Le Big Bang
Je vous prie tout d’abord de
m’excuser, j’ai eu un accident de voiture avant
de rentrer chez moi et de me mettre à mon ordinateur. Je
vous rassure, sans
aucune gravité, un simple choc. Néanmoins
j’ai un peu mal à la tête. Tout va
bien.
Pour commencer je voudrais vous raconter un fait divers.
Un matin, Georges
Walter Appleby, un jeune homme, se rend à son travail. Il se
trouve donc à
l’arrêt du bus, par hasard juste sur une plaque
d’égout. Or, juste à ce moment,
une violente explosion de gaz se produit dans les égouts.
Georges Walter
Appleby est donc projeté dans les airs. Il retombe
à la verticale de son point
de départ, la plaque d’égout, ou du
moins le trou, puisque la plaque s’est
volatilisée. Il patauge un bon moment, réussit
à ressortir, boueux et
contusionné. Il se retrouve un peu plus loin sur le
trottoir, juste sur une
seconde plaque d’égout. Celle-ci explose
à son tour et le malheureux Georges
Walter Appleby est de nouveau projeté dans les airs. Il
atterrit sur le toit
d’une maison voisine, où il s’accroche
à une antenne de télévision.
À l’arrivée
des pompiers, et malgré les injonctions de ces derniers, il
refuse de
descendre. Finalement il fallut scier l’antenne de
télévision et l’anesthésier
(Georges Walter Appleby, pas l’antenne de
télévision) pour les séparer (Georges
Walter Appleby et l’antenne de
télévision).
Je viens de vous raconter deux histoires. La
première est tout à fait
vraisemblable, et je remercie tous ceux qui m’ont cru, et
encore plus ceux qui
se sont inquiété. Cependant je dois à
la vérité d’avouer que je
n’ai été
victime d’aucun accident de voiture ce soir. Cela aurait pu
se produire (tous
ceux qui me connaissent bien s’étonnent que cela
ne m’arrive pas plus souvent) et
j’aurais pu avoir mal à la tête. Mais ce
n’est pas vrai.
En revanche l’aventure de Georges Walter
Appleby et des bouches d’égout,
digne des plus délirants films burlesques d’Harold
Lloyd ou de Buster Keaton,
et à laquelle certains d’entre vous
n’ont peut-être pas accordé foi (et on
les
comprend) s’est réellement produite, à
Brisbane en Australie, il y a quelques
décennies.
Ainsi donc vous m’avez fait
l’amitié de croire ce qui était faux et
de ne
pas croire ce qui était vrai.
Si je vous ai gratifié de cette longue
introduction, car c’en est une, c’est
parce que, en ces temps où nous ne savons plus en quoi
croire, j’ai entrepris
de me demander en quoi nous croyons, et pourquoi nous y croyons. Afin
de le
faire, j’ai choisi non pas de me pencher sur les faits divers
aussi
croustillants puissent-ils être, mais sur des questions de
plus d’importance,
je veux parler de la cosmogonie. Qu’est-ce ? Des
récits de la naissance du
monde. J’en ai sélectionné trois, de
genres différents.
Le premier récit est tahitien. Il
évoque le personnage de Ta’aroa,
l’ancêtre
de tous les dieux, qui tourne, enfermé dans ses coquilles,
dans l’espace de
l’obscurité permanente. Mais un jour il en a
assez, il frappe sa coquille et
celle-ci se brise. Ta’aroa se retrouve seul dans le vide et
personne ni rien ne
répond à ses cris. Il est fort en
colère. Il renverse alors une de ses
coquilles pour en faire un dôme pour le ciel. Il utilisa une
autre de ses
coquilles pour le roc et pour le sable. Il fit de son épine
dorsale une chaîne
de montagnes, de ses côtes les flancs des montagnes, de ses
viscères les grands
nuages qui flottent, de sa chair la richesse de la terre, de ses bras
et ses
jambes la force de la terre, de ses ongles de main et de pied les
écailles et
les carapaces des poissons, de ses plumes les arbres, les buissons et
les
plantes grimpantes pour vêtir la terre, et le sang de
Ta’aroa s’échauffa et
s’en fut rougir le ciel et les arcs-en-ciel.
