attribue l’origine des arts
destinés à la cure des maladies.
En tout cas, le Rasayanaa reçu une
forte impulsion du système tantrique, ce système
étant devenu le point de départ, dans
l’Inde, des sciences réelles ou
prétendues, telles que les sciences astronomique,
alchimique, magique et les nouvelles doctrines médicales
fondées sur l’emploi du mercure,
opposées à l'ancienne connaissance des simples et
des herbes.
Une alliance semblable entre les sciences positives et
les sciences occultes a caractérisé, vers la
même époque, en Chine, le Taoïsme. Cette
même alliance s’était
déjà produite, bien des siècles
auparavant, en Occident, entre le mysticisme gnostique, les antiques
pratiques de la magie et de l’astrologie et les nouvelles
doctrines de l’alchimie. Il y avait une sorte
d'affinité spontanée entre ces divers groupes de
connaissances, en partie réelles, en partie
chimériques, ainsi que j’ai eu occasion de le
développer dans mon histoire des Origines de
l'alchimie. Il est, certes, curieux de retrouver une
corrélation semblable dans la Chine et dans l’Inde
; mais la date postérieure des documents indiens et chinois
tend à faire admettre que les doctrines alchimiques sont
venues d’Occident, tout en acquérant une
physionomie propre aux civilisations orientales, chez lesquelles elles
se propageaient à l’état
d’enseignements mystérieux.
Les applications médicales du Rasayanaoffrent,
à cet égard, une importance toute
particulière. En effet, c’est par ce
côté surtout que les alchimistes ont acquis
autorité dans le monde. Les médecins syriens et
arabes étaient en même temps des alchimistes,
comme le montre toute leur histoire authentique, celle Avicenne, pour
me borner à un seul exemple. Il en a
été de même pour Arnaud de Villeneuve
et beaucoup d’autres médecins du moyen
âge. L’alliance de la médecine et de
l’alchimie a été cimentée
dès lors par l’emploi des remèdes
métalliques et autres fournis par la chimie.
Ainsi les médecins indiens, a partir du XII° ou
XIII° siècle, partagèrent les
médicaments en deux grandes classes : les drogues
anciennes, tirées des herbes, et dites védiques,
etles drogues plus récentes,
tirées des métaux et spécialement du
mercure, drogues appelées tantriques. «
Celui qui connaît les
propriétés du mercure est semblable à
un dieu ; celui qui ne connaît que les recettes des herbes et
racines est pareil à un homme », est-il
dit dans le Raserdra chintamannis. Les
rêves de la transmutation du mercure des philosophes et de
l'élixir de longue vie sont étroitement
associés. Ce sont la des traditions conjointes et que
Paracelse a reproduites en Occident, d’une façon
indépendante, au XVI° siècle.
La relation entre la chimie et la médecine
n’a pas cessé de se poursuivre jusqu'à
nos jours, et les progrès de la chimie organique lui ont
donné une extension et un éclat extraordinaires.
A cet égard, il paraît incontestable que les
Indiens ont été en rapport avec la civilisation
arabe, et spécialement avec les califes. Il s’est
fait à cette époque un échange
continuel entre les connaissances médicales des deux pays,
les médecins indiens venant étudier à
Bagdad, tandis que les étudiants arabes allaient dans
l’Inde s’initier aux secrets de la
médecine et de la pharmacologie indigènes. Mais
nous n’avons B l’égard des connaissances
ainsi échangées que des renseignements vagues.
S’il est vrai que les plus vieux écrits
médicaux savants de l’Inde ne contiennent pas
l’indication d’emprunts faits aux Arabes,
d’autre part ils ne renferment pas non plus
d’indications alchimiques proprement dites. Cependant on doit
signaler dans les Ouvrages indiens l’apparition du nom
d’Hippocrate, qui joue un si grand rôle dans les
écrits syriaques (4). Le Journal de la
Société orientale allemande renferme à
cet égard plusieurs Mémoires
intéressants, signalés au début du
présent article.
Quelles sont les connaissances positives en chimie,
attestées par les écrits sanscrits qui sont
parvenus jusqu'à nous ? C’est là une
question d’autant plus importante qu’elle permet de
préciser un certain nombre de données
chronologiques, relatives à la science indienne et aux
emprunts successifs qu’elle a faits aux sciences de
l’Occident. Voici les renseignements fournis à cet
égard par les indications du professeur Rây.
Il cite entre autres les Traités suivants, relatifs
principalement aux préparations mercurielles ; rappelons que
le mot rasa signifie mercure en sanscrit :
Rasendra sara sangraha, par GOPAL KRISHNA :
« Collection des principales
préparations mercurielles », Ouvrage
probablement écrit au XIII° ou XIV°
siècle ;
Rasendra chintamannis (XIVe
siècle), « Joyaux des
préparations mercurielles » ;
Sarngadhara sanhila ;
Chakra datta sangraha, Traité de
pathologie et de thérapeutique, écrit, dit-on,
vers l’an 1040 ;
Rasaratna samuchaya, « Trésor
des préparations mercurielles », avec
figures d'appareils de distillation, sublimation, calcination ;
Bhavaprakasas, écrits vers 1550.
Tous ces Ouvrages sont manuscrits. M. Rây
s’en réfère à leurs
analyses, publiées dans les catalogues de l’lndia
ONCE, d’Oxford, du palais de Janjore, etc., et il en
reproduit des extraits. - On remarquera les dates relativement modernes
de ces Ouvrages, dont les plus anciens sont du XI°
siècle, c'est-à-dire fort postérieurs
non seulement aux écrits grecs et syriaques, mais aux vieux
maîtres arabes. Dans ces extraits ne figure aucune doctrine
alchimique proprement dite, mais uniquement des détails
techniques, spécialement appropriés aux
préparations pharmaceutiques et médicales ; la
chimie intervient ici seulement à titre
d’auxiliaire de la médecine.
Voici la traduction littérale de quelques fragments du plus
ancien de ces traités, le Rasendra
sara sangraha:
Mon nom est Gopal Krishna. J’ai composé ce
Traité après avoir consulté plusieurs
Traités écrits par diverses gens qui
connaissaient les remèdes mercuriels.
Les médecins prescrivent d’autres
remèdes pour les malades faciles à traiter ; mais
les maladies réputées incurables comportent
seulement le traitement des médicaments mercuriels ; de
là la supériorité du mercure sur tous
les autres.
On voit qu’il s’agit d’une
époque où l’on attribuait au mercure
des propriétés merveilleuses, jusqu'à
constituer l’élixir de vie. L’auteur
décrit ensuite la purification du mercure, soit par lavages,
soit par sublimation. Ce sont des procédés
pratiques, sans aucun mysticisme.
