Synthèse
de la Question laïque
Rappel de la Question Laïque
“C'est le devoir qui
est la véritable source des droits ”
Comment cette affirmation de Ghandi peut-elle être
interprétée par les Francs Maçons dans
nos sociétés
qui ont tendance à ne retenir que les droits ?
Observons
d'abord que la phrase de Ghandi est nette et
qu'elle donne explicitement au devoir la prédominance
sur les droits. La formulation de la question
soumise à l'étude des Loges conforte
d'ailleurs
cette idée, dans la mesure où elle porte
implicitement un jugement très critique sur les
tendances
de notre société.
Le
devoir, terme écrit au singulier par Ghandi, prend
évidemment dans ce sens une très haute
signification
morale. C'est l'obligation qui pèserait sur
tous de suivre consciemment ou inconsciemment,
un système de valeurs correspondant à un
ensemble de lois imposées d'en haut. Des
lois
supérieures présentées en
général comme d'origine
divine, sauf quand un pouvoir charismatique
(ou
plus ou moins totalitaire) se sent assez fort pour
imposer ses propres règles morales au reste du
corps
social sans s'appuyer sur des références divines.
Dans une telle perspective, le devoir constitue la base
fondamentale de la société, et les droits ne sont
qu'un
produit du devoir. Mais il s'agit là, disons-le
clairement ici à la suite de nombreuses Loges, d'une
conception
essentiellement religieuse du devoir, et les
injonctions qui en découlent risquent d'être par
nature
normatives, normalisatrices et répressives. On doit
aussi ajouter que cette conception du devoir
n'apparaît
pas spontanément ouverte vis-à-vis de la
recherche
du progrès, et qu'il n'est pas vraiment sûr
qu'elle
puisse se concilier avec notre conception laïque de
la liberté de conscience.
A
cet égard, rappelons-nous que la Révolution
Française, en
proclamant dès ses premières heures la
Déclarations
des Droits de l'Homme et du Citoyen, a montré sa
volonté, en rompant avec l'Ancien
Régime,
de faire passer l'homme de l'état de fils de l'Eglise
et de sujet du Roi (n'ayant aucun droit, mais
seulement
des devoirs) à celui de citoyen, capable en
exerçant ses nouveaux droits de devenir un acteur
autonome
au sein de l'humanité.
Quant aux droits, qu'ils soient individuels ou collectifs,
ils ont des sources très variées. Certains
découlent
de principes religieux, comme “tu ne tueras point”,
mais beaucoup d'autres proviennent de
réflexions
philosophiques, comme “la liberté de
conscience”,
ou de luttes sociales comme “le droit
d'association”.
Le contenu concret des droits a en fait très
largement évolué au fil du temps ; il ne cesse
de
s'actualiser, de se moderniser. Ainsi, le droit de
propriété a été
progressivement encadré par des
droits
et devoirs sociaux.
La notion de droits des enfants, encore inconcevable au
début
du XXe siècle, commence peu à peu à
s'inscrire
dans nos sociétés.
Dans ce contexte nouveau, le devoir est devenu
essentiellement une affaire individuelle. Il fait avant
tout
appel au sens des responsabilités personnelles, chaque
individu devant rechercher dans sa conscience
le fondement de ses comportements. Le devoir n'est
plus le résultat d'une contrainte, mais
d'un
choix. D'ailleurs, il n'y a plus le Devoir au singulier,
mais des Devoirs au pluriel, chacun des
devoirs
à accomplir impliquant préalablement une
acceptation
de principe de la part de l'intéressé.
En nous situant résolument dans cette approche pragmatique
de
devoirs au pluriel et en réfutant toute
transcendance
à la notion de devoirs, nous sommes conduits à
penser que les droits et les devoirs sont
imbriqués
ensemble de manière dialectique, autrement dit
qu'il y a à la fois autonomie et interaction
entre
droits et devoirs.
Que dit à ce propos l'article IV de la
déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen en 1789 ?