De même que Ta’aroa a des coquilles
tout a une coquille. Le ciel est une
coquille, c’est-à-dire un espace sans limites dans
lequel les dieux placèrent
le soleil, la lune et les constellations. La terre est une coquille
pour les
pierres, l’eau et plantes qui en jaillissent. La coquille de
l’homme est la
femme, car c’est par elle qu’il entre dans le
monde, et la coquille de la femme
est la femme, car elle naît de la femme. On ne peut
énumérer les coquilles de
toutes les choses que ce monde produit.
Nous serons tous d’accord, je pense, pour
reconnaître la grande valeur
poétique de ce récit : cette variation
sur la coquille, évocation de l’œuf
cosmique dont tout provient en même temps que naissance
d’un monde dans la
colère et la violence, nous étonne et nous
transporte. Le dieu s’étripe pour
donner le jour à notre monde, nous sommes la chair de sa
chair, les entrailles
de ses entrailles. Néanmoins, en même temps que
nous apprécions cet intérêt
proprement littéraire, nous ne perdons jamais de vue que ce
récit est un mythe,
c’est-à-dire que sa valeur explicative,
scientifique est proche de zéro. Les choses
ne se sont pas passées comme cela. Les questions qui nous
viennent à l’esprit,
nous autres Européens rationalistes de la fin du XXe
siècle, sont innombrables
: et ce Ta’aroa, d’où il sortait,
puisque rien n’existait ? Et si le ciel
est une coquille, pourquoi n’est-il pas dur ? Et si
le rouge de
l’arc-en-ciel est du sang, que sont le jaune et le
vert ? Je pourrais
continuer ainsi longtemps, mais je sens bien le ridicule de ces
questions.
Elles pourraient être posées à un texte
scientifique, mais nullement à un mythe
dont la principale valeur est d’ordre poétique.
Le deuxième récit nous est plus
proche, et tout le monde ici le connaît
suffisamment pour que je ne me donne pas la peine de le citer en
entier.
Dieu crée le monde en six jours. Le premier
jour fut con sacré à la
séparation de la terre et du ciel, ainsi
qu’à l’enfantement de la
lumière. Le
deuxième jour, Dieu sépara les eaux
supérieures et les eaux inférieures. Le
troisième jour vit la naissance des plantes et le
quatrième celle du soleil et
de la lune. Le cinquième jour vit naître les
animaux aquatiques et aériens, et
le sixième les terrestres, parmi lesquels l’homme,
couronnement de la création.
Le septième jour, Dieu se reposa, et on le comprend.
Comme pour le mythe tahitien, il ne fait aucun doute
pour nous que les
choses ne se sont point passé de cette manière,
que la valeur scientifique de
ce texte est nulle. D’où sort ce Dieu ?
Que faisait-il avant de créer le
monde ? Pourquoi a-t-il décidé
d’un seul coup de le faire ?, etc.
Sans doute nous percevons moins que pour le mythe tahitien la valeur
poétique
de ce texte, parce que nous y sommes accoutumés, et aussi
parce que ce texte a
été l’enjeu de luttes et que ces luttes
n’appartiennent pas, comme on aurait pu
le croire, à un passé révolu. Pourtant
ce poème, car c’en est un, est
également
magnifique. Inutile d’y insister : Dieu
crée le matin, la lumière, le
visage humain, la valeur symbolique de tout cela ne nous
échappe pas.
La troisième histoire, ce sont nos
scientifiques qui la racontent, pour être
plus précis, les astrophysiciens. C’est la
théorie dite du big bang. elle est
généralement admise par les scientifiques, et
nous tous ainsi que nos
contemporains lui accordnent foi.
Au commencement, c’est-à-dire il y
a environ quinze milliards d’années, tout
ce qui compose le monde, notre univers, tenait dans une
sphère très petite,
quelque chose comme un point mathématique, pas plus de 10-50
centimètre, soit
un dixième de millionième de
millionième de millionième de
millionième de
millionième de millionième de
millionième de millionième de
millimètre. La
masse (le poids si l’on veut) de ce point
mathématique était théoriquement
infinie, et la température qui régnait
à cet endroit, théoriquement infinie
elle aussi, dépassait en tout cas les 10 milliards de
degrés.
Cette énergie concentrée se
libéra un jour dans une gigantesque explosion,
que les Américains, qui ont le sens du mot, nomment
justement le big bang.
10-43 seconde après l’explosion les
premières particules sont créées, les
quarks, les électrons et autres photons ou neutrinos,
particules inobservables
directement mais qui composent la base de la matière.