Pour purifier le mercure, on le lave avec une bouillie contenant du
vinaigre dilué, parce que ce dernier dissout le plomb et les
autres métaux qui altèrent fréquemment
le mercure.
Le mercure doit être mélangé avec le
suc de l’aloès indien et la poudre de curcuma,
puis soumis à la sublimation.
Procédé général de
sublimation :
« Prenez 3 parties de cuivre en poudre et une
partie de mercure. Mélangez, imbibez de jus de citron,
mettez la mixture dans un vase sphérique ; placez celui-ci
dans un pot de terre et placez au-dessus un autre pot de terre, dont la
concavité soit tournée en haut.
Lutez les joints avec de l’argile et
remplissez le vase supérieur avec de l’eau.
Maintenant chauffez le pot inférieur : on trouvera le
mercure déposé à la surface du pot
supérieur. Les médecins
expérimentés donnent la
préférence au mercure purifié par ce
procédé. »
Une autre méthode procède en distillant per descensumet
condensant le mercure dans l’eau du vase inférieur.
Dans une autre, le col incliné du vase, renfermant le
mercure à purifier (mêlé de soufre, de
jus de citron, etc.), est incliné et joint à
l’orifice d’an autre vase contenant de
l’eau.
Mercure extrait du cinabre. - On mélange le cinabre avec le
jus de citron et l’on soumet à la sublimation.
Je crois superflu de reproduire les recettes pour préparer
les sulfures noir et rouge de mercure et les chlorures de mercure
sublimés. Toutes ces descriptions sont nettes et
précises. L’appareil indiqué en premier
lieu pour le mercure est sensiblement celui de Dioscoride, transmis
sans doute par l’intermédiaire des Arabes. En
effet les mélanges divers employés dans ces
préparations sont tout à fait semblables
à ceux mis en œuvre par les alchimistes arabes et
par les latins. C’étaient des recettes
compliquées, usitées dans les laboratoires au
XIII° siècle et transmises de praticien à
praticien en Europe et jusque dans l'extrême Asie.
La composition même des Rasendra
sara sarzgraha ressemble singulièrement, par son
tour général, à celle des
Traités arabes, ou des Traités latins traduits de
l’arabe au XIII° siècle, dont
j’ai publié les traductions françaises
et les analyses dans les Volumes I et II de mon Histoire de La Chimie
au moyen âge. En effet, on y voit figurer des
paragraphes :
1° Sur les préparations mercurielles ;
2° Sur les sels de diverses origines : sel extrait de
l’eau de mer, sel gemme, etc. ;
3° Un autre sur les Urines de divers
animaux : éléphant, chameau, âne,
cheval, chèvres, mouton. Je rappellerai que les urines
jouaient dans les préparations du XIII°
siècle le rôle de notre alcali volatil, en raison
de la formation de ce dernier dans leur décomposition ;
4° Un autre paragraphe est relatif aux dravakas,fondants
ou dissolvants, réunis dans un même groupe, qui
comprenait à la fois les baies rouges et noires de
l’Abrus precatorius,
le miel, la mélasse, le beurre
clarifié et les « borax
».
Cette dernière expression n’avait pas le sens du
borax des chimistes modernes ; mais elle s'appliquait ; en
réalité à toute liqueur alcaline,
dérivée soit du natron, soit des lessives de
cendres végétales ;
5° Le Sarngadharafournit des
détails plus circonstanciés sur ces
dernières lessives, lesquelles représentaient les
alcalis fixes dans la chimie d’alors ;
6° De même les acides étaient
représentés par le vinaigre et divers sucs
végétaux : jus de citron, jus des oxalis et des
rumex, etc. Insistons sur ce fait fondamental, au point de vue
historique, a savoir qu’aucun acide minéral
proprement dit ne figure dans ces Ouvrages, même au
XVI° siècle;
7° Ensuite viennent diverses matières
minérales : soufre, talc, bitume, réalgar,
orpiment, pyrites de fer et de cuivre et les sulfates (vitriols) impurs
qui résultent de leur décomposition
spontanée, sulfure d’antimoine, ocre rouge, etc.
En somme, il n’y avait pas là grand
progrès sur la matière médicale de
Dioscoride, fidèlement reproduite par les Arabes. Cependant
ces derniers y ont ajouté, en même temps ou
après les alchimistes grecs, divers composés
mercuriels et spécialement les chlorures sublimes (calomel
et sublimé corrosif) : or les chimistes indiens en
reproduisent fidèlement les recettes.
Le Chapitre II des Rasendra sara sangraha est
caractéristique à cet égard ; il est
consacré à la description des
procédés propres à amener les divers
métaux à des formes solubles, convenables pour
leur administration comme remèdes à
l’intérieur du corps humain. Les sept
métaux y sont aussi étudiés
successivement : or, argent, cuivre, plomb, étain, fer et
airain [envisagé comme un métal propre, sans
doute par un souvenir de l’ancien Electrum (5)], ainsi que
les préparations qui dérivent de ces divers
métaux, tant par grillage, oxydation, sulfuration, que par
voie humide. Ceci rappelle la composition des Traités
arabico-latins, et notamment le Livre VI de l'Alchimie
d’Avicenne, les Livres III et IV de Bubacar [pseudo
Rasés (6)], etc.
Les Chapitres suivants de l’ouvrage indien
sont consacrés au traitement des maladies par
l’association des préparations
métalliques avec les drogues végétales.
En résumé, les renseignements positifs contenus
dans les textes précédents, sur
l’état des connaissances chimiques des Indiens, ne
nous reportent pas plus haut que le XI° ou XI°
siècle et leur tradition elle-même ne remonte pas
au delà du X° siècle. Ces connaissances
ne vont pas plus loin que celles des Arabes et des Latins, à
la même époque, et elles rentrent à peu
près dans le même cadre de faits et
d’applications médicales ; ajoutons que les
préparations et les appareils sont les mêmes, sans
addition essentielle. Pour compléter cette étude,
il serait utile de connaître les
procédés techniques des orfèvres et
des céramistes, sur lesquels les écrits
précédents ne semblent point fournir de
renseignements.
En effet l’Inde était déjà
le siège d’une civilisation avancée au
temps de son contact avec les Grecs. Il y existait
assurément une longue tradition des pratiques relatives a la
fabrication des armes et des ustensiles métalliques, aussi
bien qu’à celle des bijoux, à
l’emploi des métaux brillants et des pierres
précieuses, ainsi qu’aux différents
arts céramiques. Mais aucune trace écrite de ces
industries ne figure dans les Ouvrages parvenus à ma
connaissance ; les traces d’une science théorique
font également défaut.
