Obédience : NC Loge : NC 08/2011

L’Alchimie

Préambule :

Au sujet de la première partie de mon travail sur le 23 ème degré du Rite de perfection : « le Chevalier du Soleil », le Très Illustre Frère Christian de Celles m’écrivait : « Mon sentiment est que ce degré est une invitation à travailler l'Alchimie et qu'il ne va pas au delà, ce qui est déjà beaucoup… ».

J’ai donc tenté de suivre son conseil et essayé de synthétiser la somme de mes lectures en un travail structuré de la façon suivante :

• une approche pseudo historique de l’apparition de l’alchimie.
• L’Alchimie considérée comme un art sacré.
• La Nature Universelle et la Materia prima.
• Conclusion.

Bien évidemment tout ceci n’est que partiel et ne prétend pas être la vérité. Ce n’est que le ressentit d’un cherchant.

Généralités

Du « siècle des lumières », à nos jours, il a été d’usage de considérer l’alchimie comme la forme primitive de la chimie moderne.L’Alchimie proprement dite, cependant, « le Grand OEuvre » décrit par les auteurs hermétiques, se situe sur un autre plan car, malgré les expressions métallurgiques dont les auteurs se servent de préférence, la nature des opérations en question ne se laisse guère identifier chimiquement. Certains scientifiques taxent même les alchimistes d’improvisation et d’arbitraire dans leurs travaux. Mais il n’en est rien ; le magistère des alchimistes comporte visiblement un certain principe d’unité, qui, loin de se présenter comme une vague aventure, possède tous les caractères d’un « art », à savoir une doctrine et une méthode transmise de maître en disciple et dont les traits généraux, pour autant qu’on puisse en juger à travers ses descriptions symboliques, sont sensiblement les mêmes de l’antiquité à nos jours et de l’Orient à l’Occident.

L’alchimie dans l’histoire

L’or et l’argent ont été de tout temps considérés comme des métaux sac rés. Ce sont des reflets terrestres du Soleil et de la Lune, et par là également de toutes les réalités de l’esprit et de l’âme qui se trouvent en rapport avec le couple céleste. Etant donnée cette nature sacrée, l’obtention de ces métaux ne pouvait releve que d’une activité sacerdotale, de même que la frappe des pièces d’or et d’argent étaient originellement le privilège exclusif de certains centres sacrés.

Pour l’humanité archaïque, l’apparition de la métallurgie ne fut pas simplement une « découverte », mais plutôt une « révélation », car seul un décret divin pouvait ouvrir au genre humain l’accès à une telle activité. L’extraction des métaux nobles, depuis les « entrailles » de la terre et leur purification violente par le feu à partir de minerais impurs, par l’intervention d’éléments solvants et purificateurs comme le Mercure et l’antimoine (Stibium) en conjonction avec le feu, s’effectue inévitablement contre la résistance des forces ténébreuses et chaotiques de la Nature. De même la réalisation de « l’argent intérieur » ou de « l’or intérieur », dans leur pureté et luminosité immuables, exige la maitrise de toutes les tendances obscures et irrationnelles de l’âme.

En 1772, notre Frère Court de Gébelin fait paraître son ouvrage « Le Monde Primitif » dans lequel il associe le dieu égyptien Thot à Hermès Trismégiste « L'Hermès trois fois Grand ». Selon lui, toute une série de procédés artisanaux en relation avec l’Alchimie et lui fournissant nombre d’expressions symboliques, surgit comme un groupe cohérent qui se développe depuis les derniers temps de l’Egypte pour apparaître finalement dans les livres de recettes artisanales de l’époque médiévale. L’esprit même de l’art égyptien, sa tendance à extraire de la matière ses
« quintessences » à la fois précieuses et mystérieuses, s’apparente à l’Alchimie.