C’est ce que l’on nomme
également la soupe cosmique. La seconde phase
s’étend de 10-43 seconde à un
dix-millième de seconde et nous y assistons à la
naissance des premières
particules composées en même temps que la
gravitation se dégage de l’ensemble
des forces, qui dans l’état premier de
l’univers se trouvaient unifiées. D’un
dix-millième de seconde à dix secondes la
matière et l’antimatière
s’annihilent. Ensuite vient le rayonnement et les premiers
atomes. Finalement,
depuis un million d’années après le big
bang, nous vivons dans la phase
stellaire, qui a vu la naissance des galaxies, puis des
étoiles, puis des
planètes, puis de nous, animaux et humains. Au fur et
à mesure de cette
évolution, l’univers s’est
étendu et refroidi.
Cette cosmogonie, cette histoire de la naissance du
monde, semble très
différente des deux précédentes. Elle
paraît non poétique et sérieuse. Sa
valeur scientifique n’a pas à être
prouvée. Je n’essaierai pas de raconter par
quels moyens les astrophysiciens sont parvenus à ces
conclusions. Qu’il me
suffise d’évoquer deux
études : celle de l’astronome Hubble
d’abord qui
remarqua que les galaxies s’éloignaient toutes les
unes des autres et en tira
la conclusion que l’univers était en expansion, et
donc qu’il avait dû avoir un
début. Celle de Penzias et Wilson qui
découvrirent le rayonnement cosmique,
radiation fossile émise après les dix
premières secondes de l’univers. Toutes
ces révélations ont été
rendues possibles par deux découvertes scientifiques de
notre siècle : la théorie de la
relativité qui tente de comprendre les forces à
l’œuvre dans l’univers et la
mécanique quantique, qui tente de saisir la
matière dans les composants les plus petits, les particules.
Néanmoins je me permettrai, à
propos de la scientificité et de la
véracité
de cette histoire particulière, un certain nombre de
remarques. Certes vous
savez que je ne suis pas astrophysicien. Mais les remarques que je vais
faire
peuvent l’être, je pense, par n’importe
qui.
D’abord parlons du sérieux des
astrophysiciens. Ces gens ont un goût de la
métaphore, qui me les rend très sympathiques,
mais ne correspond sans doute pas
à ce que l’on attend du scientifique moyen. Ils ne
cessent de parler de la
soupe cosmique, dans laquelle ils découvrent des grumeaux,
des rides du temps,
et autres expressions tout à fait poétiques.
Savez-vous de plus qu’ils ont
perdu les neuf dixièmes de l’univers ?
Quand ils observent l’univers ils
trouvent dix fois moins de matière qu’ils
n’en trouvent quand ils le pèsent (ne
me demandez pas dans quelles balances) ; c’est ce
qu’ils appellent la
masse manquante ou matière cachée. Et bien
sûr ils ont des théories pour
expliquer cela, deux pour être précis : la
théorie dite des MACHOS (ce terme
est composé des initiales de Massive Astrophysical Compact
Hidden Objects,
soit, en bon français, Objets Astrophysiques Massifs
Compacts Cachés), et celle
des WIMPS (Weakly Interactive Massive Particles, soit Particules
Massives
Interagissant Faiblement). On comprend le jeu de mots sur macho, on en
comprendra encore plus la scientificité — et le
bon goût — quand on saura que
wimp signifie en anglais “homosexuel passif”.
Laissons de côté cette question du
sérieux et examinons de plus près la
théorie du big bang ; comme je vous l’ai
dit, elle est fondée sur la
relativité et la mécanique quantique. Or elle les
contredit toutes les deux. En
effet d’après la théorie de la
relativité, une densité et une courbure de
l’espace-temps infinie ne sont pas possibles ; or
c’est bien cela que l’on
trouve avant l’explosion primordiale. Que nous dit par
ailleurs la mécanique
quantique ? Que l’on ne peut pas en même
temps connaître la position et la
vitesse des particules. Or, avant la grande explosion, nous connaissons
l’une
et l’autre : elle étaient toutes ensemble
au même endroit qui constituait
l’univers et ne bougeaient pas du tout. N’est-il
pas un peu étrange quand même
que notre cosmogonie contredise les bases scientifiques qui la fondent.
Oh, les
astrophysiciens s’en tirent, comme toujours avec des
mots : ils nomment
l’état de l’univers avant le big bang
une singularité. Je crois que même sans
être un scientifique, je pourrais en faire autant. Il est
plus facile de trouver
des mots pour sauver des théories qui prennent
l’eau que de construire des
modèles qui tiennent la route.