Revenons aux Traites d’alchimie du moyen
âge que j’examine en ce moment.
En ce qui touche les appareils, les dessins que m’a transmis
M. Rây reproduisent l’aludel des Arabes, tel que je
l’ai représenté dans mon Introduction
à l’élude de la Chimie des anciens (p.172),
et diverses figures d’appareils distillateurs, directs ou
per descensum, bains de sable, etc.,
toutes figures dont les analogues se trouvent dans la Bibliotheca
Chemica de Manget. — Ils
ressemblent surtout beaucoup aux figures des manuscrits syriaques,
reproduits dans le deuxième volume (Alchimie
syriaque) de mon histoire de la Chimie au moyen âge
; tels sont un alambic de la page 108 de ce dernier volume, un vase
à digestion et sublimation (p. 109), un appareil
à digestion avec étuis ou gaines (p. 118), etc.
Ces appareils syriaques sont d’ailleurs les plus anciens
parmi ceux des Arabes.
C’est seulement dans les Ouvrages indiens des
XVII° et XVIII° siècles que l’on
rencontre, d’après M. Rây, des
préparations plus modernes, telles que celles des acides
chlorhydrique, sulfurique, nitrique, du salpêtre, de
l’eau régale.
Pour préciser, rappelons que les médecins de
« Tamil »
préparaient l’acide sulfurique (gundakka
attar, esprit de soufre) en
brûlant le soufre avec du nitre dans des vases de terre. Ils
obtenaient l’acide chlorhydrique en faisant réagir
l’alun sur le sel marin ; l’acide nitrique, au
moyen du salpêtre et de l’alun ; l’eau
régale, en distillant dans une cornue de verre un
mélange de salpêtre, de sel ammoniac,
d’alun et de vitriol vert. Notre salpêtre
lui-même n’a été
décrit dans l’Inde qu’a une
époque relativement moderne ; il n’a pas de nom en
sanscrit.
Cependant c’était un dépôt
salin naturel du sol du Bengale, article qui est devenu
l’objet d’une exportation considérable.
Il est probable que sa fabrication proprement dite n’a
été introduite dans l’Inde
qu’après l’adoption de la poudre
à canon dans la guerre, vers le XV° ou le
XVI° siècle.
Observons ici que les procédés qui viennent
d’être signalés, tels que ceux de la
fabrication des acides, sont précisément les
procédés employés par les chimistes
européens au XVI° et au XVII°
siècle, procédés qui ont
été transformés au XVIII° et
plus profondément encore à notre
époque. De tels procédés
n’ont pu parvenir dans l’Inde qu’au temps
de l’empire Mogol et des conquêtes des navigateurs
européens, portugais, hollandais et anglais.
En résumé, la science chimique des
Indiens parait tirer son origine d’une double importation :
l’une faite du XI° au XIII°
siècle, qui offre les caractères de la science
arabe de l’époque, et elle a
été introduite sans doute par des
échanges d’idées ayant eu lieu au temps
des califes de Bagdad. L'autre s’est, accomplie du
XVI° siècle jusqu’à notre
époque et offre les caractères de la science
européenne moderne. Les faits signalés dans le
présent article concourent à établir
que cette double importation trouve en définitive ses
origines, indirectes ou directes, dans la science occidentale.
Tels sont les résultats qui me paraissent susceptibles
d’être tirés des faits
consignés dans la très intéressante
communication du professeur Rây. Je dois dire que cette
opinion n’est pas conforme à la sienne ; car il
croit à l’originalité de
l’alchimie indienne, mais plutôt car un sentiment
de gloire nationale que d’après des preuves
positives. Quoi qu’il en soit, son étude nous
fournit l'occasion d’établir de nouveaux points de
repère et un jalon des plus importants dans les recherches
relatives à l’histoire des origines des Sciences
et de leur propagation à travers
l’humanité.
VI. - Alchimie indienne,
d’après les textes.
A HISTORY OF HINDU CHEMISTRY from the earliest times to
the middle of the sixteenth Century A. D., with sanscrit texts,
variants, translations and illustrations, by Praphulla Chandra
Rây, D. SC., professor of chemistry, Presidency College,
Calcutta. - Vol. 1, Calcutta, 1902 ; LXXIX-176 pages, 10 figures et
deux index, Textes sanscrits, 1-41.
Il y a quelques années, M. le professeur
Rây m’a communiqué un Mémoire
manuscrit en 43 pages, sur l’histoire de la Chimie et de
l’Alchimie indienne, Mémoire dont j’ai
publié une analyse critique reproduite dans
l’article qui précède. Depuis lors, sur
mes encouragements, le savant hindou a poursuivi ses recherches et
approfondi ses premiers essais. Aidé par le concours de M.
Alexandre Pedler, directeur de 1’Instruction publique au
Bengale, il a pu prendre connaissance de manuscrits plus anciens,
tirés des bibliothèques de
Bénarès, de Madras, de Cachemire, ainsi que des
publications imprimées d’après divers
autres manuscrits. L’un de ces derniers manuscrits notamment,
le manuscrit Bower, est réputé écrit
au V° siècle de notre ère. Les autres
sont de dates inégales, parfois récentes ; mais
ils renferment des Traités auxquels on attribue une
antiquité plus ou moins reculée.
Je rappellerai d’abord ce fait bien connu que
les Ouvrages transcrits dans un manuscrit et
particulièrement les Ouvrages techniques ou
théoriques sont susceptibles de renfermer, à
côté des textes auxquels le copiste attribue une
date reculée, des additions faites à
différentes époques, les plus récentes
pouvant être contemporaines de la dernière copie ;
la date de cette dernière est donc la seule tout
à fait certaine. Ces additions ont été
faites souvent sans aucune intention de fraude, simplement pour
compléter l’étude des questions
traitées ; mais il est arrivé parfois
qu’elles ont eu pour objet d’antidater certains
faits, certains noms, ou certaines doctrines. Si je fais cette
observation à l’occasion des manuscrits hindous,
c’est que j’ai eu occasion de relever et de
discuter de nombreux exemples de cet ordre dans mon histoire de la Chimie
au moyen âge ;
particulièrement en ce qui touche les Ouvrages
attribués à Hermès et, plus tard,
à Geber.
La même chose est arrivée dans l’Inde
pour le personnage demi-mythique et demi-historique qui porte le nom de
Nagarjunà. Parmi ses successeurs, il existe pareillement,
à côté d’un Vagbhata
historique, des œuvres dont un pseudo Vagbhata plus moderne
s’est déclaré l’auteur. La
critique de ce genre d’ouvrages et spécialement
celle des écrits alchimiques exigent beaucoup de prudence et
de sagacité.
