Obédience : NC Loge : NC 10/12/2001


Unir ce qui reste (encore) séparé

Lessing nous dit : « La franc-maçonnerie a toujours existé ». Mais, cela n'est pas vrai. Ce que nous appelons aujourd'hui  la franc-maçonnerie, son contenu et ses valeurs propres, se sont développés dans la durée, et sous diverses influences extérieures ainsi que d'ordre  nationales et n'ont été validés que peu à peu.

La franc-maçonnerie a été inventée.  Nous l'oublions parfois. Au début,  il n'y avait que des non-initiées. Une filiation initiatique, au sens de celle qui veut que seulement un initié peut initier, ne veut rien dire en maçonnerie. Mais, est-ce qu'il n'y a pas aussi en maçonnerie quelque chose qui a vraiment « toujours » existé ?  Ce qu'il y a  toujours eu, dès le début de l'humanité, ce sont certaines valeurs que l'on retrouve en maçonnerie.
   La fraternité
   La convivialité
   Les célébrations rituéliques.

Au début des temps historiques la fraternité n'existait qu'entre membres d'une même famille et rien de plus. Mais, déjà les grecs adoptent dans leurs philosophies et leur vision de dieux des idées non-Grecs, des barbares, des Egyptiens et des Indiens.

Ce que nous appelons aujourd'hui « Humanité », au sens large n'a pris son sens qu'au cours des siècles et n'a pris de valeur  universelle qu'à notre époque par la déclaration des Droits de l'Homme des Nations Unies. La convivialité est le deuxième élément de  ce « qui a toujours été » et que les maçons cultivent encore aujourd'hui : vie communautaire, manger et boire ensemble, à l'occasion d'une fête ou d'un deuil. En troisième lieu on retrouve les célébrations rituéliques. Elles aussi existent depuis le tout début de l'humanité. Elles se sont maintenues dans différentes cultures et religions jusqu'à aujourd'hui.

Ainsi, on  pourrait dire que ce n'est pas la franc-maçonnerie qui est de tous temps, mais qu'il y a quelque chose dans la franc-maçonnerie qui a toujours existé et continue à exister. Mais, cet esprit, cette spiritualité, c'est quelque chose  qui ne dépend pas  d'une reconnaissance ou d'une non reconnaissance. L'institution peut se structurer sous une forme juridique, mais pas cet esprit. Dans nos Loges féminines nous cultivons ces valeurs spirituelles selon cet esprit maçonnique et essayons de les vivre vraiment maçonniquement. Et nous ne nous laissons pas emprisonner par des formalités juridiques  ni nous laissons influencer par des déclaration comme : « Les loges féminines ne sont que des sociétés ressemblant à la franc-maçonnerie ».  Je trouve incorrecte cette façon  de se distancier des Loges féminines. En effet, dire que l'esprit maçonnique ne peut vivre que dans des Loges masculines me semble parfaitement injuste.

On doit attendre du bon sens maçonnique  que les loges féminines et les loges mixtes soient reconnues. Le philosophe Bollnow explique que plus encore qu'une constatation simple ou une  reconnaissance de  fait, il est nécessaire  qu'il se produise un changement complet d'attitude envers ces loges.
« Les faits sont toujours durs ». Ils provoquent une rupture et bouleversent l'ordre établi.

(Otto Friedrich Bollnow, Philosophie de  la (re)connaissance. Stuttgart 1970  p 121-122. Il est faux de parler de maçonnerie féminine ou masculine, Cela n'existe pas. Ce qui existe, ce que les faits nous montrent, ce sont  des loges masculines, des loges féminines et des loges mixtes,- la pluralité évidente de la Maçonnerie. Il s'agit de la voir, de l'accepter et de la vivre.   Voir, accepter, vivre, - les trois pas de l'apprenti maçon sur le chemin de L'Art Royal.).