Reste évidemment l’observation. Des
milliards d’heures d’observation avec
les moyens scientifiques qui sont les nôtres
aujourd’hui, satellites, télescopes
géants, informatique, etc. Loin de moi
l’idée de remettre en cause les
résultats de ces observations. Qu’on me permette
néanmoins deux
remarques : le système de
Ptolémée, né au premier
siècle de notre ère et
qui prétendait que le soleil tournait autour de la terre,
correspondait assez
bien aux observations, permettait la prévision et
s’est maintenu comme vérité
scientifique pendant un millénaire et demi. Quant
à celui qui a jeté cet
échafaudage à bas et qui a remis
l’univers dans le bon ordre, Nicolas Copernic,
s’il habitait une tour sur les bords de la Vistule, ce
n’était nullement pour
observer le ciel : il avait horreur de cela. Cela dit, nous
savons tous
qu’on ne trouve bien que ce que l’on cherche. Ou,
pour le dire, comme Hubert
Reeves, en termes plus galants : « La
pierre de touche d’une bonne
théorie, c’est de faire des
prédictions, de se soumettre à des
“tests” et de
les passer avec succès. » Et quand elle
ne passe pas les tests avec
succès ? Eh bien, je me suis permis de relever chez
Stephen Hawking la
phrase suivante : « En dépit du fait que les
particules dans les théories de la
supergravité ne semblent pas se comporter comme les
particules observées, la
plupart des scientifiques pensent que la supergravité est la
bonne réponse au
problème de l’unification de la
physique. » En clair, tant pis pour
l’observation si elle ne correspond pas à la
théorie. Prenons par exemple la
question des trous noirs, ces zones de l’espace
d’une telle densité qu’elles
attirent tout ce qui se trouve à proximité. La
construction mathématique qui a
donné lieu à leur invention date de 1896, et elle
s’est beaucoup développé
depuis. Or, contrairement à ce qui est
périodiquement annoncé, en un siècle
on
n’en a découvert, ni observé, aucun.
Rien n’a vraiment changé depuis
Ptolémée.
Quatrième remarque, le modèle que
j’ai développé tout, à
l’heure paraissait
bien établi, mais en fait ce n’est pas si simple.
Les astrophysiciens sont
incapables de décrire ce qu’il y avait avant le
big bang, le big bang lui-même
et ce qui s’est passé dans la période
de 10-43 seconde qui a suivi. Autrement
dit, il nous manque l’essentiel. Et surtout cette
période de 10-43 seconde,
moi, ça me turlupine. Pensez, cela fait un
dixième de millionième de
millionième de millionième de
millionième de millionième de
millionième de
millionième de seconde. Et ils ne savent pas ce qui
s’est passé en un laps de
temps aussi court ; c’est quand même
étonnant si l’on songe que cela
conditionne toute la suite et qu’en un dixième de
millionième de millionième, etc.
de seconde, même à la vitesse de la
lumière et dopé à mort, Ben Jonhson
n’a pas
le temps de courir un cent mètres.
Mais passons sur le fait qu’ils ne sachent pas
tout. C’est plutôt honnête de
l’avouer. Ce qui me pose question c’est
plutôt ce qu’ils disent savoir. Par
exemple quelle était la dimension de l’univers et
dans quel état il était un
cent millionième de seconde après
l’explosion. Ça laisse un peu rêveur
quand on
pense que l’on ne peut pas prédire le temps
au-delà de cinq jours, que les
physiciens ne savent pas tout à fait ce qui se passe quand
une éponge se
mouille, ni comment il se fait qu'un tas de sable soumis à
une certaine
vibration prenne telle ou telle forme ni exactement comment est
constituée la
matière et de quoi. Et ce cent millionième de
seconde du début, comment le
mesurent-ils au juste, nos astrophysiciens ? Parce
qu’une seconde, c’est
une fraction infime du temps que met la Terre pour faire une
révolution sur
elle-même ; et la Terre, elle n’existait
pas au début. La seconde, autre
hypothèse, on peut la mesurer à partir de la
vitesse de l’électron, ou quelque
chose comme cela ; mais des électrons, au
début, il n’y en avait pas non
plus. C’est venu après. Alors, le cent
millionième de seconde, il sort
d’où ? Et on pourrait faire la
même réflexion à propos du
dixième de
millionième de millionième, etc. de
millimètre.
