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Regard maçonnique sur l'alchimie

Précisons en préambule que la question qui me préoccupe n'est pas de savoir si les alchimistes ont effectivement réussi à faire de l'or. C'est un problème qui ne présente que peu d'intérêt pour qui a l'habitude de laisser ses métaux à la porte du temple. Que l'alchimie fut une pratique opérative, fructueuse ou vaine, est une évidence historique. En revanche, il est une question qui ne peut laissé indifférents des chercheurs de lumière : L'alchimie est-elle une opération spéculative, une quête spirituelle ? Existe-t-il un message hermétique ? Si oui, quid des rapports entre l'alchimie et la franc-maçonnerie ?

Tout d'abord, nous pouvons constater que les termes communs aux traditions maçonnique et hermétique sont nombreux. Ainsi, le Grand Œuvre ou l'Art Royal (la couronne est un élément récurrent de l'iconographie hermétique) sont des mots employés tant par le maçon que par l'alchimiste pour désigner leur quête respective. On connaît l'importance du symbole en franc-maçonnerie, ce langage universel est également fort prisé des alchimistes. Nombre d'œuvres hermétiques parmi les plus célèbres, sont purement iconographiques. C’est le cas, par exemple, du Mutus Liber ; ou des 17 figures attribuées à Jean Conrad Barchusen.

Le soleil, la lune et les étoiles qui ornent nos temples maçonniques sont également des symboles alchimiques. Le soleil représente le principe mâle ; le soufre, tandis que la lune est le principe féminin ; le mercure. On verra ultérieurement que les « noces chimiques » du soufre et du mercure ne sont autres que le Grand Œuvre, et comment il est possible d'y reconnaître un des buts de la franc-maçonnerie. Sept  étoiles symbolisent les 7 distillations nécessaires à l'alchimiste pour réussir le Grand Œuvre. On retrouve ici la symbolique des nombres chère à toute tradition initiatique. Le nombre 7 est le nombre de la perfection, de l'éternité.

Parmi les figures de Barchusen, remarquables tant par leur symbolisme que par leur esthétique, on peut voir le tétragramme au sein de nuées accompagnant une apparition divine. Notons enfin, que les 4 éléments et la pierre jouent un rôle fondamental en alchimie et en franc-maçonnerie, rôle que je détaillerai dans une autre partie de cette planche. Il est possible, me semble-t-il, d'aller plus loin encore que le simple constat d'un langage commun entre l'alchimie et la franc-maçonnerie. Leur but et leur méthode sont les mêmes. Telle est mon hypothèse, et je vais m'efforcer, sinon de la prouver, tout au moins de l'étayer.

Le but du Grand Œuvre est le mariage du soufre (pôle masculin) et du mercure (pôle féminin) par l'action du sel ; principe neutre et élément ternaire qui scelle les deux autres. La légende veut que l'alchimiste, au terme de sa quête, devienne hermaphrodite. L'importance du nombre 3 ; le ternaire qui permet de dépasser les oppositions en une nouvelle synthèse, se retrouve en maçonnerie afin de rassembler ce qui est épars. Un alchimiste a dit : « Le secret consiste à savoir convertir la pierre en aimant, qui attire, embrasse et unit cette quintessence astrale ». L'un est aussi le tout ; selon la formule alchimique,  tout est un et tout se ramène à l'un. C'est là un enseignement initiatique important présent dans nombre de traditions. On distingue deux sortes d'unités : l'unité initiale et l'unité finale, l'alpha et l'oméga, symbolisé par l'image célèbre du serpent qui se mord la queue, souvent présente dans les traites alchimiques. Du magma initial surgit l'ordre final, entre les deux, les alchimistes devinent tout le circuit de la matière transmuée. Chacun sait que le but de tout alchimiste est de trouver la fameuse pierre philosophale. On s'est souvent perdu en conjectures pour deviner la nature réelle de cette pierre. Peut-être est-il possible d'y voir plus clair en raisonnant en maçon.

La pierre philosophale ne serait-elle pas notre pierre taillée ? Ne symboliserait-elle pas l'adepte accompli ? Quelle différence entre passer du vil plomb à l'or alchimique et passer de la pierre brute à la pierre taillée ? Deux terminologies différentes peuvent fort bien traduire une même réalité. En franc-maçonnerie, on comprend vite que la pierre n'est autre que le franc-maçon lui-même, et le travail initiatique un travail sur soi. De leur côté, bien des alchimistes ont reconnu que la coction finale avait lieu simultanément dans l'athanor de briques et dans celui du  cœur. Jung, qui s'est intéressé à l'alchimie, pensait que l'œuvre opérative n'était que la projection de l'Œuvre intérieure. L'artiste et l'Œuvre, à l'instar du temple intérieur et du temple extérieur, ne font qu'un. Il apparaît donc que le but de l'alchimie semble bien être le même que celui de la franc-maçonnerie, à savoir le perfectionnement constant de l'initie.