Mais quel est cet Hermès Trismégiste sous le nom duquel tant de livres nous sont Parvenus ? Est-ce un dieu ? est-ce un homme ? Pour les commentateurs, il semble que ce soit l'un et l'autre. Les aspects multiples de l'Hermès grec l'avaient fait confondre avec plusieurs dieux égyptiens qui avaient entre eux et avec lui beaucoup de rapports. On croyait éviter la confusion par des généalogies, et on disait qu'il y avait plusieurs Hermès. Selon Manéthon, Thoth, le premier Hermès, avai t écrit sur des stèles ou colonnes, les principes des sciences en langue et en caractères hiéroglyphiques. Après le déluge, le second Hermès, fils du bon démon et père de Tat, avait traduit ces inscriptions en grec. Dans ce passage, ces Hermès sont donnés comme des personnages historiques. En Egypte, les prêtres aussi bien que les rois prenaient des noms empruntés aux dieux, et comme dans les livres hermétiques l'initiateur a un caractère plutôt sacerdotal que divin.Selon Galien, les prêtres écrivaient sur des colonnes, sans nom d'auteur, ce qui était trouvé par l'un d'eux et approuvé par tous. Ces colonnes d'Hermès étaient les stèles et les obélisques qui furent les premiers livres avant l'invention du papyrus « Hermès, qui préside à la parole, dit Jamblique, est, selon l'ancienne tradition, commun à tous les prêtres ; c'est lui qui conduit à la science vraie ; il est un dans tous. C'est pourquoi nos ancêtres lui attribuaient toutes les découvertes et mettaient leurs oeuvres sous le nom d'Hermès ». De là cette prodigieuse quantité de livres ou discours attribués à Hermès. Jamblique parle de vingt mille, mais sans donner le titre d'un seul. Les quarante-deux livres dont parle Clément d'Alexandrie constituaient une véritable encyclopédie sacerdotale.

Dès l’antiquité, on peut observer deux courants dans l’Alchimie qui ne sont que deux aspects d’une seule et même tradition :

  • L’un de nature à prédominance artisanale. Le symbolisme de « l’oeuvre intérieur » apparait ici comme quelques chose de surajouté à une activité professionnelle et se trouve mentionné seulement de façon occasionnelle et accessoire.
  • L’autre fait usage des procédés alchimiques, uniquement comme analogie et s'apparente plus à l'hermétisme.

L’Alchimie fut adoptée par les religions monothéistes comme une science de la nature (physis) au sens le plus large du terme.

Du point de vue chrétien, l’Alchimie était une sorte de miroir naturel offert aux vérités révélées : la pierre philosophale qui change les métaux vils en or ou en argent, est un symbole du Christ et la production de cette pier re à partir du « feu non-brûlant » du Soufre et de « l’eau permanente » du Mercure, est semblable à la naissance du Christ-Emmanuel. Par son intégration à la foi chrétienne, l’Alchimie se trouvait spirituellement fécondée tandis qu’elle apportait à la chrétienté une voie conduisant à la « gnose » à travers la contemplation de la nature. On retrouve, en détail, cette « Alchimie chrétienne », dans le livre de Barent Coenders Van Helpen « L'escalier des Sages ou la philosophie des anciens », dont la première édition parut en 1686.

L’Alchimie pénétra dans le Christianisme occidental par Byzance (encore et toujours), ensuite plus amplement par l’Espagne soumise à la domination arabe. Ce fut dans le monde islamique que l’Alchimie atteignit son plus complet épanouissement. Jâbir ibn Hayyân fonda au 8ème siècle A\ D\ une école d’où se répandirent des centaines de textes alchimiques. Il devint comme la garantie de la vraie tradition alchimique au point qu’au 13ème siècle, l’auteur du traité alchimique la Summa Perfectionnis signa sous le nom de Jâbir sous sa forme latinisée : Geber.

On a souvent considéré le 17ème siècle comme marquant l’apogée de l’hermétisme européen. En réalité, sa décadence avait commencé dès le 15ème siècle et progressa rapidement avec le développement de la pensée occidentale de caractère humaniste et déjà fondamentalement rationaliste qui privait de sa base même toute doctrine ou méthode relevant d’une connaissance intuitive.

La médecine dérivée de l’Alchimie survécut plus longtemps que l’Alchimie ellemême. Paracelse la nommait la « médecine spagyrique », des termes grecs signifiant « je divise » et « j’unis » correspondant au solve et coagula alchimique.