“La
liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit
pas à
autrui. Ainsi, l'exercice des droits naturels de
chaque
homme n'a pas de bornes qui assurent aux autres
membres de la société la jouissance de ces
mêmes
droits ; ces bornes ne peuvent être
déterminées que par
la loi. ”
Cet
article met en corrélation trois termes qui servent de
liant à notre vie en société : la
liberté, le droit et la
loi. Notre société est évidemment
bornée ; elle est
bornée par le droit des autres. C'est ainsi que
nous
pouvons mettre en relief les termes de la devise Liberté
- Egalité - Fraternité ; la Liberté
correspond
au droit, l'Egalité au principe et la Fraternité
au devoir.
Il nous arrive souvent de confondre les notions de devoir et
d'obligation. J'ai l'obligation (sanction de la
loi)
d'envoyer jusqu'à seize ans mon enfant à
l'école ; j'ai
le devoir ou plus exactement la responsabilité
après
cet âge de choisir en fonction du souhait et des
capacités de l'enfant et des contraintes familiales
une
orientation scolaire ou professionnelle appropriée pour
lui. De manière générale, les devoirs
que nous
nous efforçons d'accomplir dépendent de notre
éducation,
de notre milieu social, et de nos engagements
religieux, sociaux ou philosophiques. Dans le
cadre des devoirs que nous nous imposons,
les
rapports avec les autres découlent en fait d'un code de
civilité et de politesse qui nous est personnel.
Chaque individu a ses propres références, et la
façon de
faire son devoir ou de défendre son honneur
varie
très largement selon les latitudes.
En ce qui les concerne, les Francs-Maçons se sont
engagés à
travailler avec ardeur et à dégrossir la
pierre
brute. Ils doivent, plus que tout autre, éviter les
idées reçues, les analyses hâtives et
la confusion entre
cas particulier et situations
générales…
Non, tout le monde ne fraude pas, tous les chômeurs ne sont
pas des feignants, et tous les malades ne
sont
pas des tires au flan !
Il
importe au contraire de rechercher méthodiquement, en
toute circonstance, la conciliation entre
l'intérêt
individuel et l'intérêt collectif, et le devoir de
chacun est de veiller par son esprit critique à ce
que
les détenteurs de l'autorité n'outrepassent pas
leur
pouvoir, en leur rappelant s'il le faut qu'ils ne
sont
investis de leurs fonctions que par la volonté des
citoyens.
C'est pourquoi le rapport harmonieux entre les devoirs et les
droits ne peut résulter que d'un équilibre
ouvert
aux changements permanents, qui laisse des
possibilités de mouvements et de contradiction ; un
équilibre
qui procède d'une logique fondée sur la recherche
d'un progrès continu, négocié,
redistributif, adapté
à la vie réelle de la
société et aux chocs des rapport
humains.
Si le devoir de l'Etat est de garantir par la loi les droits
individuels et collectifs, notre devoir à nous en
que
citoyens, est d'observer et d'analyser de façon
précise
les comportements individuels et sociaux. Et
si
la loi nous paraît mauvais, notre devoir est de tout
mettre en oeuvre pour parvenir à la changer. Nous
avons
le droit de participer à la vie de la cité en
votant ;
nous en avons même sûrement le devoir bien
que
ce ne soit pas en France une obligation légale, à
la
différence de plusieurs autres pays. Le devoir de
désobéissance
civile est aussi un droit, face à l'arbitraire
et au totalitarisme. Et si l'on parle de plus en
plus
souvent du droit d'ingérence dans les relations
internationales, ne devrait-on pas en réalité
considérer
qu'il s'agit là davantage d'un devoir que d'un
droit ?
Nous concluons en rappelant que, lorsque nous sommes entrés
Franc-Maçon, nous avons choisi
délibérément
de nous soumettre à des devoirs contraignants,
même si ceux-ci sont régulés par des
cadres
juridiques précis. Mais notre engagement dans
l'institution maçonnique résulte d'une
décision strictement
personnelle et nous pouvons y mettre fin à tout
moment. C'est bien là tout ce qui fait la
différence
entre les devoirs imposés et les devoirs librement
choisis.
Dans le cadre de ces devoirs librement choisis, gardons
toujours à l'esprit que nous sommes clairement
engagés,
en restant en conformité avec notre éthique
personnelle, à défendre la
laïcité et les valeurs de
la
République comme à promouvoir en permanence les
droits
individuels et collectifs des citoyens. |