Voyons maintenant ce qu'il en est de la méthode. Oswald Wirth estimait que l'initiation maçonnique, en particulier l'épreuve de la terre, résumait l'essentiel du processus alchimique. Lors de l'initiation maçonnique, le récipiendaire est tout d'abord dépouillé de ses métaux. La première opération alchimique consiste à débarrasser la matière première, nous parlerions nous de la pierre brute, de toutes ses impuretés. Ensuite, le futur franc-maçon est placé dans le cabinet de réflexion où il mourra en tant que profane. En alchimie, la putréfaction ou Œuvre au noir, se déroule dans l'Œuf philosophique hermétique, scellé. L'hermétiste Jacob précise que « la fin du Grand Œuvre est de se débarrasser, quand il le voudra, de la chair corruptible sans passer par la mort ».

Au sein du cabinet de réflexion se trouvent de nombreux symboles alchimiques. A commencer par le sel, le soufre et le mercure ; éléments essentiels du Grand Œuvre dont le rôle a été évoqué précédemment. N'oublions pas le coq qui annonce le lever du soleil et qui, selon Fulcanelli, symbolise un autre élément alchimique, le vif argent. Enfin, bien sûr, la célèbre formule alchimique + V\ I\ T\ R\ I\ O\ L\ : visita interiora terrae, rectificando invenies occultum lapidem. Pour les non latinistes, dont je suis, visite l'intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée.

On a vu que le franc-maçon et l'alchimiste étaient à la fois maître d'Œuvre et matériau ; la formule  V\ I\ T\ R\ I\ O\ L\, qui invite à l'introspection indispensable à toute initiation va dans ce sens. J'ai évoqué Jung, ici le parallèle avec la psychanalyse s'impose. N'est-ce pas en visitant les profondeurs de l'Homme, dans les ténèbres intérieures, que le psychanalyste va chercher la lumière, la vérité de l'être ?

Chaque épreuve de l'initiation maçonnique correspond à une étape du processus alchimique. L'épreuve de l'air : le subtil se dégage de l'épais. L'épreuve de l'eau : la purification par l'eau, la distillation ou Œuvre au blanc. L'épreuve du feu correspond à la calcination, l'Œuvre au rouge qui annonce l'aboutissement du Grand Œuvre. L'initiation maçonnique et l'Œuvre alchimique peuvent se résumer en une suite de purifications successives tendant à la pureté absolue.

On peut également noter que le travail de l'alchimiste, tout comme celui du maçon, doit s'effectuer à couvert ; condition sine qua non de la réussite du Grand Œuvre. Ainsi de nombreux auteurs hermétistes soulignèrent le fait qu'il doive toujours y avoir à la porte du laboratoire, une sentinelle armée d'un glaive flamboyant pour examiner tous les visiteurs et renvoyer ceux qui ne sont pas dignes d'être admis. Le rapprochement avec le frère couvreur et le tuilage est évident.

En conclusion, il semble légitime de penser que l'alchimie est bien une philosophie initiatique et qu'il existe effectivement un message hermétique, un but et une méthode assez proches de ce que nous connaissons en maçonnerie. L'alchimie étant historiquement antérieure à la franc-maçonnerie spéculative, on peut en déduire que l'hermétisme a inspiré les premiers maçons.

Je terminerai cette planche en tentant de répondre à une question qui revient souvent : Pourquoi les écrits alchimiques sont-ils rédigés dans une langue si hermétique ? Je vois, quant à moi, trois hypothèses qui d'ailleurs ne sont pas exclusives. Le secret est si important qu'il ne convient pas de le divulguer au tout venant. Il ne faut pas jeter des perles aux pourceaux ! Seconde hypothèse : ce qui est important c'est le chemin parcouru, la recherche et le travail. Le message, s'il était révélé sans difficulté (mais peut-il l'être ?), perdrait alors toute valeur initiatique.

Enfin, une hypothèse que je qualifierai de politico-religieuse. L'alchimie, à bien des égards, est une hérésie selon les critères de l'Eglise catholique. Or, l'alchimie s'est développée en Occident au Moyen Age, période où l'inquisition sévissait et les bûchers fleurissaient. L'alchimiste n'avait donc pas intérêt à être trop explicite quant à sa philosophie. Plus tard l'Eglise catholique apostolique et romaine se trouvera un autre ennemi en la personne du
franc-maçon, mais cela est une autre histoire.

J'ai dit.

C\ B\


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