En résumé on connait très mal l’historique de l’Alchimie pour la principale raison que la transmission d’un art ésotérique se fait généralement par voie orale. Les auteurs des écrits alchimiques ont souvent des noms imaginaires ou non clairement identifiés (plusieurs personnes écrivant sous le même pseudonyme : Hermès Trismégiste, Geber, Le Cosmopolite, Fulcanelli). Ces noms ont pour but de donner l’indication d’une certaine chaine de tradition (Maître à disciple) plutôt que la signature de l’auteur.

Quand à l’authenticité d’un texte hermétique, c'est-à-dire savoir s’il procède d’une véritable connaissance et d’une véritable expérience de l’art hermétique ou s’il a seulement été établi de façon arbitraire, c’est une question qui ne peut être résolue ni par la philosophie, ni par comparaison avec la chimie expérimentale. Le seul critère est l’unité spirituelle de la tradition elle-même.

L’Alchimie, art sacré

La différence entre l’Alchimie et tout autre art sacré, réside dans le fait qu’en alchimie, le magistère – la maîtrise de l’art – ne se manifeste pas sur un plan extérieur et artisanal, comme dans la peinture ou l’architecture, mais à l’intérieur, car la transmutation du plomb en or, qui constitue l’aboutissement de l’oeuvre alchimique, dépasse de loin toutes les possibilités artisanales. Le caractère « miraculeux » de ce procédé, effectuant un « saut » que la Nature elle-même, suivant les alchimistes, ne peut accomplir que dans un temps imprévisiblement long, met en lumière la différence entre les possibilités du corps et c elles de l’âme. En effet, si les solutions, cristallisations, fusions et calcinations d’une substance minérale peuvent, dans une certaine mesure, refléter les changements internes de l’âme, cette substance, cependant, est contrainte de rester dans les limi tes définies, tandis que l’âme, elle, peut surmonter les limites « psychiques » correspondantes, par sa rencontre avec l’Esprit qui n’est lié par aucune forme. Le plomb représente l’état chaotique, « pesant » et infirme du métal ou de l’homme intérieur, tandis que l’or « lumière solidifiée » et « soleil terrestre » exprime à la fois la perfection métallique et la perfection humaine. L’or seul, selon les alchimistes, possède en luimême un harmonieux équilibre de toutes les propriétés métalliques, c’est pour quoi il possède aussi la pérennité.

Les symboles alchimiques de la perfection concernent la maîtrise spirituelle de l’état humain, le retour vers son centre, ou ce que les trois religions monothéistes appellent la reconquête du paradis terrestre.

En connexion avec la voie mystique (union avec Dieu), le dessein alchimique est de recouvrer « la noblesse originelle » de la nature humaine, car l’union avec Dieu est seulement possible en vertu de ce qui, malgré l’abîme infini qui la sépare de Lui, relie la créature à Dieu. Il s’agit du « théomorphisme » d’Adam qui fut détruit, c'est-à-dire rendu non effectif, par la chute. Pris en sa signification spirituelle, la transmutation du plomb en or n’est rien d’autre que la réintégration de la nature humaine en sa noblesse originelle : Adam avant la chute.

L’Alchimie semble donc être une branche ou une « dimension opérative » de l’Hermétisme qui, lui, est entièrement centré sur la source unique et transcendante de toute existence. L’Alchimie présuppose donc la croyance en Dieu. Elle n’est, à priori, ni théologique ni morale, elle considère le jeu des puissances psychiques d’un point de vue cosmologique et traite l’âme comme une « substance » qu’il faut purifier, dissoudre et cristalliser de nouveau. La cosmologie alchimique est essentiellement une doctrine de l’être, une ontologie.

Elle a un rapport plus direct avec la « voie de la connaissance » (la gnose) qu’avec la « voie d’amour ».

Les alchimistes insistent constamment sur le fait que le plus grand obstacle à leur oeuvre est la cupidité ou l’avarice. La cupidité, n’est ici, qu’un nom différent donné à l’égocentrisme, à l’attachement aux limites individuelles de l’égo. Ce vice est à leur art ce que l’orgueil est à la « voie d’amour » et l’illusion du moi à « la voie de la connaissance ».

Nature universelle et materia prima

Les métaux vils, disent les alchimistes, ne peuvent être transmués en or ou en argent sans d’abord être réduits à leur matière première. Qu’est ce donc que cette « materia prima » ?

