GODF Loge : Eugène Varlin - Orient de Lyon-Villeurbanne Date : NC

 La Laïcité : entre Foi et Loi

L’attentat de New York du 11 septembre 2001, les divers génocides et multiples conflits de ces dernières décennies (ex-Yougoslavie, Rwanda, Afghanistan, Irak), toutes ces tragédies humaines ne sont sans doute pas étrangères à l’émergence de nombreux débats sur la laïcité à propos de son fondement, son application, sa légitimité ou sa légalisation. Peut-on en déduire une réelle prise de conscience de plus en plus prégnante du concept de laïcité et ses attributs implicites ?

Peut-être mais pas si sûr…


Par les temps actuels, face au retour effrayant et concomitant de l’intolérance et de l’obscurantisme les plus extrêmes, ces conflits ethnico-religieux (et dont le conflit israélo-palestinienne
en représente à lui seul l’archétype) qui perdurent et se multiplient depuis l’aube de l’Humanité, révèlent encore et toujours cette haine, presque originelle, ancrée au tréfonds des consciences et des cœurs, et portée hélas parfois au paroxysme de l’abomination.

Aussi dans le concert actuel des diverses interventions quelquefois perspicaces, parfois
passionnées sur cette mondialisation de la violence inter-communautaire, n’est-il pas temps de découvrir, redécouvrir, faire découvrir et mettre en chantier les enjeux humains, à la fois pacifistes
et affranchisseurs du concept de laïcité, dispensatrice d’une universelle prise de conscience de l’Humanité, qui dispose aujourd’hui, à n’en pas douter, de tous les moyens de subsistance, d’épanouissement et d’émancipation pour tous.

Le concept de laïcité se décline en deux principes essentiels : l’un, philosophique et éthique, l’autre, républicain et civique.

1/ Principe philosophique et éthique
La laïcité relève de ces libertés fondamentales de l’esprit, incontestable et irréfutable : la liberté absolue de conscience. Elle induit le droit imprescriptible pour tout être humain de croire ou de ne point croire en Dieu ou toute autre vérité métaphysique. A chacun en quelque sorte sa libre
lecture transcendantale du monde et de son destin, selon sa croyance qui peut se concevoir de manière individuelle ou partagée, à l’exclusion toutefois de toute déviance sectaire, arbitraire ou dogmatique.

Cette liberté axiomatique, symbole fondamental du principe d’ « humanitude » universelle
autorise par le raisonnement, la capacité de chacun de s’affranchir des singularités personnelles de croyance, d’origine, d’idéologie ou de confession, pour projeter enfin collectivement les fondations rationnelles d’une société de paix et d’harmonie, de ce « monde commun » dont parlait Hannah Arendt par delà les spécificités et différences au demeurant bien naturelles et concevables.

L’éthique laïque, qui n’est pas autre chose qu’une foi en l’homme, repose sur les principes de tolérance mutuelle et de respect de l’autre. La considération pour tous, émanant du lien d’ « humanitude », demeure la condition essentielle d’un idéal de fraternité universelle partagé et
vécu par tous les peuples de l’Humanité. Aussi il en résulte un refus impératif du racisme, de la xénophobie et de la discrimination sous toutes leurs formes qui apparaissent comme autant de dérives délétères et infamantes du communautarisme ethnico-religieux.

L’éthique laïque reste donc indissociable du principe majeur d’égalité qui se décline fondamentalement en :
-égalité de droits : droit au minimum vital (possibilité pour tous de manger à sa faim), droit à l’instruction, droit à la santé, droit au logement qui avec bien d’autres droits élémentaires, confèrent à chacun l’assurance d’un droit à une dignité humaine décente.
-égalité de chances : fondée essentiellement sur la compétence des individus ; à cet égard, la discrimination positive que d’aucuns voudraient établir voire imposer ne sert, au bout du compte, qu’à amplifier les dérives du communautarisme.

C’est uniquement dans ce cadre égalitaire que l’Humanité pourra s’administrer en organisation sociétale juste, équilibrée et solidaire.

