Laïcité
"Vous
ne toucherez jamais avec trop de scrupules à cette chose
délicate et sacrée
qu'est la conscience de l'enfant ..." - Jean
Jaurès - (circulaire aux
instituteurs). -
Le
refus par l'Etat de toute sujétion envers les
églises équivaut au sens large à
la laïcité. La doctrine de la
laïcité de l'Etat a pris naissance en France,
où
elle a été élaborée de la
manière la plus systématique et la plus
homogène.
Elle s'est développée principalement face
à l'église catholique à cause de la
centralisation et de la rigueur des dogmes de cette église.
Mais si l'Etat ne
saurait abandonner la sauvegarde de l'ordre public, la conscience
personnelle
ne saurait, elle, abdiquer devant César. Antigone et
Créon en ont témoigné
chacun pour son compte.
Le
gallicanisme
C'est
Jésus Christ qui, le premier, pose le principe de la
distinction entre les
domaines spirituel et temporel : "Rendez
à César ce qui est à
César et à Dieu ce qui est à Dieu".
Mais César refuse de reconnaître
son incompétence en matière spirituelle et les
chrétiens sont persécutés
pendant trois siècles. En 313, Constantin
reconnaît la liberté du culte et en
380, Théodose se convertit au christianisme. Par
décret impérial, Jésus est
proclamé seul et unique fils de Dieu et le christianisme
devient, par l'édit de
Thessalonique, la religion officielle de l'Empire … Devant
l'effritement de
l'Etat, l'église, seule force de cohésion du
Moyen Age, implante alors son
emprise sur le temporel. Mais le Prince proteste et l'affrontement est
parfois
violent. La lutte entre le sacerdoce et l'empire connaît de
nombreux épisodes
et les conflits entre le pape et le Roi de France commencent en 1300
avec
Philippe le Bel.
C'est
à partir de cette époque que l'on commence
à parler des libertés de l'église "gallicane"
dont les règles font que le Roi de France a une
autorité de fait, sinon de
droit, sur une église elle-même
désireuse de s'affranchir de l'autorité
pontificale. Les oiseaux de l'Ile sonnante de Rabelais - Papegaut,
né des
Cardingaux, des Evêgaux, des Prêtregauts,
eux-mêmes nés des Clergaux, oiseaux
migrateurs venant de l'autre monde - en sont un exemple typique dans la
littérature de la Renaissance.
La
révolution française, avant d'être
irréligieuse, est avant tout gallicane. Le
flambeau est vigoureusement repris par Napoléon. Et il faut
se replacer dans
l'atmosphère du temps pour mesurer ce que comportait de
nouveau le concordat
conclu par Pie VII avec Bonaparte. Par la reconnaissance du
gouvernement
consulaire, ce traité rompait l'alliance
séculaire de l'église et de la
monarchie légitime : Bonaparte, élu par
le peuple, se trouvait légitimé,
et, par là, étaient consacrés les
principes de 1789 sur l'origine de l'autorité
de la nation. Pendant tout le XIXème siècle le
gallicanisme continue à se
manifester.
La
séparation des églises et de l'Etat
Dès
le XVIème siècle, une
réaction de tolérance se manifeste contre les
abus de l'église, à qui l'Etat ne refuse pas,
à l'occasion, l'appui de son bras
séculier. Mais une équivoque marque cette
campagne. On y trouve le meilleur et
le pire : souci authentique du respect de l'homme, mais aussi
irreligion
et discrimination entre les hommes. Voltaire proteste courageusement
dans
l'affaire Callas, mais il veut "écraser
l'infâme".
On définit d'Alembert comme un fanatique à
rebours. La Déclaration des Droits
de l'Homme est tolérante et libérale : "nul
ne doit être inquiété
pour ses opinions, même religieuses" (article 10).
Mais l'irréligion
l'emporte assez rapidement. La persécution s'abat sur le
clergé. Les massacres
de septembre 1792, les cultes de la Raison et de l'Etre
Suprême sont une
véritable entreprise de déchristianisation qui
finit par s'arrêter, par
lassitude des uns, écœurement des autres. Le
christianisme a survécu. Mais
l'irréligion n'est pas morte et l'attitude de la
papauté par ses dogmes et ses
encycliques, ne cesse de lui fournir des armes.
Suite
à la rupture des relations diplomatiques entre la France et
le Vatican, et à la
dénonciation du concordat, la loi sur la
séparation des églises et de l'Etat
est votée le 9 décembre 1905. Il n'y a plus,
désormais, de cultes "reconnus"
avec statut privilégié de droit public et les
églises sont soumises au droit
commun des activités et institutions privées.
Deux
conceptions irréductibles
Dès
l'installation de la Troisième République, ce
sont des "laïques" - le
terme commence à être employé - qui
conserveront la majorité au Parlement et
exerceront longtemps le gouvernement : Gambetta, Jules Ferry,
Clemenceau,
Waldeck-Rousseau, Combes, Viviani, qui sont en communion
d'idées entre eux et
avec des penseurs comme Lavisse, Buisson, Littré,
Fouillée, Macé.
La
franc-maçonnerie, initialement "déiste", se
laïcise très largement à
cette époque et devient propagandiste de
l'idéologie laïque. Sa conception de
la laïcité - qu'on appelle aujourd'hui le
laïcisme - a pour constante
essentielle l'anticlériaclisme avant tout. C'est
à dire l'hostilité de principe
au clergé avec, chez certains, des nuances rationalistes,
positivistes,
scientistes et athées.