Quoi qu’il en soit, nous devons remercier M. Rây du
soin avec lequel il a rassemblé les matériaux
d’une étude difficile et obscure, et des
précieux détails et commentaires qui figurent
dans sa publication.
Une Première réflexion se présente
à l’esprit, après la lecture de son
histoire de la chimie indienne ; c’est que cette histoire est
plutôt d’ordre médical que chimique. En
un mot, la Chimie est partout ici subordonnée à
la Médecine : il s’agit de doctrines et de
recettes médicales plutôt que de doctrines
chimiques, ou alchimiques. Les descriptions méthodiques
relatives à l’étude et à la
préparation des métaux et autres substances
n’apparaissent guère dans ces écrits
qu’à partir du XIV° et du XV°
siècle.
Dans les extraits des vieux Traités que M.
Rây nous présente on ne rencontre presque rien qui
ressemble aux Traités systématiques de Zosime et
des alchimistes gréco-égyptiens, tels que nous
les connaissons par la Collection des textes des anciens
chimistes grecs, ou par celle des textes traduits par les
Syriens (7).
Les extraits que publie M. Rây ne renferment aucun texte
alchimique proprement dit, à l’exception de
quelques phrases vagues et.de quelques invocations mystiques.
Cette absence de documents alchimiques précis dans les
textes indiens les plus anciens peut s’expliquer de deux
manières : ou bien M. Rây n’a pas eu
connaissance des Traités alchimiques de cet ordre,
à supposer qu’ils aient été
conservés ; ou bien, et plutôt, ces
Traités n’ont jamais existé : je veux
dire existé avec les longs développements de
doctrines et de procédés que nous lisons dans les
textes alchimiques occidentaux, écrits dans les cinq ou six
premiers siècles de notre ère. On
s’explique d’ailleurs cette absence de textes
anciens, si l’on admet que les doctrines et imaginations
alchimiques ne se seraient pas développées
spontanément dans l’Inde, mais qu’elles
y auraient été importées plus tard,
par l’infiltration des idées et des Ouvrages
syro-arabes ; importation qui n’apparaît
guère que du VIII° au X° siècle
de notre ère. Or, c’est
précisément vers cette époque que
l’influence des idées relatives au mercure se
manifeste réellement en médecine chez les Hindous
et chez les Chinois.
En tout cas, il y a là un problème à
éclaircir : la découverte des moindres textes
originaux serait précieuse à cet égard
; mais il serait nécessaire de publier ces textes complets,
autrement que par des extraits, et sans addition, mutilation ou
mélange d’interprétation de
l’éditeur, ou des copistes. C’est
à cette condition seulement que les indices de leur
véritable origine pourraient être mis hors de
doute.
Il nous manque également un autre ordre de
données historiques, qui seraient indispensables pour
discuter exactement la vraie filiation des idées et des
pratiques chimiques et alchimiques dans l’Inde ; ce sont les
cahiers de recettes techniques des orfèvres, des peintres,
des teinturiers, des céramistes et métallurgistes
indiens, aux différentes époques. On sait combien
le travail des métaux et celui des industries
décoratives ont été poussés
loin dans l’Inde et quel sentiment d’un art
décoratif délicat se manifeste dans les objets
anciens ou modernes qui proviennent de cette contrée. M.
Rây a pris soin de consacrer un certain nombre de pages de
son livre à la description des pratiques actuelles des
artisans indiens.
Certes ces descriptions sont très intéressantes ;
mais elles se rapportent uniquement aux temps modernes et
contemporains. Il serait précieux pour l’histoire
de la chimie et de l’alchimie indiennes de
posséder des textes analogues soit au papyrus de Leyde, qui
m’a fourni la clef des Traités
démocritains, soit aux Compositiones et
àla Mappoe Clavicula, qui
m’ont permis de constater le maintien des traditions de
l’alchimie antique en Occident après la chute de
l’empire romain et jusqu’au XIII°
siècle, c'est-à-dire jusqu’au moment
où renaît la science occidentale, avec les doubles
ressources empruntées, d’une part, aux recettes de
technique industrielle conservées en Europe et,
d’autre part, aux Ouvrages grecs, byzantins et aux
Traités arabes de diverse nature, apportés
d’Espagne et d’Orient et traduits en latin aux
temps des croisades.
Ces Traités de la vieille technique indienne ont-ils
disparu, par l'effet du mépris des castes sacerdotales pour
les professions des artisans ? Ou bien n’ont-ils jamais
existé dans l’Inde, tout se bornant a des
pratiques additionnelles, où manquait l’appui de
ces idées théoriques dont l’art et
l’industrie n’ont pas cessé de
s’inspirer en Occident ? On voit que l’on retrouve
toujours le même doute sur l’antiquité
de la science chimique proprement dite dans l’Inde : je ne
parle pas des pratiques chimiques, qui sont aussi vieilles que la
civilisation.
Peut-être la découverte de quelque
document inédit, demeuré jusqu’ici
caché dans les bibliothèques de l’Inde,
permettra-t-elle un jour de jeter de la lumière sur ces
problèmes ; à la condition bien entendu que ce
document soit tiré de manuscrits bien datés et
antérieurs aux influences grecques, arabes, occidentales,
qui ont laissé leur empreinte dans les Ouvrages
composés ou copiés au cours des temps modernes.
Je ne veux pas m’étendre davantage sur ces
desiderata ; mais il m’a paru nécessaire de
signaler l’absence presque complète de documents
authentiques relatifs aux doctrines originales des chimistes indiens
proprement dits, avant leur contact avec la civilisation arabe. II
serait tout a fait injuste à cet égard
d’invoquer l’absence de cet ordre de textes, dont
aucun indice ne permet de soupçonner l’existence,
pour critiquer l’ouvrage de M. Rây, qui a
consacré un long et consciencieux travail à
résumer avec soin et intelligence les matériaux
parvenus entre ses mains. On doit, au contraire, lui savoir le plus
grand gré de ceux qu’il nous fait
connaître. Si je fais les observations qui
précèdent, c’est qu’il est
indispensable de bien mettre au point les questions relatives aux
origines si controversées des sciences de
l’Extrême-Orient, particulièrement en ce
qui touche les sciences positives telles que la Chimie.
Je vais maintenant essayer de résumer les
points qui m’ont le plus frappé en lisant
l’histoire de la chimie indienne.
Dans l’introduction de l’histoire de la chimie
indienne et dans l’ouvrage lui-même, M.
