GODF | Loge : Union et Fraternité - Orient de Caen | Date : NC |
La Boule Noire
L'idée
de cette
planche m'est venue spontanément après la lecture
d'un Roman de Simenon,
"La Boule noire", qu’il a écrit à son
retour des Etats Unis, en 1953,
à Mougins Ce
roman, assez
court, a pour thème la détresse d'un individu
face au veto qui lui est opposé à
la demande d’entrée dans un club. Ce roman ne fait
aucune allusion à la F\ M\ ,
Simenon n’en a jamais été membre, mais,
et c’est cela qui a retenu et alimenté
ma réflexion, il m’a évoqué
la situation d’un candidat F\ M\ confronté au
même
veto. Le
résumé du roman
mettra en évidence cette association et
j'élargirai mon propos autour de
quelques thèmes : l'image
de la F\ M\
dans la société, Le
roman : Le
personnage
principal s’appelle Higgins, il a 45 ans, habite une petite
ville du
New-Jersey. Fils d'une famille d'immigrés au plus bas de
l'échelle sociale, il
se hisse dans la société locale par son travail
et son honnêteté. De commis de
magasin, il devient directeur du meilleur supermarché de la
ville. -Itinéraire
de l’Américain type- Il
est marié avec
Nora, femme intelligente d'origine modeste avec qui il a quatre
enfants. Ils
vient de déménager pour un quartier plus
bourgeois où le couple a acquis une
maison. Conformiste et voulant se fondre dans l'environnement social et
religieux, il fréquente l'église
méthodiste celle des classes moyennes, austère
et rassurante, il s'intègre à la
société locale en adhérant
à la Communauté de
la ville (apparentée au Rotary). Ses qualités et
sa modestie incitent la
Communauté à lui confier les tâches les
plus absorbantes et les moins en vue
(secrétaire puis trésorier du comité
du nouveau groupe scolaire) il les
accomplit sans en tirer d'autre bénéfice que la
satisfaction du travail
accompli. Higgins apparaît comme un homme banal, heureux et
humainement
irréprochable. Or
il existe, en
ville, une association qui est le Country-Club : émanation
du Rotary, elle
regroupe les notables de la bonne société, on y
rencontre l’avocat, le
propriétaire de l’auberge chic, un fabricant, le
docteur et le pharmacien,
voisin et ami de Higgins. Le Country Club a une réputation
d’honorabilité, de
société supérieure, mais Higgins sait
que la réalité est autre : Ce club
favorise entre autres les relations entre adolescents qui
bénéficient de ce
fait de la protection et de l’entregent des adultes en place. Higgins
soucieux de
l’avenir de sa progéniture y voit un moyen
d’intégration et de promotion pour
ses enfants. En y regardant de plus près ces
personnalités ne sont pas toutes
reluisantes : l'un est au bord de la faillite, deux autres
sont des
alcooliques et seul le docteur est un homme honnête et
respectable. Le club
possède des locaux confortables, un golf, des bateaux et une
plage privée. Une
réunion a lieu
une fois par mois, le soir, pour examiner les nouvelles candidatures et
pour
préparer les loisirs des membres (repas, fêtes
familiales, régates etc.) Higgins
a été
ajourné une première fois, ce qui est courant.
"Son parrain Conney, le
pharmacien, l'encourage à reposer sa candidature, or
là, Higgins ne peut
supporter d’admettre l’idée
d’un refus. Le
début du roman
décrit l'angoisse de Higgins, bien que peu ambitieux, son
élection serait la
consécration de sa réussite et la reconnaissance
de sa famille dans la société
bourgeoise qui l'entoure. Le
lendemain, Conney
lui annonce légèrement qu'il a eu une nouvelle
boule noire. A l'anxiété succèdent
colère, abattement, honte, humiliation et
révolte. Qui l'a condamné ? Qui l'a
jugé indigne d'appartenir à cette
communauté ? Le secret du vote lui fait
soupçonner trahison et tricherie. Il ne méritait
pas cela, il a envie de les
tuer tous ! Il apprend ensuite que sa femme, sa fille et même
la caissière du
magasin sont au courant et indifférentes à son
échec, cette indifférence le
blesse, il se croît la risée de tous. A
partir de là son
comportement change : au comité d'école, il
s’oppose à des solutions,
préjudiciables aux classes modestes,
préconisées par les notables qu'il doit
défendre. Détaché de toute influence,
il éprouve le sentiment d'avoir accompli
son devoir sans esprit de revanche, il y risque pourtant sa situation
puisqu'il
s'est attaqué à ceux dont la veille il
léchait les mains et il s'attend au
mépris, on lui répond par
l'indifférence. Comme
si sa
déstabilisation n’était pas suffisante,
il a la douleur d’apprendre la mort de
sa mère, alcoolique et cleptomane, renversée par
un bus dans le nord du Conté.