La materia prima, substance fondamentale de l’âme (psyche) est avant tout la substance de la conscience individuelle, c’est ensuite la substance de toutes les formes psychiques, et enfin c’est la substance de l’univers entier.

Symboliquement, la materia prima se situe « en bas », parce qu’elle est complètement passive, elle paraît obscure, parce qu’elle est rigoureusement dépourvue de forme, elle élude toute tentative de saisie de la part de l’intelligence.

Pour Basile Valentin le corps humain contient la matéria prima, car la réduction à la substance universelle demande de « dissoudre » la conscience corporelle, de l’intérieur. Ceci explique l’interprétation du V.I.T.R.I.O.L alchimique. L’intérieur de la terre est aussi l’intérieur du corps, c'est-à-dire le centre intérieur, indifférencié de la conscience. La pierre cachée n’est autre que la materia prima. Elle est la « semence des choses », « l’humidité fondamentale », la hyle des grecs. La materia prima est aussi « la mine » de tous les métaux.

« Cette chose, en effet, c’est de toi-même qu’il faut l’extraire, car tu en est la mine ».

En redisposant les lettres de V.I.T.R.I.O.L et en parlant « la langue des oiseaux », si chère aux alchimistes, on pourrait lire L'OR-I-VIT.

Heinrich Khunrath (auteur d'Amphitheatrum sapientiae aeternae, 1602) écrit : « ...voici qu’apparaît la Terre mouillée, humide, onctueuse et boueuse, Adamique, première matière de la création de ce Monde majeur, de nous-mêmes et de notre vigoureuse Pierre… »

Comparée à un arbre la materia prima n’est autre que l’arbre du monde, dont les fruits sont le Soleil, la Lune et les planètes. C’est l’arbre dont le fruit fut interdit à Adam. Lorsqu’il en eut mangé, il passa de la forme angélique à la forme humaine. Cet arbre peut prendre la forme de n’importe quel être vivant.

Ainsi la materia prima des alchimistes est à la fois l’origine et le fruit de l’oeuvre.

La Nature sert de modèle à l’oeuvre alchimique. Le terme « Nature » a ici une signification précise. Il ne désigne pas seulement l’involontaire « devenir » des choses mais un principe unique ou une cause que l’on contemple indirectement dans son rythme, qui embrasse tout et qui régit à la fois l e monde extérieur et le monde intérieur.

C’est ainsi que la Nature, en sa réceptivité, s’apparente à la materia prima. Au dessous de la Nature, il y a la materia prima, fondement passif de toute manifestation, qui ne participe pas elle-même au devenir. Les alchimistes disent que la Nature est « l’aspect maternel » de la matéria prima, puisque c’est elle qui « donne naissance ». Elle est opérative et dynamique, tandis que la matéria prima reste en elle-même immuable.

Le « mode opératoire » de la Nature est un rythme ininterrompu de « dissolutions » et de « coagulations », ou encore de désintégrations et de formations, de sorte que la dissolution d’un ensemble formé n’est que la préparation d’une nouvelle conjonction entre une forma et sa materia. (Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme-Lavoisier).

Dans la nature, c’est le Soufre alchimique qui correspond au pôle actif et le Mercure qui correspond au pôle passif. Le meilleur symbole du couple Soufre-Mercure est le signe chinois du Yin-Yang, avec un pôle noir dans la surface blanche et un pôle blanc dans la surface noire, indiquant ainsi que le passif est présent dans l’actif et l’actif dans le passif, comme l’homme porte en lui la nature de la femme et la femme celle de l’homme. (C’est l’image de l’androgyne originel, l’Adam kadmon).

Dans l’âme, le Soufre manifeste l’esprit, tandis que le Mercure correspond à l’âme elle-même, dans son rôle de réceptivité passive. D’après Muhyi-d-Dîn ibn « Arabi » : « le Soufre correspond à l’Ordre Divin, au fiat lux, par lequel le monde, surgissant du chaos, devient cosmos, tandis que le Mercure représente la Nature Universelle, contrepartie passive de l’Ordre Divin ».