Une recherche critique de  l'histoire est typiquement une idée du siècle des Lumières et devrait de ce fait, être aussi typiquement maçonnique. La Tradition s'avère être, dans cette situation, une entrave pour le développement, non seulement de l'individu, mais pour toute la communauté. Mais cette entrave ne relève  pas de la nature de la maçonnerie, mais bien du domaine de la psychologie. Des conflits entre l'institution et l'esprit (maçonnique), entre forme et fond  se rencontrent dans toutes les communautés. On rencontre bien des conflits non résolus dans le cadre des Obédiences maçonniques. Comme par exemple lors des soirées-repas, où sont invités des membres de Loges féminines ou mixtes, on entend dans les discussions parle de tolérance et de partenariat, mais ces propos n'impliquent personne dans la voie d'une reconnaissance éventuelle… Le malentendu classique du frère qui dit : « Nous ne voulons pas recevoir des femmes dans notre Loge. Nous voulons rester entre nous » est bien connu. C'est bien compréhensible et n'est pas contesté. Ce dont je parle ici, c'est d'une reconnaissance officielle, qu'il existe aussi  bien des loges d'hommes que de femmes, que des loges mixtes. Pour les maçons allemands des loges reconnues, la situation en ce qui concerne la régularité se présente différemment que pour les franc-maçonnes. Si bien que je pourrais  leur dire :
« Votre problème, n'est pas notre problème ». Je pourrais le leur dire, mais cela ne serait pas très maçonnique, car je ne suis non seulement sœur pour mes sœurs, mais aussi sœur pour mes frères. C'est pour cela que les femmes maçonnes n'ont pas les mêmes difficultés que les frères en ce qui concerne  la régularité. L'inverse est aussi vrai.

Ici, dans le forum REFORM - qui est à ma connaissance la première association maçonnique en Allemagne qui est ouverte aux membres masculins et féminins de toutes les Obédiences, la Franc-maçonnerie est « notre » affaire.

Nous n'avons pas besoin d'une communauté de rituels pour développer une vision commune, ni pour donner aujourd'hui une forme crédible à la franc-maçonnerie actuelle. Les pierres pour la construction  de l'humanité ce sont les humains d'aujourd'hui. Contemporains et francs-maçons et franc-maçonnes au deuxième grade qui doivent être attentifs : « Regarde autour de toi ! » (4ème pas) On peut souvent entendre ou lire que le deuxième grade souffre d'une pauvreté de contenu en comparaison avec le premier et troisième grade. L'enseignement le plus important du deuxième grade est le compagnonnage. Dans le deuxième grade c'est le voyage ensemble qui va être à l'honneur. On y verra ici distinctement l'héritage spirituel occidental, qui place l'évolution  personnelle individuelle  au premier plan. Le fait d'être ensemble, libres et féconds, place l'individu et le cheminement personnel au premier plan, même si ce n'est pas le but ultime. Le cheminement personnel  et la connaissance de soi  doivent constituer les conditions d'une fraternité réussie…

L'évolution spirituelle de notre société a eu comme conséquence cette négligence du deuxième grade. L'individualisme a supplante le collectivisme dans de nombreuses structures, comme la famille, la lignée, la religion, la langue, etc, tout ce qui rassure l'homme dans son existence… On donne plus de valeur aujourd'hui à l'individu, ce qui est sans doute un pas en avant pour l'humanité. Mais cela ne suffit pas. Nous ne pouvons pas nous  y arrêter.  L'individuation doit nous préparer à être capable de vivre ensemble, à partager. C'est contenu dans le deuxième grade. C'est pourquoi je dis : dans le forum REFORM, nous travaillons au 2è grade, conscients et en nous efforçant honnêtement de faire quelque chose pour l'humanité et pour la fraternité  en franc-maçonnerie  également, car aucun homme, ni aucune femme ne peut réaliser vraiment le « Regarde autour de toi » sans respecter l'autre. Historiquement, l'ignorance de la signification du deuxième grade s'explique, mais avec nos connaissances actuelles, elle doit être considérée  comme un manquement à corriger.

L'a priori que l'on attend de nous dans un premier temps et dans un esprit de sagesse est aujourd'hui celui-ci : l'autre n'est pas un ennemi potentiel, mais un ami potentiel. Nous trouvons de nouvelles réponses lorsque nous consentons à la discussion et à la rencontre, pour vivre le deuxième grade. C'est exactement ce que nous  faisons  ici : nous ne travaillons pas à la pratique d'un rituel, mais à la valeur éthique contenue dans le rituel du deuxième grade. Cela signifie qu'au deuxième grade cela serait dangereux si nous prenions le contenu de ce grade trop au sérieux. Nous regardons autour de nous. Et que voyons-nous  d'abord ? Des hommes et des femmes tout alentour, qui travaillent dans des sociétés pluralistes de loges d'hommes et de femmes ainsi que des loges mixtes. On voit toute une palette, où certains sont coincés et déstabilisés et d'autres enrichis et stimulés par la présence des autres.