Ce décès le confronte violemment à ses
origines, ne sont elles pas les causes
de son exclusion ? Pour
l’inhumation,
il se rend sur les lieux de son enfance, retrouve un camarade visite le
cadre
de sa jeunesse et renoue douloureusement avec un passé
qu’il avait refoulé, Il
sort de crise après quelques abus d’alcool, et,
avec un sursaut d’orgueil, fait
la paix avec ses souvenirs, retrouve son équilibre, mesurant
le chemin qu'il a
parcouru il comprend alors sa vanité et
l’insignifiance de son échec. Jamais
plus il ne
frappera à la porte du Country-Club ! Le
roman , comme je
l’ai dit en introduction, m’a au fur et mesure de
sa lecture fait penser à la
F\ M\ pourquoi ? On
y trouve une
société d’hommes, plus ou moins
fermée, un homme seul, dont l’ambition
légitime, est d’entrer dans cette
société qui lui paraît une
élite. Une épreuve
la boule noire qui met le candidat face à cette
société. Ces éléments
remués
par la plume de Simenon mettent en lumière des situations
psychologiques,
sociales que l’on phttp://www.uf-caen.orgeut aussi retrouver en F\ M\ L’image
de la F\
M\ Le
Country Club n’a
bien sûr aucun rapport avec une L\ Maçonnique
hormis le parrainage, le secret
du vote par boules blanches et noires, une image construite sur la
difficulté
d’y entrer. Ses activités se déroulent
dans des lieux privés réservés
à ses
membres et les gens de l’extérieur peuvent donc
tout imaginer. Ainsi est
véhiculée une image du Country-Club faite
d’on dit, d’apparences, de pouvoirs
alors que dans la réalité, il ne s’y
passe rien, sauf des relations
d’influence. On
imaginerait mal
des L\ dont l’activité essentielle
serait les
adhésions, les fêtes et banquets
servant de paravent aux rencontres de notables plus soucieux de leurs
intérêts
que de moralité. Et
pourtant les
articles récents des grands hebdomadaires
véhiculent essentiellement l'image
d'une F\ M\ affairiste et sans idées. Ils
s’appuient sur le secret qui entoure
la F\ M\ , des mystères colportés
mais aussi sur
des dérapages minoritaires et
scandaleux. Ainsi
la critique
essentielle de la F\ M\ porte sur les comportements à
l’inverse du début du
siècle ou les attaques portaient sur les idées
d’une F\ M\ aux principes
républicains et laïques, parfois trop
affirmés, sectaire dans la lutte contre
un clergé aussi sectaire qu’elle. Milieu
social : Le
deuxième axe de
réflexion se fait sur le désir de reconnaissance
sociale de Higgins Simenon
rend
sensible dans son récit la correspondance entre milieu
social, géographie de
quartiers, de clubs et d’appartenance à une
communauté religieuse. Ainsi les
milieux populaires issus de l'immigration (Irlandais, Polonais,
Italiens)
fréquentent l'église catholique, la petite
bourgeoisie : l'église
méthodiste simple et austère, la bonne
société : l'église
presbytérienne
au cérémonial pompeux. Existe-t-il
aussi
une géographie maçonnique : le
système du parrainage constitue l'essentiel
des adhésions, chacun recrute naturellement dans son milieu,
la diversité est
fatalement affaiblie et l’image élitiste
d’une F\ M\ enfermée sur elle même est
renforcée. Le
problème était
certainement plus aigu au début du XIXème
où l’appartenance sociale
influençait le recrutement des loges caennaises :
l'élite intellectuelle
fréquentait Constante-Amitié, les bourgeois et
commerçants U\ F\ En 1780 une L\
de Bayeux n’acceptait que des aristocrates en son sein et
s’opposait à toute
autre création de L\ Aujourd’hui
encore,
si certains FF\ scrupuleux, peuvent
s’éloigner du
temple pour des raisons
sociales et financières, d’autres candidats seront
attirés par l'image d’une F\M\
élitiste, cercle de relations utiles et de reconnaissance
sociale où le
secret renforce le sentiment d’appartenir à une
caste puissante. Construction
de
soi Le