« Le sujet de l’Alchimie est la lumière, la lumière venant de la Lumière, portée sur les ailes de l’Esprit universel » Isaac Newton.

Un autre grand alchimiste Fra Marcantonio écrivait : « Si j’entends bien, votre Mercure inconnu n’est autre qu’un esprit vivant, universel, inné, qui descend du Soleil, en forme de vapeur aérienne constamment agitée, afin de remplir le centre creux de la terre, où il prend naissance ensuite parmi les soufres impurs, pour passer en croissant du volatil au fixe et prendre forme d’humide radical… »

La dissolution est produite par le Mercure qui travaille d’abord à l’encontre du Soufre, lui arrachant la « substance » pour s’offrir ensuite à lui en une substance rénovée, libérée de ses limitations et plus réceptive.

Le mariage du Soleil et de la Lune, du Roi et de la Reine, est un des thèmes clé de l’Alchimie, souvent raconté sous forme d’allégories comme dans « Le Mariage Chimique de Christian Rosenkreutz » de Johann Valentin d’Andreae. Car l’union de « l’homme » et de la « femme » intérieur n’est autre que le rétablissement de l’état primordial de l’être humain.

Selon une tradition que Platon mentionne dans son « Banquet », l’être humain possédait, à l’origine, une nature androgyne « sphérique », c'est-à-dire parfaitement centrée sur elle-même et jouissant de sa propre plénitude intemporelle. Après la scission de cette sphère en deux moitiés (chaque moitié étant attirée par son complément naturel), nos deux ancêtres après avoir pris conscience de leurs différences « extérieures » furent chassés du paradis.

L’« homme » et la « femme » intérieurs ne sont autres que le Soufre et le Mercure alchimiques. L’union des deux puissances est nécessairement précédée de leur polarisation parfaite et suivie de la génération de leur « enfant » commun, le nouveau microcosme. C’est ainsi que le « mariage chimique » résume les principales phases de l’oeuvre : séparation du « fixe » et du « volatil », union des deux extrêmes et naissance de l’élixir. Le « mariage chimique » prélude au mariagede l’Esprit et de l’Âme et parfois s’identifie à lui.

Dans certaines représentations du « mariage chimique », le Roi et la Reine, au moment des noces, sont tués et ensevelis ensemble pour ressusciter ensuite, régénérés (nous connaissons déjà cette symbolique dans nos degrés maçonniques). Le Mercure absorbe le Soufre et le Soufre absorbe le Mercure. Les deux forces « meurent » en tant qu’adversaires et amoureux. C’est alors que la Lune changeante et miroitante de l’âme s’unit à l’immuable Soleil de l’Esprit, de sorte qu’elle s’en trouve éteinte et illuminée en même temps.

Presque tous les symboles concernant la Nature procèdent de la spirale ou du cercle. Si l’on représente symboliquement l’immuable Acte Divin, qui gouverne le cosmos, par un axe vertical immobile, « le cours de la Nature » s’enroule en spirale autour de cet axe, réalisant à chaque tour un nouvea u plan ou un nouveau degré d’existence. Le rythme des « déroulements » et des « enroulements » successifs de la Nature ou du Solve et Coagula alchimique est représenté par une double spirale qui s’apparente à la représentation des deux serpents ou des deux dragons s’enroulant, en sens contraire, autour d’un bâton ou d’un arbre. C’est le bâton d’Hermès ou caducée. [Hermès ou Mercure frappe de son bâton deux serpents qui se combattaient. Les serpents domptés s’enroulèrent autour du bâton, lui conférant le pou voir théurgique de « lier » et de « délier ». Cela correspond à la transmutation du chaos en cosmos, du conflit en ordre par le pouvoir d’un acte spirituel qui distingue et unit à la fois].

La tradition hermétique, quant-à elle, représente la Nature Univer selle, dans son état latent, sous forme d’un reptile lové. C’est le dragon Ouroboros qui, s’enroulant en un cercle, mord sa propre queue.

La tradition judaïque avec le bâton de Moïse, reprise par les musulmans dans le Coran, rappelle la distinction dans la tradition indoue entre vid yâ-mâyâ (la Nature Universelle qui « illumine ») et avidyâ-mâyâ (la Nature Universelle en tant que puissance d’illusion).