Vous avez compris depuis longtemps où je
voulais en venir : le modèle
du big bang me semble à peu près aussi
crédible et scientifiquement exact que
le mythe tahitien de Ta’aroa ou le premier chapitre de la
Genèse. Et pourtant
nous y croyons tous plus ou moins. Pourquoi ? Comment
pouvons-nous ajouter
foi à un récit dont nous savons bien
(dernière remarque) qu’il peut être mis
en
cause par les mêmes questions que celles dont nous sommes
servi pour mettre
doute la véracité de la cosmogonie
juive : et avant le point cosmique où
tout était rassemblé, qu’est-ce
qu’il y avait ? Qu’est-ce qui
l’a fait
exploser ? Pourquoi cela a-t-il explosé ?
L’on nous répondra bien sûr
que ces questions n’ont pas de sens (je cite Hubert Reeves et
Stephen
Hawking) ; c’est ce que l’on a dit pendant
dix mille ans à tous ceux qui
posaient des questions.
Alors pourquoi y croyons-nous ?
J’entrevois à cela deux réponses.
La première tient au fait que si la
théorie du big bang présente aussi peu
de crédibilité que les cosmogonies mythiques,
elle a également la même valeur
poétique et symbolique. Elle n’est pas loin
d’ailleurs de la cosmogonie
polynésienne : les deux décrivent un
œuf cosmique d’où naît, dans
la
violence, l’univers. La valeur poétique de cette
théorie du big bang est
évidente d’ailleurs, même sans
comparaison. À lire des livres d’astrophysique,
on éprouve le vertige devant cet univers en même
temps infini et qui continue à
d’étendre ; devant ces trous noirs
tellement denses qu’ils attirent toute
la matière qui passent à leur portée
et même la lumière, mais qui néanmoins
émettent un rayonnement ; devant le fait que
l’univers a, à un moment
donné, tenu dans un espace invisible à
l’œil nu. Quelle poésie extraordinaire
quand on pense que le ciel que l’on voit n’existe
plus et que peut-être
certaines étoiles sont mortes, et qu’en disposant
d’un télescope suffisamment
puissant, on pourrait théoriquement observer le big bang.
Finalement, ce n’est pas la
scientificité de la théorie du big bang qui nous
y fait croire, c’est sa poésie ;
c’est parce qu’elle réjouit les strates
les plus anciennes de notre esprit, et non parce qu’elle
satisfait notre cortex
supérieur que nous y croyons.
La seconde réponse à la question
est que nous y croyons justement de la même
façon que les Tahitiens, les Hébreux ou les Grecs
croyaient en leurs
mythes ; c’est-à-dire sans y croire
vraiment. Ils y accordaient foi, mais
en tant que mythe, tout en sachant bien que Zeus n’existait
pas, qu’il ne
rendait pas la justice du haut de l’Olympe, et que le ciel
n’était pas une
coquille. Je donnerai deux exemples de cette forme de foi en
même temps aveugle
et lucide, de cette sorte d’hypnose
éveillée. quand mon fils eut cinq ans, il
cessa de croire au Père Noël ; si on lui
demandait s’il existait, il
répondait que non ; mais si on lui posait des
questions plus précises, sur
son mode de déplacement par exemple, il expliquait
qu’il parcourait le ciel
dans un traîneau tiré par des rennes. De
même lorsque sir Arthur Conan Doyle,
après avoir créé le personnage de
Sherlock Holmes, décida de s’en
débarrasser
en imaginant sa mort dans des chutes d’eau en Suisse, il
reçut des lettres de
lecteurs du Times qui le traitaient d’assassin. Ces gens en
même temps à
l’existence réelle du détective, et
savaient que c’étaient un personnage
fictif, puisqu’ils écrivaient à
l’auteur !
Enfin,
dernier exemple de cette hypnose lucide : l’amour.
Nous savons
très bien que la femme dont nous tombons - ou sommes -
amoureux n’est pas la
plus belle, et que d’ailleurs une chose pareille
n’existe pas. Mais nous le
croyons sinon nous ne serions pas amoureux. Alors finalement, si nous
cherchons
l’origine de l’univers, si nous la trouvons, si
nous nous racontons des
histoires, si nous les croyons, ce n’est peut-être
pas, comme on se l’imagine
parfois, pour nous rassurer (l’astrophysique moderne
n’a rien de rassurant,
elle est au contraire un condensé de mystique),
c’est parce que nous sommes
amoureux de l’univers.
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