Il  semble que jusqu'ici la maçonnerie  soit restée bloquée au premier grade. Cela correspond au développement de la maçonnerie  spéculative, à l'acceptation de l'épanouissement et à la prise de responsabilité de l'individu et à la mise en place de l'individu au centre des préoccupations. Cependant, nous ne devons pas nous arrêter là, mais nous devons comprendre ce qui se passe dans notre siècle avec le dialogue et l’œcuménisme.  Le travail au deuxième grade, comme je le comprends ici, n'est pas rupture avec la tradition mais représente un développement pour notre époque. La réflexion sur le deuxième grade suscite, à l'intérieur de la franc-maçonnerie, de nouveaux courants, comme le Forum REFORM.Dans « le regard autour de soi » sur le monde actuel,  la question de la  régularité et de la reconnaissance est souvent trouvée incompatible avec la pensée orthodoxe  maçonnique. Et pourquoi donc la franc-maçonnerie est souvent considérée comme une organisation vieillissante et proche de sa fin ? C'est ainsi que des frères entreprennent quelque chose pour sauver la franc-maçonnerie et invitent les sœurs à pour les y aider.

Mais cela signifie une vraie construction : parler ensemble, s'inviter les uns les autres, se prendre en considération, se respecter et s'apprécier. C'est ce que j'appelle le travail au Temple de Salomon : des relations à établir. Et justement le maçon au deuxième grade, qui pense déjà à sa pierre presque taillée, qui devra s'insérer lui-même dans la construction du temple, sait déjà qu'il doit apprendre d'une façon ou d'une autre à connaître la place qu'il devra occuper. Nous ne sommes pas des solitaires qui recherchent chacun pour soi une belle situation mais nous sommes destinés à quelque chose de plus grandiose. Il est important de savoir qu'il est possible d'apprendre à se connaître les uns les autres, de parler les uns avec les autres, sans nécessairement  travailler ensemble dans un même rituel, et dans un esprit maçonnique. Dans des loges distinctes alentour d'une cathédrale.

Les relations autonomes, libres et  sans préjugés entre hommes et femmes dans un esprit de tolérance maçonnique, sont toujours dangereuses et suspectes parce que nous devons abandonner des positions sûres pour explorer des possibilités incertaines et nouvelles en particulier peu expérimentées dans ce pays. J'en suis arrivée là parce que je suis persuadée de la valeur de la franc-maçonnerie et parce que je tiens notre avenir pour important et possible. J'ai acquis cette conviction dans ma Loge très vivante. J'ai confiance dans ce que je vis en ce moment : des joies l'un pour l'autre et ensemble, une constante croissance de notre loge, parce qu'il y a tant de femmes qui cherchent sérieusement. Tout ce qui était déjà toujours là. C'est à dire, la recherche, la nostalgie d'une communauté d'esprit, d'une communauté spirituelle, la recherche  d'un lieu où les hommes se sentent accepté et ont le droit de se sentir chez eux. La décision de réaliser cet objectif dans les loges maçonniques plaît au cœur de chaque maçon et de chaque maçonne.

Je souhaite que l'association Forum REFORM aidera, par une attitude et un esprit de tolérance, à passer de la « fin de la maçonnerie » à cause de régularité au « virage (ou volte-face) de la maçonnerie » dans la question de la régularité. La hiérarchie n'a que le pouvoir que nous lui accordons. Je n'attends aucun changement depuis le haut, mais suis confiante dans le dialogue fraternel depuis le bas. Nous devons nous connaître les uns les autres pour pouvoir nous aimer. Nous ne luttons pas contre l'obscurité, mais nous allumons une lumière, peut-être même trois lumières…

La structure hiérarchique n'appartient pas à la nature de la Franc-maçonnerie.  Et ce n'est pas seulement la maçonnerie qui va à sa perte lentement à cause du maintien coriace des structures hiérarchiques. De nombreuses institutions perdent leur crédibilité par tous les bouts. Elles craignent pour leur fin. Le renouveau et élan ne viennent cependant pas d'en haut, mais du bas. Dans les vingt années de mon expérience c'est le dialogue sans complexe entre frères et sœurs qui nous a simplement permis de nous connaître. Les principaux processus d'apprentissage ne peuvent avoir lieu que si on se confronte et s'écoute les uns les autres. C'est là que peuvent se résoudre par exemple les angoisses des hommes qui verraient arriver des femmes dans leurs loges.