2/ Principe républicain et civique
Ce principe républicain et civique s’inscrit essentiellement dans la loi française votée le 9 décembre 1905, dite loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Cette loi réglemente désormais les relations entre les religions et l’Etat républicain, entre l’espace spirituel et l’espace temporel.
Emanant des legs historiques récents et successifs de la philosophie des Lumières, de la Révolution française et de la Commune de Paris, le principe de ce statut civique, juridique et institutionnel, résulte du combat difficile, courageux et audacieux mené par des femmes, des
hommes qui aspiraient à un statut de citoyen désormais émancipé dans les domaines philosophiques et politiques.
Lorsque la loi proclame dans son article 2 : « La République ne reconnaît, ne subventionne ni ne salarie aucun culte », elle délie le couple Etat-Religion et ses connexions politiques et financières, en rendant précisément aux religions (à toutes les religions !) leur liberté d’exercice et leur autonomie financière dans le cadre juridique et légal du statut associatif. Chaque religion s’administre désormais selon son objet propre, sans qu’aucune ne puisse prétendre à quelque prérogative que ce soit venant du magistère public.

Religion et laïcité ne sont pas symétriquement et directement opposables comme d’aucuns l’analysent trop souvent à tort. Tout est question de registre dans des plans distincts. En effet, si le registre religieux porte essentiellement sur les questions de cheminement métaphysique transcendantal, le registre laïque, où s’inscrit notamment le statut citoyen, détermine un espace sociétal du « vivre ensemble » qui, par sa fonction d’intérêt général, prévaut précisément sur chaque espace spirituel propre.

Ainsi la dissociation entre citoyenneté et confession se trouve réalisée, la République se devant dès lors d’une part, d’assurer la liberté de conscience et la liberté de pratiquer un culte ou n’en pratiquer aucun, et d’autre part promouvoir sans cesse le statut citoyen émancipateur en
instruisant, par l’école publique dès le plus jeune âge, une initiation impérieuse à l’exercice constant de ce fragile esprit critique, seule faculté capable de contenir les excès réfringents, aliénants et parfois exubérants de l’empire des délires irrationnels.

Il y a donc nécessité impérieuse de rappeler le rôle prépondérant de l’école publique qui a le devoir d’instruire aux jeunes esprits en devenir les valeurs majeures de l’espace citoyen dans lequel ils sont appelés un jour à vivre ensemble de manière responsable.

Jean Guéhenno affirmait : « En 1940, la République est morte de n’avoir pas enseigné la République. »

Il en va ainsi de la République, hier, aujourd’hui et demain, comme de toutes les valeurs qu’elle sous-tend, la laïcité n’étant pas la moindre de celles ci.

Instruire sans cesse ces valeurs républicaines qui par délibération raisonnante se démarquent hors du champ du traditionnel droit naturel, hors des spécificités culturelles et communautaires.
Se garder d’une « pseudo-modernité » largement répandue aujourd’hui qui instaure une dialectique communautariste comme seule voie institutionnelle possible aux conflits humains ; le discours intercommunautaire, qui pourrait se qualifier de politiquement correct en l’occurrence,
masquant d’ailleurs à peine les divergences à la fois récurrentes et en même temps irréductibles.

Se défier aussi d’un « pseudo-réalisme » qu’au nom d’une fin arbitraire qui justifierait tous les moyens, couvre à peine les pires mensonges, intrigues voire terreurs abjectes. Le réalisme ne
serait-il pas justement, qu’au vu des enseignements du passé, on constate avec objectivité que les délires mystico-ethnico-religieux portent en gestation depuis toujours l’entropie décadente de l’Humanité. Alexis de Tocqueville affirmait à ce propos : « Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres. »

Voilà bien le défi permanent mais aussi exaltant qui incombe à l’école publique. Dans cette intention universelle, les responsables de la République doivent dès lors assurer tous les moyens humains et matériels nécessaires à l’école publique et considérer que l’éducation n’est pas seulement une machine à empiler des connaissances mais bien avant tout une instruction et une initiation aux valeurs humanistes et républicaines qui délèguent à chaque citoyen la maîtrise de son destin propre au sein d’une communauté universelle.

Ces deux principes (philosophique et éthique, républicain et civique) constituant le concept de laïcité sont indissociables et non négociables.
 
Hélas, de nombreux manquements à ce concept subsistent tandis que d’autres se révèlent de jour en jour.