Rây envisage successivement les périodes Suivantes
:
I. Notions chimiques dans les Védas ;
II. Période ayurvédique (temps
prébouddhiques jusque vers l’an 800 de notre
ère) ;
III. Période dite de transition (de
l’an 800 à 1100 après J.-C.) ;
IV. Période tantrique (de l’an 1100 à
1300) ;
V. Période iatrochimique (de l’an 1300
à 1550).
Peut-être la démarcation entre ces
périodes n’est-elle pas toujours nettement
tranchée, surtout entre les trois dernières. Je
me bornerai à suivre cette division d’une
manière générale.
L’époque des Védas est
connue surtout par des documents en grande partie mythiques. Durant
cette époque, chez les Indiens comme chez les Egyptiens,
toute action humaine et spécialement la médecine
et les arts industriels sont poursuivis en faisant concourir les agents
naturels et l’influence des êtres surnaturels,
sollicités par les incantations et pratiques de la magie et
de la sorcellerie.
Dans le Rig Veda, les Açwins, divinités analogues
aux Dioscures grecs, sont invoqués comme des
médecins divins. Le soma, jus
fermenté, est l’objet d’une adoration
spéciale et regardé comme l’amrita
(ambroisie des Grecs), liquide divin qui rend
centenaire. Dans l’atharvaveda, les agents
employés pour traiter les maladies sont les plantes et leurs
produits ; mais leur emploi est associé invariablement avec
celui des charmes et des invocations, Nous y lisons des incantations
destinées à amener la ruine, la mort, la
démence, la stupeur des adversaires. On s’assure
l’amour des femmes par des philtres
végétaux, joints à certains
maléfices. Plus tard, dans le
Mahâbâhrata, l’or est associé
au Soleil et regardé comme un élixir de vie,
tandis que le plomb est un agent de sorcellerie ; mais ce
poème est mélangé
d’éléments postérieurs.
Les analogues de ces croyances et pratiques se retrouvent chez les
Grecs, sans qu’il y ait lieu de croire à quelque
emprunt proprement dit de part ou d’autre,
c'est-à-dire d’invoquer autre chose
qu’une certaine communauté de traditions
originelles.
La période ayurvédique
présente un caractère plus positif. Elle
répond à la période historique
proprement dite des Grecs et des Romains. A ce moment, la chimie
n’est encore séparée ni de la
médecine ni des arts industriels. Mais le médecin
est devenu distinct du prêtre.
Avant d’entrer dans plus de détails
sur les relations qui se manifestent alors entre les pratiques de la
médecine et celle de la chimie, toujours
étroitement liées entre elles, il est
nécessaire d’exposer brièvement les
idées philosophiques des Indiens de cette époque
sur la constitution de la matière. En effet, c’est
aussi la période des grands systèmes
philosophiques, agités avec méthode et
profondeur. Je n’ai pas la compétence philologique
nécessaire pour parler ici des discussions
régnantes relativement a la date de ces systèmes
et surtout à l'influence qu’ils ont pu subir de la
part de la philosophie grecque, ou exercer sur celle-ci,
particulièrement à l’époque
alexandrine.
Bornons-nous à rappeler, avec Colebrooke, les
systèmes Samkhya et Vaideshika et
particulièrement les concepts relatifs à la
constitution de la matière. D’après
Kapila, auteur du système Samkhya, il existe cinq ordres de
particules subtiles ou radicaux nommés Tanmatra, non
perceptibles par les sens grossiers de l’homme, quoique
perceptibles par des êtres d’ordre
supérieur. Ils engendrent cinq
éléments plus grossiers : la terre,
l’eau, le feu, l’air et l'espace (ou fluide
éthéré).
L’élément
éthéré est le véhicule du
son, perceptible par le sens de l’ouïe et
dérivé du radical sonore
éthéré.
L’élément aérien est
perceptible par les sens de l’audition et du tact ; il
dérive du radical tangible de l’air.
L’élément igné est
perceptible par les sens de l’ouïe, du tact et de la
vue ; il dérive du radical coloré du feu.
L’élément aqueux est perceptible par
les sens de l’ouïe, du tact, de la vue et du
goût ; il dérive du radical sapide de
l’eau. L’élément terreux est
perceptible par les sens de l’ouïe, du tact, de la
vue, du goût et de l’odorat ; il dérive
du radical odorant de la terre. Ainsi, à chaque sens
répond un élément distinct sensible,
dérivé d’un radical non perceptible.
Cette doctrine des éléments est analogue
à celle d’Empédocle, mais avec des
détails plus subtils et l’addition de
l’élément éther. Elle a
été développée et
combinée avec des notions logiques, rappelant Aristote, et
avec une théorie atomique analogue à celle de
Démocrite exposée par Kanada, fondateur du
système Vaideshika. D’après ce
système, les objets perçus par les sens sont
caractérises par six catégories.
Mais ce serait sortir de mon sujet que
d’entrer dans l’exposition de ces
subtilités. Après avoir
spécifié ces catégories et
défini la substance, en tant que résultant de
l’association des qualités et de
l’action, le philosophe décrit les
propriété de la terre et de l’eau,
toutes deux éternelles en tant qu’atomes, mais
transitoires en tant qu’agrégats ; celles de la
lumière, qu’il assimile a la chaleur :
lumière terrestre, telle que celle du feu ordinaire, et
lumière céleste, telle que celle des
éclairs et des météores, etc.
L’or est constitué par la lumière
solidifiée par le mélange de quelques parties
terreuses, etc. Kanada expose alors sa conception des atomes simples ou
primaires, qui sont éternels, puis celle des atomes
binaires, ternaires, quaternaires, etc.
Je ne poursuivrai pas plus loin les développements de son
système. Observons cependant que cet ordre de conceptions et
d’imaginations demi physiques, demi métaphysiques
rappelle celles des philosophes grecs, depuis Démocrite et
Leucippe, inventeurs des atomes, jusqu’à Platon,
dans son Timée, et Aristote, dans ses Météorologiques.
Il est facile de signaler entre les philosophes indiens et les
philosophes grecs certaines analogies frappantes.
Une influence réciproque s’est
exercée réellement entre les deux
régions et civilisations, après la
conquête macédonienne et la fondation des royaumes
grecs de la Bactriane. Elle est manifeste à
l’époque alexandrine, c'est-à-dire dans
les siècles voisins de l’ère
chrétienne : le nom de Bouddha était connu de
Clément d’Alexandrie. Les légendes
antidatées relatives à Pythagore et la biographie
fabuleuse d’Apollonius de Tyane ont conservé la
trace de ces contacts. En tout cas, s’il y a eu quelque
emprunt du coté des Indiens, il est incontestable que les
idées grecques ont été
remaniées par eux d’une façon originale
et ont subi une élaboration nouvelle, dont la
subtilité plus grande et les distinctions plus
multipliées semblent accuser le caractère
postérieur.