Comment le G.O. de France, La Grande Loge féminine de France et le Droit Humain, pour ne citer qu'eux, ont-ils réussi pour, en dehors de la régularité,  stabiliser leur Obédiences et augmenter le nombre de leurs adhérents ? Il y a eu, au début, la volonté de quelques hommes et femmes de travailler maçonniquement  - Une utopie devenait réalité. Et, deuxièmement, pendant qu'ils établissaient ensemble des relations et avec cela dégageaient une autre manière de Régularité, ils créèrent une appartenance qui ne fonctionnait plus sur un mode hiérarchique- vertical,  mais en réseau et horizontal. Par des visites mutuelles. Reconnaissance entre les membres A LA PLACE d'une reconnaissance venue d'en haut. Ce ne sont pas les  qualités de diriger, mais les aptitudes au consensus qui sont ici en cause. C'est ici que les critères d'une vraie maçonnerie se révèlent utiles. Non pas parce qu'une obédience reconnaît certains principes de base, mais parce que des frères et sœurs d'une obédience travaillent en maçons, se comportent vraiment de façon tolérante l'un envers l'autre et valident leur relation comme envers  une obédience reconnue.

(Je me pose parfois la question : est-ce que des loges peuvent exister sans  une image d'ennemis ? Lors de leur établissements, ces Loges se sont distancées de l'absolutisme et ont crée une lieu de libre pensée. Est-ce que ces loges peuvent croire à leur propre  valeur sans être contre quelque chose ? Où sont les maçons s'ils ne brillent pas ?) Un réseau de relation n'est admissible que s'il est constitué de gens qui dialoguent avec la même valeur et les mêmes droits, des gens convaincus de la nécessité d'un dialogue, qui s'écoutent et qui terminent leur conversation en n'étant plus les mêmes après qu'au début, qui sont, au début l'un à côté de l'autre et finissent par être  ensembles. Nous tenons  tous beaucoup à la franc-maçonnerie. Sinon, nous ne serions pas ici. Nous donnons du temps et de l'argent parce que nous espérons en la maçonnerie des siècles prochains.

Mais, la franc-maçonnerie en tant que telle n'existe pas, elle vit en chacun de nous.
Un critère significatif de la tolérance entre maçons est celui-ci : Comment les maçons et les maçonnes se comportent ensemble. Les maçons qui n'acceptent pas les femmes maçonnes comme des membres d'une association maçonnique de pleins droits font tort à la bonne réputation de la maçonnerie. La maçonnerie  n'est en rien comparable avec d'autres sociétés qui ne réunissent que des hommes, parce que au centre de la maçonnerie on place l'ennoblissement de l'être humain. Dans les pays où cette reconnaissance est déjà vécue, par exemple en France, on ne rencontre aussi aucun problème de recrutement.

Mes idées sur « La régularité par la relation » sont le résultat de l'opinion que la totalité des idées de la maçonnerie ne pourra être réalisée que si les obédiences et les loges sont tout à fait autonomes et libres. Cela veut dire : que la vraie Régularité n'est pas un attribut venu d'en haut, mais au contraire une considération réciproque, une reconnaissance et une acceptation. Elle n'est pas un cadeau mais un vécu, le résultat d'un travail maçonnique en commun. Pour les profanes, l'exigence maçonnique de la pratique et le respect fondamental de la tolérance est contradictoire : Tolérance à l'extérieur et intolérance à l'intérieur. C'est là qu'on voit le dogmatisme juridique : fixation par l'écrit de ce qui est orthodoxe et ce qui ne l'est pas. Les religions s'occupent déjà actuellement d’œcuménisme, de vie ensemble sans perdre leur identité. On pourrait dire ils créent un réseau global et religieux. Est-ce que les maçons doivent rester en arrière ? La Maçonnerie comme idée et comme philosophie a besoin d'un institution comme paravent, mais pas d'une camisole de force.
Dans la franc-maçonnerie on parle souvent de l'héritage du père.
Alors ma question : Qui sont les « pères » ?
                                 Quel est l'héritage ?
                                 Comment pouvons nous rendre crédible cet héritage aujourd'hui ?
J'ai trouvé un chant religieux évangélique qui exprime mon impression dans une forme un peu philosophique :

Ne dis pas

Ne dis pas, nous avons toujours marché de cette façon
Et nous continuerons ainsi.
Demande : est-ce bon ainsi, comme nous faisions
Et : pouvons nous continuer ainsi ?

Ne dis pas : nous avons toujours bâti de cette façon
Et nous continuerons à le faire comme cela.
Demande : est-ce solide comme ça,
Et : puis-je continuer la construction ?

Ne dis pas : nous avons toujours parlé ainsi
Et continuerons à parler de cette façon
Demande : qui m'entend, tel que je parlais
Et : puis-je continuer à parler ?


4)  Text : Wolfgang Fietkau, Melodie :Walter Ritter. Edition : Neue Gemeindelieder, bbj-druck ag CH-8152 Glattbrugg

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