troisième axe de
réflexion se fait autour de la construction de la
personnalité. Higgins
a réalisé
seul une ascension sociale. Il s’est conformé
successivement aux milieux
auxquels il accédait mais en oubliant progressivement ses
racines. C’est en
retrouvant les lieux de son enfance, sa mère, ses anciens
amis et en mesurant
son ascension sociale due à son travail et à son
honnêteté qu’il mesure sa
valeur humaine et le chemin qu’il a parcouru. Il comprend
l’insignifiance de sa
vanité à gravir ce dernier échelon
symbolisé par le Country Club. Il réalise
alors la médiocrité de ses membres et abandonne
toute velléité d’en faire
partie. La
réflexion qu’on
peut avoir en contrepoint de celle de Higgins, c’est
qu’il faut se méfier du
conformisme et de la tiédeur prétendue
tolérante. Appartenir à une L\ est une
demande volontaire qui n’est pas tiède et qui sort
l’individu de l’anonymat. On
peut se demander quand le but est atteint si l’on doit
retomber dans la,
tiédeur et le conformisme, c’est à dire
ne plus s’interroger, ne plus
contester, ne plus travailler puisqu’ayant atteint le but
être F\ M\ La
construction de
soi n’est pas l'enfermement dans la loge, à nous
d’être exemplaires à
l’intérieur comme à
l’extérieur du temple. Nous sommes en Loge pour
travailler
sur nous mêmes mais aussi à
l'amélioration matérielle et morale au
perfectionnement intellectuel et social de l'humanité. C'est
par le travail que
nous donnons un sens à notre engagement
maçonnique et que nous nous
différencions d’un club. Higgins
n’est pas
déçu car le Country-Club c’est du vide,
sa richesse personnelle dont il a pris
conscience ne peut s’épanouir dans cette
médiocrité, soyons donc ambitieux,
ambitieux d’entrer en F\ M\ , ambitieux de travailler en son
sein pour
l’enrichir et nous enrichir. L'admission
des
profanes : Le
dernier thème
abordé est l’admission des profanes L’épreuve
que subit
Higgins en étant blackboulé pourrait
être celle d’un profane refusé
à la porte
du T\ Toute
demande
d'adhésion à une communauté porte en
elle une demande de reconnaissance de ses
membres. L’image la F\ M\ est perçue au travers
des grands principes de Liberté,
Egalité, Fraternité, Tolérance et
Laïcité imagés par les grandes figures
de la
F\ M\ tels Voltaire et Schoelcher, et la haine des régimes
totalitaires à
l’égard des F\ M\ Le
postulant exprime
sa volonté d’adhérer à ces
principes, il y croit, il s’est extrait de
l’anonymat pour affirmer ce qu’il veut. Or
les conditions
d’admission sont particulières, le postulant ne
connaît pas en général
l'association, ce qu’il y fera, le secret, les
enquêtes, le passage sous le
bandeau, ne font qu’augmenter le mystère. La boule
noire vient s’ajouter à ces
épreuves être blackboulé
c’est subir non seulement un échec mais une
humiliation. Les
membres jugent
une candidature inacceptable, les raisons ne seront jamais
communiquées. Sur
quels critères a-t-on mis la boule noire. raisons
personnelles,
intellectuelles, sociales culturelles … ? Le
postulant est renvoyé dans
l’anonymat . Bien sur le refus est rarissime,
lorsqu’une candidature est
engagée elle aboutit presque systématiquement
mais rarement à l’unanimité. - Malaise et crise pour le refusé. - Difficultés d’intégration et manque d’implication pour le nouveau F\ , source future d’absentéisme, de manque d’implication et de démission. Je
terminerai en
disant que c’est un des rares romans de Simenon qui se
termine bien. Expression légitime d’un doute sur la qualité du postulant ou accomplissement d’un acte responsable. Les candidatures les moins marquées rencontrent le moins d’oppositions sans pour autant que soit repoussé les fortes personnalités qui se montrent et s’imposent. |
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