C’est ainsi que :
- Sur le plan institutionnel, le statut d’Alsace Moselle, toujours concordataire reste une entorse à la République française laïque, une et indivisible.
- Sur le plan financier, de nombreux financements publics, directs ou indirects, sont attribués indûment aux religions (subventions publiques détournées en faveur de l’école confessionnelle privée par exemple).
- Sur le plan politique, de nombreux élus ne respectent pas la règle de neutralité laïque à l’égard du clergé (affaire du vœu des échevins à Lyon, présence d’élus de la République aux cérémonies religieuses).
- mais aussi bien d’autres manquements sont également à déplorer comme par exemple en matière scientifique (délit d’influence religieuse sur le progrès scientifique), en matière artistique (entorse à la création et la liberté artistique), en matière sociale (prérogatives communautariste), en matière judiciaire (délit d’influence communautaire sur des statuts juridiques), en matière médicale (remise en cause du droit à l’avortement, entrave aux moyens de contraception et de prévention), en matière constitutionnelle (rédaction largement communautariste du traité européen), etc.

Autant d’atteintes aux deux principes de la laïcité dont la consubstantialité fondamentale implique que l’atteinte de l’un de ces principes engendre de fait la régression de l’autre.

C’est dire la responsabilité majeure des représentants exécutifs de la République à veiller au respect strict et véritable du concept de laïcité dans tous les domaines de la vie publique.

Le philosophe Henri Pena-Ruiz affirme : « Ni molle ni dure, ni fermée ni ouverte, la laïcité
véritable implique une affirmation forte de l’Etat républicain dépositaire du bien commun et, partant, des conditions d’une authentique citoyenneté. Elle vise à libérer les hommes de toute
tutelle morale ou intellectuelle. Elle s’y attache par l’école publique, qui fait de chacun son propre maître, par la solidarité redistributive qui assure à tous la dignité d’existence, par la justice socialequi humanise le progrès technique. »
On ne saurait être plus clair… !!!

En 2005, année du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, de nombreuses voix ont réclamé, réclament encore ou du moins s’interrogent sur sa révision possible.
Certes, évidence incontestable, en 1905, les conjonctures politiques, sociales, religieuses n’étaient pas identiques à celles d’aujourd’hui.

Mais pour autant, certitude tout aussi incontestable, l’esprit de la loi demeure immuable voire intemporel.

Dans l’esprit de ces principes philosophiques, éthiques, républicains et civiques énoncés ciavant, aucune religion, quelle qu’elle soit, ne doit exercer d’influence spirituelle au sein des institutions publiques.

Il reste qu’en 1905, la religion catholique, usant de sa domination historique, fut autorisée par la loi à pénétrer les espaces publics de l’école, de l’hôpital ou de l’armée, principales structures publiques intégrées à l’Etat républicain : d’où la présence de ces aumôneries qui perdure encore aujourd’hui.

Aujourd’hui, la religion catholique, au gré d’une prééminence largement déclinante, l’évolution des mœurs et l’instruction des citoyens aidant, l’intention du législateur devra impérativement porter sur la détermination d’une distanciation d’égal à égal entre toutes les religions en les excluant désormais totalement de la sphère publique. Ainsi sera écartée toute suspicion de prosélytisme insidieux et dès lors une neutralité laïque stricte pourra et devra s’appliquer véritablement à toute institution publique.

Le chantier est immense et l’utopie à construire est à la fois magnifique et exaltante, tant il en va de l’émancipation de l’intelligence de l’homme. Cela résonne en chacun d’entre nous comme un devoir à réaliser pour les générations futures. « L’utopie est la vérité de demain », déclarait Victor Hugo, penseur phare de l’Universel.

Au concept passéiste du « choc des civilisations » initié il y a peu par Samuel Huntington,
géostratège américain au Foreign Affairs, en voulant expliciter de manière étriquée les tragédies guerrières de ces dernières décennies, opposons le concept de laïcité comme idéal d’avenir et de
modernité ( le mot est utilisé cette fois à bon escient ! ) pour les civilisations, garant authentique de paix civile mondiale.

Et ainsi, comme Condorcet, tout en confiance dans les progrès de l’esprit humain : « Il arrivera bien ce moment où le soleil n’éclairera plus que des hommes libres. »

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