L’expression « Nature » embrasse donc un domaine plus ou moins vaste de réalité, selon les cas. Elle reflète, dans la voie qui lui est propre et à l’intérieur de ses limites spécifiques, une sagesse cosmologique de portée universelle qui n’est cependant pas à la portée de tous.

Un texte alchimique anonyme, intitulé Purissima Revelatio compare la Nature à un livre où seul peut lire celui qui a reçu la lumière de Dieu (tel le livre fermé par les 7 sceaux du 19ème degré). Il la compare encore à « une forêt épaisse où beaucoup ont pénétré dans l’intention d’en dérober les arcanes sacrées ; mais ils ont été dévorés, car ils n’avaient pas les armes lumineuses, seules capables de vaincre le terrible Dragon qui garde la Toison d’Or ». L’oeuvre alchimique éveille une force naturelle terrible capable de détruire celui qui n’est pas apte ni préparé, mais qui peut élever l’être doué de sagesse, à la maîtrise spirituelle.

C’est une des raisons qui fait que l’Alchimie se cache sous des énigmes : elle ne convient pas à tout le monde.

Artéphius, célèbre alchimiste médiéval, écrivait : « Notre art est un art cabalistique. Celui qui voudra expliquer ce que les autres philosophes ont écrit, selon le sens ordinaire et littéral des paroles, se trouvera engagé dans les détours d’un labyrinthe, dont il ne se débarrassera jamais, parce qu’il n’aura pas le fil d’Ariane pour se conduire et pour en sortir… ».

Geber (Jabîr)qui résume dans sa Summa l’ensemble de la science alchimique du Moyen-âge déclare : « …On ne doit pas traiter notre Magistère en des termes qui soient tout a fait obscurs, ni on ne doit l’expliquer en des termes qui soient intelligibles à tous… Chaque fois que j’ai semblé parler plus clairement et plus ouvertement de notre science, c’est alors que je me suis en réalité exprimé de la façon la plus obscure et que j’ai caché le plus complètement l’objet de mon discours… ».

Conclusion

Je pense, à titre personnel, qu’on doit considérer un degré dans son ensemble pour bien l’appréhender sinon le comprendre. Le contexte historique, politique et religieux, dans lequel évoluaient les Frères qui ont écrit les rituels, est très important pour comprendre leurs motivations et certains passages qui nous semblent aujourd’hui outranciers ou hors sujet.

Se borner à une seule interprétation parce qu’elle nous semble plus « logique » ou parce qu’elle « parle » un peu plus à notre sensibilité me semble un peu trop réducteur vis-à-vis de la richesse de ces textes.

Dans notre Ordre nous avons la chance de réunir des « cherchants » de cultures (au sens de connaissances) et de sensibilités différentes. Cette diversité nous enrichie et nous empêche de nous limiter.

Comment ne pas comparer cette spirale représentant la Nature Universelle à notre Rite en 25 degrés, alternant les phases de descente dans les ténèbres et celle de montée vers la lumière :1er degré avec le cabinet de réflexion puis l’initiation, 3ème degré avec la descente dans la mort puis la résurrection, 9ème degré avec la caverne ténébreuse ou l’on tue l’ego pour la première fois pour ressortir vers la lumière, 13ème degré avec la descente dans les 9 voutes pour remonter vers la lumière du 14ème degré, 17ème degré : la descente dans les ténèbres de l’apocalypse pour
remonter au 19ème degré vers la Jérusalem céleste avec ce choix de redescendre en écrasant les têtes du dragon pour remonter définitivement avec le K\ S\. Et comment ne pas comparer (dans ma grande ignorance de ces degrés que je ne connais pas encore) l’image circulaire du camp final à l’Ouroboros de la tradition hermétique.

L’Alchimie est présente dans nos rituels car pour les franc-maçons humanistes du 17ème siècle, l’Alchimie était le coeur de leurs recherches. Certains travaillaient eux-mêmes au fourneau, d’autres entretenaient des laboratoires. Ils publiaient des traités sur le sujet. Ils estimaient : « …que la Création est comme une séparation chimique, de nature divine. Si l’acte de création peut être compris sur le mode chimique, l’Alchimie est la clef de toute la Nature, la clef de toute relation entre macrocosme et microcosme. Pratiquer l’Alchimie, c’est pénétrer l’oeuvre de Dieu ».