Mais
il ne s'agit pas d'une doctrine personnelle à ceux qui la
professent. On veut
en faire la doctrine officielle. La République, comme telle,
doit être laïque. "L'idée
laïque renferme une conception philosophique qui porte sur
l'indépendance et la
capacité de la raison". Et c'est cette conception
que la République
doit faire triompher. Elle ne peut y réussir qu'au
détriment du Christianisme.
Viviani dit en 1906 : "Nous nous sommes
attachés à une œuvre
d'irréligion. Nous avons arraché la conscience
humaine à la croyance. Nous
avons éteint, dans le ciel, des lumières qu'on ne
rallumera pas". Il
se trompait sur le résultat mais le but poursuivi
était clair. Ainsi, peu à
peu, inexorablement, un nouveau dogmatisme s'est substitué
à l'ancien et deux
conceptions deviendront désormais irréductibles
l'une de l'autre.
L'école
Laïque
Pour
instaurer la laïcité, on se sert des institutions,
en instituant la laïcisation
de l'école et la séparation des
églises et de l'Etat. "La guerre entre
nous n'est pas dans les chemins creux. Elle est dans
l'école", dit
Clemenceau. "La neutralité de l'école
a toujours été un mensonge",
dit Viviani qui ajoute : "Nous n'avons jamais eu
d'autre dessein
que de faire une université antireligieuse, de
façon active, militante et
belliqueuse".
Le
père de l'école laïque, c'est Jules
Ferry (lois de 1882 et 1886). Il pourchasse
les congrégations religieuses et
s'écrie : "Il faut choisir,
citoyens. Il faut que la femme appartienne à la science ou
à l'église".
Et il confie à Jean Jaurès : "Mon
but, organiser l'humanité sans
Dieu". Pourtant, l'école qu'il institue est
neutre : "Vous
ne toucherez jamais avec trop de scrupules à cette chose
délicate et sacrée
qu'est la conscience de l'enfant ..." - dit-il dans une
circulaire
célèbre aux instituteurs qui, dans leur immense
majorité, suivent cette ligne
de conduite.
Le
libre exercice des cultes
La
séparation des églises (catholique, en
particulier) et de l'Etat, est dans la
doctrine de "l'église laïque".
Combes voit en elle : "Le
terme naturel et logique du progrès à accomplir
vers une société laïque,
débarrassée de toute sujétion
cléricale". Pour Arthur Ranc, cette
séparation n'est qu'un moyen. Le but final, c'est la
sécularisation complète de
l'Etat par l'anéantissement du pouvoir de
l'église. Pour Fernand Buisson : "Il s'agit
de détacher de l'église la Nation, les familles,
les individus".
L'apogée
de l'anticléricalisme français est atteint en
1904, avec Combes qui vient de
s'illustrer dans l'application, aux congrégations, de la loi
de 1901, avec un
sectarisme méprisable et attristant. Cependant, le projet
(très combatif) de
séparation des Églises et de l'État
rédigé par Combes n'aboutit pas. Après
son
départ du ministère, Aristide Briand est
l'artisan de la loi qui est votée, le
9 décembre 1905. Elle contient, au contraire, des
dispositions
libérales : respect de la liberté de
conscience, du libre exercice des
cultes et de l'organisation interne des religions (bien que la
structure
hiérarchique du catholicisme soit
considérée par certains laïques comme
antirépublicaine), mise à la disposition gratuite
des différents cultes,
d'édifices religieux publics.
Mais la République ne reconnaît plus aucun culte,
et il n'est plus question que
tel ou tel d'entre eux bénéficie de fonds publics
(sauf pour de rares
exceptions). Et le dialogue, s'il y en a un, sera désormais
un dialogue de
sourds entre des dogmatismes inconciliables. Car, si le christianisme a
survécu, la "foi laïque" n'a pas
déposé les armes.
Une
idée neuve pour le XXIème
siècle
Dans
le respect de l'héritage du légitime combat pour
la laïcité, la question qui se
pose aujourd'hui est la suivante : au début de ce
nouveau millénaire,
devant l'explosion technologique et les mutations
inéluctables de la société,
devant le terrorisme intégriste qui menace nos
démocraties, la laïcité
doit-elle garder le masque de ses meilleurs combattants, dans les
aspects les
plus caricaturaux de leur intolérance et de leur
sectarisme ? La liberté
absolue de conscience permet à chacun de bien
réfléchir à cette question, avant
d'y apporter sa propre réponse, en restant, en tout
état de cause, responsable
de ses objectifs.
Car
la laïcité reste le seul dénominateur
commun des différentes conceptions de la
Démocratie. Ne pourrait-on alors considérer que
le véritable combat ne se situe
plus aujourd'hui dans les chemins creux des vieilles querelles de la
guerre
scolaire ? Que les conciles définissent la foi religieuse,
édictent leurs
dogmes et proclament leurs excommunications. Que la défense
de la laïcité
s'attache à définir et à promouvoir
les principes qui puissent rassembler
toutes les forces vives des démocraties pour la
défense des valeurs qui
permettent de vivre.
La
Laïcité reste donc une idée neuve pour
le XXIème siècle.
Lorsqu'elle sera vécue comme un humanisme
tolérant, généreux, fondé
sur l'amour
des hommes, de tous les hommes, "Libres, Egaux et
Frères",
alors, la nouvelle "foi laïque" pourra constituer une
réelle
espérance pour l'avènement d'un monde meilleur.
par
Eusthènes publié
dans : Société
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