Rentrons maintenant dans les œuvres plus
spécialement chimiques du génie indien.
Celles-ci, comme je l’ai dit, se rattachent à la
médecine et à la matière
médicale. A ce point de vue, la fin de la période
que nous étudions en ce moment est
représentée par deux grands Ouvrages, le Charaka
et le Susruta, dont l’origine serait fort ancienne, mais dont
la rédaction définitive, telle que nous la
possédons, semble contenir, à
côté de fragments de date reculée et
incertaine, des écrits très
postérieurs à l’ère
chrétienne, écrits basés
d’ailleurs sur le système Vaideshika. La science
de la vie (Ayurveda) est regardée comme une science
secondaire ; c’est d’ailleurs une
révélation directe des dieux, une branche de
l’Atharveda.
Parlons d’abord des auteurs de ces
compilations.
M. Sylvain Lévy a retrouvé dans le Tripitaka
chinois le nom de Charaka, comme guide spirituel du roi indoscythe
Kanisha, au II° siècle de notre ère (8),
et il le rattache a une tradition grecque. Mais le mot Charaka,
d’après M. Rây, serait une appellation
collective, qui remonterait beaucoup plus haut.
En tout cas, l’ouvrage qui porte ce nom aurait
passé par plusieurs rédactions ou remaniements,
entre autres celle de Vagbhata, postérieure de plusieurs
siècles à l’ère
chrétienne. Ce livre (perdu aujourd’hui), aurait
été traduit en arabe, par ordre des califes, vers
le VIII° ou IX° siècle de notre
ère, en même temps qu’un autre livre
appelé Nidana.
Plus tard vint une rédaction nouvelle,
attribuée à Nagarjunà,
célèbre chimiste bouddhiste, personnage
à demi légendaire, sorte
d’Hermès Trismégiste, que les Indiens
regardent comme l’inventeur de la distillation et de la
calcination. En fait, ceci nous indiquerait donc le VIII~ ou le IX~
siècle, comme l’époque où
les Indiens ont connu ces dernières méthodes,
découvertes par les alchimistes
gréco-égyptiens des premiers siècles
de notre ère, c’est-à-dire plusieurs
siècles avant le califat. C’est, en effet, vers la
fin du VI° siècle qu’elles ont
été enseignées aux Arabes (9), par
l’intermédiaire desquels elles paraissent avoir
été communiquées aux peuples de
l’Extrême-Orient.
Le Susruta serait moins ancien que le Charaka ; la recension en aurait
été également faite par,
Nagarjunà. C’est ici le lieu d’observer
que le Charaka et le Susruta ne sont pas des Ouvrages de Chimie, le
Charaka étant un livre de Médecine proprement
dite et le Susruta un livre de Chirurgie. Le nom de Susruta, comme
celui de Charaka, est attribué, dans les Ouvrages indiens,
à plusieurs personnages de date différente et qui
semblent étrangers à la Médecine. Ce
nom figure notamment dans le manuscrit Bower [V°
siècle de notre ère (?)].
Le plus ancien commentaire du Susruta est le Bhanumati, par Chakrapani
Datta, qui vécut vers l’an 1060 : le texte du
Susruta était alors l’objet d’une
sollicitude attentive à en maintenir la pureté.
Tel est le résumé des
renseignements fournis par M. Rây. Il réfute
vivement une opinion développée
récemment par le savant orientaliste Haas,
d’après laquelle le nom de Susruta serait la
corruption arabe de celui d’Hippocrate, changé
d’abord en Socrate, le tout d’ailleurs
conformément à ce qui est arrivé
fréquemment dans ces transcriptions successives des noms
grecs.
Comme exemple analogue, je demande la permission de rappeler
l’étrange confusion qui existe dans les
Traités d’Alchimie syriaque entre Hippocrate et
Démocrite (10), ainsi que les transcriptions de noms grecs
dans la Turba philosophorum (11). Les confusions
de ce genre sont bien connues de tous les orientalistes.
On a rapproché aussi le système
humoral des auteurs indiens, fondé sur les trois humeurs :
air, bile et phlegme, de celui des Grecs : sang, bile, eau, phlegme. Je
ne prétends pas m’ériger en arbitre de
cet ordre de questions : toutefois de semblables analogies ont pu se
présenter a l’esprit des médecins de
différents peuples. Elles semblent trop vagues pour
autoriser des conclusions assurées. Si elles
étaient mieux établies, peut-être
pourrait-on les rapporter à quelque tradition commune plus
ancienne, originaire, par exemple, de la Chaldée, comme le
prétendait Terrien de la Couperie.
Voici encore quelques renseignements fournis par M.
Rây. Dans le Charaka et le Susruta, on distingue les drogues
d’origine terrestre ou minérale,
d’origine végétale et
d’origine animale.
Parmi les drogues minérales, on cite d’abord :
l’or, qui est mis a part ; les cinq métaux :
argent, cuivre, plomb, étain, fer, et cc qu’on
appelle leurs impuretés (12) ou bitumes (?),
c'est-à-dire leurs oxydes et autres composés.
Viennent ensuite : l’arsenic rouge, réalgar et
orpiment ; l’antimoine sulfuré ; les sels, au
nombre de cinq ; le sable, les gemmes, les pyrites et leurs
dérivés (vitriols) correspondant au misy et au
sory des Grecs (13) ; toutes drogues simples employées en
médecine. Leur description et les traitements
qu’on leur fait subir, lavages, grillages, infusions et
mélanges, rappellent le Traite de Dioscoride : non
qu’il y ait emprunt et traduction directs, mais
plutôt transmission par intermédiaires, avec
certaines modifications dans les procédés. Le
soufre figure aussi associé a des drogues
végétales, celles-ci empruntées
surtout à des plantes de l’Inde. Viennent enfin
les drogues d’origine animale : le sang, la bile, le sperme,
l’urine (huit variétés selon les
animaux), la corne, les cheveux, les os, etc.
Cette distinction des drogues en trois catégories, animale,
végétale, minérale, rappelle encore la
nomenclature symbolique des alchimistes arabes (14) et
spécialement celle d’Avicenne (réel ou
prétendu). On pourrait y voir un signe d’origine,
les anciens alchimistes grecs n’employant pas cette
nomenclature.
Les poisons sont aussi partagés en
minéraux, végétaux, animaux.