La question est celle de la réalité fondamentale de l’Univers. On retrouve derrière cette question, le « mythe de la caverne » de Platon : l’homme n’a pas l’expérience de la réalité ou de l’essence des choses, mais il n’en perçoit que les ombres. Le but étant de sortir de la caverne, vers la lumière, et de faire l’expérience, à un degré quelconque, de la véritable nature de la réalité. Comment ? Par la pratique de l’Alchimie.

Bien vite à partir du 18ème siècle, le coté hermétique et philosophique de l’Alchimie prit le dessus sans pour autant renier les bases artisanales. Newton reconnu en toute humilité : « Si j'ai vu si loin, c'est que j'étais monté sur des épaules de géants ».

A cette époque, la philosophie des Lumières représentait l'un de ces moments dans la quête de l'humanité vers une connaissance plus fine et plus intense de la Nature (nature de l'homme et nature de l'univers).

Notre Très Illustre Frère Christian a raison: le rituel du Chevalier du Soleil est totalement et spécifiquement alchimique. Il faut, comme dit notre Frère : « purger sans ménagement, jeter par dessus bord un certain nombre de fantaisies maçonniques... », car les données cabalistiques par exemple ont certainement été ajoutées sous l'influence des occultistes du 19ème siècle. Elles ne correspondent certainement pas à l'esprit qui régnait à l'origine du grade qui est très proche de l'esprit du « Traité de la réintégration des êtres » écrit par Martines de Pasqually en 1754.

Ce degré correspond a une construction alchimique qui prend tout son sens par une lecture juste du tableau du grade. (voir reproduction ci-jointe) Le Soleil dont il est question ici représente un double pôle : Unité et Immensité, concentration à l'intérieur et rayonnement à l'extérieur. Un rituel de 1762 est sans ambiguïté puisqu'il déclare que le Soleil « représente l'Unité, l'unique et seule matière du Grand Oeuvre de Philosophie ».

La partie supérieure du tableau, espace circulaire, circoncrit le monde à l'enceinte de la grâce divine. tout le potentiel du Verbe créateur, qui contient la vie, laquelle est la Lumière des hommes, est là au centre de la Trinité et le rayonnement extériorisé en est l'expression physique et s'étend depuis le domaine spirituel, vers le domaine matériel.

Dans le premier livre d'Hermès Trismégiste, le Poïmandres, le Soleil incarne tout d'abord Dieu en tant que pôle créateur, puis successivement la Lumière divine, l'Illumination spirituelle et la chaleur des corps, capable de provoquer la régénération de la matière. Il s'agit en fait d'un rayonnement qui s'étend à toute la création : le rayonnement d'en haut, s'étend et conquiert les ténèbres afin de vivifier la matière : Lux ex Tenebris.

Si la Trinité et la Lumière sont les moteurs de la création, celle ci se réalise et s'accomplit en sept jours ou sept stades et le cosmos est le reflet céleste des composantes terrestres (voir la table d'émeraude).

« L'oeuvre toute entier, dit Jacob Boehm, consiste et participe en deux choses : une céleste et une terrestre. Le céleste doit absorber et nourrir le terrestre ». Ceci passe par un ordre hiérarchisé dont font partie les sept planètes correspondantes aux sept stades de la création, chaque planète planète étant gouvernée par un génie tutélaire. Appolonius de Laodicée, qui fut sans doute l'un des auteurs du Corpus hermeticum, et l'un des pseudo Trismégiste, aborde la création des sept cieux avec les sept planètes qui gouvernet aussi les sept métaux en correspondance. Il s'agit ici des sept planètes connues de l'antiquité, visibles à l'oeil nu, ainsi que des sept métaux connus du monde hellenistique.

L'or correspondant au Soleil est considéré comme la parfaire matière, au sommet de la hiérarchie des corps métalliques, lesquels étaient censés évoluer en se transformant de l'un à l'autre par mutation naturelle. Passer du plomb à l'or, c'est évoluer des ténèbres à la Lumière.