L’emploi des lessives de cendres et spécialement
celui de la pierre à chaux calcinée, pour les
changer en solutions alcalines caustiques, décrits dans le
Traité que je résume, me semblent indiquer une
addition plus moderne, dérivée par voit directe
ou indirecte des pratiques de chimistes européens.
Au contraire, on doit signaler comme essentiellement indienne une
discussion étendue sur la distinction des goûts,
leur nombre, leur relation avec les cinq éléments
primordiaux ; de même les classes d’aliments,
dérivés des cinq éléments,
possédant les six goûts et les deux
propriétés du chaud et du froid.
Observons enfin que dans le Charaka et le Susruta on ne
trouve qu’une seule référence relative
au mercure : ce qui est un indice
d’antériorité par rapport a la
période subséquente de médecine
mercurielle.
A cet égard et pour nous rapprocher davantage de
l’histoire de la Chimie et de ses doctrines propres, dont il
n’est guère question dans ce qui
précède, on peut ajouter que la
pharmacopée indienne primitive, telle qu’elle
figure dans les Ouvrages précédents, ne contient
pas de sels métalliques, ni surtout ces
préparations mercurielles caractéristiques de la
période tantrique.
Au contraire, cet ordre de préparations a établi
son autorité au XI° siècle, dans les
Ouvrages de Vrinda et Chakrapani Datta, commentateurs de Charaka et de
Susruta. Ils recommandent en même temps de faire intervenir
les prières cabalistiques du culte tantrique, comme
auxiliaires de certaines de leurs préparations.
A cette même époque, l'Alchimie
proprement dite apparaît nettement dans l’Inde,
d’après Albirouni, surtout comme auxiliaire de la
Médecine. Albirouni ajoute que les Indiens
désignent leur science alchimique sous le nom de Rasayana,
et qu’elle enseigne les
procédés propres a restaurer la jeunesse et
à allonger la vie, c’est-à-dire la
fabrication de l’élixir de longue vie. Cette
fabrication est, comme toujours, congénère de
celle de l’or et de la pierre philosophale.
Le mot rasa lui-même
désignait, à l’origine, le chyle
générateur du sang ; mais il fut depuis
réservé au mercure et à ses
composés divers. Les théories exposées
par Albirouni sur la constitution des métaux, en tant que
formés de soufre et de mercure, sont celles des Arabes.
L'Alchimie a été en honneur dans
l’Inde, principalement durant la période
tantrique, du XII° au XIV° siècle.
A ce moment, les idées mystiques et magiques
jouaient un grand rôle dans le bouddhisme indien, dont la
pureté originelle avait été
altérée par le culte de Siva et de certaines
divinités étranges, reste des anciennes religions
de l’Inde. Les sciences positives et les sciences occultes y
sont jointes en un amalgame singulier, que l’on retrouve dans
le taoïsme chinois, aussi bien que dans les antiques
traditions du gnosticisme occidental, ce dernier fort
antérieur comme date. Ces pratiques remontent
peut-être aux origines mêmes de
l’espèce humaine ; la Chaldée et
l'Egypte les ont connues. Aussi ont-elles été
associées aux premières doctrines scientifiques.
En tout cas le culte de, Siva, déjà
établi dans l’Inde au XII°
siècle de.notre ère, avec le phallus comme
emblème, renferme un mélange de
procédés alchimiques et de rites
obscènes.
Vers le XI° siècle, les connaissances
chimiques sont exposées entre autres dans le Rasaratnakara,
toujours attribué à Nagarjnnà, dont le
nom prend ainsi une sorte de caractère
générique, et dans le Rasarnava (mer de mercure),
l’un des Tantras du culte de Siva. La notion mystique du
mercure des philosophes, élément
supposé des métaux, apparaît alors,
associée et confondue avec la connaissance du mercure
proprement dit. Mais les Tantras joignent à ces notions
générales, congénères de
celles des alchimistes grecs et arabes, des idées mystiques,
d’un caractère original. « C’est
par le mercure, dit le dernier Ouvrage, que l’on rend le
corps impérissable, de façon à le
soustraire a la nécessité de la mort.
» En effet, le corps, en tant que composé des six
enveloppes de l’âme, est dissoluble ; tandis que le
corps créé par Hara et Gauri
(désignés sous les noms du mercure et du mica)
est permanent. L’ascète qui aspire à la
« libération »
dans cette vie doit d’abord se faire un corps glorieux,
engendré comme le mercure par la conjonction
créatrice de Hara et de Gauri. « Leur
combinaison, ô déesse (15), détruit la
mort et la pauvreté. »
L’auteur cite ici les noms des sages qui ont atteint la
« libération »
dans cette vie actuelle, en acquérant un corps divin (ou
mercuriel) par l’efficacité du mercure. Le mercure
fixé guérit les maladies ; le mercure
éteint (amorti, mortifié) ressuscite les morts ;
c’est un médicament suprême, qui rend le
corps incorruptible et impérissable. L’adoration
du mercure sacré est plus béatifique que
l'œuvre de tous les emblèmes phalliques. Dans la Revue
des systèmes philosophiques, par
Madhavacharya, abbé chef du monastère de Sringeri
en 1331, le sixième système est
désigné sous le nom de système
mercuriel. Le mercure est
appelé. semence de Siva,
dénomination qui rappelle la semence
d’Hermès et la nomenclature symbolique des scribes
sacrés de l'Egypte (16), reproduite en partie par Dioscoride
et par Avicenne (17). Dans Marco Polo on retrouve cette opinion que les
sages indiens vivent de 150 à 200 ans, en usant
d’un breuvage étrange renfermant du soufre et du
mercure. Ainsi, d’un symbolisme mystique, les Indiens avaient
passé à une interprétation
médicale positive et à la préparation
des médicaments métalliques.
L’application matérielle de ces
doctrines et de ce symbolisme mystique ne devait être faite
que par les initiés ; autrement leurs
conséquences littérales étaient
susceptibles de se traduire par des empoisonnements. C’est ce
qui paraît en effet avoir eu lieu en Chine, où
plusieurs empereurs, vers le X° siècle, ont
été, dit-on, victimes de l’emploi des
remèdes destinés à leur procurer
l’immortalité.
En tout cas, nous sommes ici dans l’Inde en
période alchimique : le pseudo Vagbhata nous donne les noms
de 37 alchimistes renommés.
On voit par ces détails exacts que le
développement de cette science, demi réelle,
demi-chimérique, a été tardif dans
l’Inde. La floraison n’en a réellement
eu lieu que dans la période tantrique. S’il
paraît certain, d'après les textes des annalistes
arabes, que les califes Haroun et Mansour ont fait traduire
à Bagdad quelques Ouvrages de médecine indienne,
en même temps que des Ouvrages grecs et syriaques, nous
ignorons ce que renfermaient ces Ouvrages et rien ne permet de supposer
qu’ils continssent des notions chimiques proprement dites.
Les théories signalées dans Albirouni et dans les
auteurs indiens de date certaine ont le caractère de
doctrines dérivées de celles des chimistes
arabes, lesquelles elles-mêmes se rattachent, par
l’intermédiaire des Syriens, à celles
des alchimistes gréco-égyptiens. Les Indiens ont
donné à ces doctrines leur empreinte et une
certaine figure originale en les incorporant dans leurs
systèmes religieux.
Citons, d’après M. Rây,
des extraits des plus anciens Ouvrages qui contiennent des
renseignements chimiques précis :
Le Tantras intitulé Rasarnava (XII°
siècle) (mer de mercure) expose la science sous la forme
d’un dialogue entre Siva et son épouse Parvati. Le
mercure est réputé composé de cinq
éléments et assimilé à Siva
lui-même. Dans cet Ouvrage on trouve la description de
nombreux appareils et préparations chimiques.
L’auteur insiste sur les procédés
propres à tuer le mercure, c’est-à-dire
à l'amortir, comme nous disons encore aujourd’hui,
en le réduisant en poudre ; notamment pour
préparer le vermillon avec le soufre et le mercure. Tous les
métaux peuvent être tués avec un
mélange de vitriol vert, de sel gemme, de pyrite, de soufre,
de natron et de divers ingrédients
végétaux.
On remarquera que la mort des métaux et leur
résurrection sont des expressions courantes en alchimie.
Notre auteur enseigne aussi à teindre les métaux,
spécialement le cuivre, en le traitant par la calamine ; ce
qui, dit-il, le change en or (laiton).
Le Rasaratnasamuchchaya, Ouvrage
écrit entre le XIV° et le XI°
siècle, est déclaré au
début l’ouvre de Vagbhata, fils de Simhagupta,
prince des médecins : c’est encore un pseudonyme.
Son Traité est un exposé méthodique de
la chimie, telle qu’elle étai1 connue alors ; il
traite du mercure, des minéraux et métaux, de la
construction des appareils, des formules mystiques de purification des
métaux, de l’extraction des principes actifs, de
la fusion, de l’incinération.
Les vertus du mercure y sont exaltées : « Son
emploi délivre l’homme d’une multitude
de maladies. Le dieu du feu le fait couler dans le Dardistan,
région montagneuse du Cachemire on se trouve des mines de
cinabre. Celui qui obtient le mercure, préparé
avec le concours de rites magiques et mystiques, assure à
ses adeptes le bonheur et la santé, la richesse, le pouvoir
de transmuter les métaux et de prolonger la vie.
»
Le Livre II traite ensuite des rasas, minerais et
produits métalliques spécialement mercuriels.
Le Livre III traite des uparasas ou
rasas inférieurs, tels que le soufre, l’ocre
rouge, le vitriol, l’alun, les sulfures d’arsenic,
orpiment et réalgar, le sel ammoniac, le cinabre, etc. On y
décrit les variétés de chaque
espèce de drogue, sa purification, son traitement par
différents jus de plantes et liquides, etc.
Dans le Livre IV sont
énumérées les gemmes ou pierres
précieuses, qui jouent un si grand rôle dans le
monde depuis les temps les plus reculés. Les Orientaux les
ont toujours en estime particulière. Elles sont ici
examinées au point de vue de la matière
médicale. On cite en particulier les suivantes : diamant,
perle, pierre du soleil (escarboucle ?), pierre de lune
(sélénite), lapis-lazuli, émeraude,
topaze, saphir, corail, etc.
Le Livre V examine les propriétés
des métaux purs : or, argent et fer, et celles des
métaux à odeur fétide, plomb et
étain. Il y a cinq variétés
d’or, dont trois mythiques et de céleste origine,
une tirée des minerais, une obtenue par transmutation.
L’argent a trois variétés, le fer
trois, l’étain deux, etc.
Dans le Livre VI, il s’agit de
l’initiation et de la discipline des adeptes.
Le Livre VII décrit le laboratoire et ses
ustensiles ; le Livre VIII, les termes techniques ; le Livre IX, les
appareils.
Dans le Livre XI, spécialement
consacré au mercure, la purification de ce métal
doit être opérée « un
jour de bon augure et sous une étoile favorable
».
Je ne pousserai pas plus loin ce résumé des
analyses de NI. Rây, ayant déjà
publié des détails circonstanciés sur
les travaux de ce savant professeur relatifs aux Ouvrages de Chimie
indienne de date postérieure, dont il a entrepris
l’étude ; mais je ne puis terminer mon article
sans le remercier encore une fois d’avoir
exécuté ce long et pénible travail, et
d’avoir signalé et analysé les Ouvrages
nouveaux dont il nous révèle
l’existence. C’est un chapitre
intéressant ajouté à
l’histoire des Sciences et de l'esprit humain, chapitre
particulièrement utile pour la connaissance des relations
intellectuelles réciproques, qui ont existé entre
les civilisations orientales et occidentales.
M\ B\
(1) La Chimie au moyen
âge, t. III : Alchimie arabe, p. 40.
(2) Tome 1, page 29.
(3) Pages 281, 291.
(4) La Chimie au moyen âge, t. II : Alchimie syriaque, p. 314
et suiv.
(5) La Chimie au moyen âge, t. 1, p. 305.
(6) Ibid., p. 308-309.
(7) Voir mes Ouvrages sur cette Collection et sur la Chimie au moyen
âge, t. I et II. T. XLIX. - N° 2.
(8) Journal asiatique, t. VIII, 1896, p. 447.
(9) Voir les récits relatifs à Morienus
ou Marianus, moine grec chrétien, et à son
disciple Calid : La Chimie au moyen âge, t. I, p. 242 et 246,
et t. III, p. 2.
(10) La Chimie au moyen âge, t. II, p. XL et 314.
(11) La Chimie au moyen âge, t. I, p. 257.
(11) Ce mot rappelle la dénomination \ \ \,
rouille, venin, virus, de Pline, appliquée par les
alchimistes grecs aux oxydes : Introduction à la Chimie des
anciens, p. 14.
(13) Même Ouvrage, p 243.
(14) La Chimie arc moyen âge, t. I, p 299 et 303.
(14) Paruati, associée de Siva.
(15) Introduction à la Chimie des anciens, p. 11.
(16) La Chimie au moyen âge, t. I, p. 303. T. XLIX. - No 2.
(17) En chinois : Ho han san ts’ai’t’ou
hoei.
|