Henri Corbin dit que « la Lumière divine cherche le chercheur, car le chercheur est une parcelle de cette Lumière (laquelle aspire à son origine) ».

La partie inférieure du tableau, à l'opposé, s'inscrit globalement dans un carré, dans un monde de finitude où le temps et l'espace sont les deux conditions de l'état corporel. La matière y est cette fois représentée, dans ses quatre composantes « Elementaires », par les symboles alchimiques : le triangle blanc dont le sommet est tourné vers le haut représente le feu. Celui dont le sommet est tourné vers le bas représente l'eau. Le triangle noir avec la pointe blanche représente l'air tandis que le triangle inverse représente la terre. On peut remarquer dans la disposition des quatre triangles une sorte d'inversion, peut-être volontaire, correspondant à un effet de miroir : le monde inférieur comme reflet du monde supérieur.

Cela me fait penser à un passage de Fulcanelli dans « le mystères des cathédrales » : « Notre étoile est seule et pourtant elle est double. Sachez distinguer son empreinte réelle de son image, et vous remarquerez qu'elle brille avec plus d'intensité dans la lumière du jour que dans les ténèbres de la nuit... L'astre hermétique est tout d'abord admiré dans le miroir de l'art ou Mercure, avant d'être découvert au ciel chimique où il éclaire de manière infiniment plus discrrète ».

En passant de la partie supérieure à la partie inférieure du tableau, nous passons de l'hermétisme à la partie expérimentale : l'alchimie pratique. Ces deux mondes sont en constante relation et le passage de l'un à l'autre se fait par l'anima : l'âme au sens large du mot. L'anima est représentée ici par une vierge (a gauche), la Nature originelle. A ses pieds est écrit Stibium (Matière), au dessus de sa tête : Anima et la colombe qui descend vers elle porte l'inscription Spiritus (Esprit).

Surmontant le monde d'en bas, à droite, le baton autour duquel s'enroulent deux serpents est le baton d'Hermès, représentant les deux forces (Soufre et Mercure) dominées par l'axe spirituel. Il s'agit là aussi d'une dualité évoquant le « Rebis » résultant de la première opération alchimique. La croix christique symbolise la rencontre, le point focal dans lequel tendent à s'unifier les divergences. Dans une autre représentation de ce tableau (Tuileur de Vuillaume), les deux serpents entrelacent la croix qui représente la loi cosmique et l'axe immuable du monde.

En bas, un personnage vient de franchir la porte d'un Temple comme quelqu'un qui retourne « chez soi », et redescend chargé qu'il est de « l'agneau immaculé » qui désigne la matière purifiée par les opérations alchimiques. Ce personnage descend les 7 marches qui sont la réponse aux 7 planètes et aux 7 cieux cosmiques. L'oeuvre étant accomplie, le personnage rentre chez lui (en lui) pour profiter et faire profiter de ses richesses acquises. Comment ne pas penser à Cyliani qui après avoir passé trente sept ans de travail et de renoncement à rechercher le Grand Oeuvre se retira de la vie publique lorsqu'il y réussit, après avoir publié en 1832 un opuscule intitulé : « Hermès dévoilé ». Au fur et à mesure que l'expérimentateur cherche l'esprit dans la matière, il se spiritualise lui-même et en fin de compte, son oeuvre s'accomplit lorsqu'il n'a plus besoin de la matière.

Il faut cependant remarquer que l'Esprit ne féconde la matière que dans la mesure où celle-ci s'ouvre à lui. C'est pourquoi toute l'Oeuvre alchimique consiste à aller, me semble t'il, en remontant, à la rencontre de ce courant spirituel.

Il me reste encore beaucoup de choses à découvrir mais je pense, en conclusion de ce travail, que l'Alchimie, comme la Franc-maçonnerie ont le même but : la quête d'une connaissance dans laquelle l'être est impliqué au point qu'il est lui-même le sujet de la recherche. Dans les deux cas le travail sur l'objet, pierre ou minerai, passe par un travail sur soi et suppose une lente maturation impliquant le mental, la raison et l'émotion pour évoluer de la matière vers l'Esprit.

J\ L\ S\


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