Obédience : NC Loge :  NC 28/02/2006


Des liens historiques entre laïcité
et les aspirations démocratiques modernes

Le mot « laïc » provient du latin ecclésiastique « laïcus » qui signifie « commun, du peuple, non militaire, séculier ». Le ROBERT historique définit de « laïc, ce qui n’est pas ecclésiastique et, par extension, ce qui appartient au monde profane, à la vie civile, en particulier ce qui est indépendant de toute croyance religieuse ».
Pour le « Petit Larousse », les mots laïc ou laïque, à la fois nom et adjectif, proviennent du bas latin « laïcus », dérivé du grec « laikos », dont le nom signifie ce qui relève du peuple, et, par extension, ce qui n’appartient pas au clergé ; tandis que l’adjectif signifie : ce qui est indépendant des organisations religieuses, étranger à la religion ou à tout sentiment religieux.
En parallèle, il faut savoir qu’au Moyen-Âge il y avait dans les couvents des frères laïcs, càdire des personnes vivant dans l’enceinte des communautés monastiques sans avoir prononcé de vœu, tout en y remplissant des offices de domesticité.
En somme, le mot « laïc » qualifie ce qui est indépendant de la religion. Nous disons « un enseignement laïque » ou « une morale laïque », caractérisés par l’absence d’interdits religieux. Ainsi, la morale laïque ne réglemente que la vie civile et se limite aux principes moraux de base résultant de la vie des hommes en société, en se référant à la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » ou à la « Déclaration universelle des Droits de l’Homme » adoptée par l’O.N.U en 1948, sans jamais parler au nom de Dieu.

Par contre, la morale religieuse parle tours au nom de Dieu, faisant appel à la « Révélation divine » pour justifier ses préceptes et imposer un mode de vie aux croyants.

 

POUVOIR LAÏQUE ET POUVOIR RELIGIEUX

 1- LE SOUCI DE LAÏCITE DE L’ETAT DANS LE MOUVEMENT CATHOLIQUE LIBERAL DE 1830

Au lendemain de la Révolution de 1830, un certain nombre de catholiques fervents, prêtres et laïques, émus des progrès de l’irréligion constatés sous la Restauration (1815-1830), attribuèrent ce phénomène à l’alliance trop étroite de l’Eglise avec la monarchie, la rendant impopulaire aux yeux de tous ceux qui étaient opposés au retour de l’Ancien Régime. Ce nouveau mouvement catholique dit « libéral » estima que l’Eglise, pour ne pas devenir de plus en plus impopulaire, devrait rester neutre en politique et devrait donc se désolidariser de la monarchie régnante ainsi que des idées réactionnaires de l’ancien Régime, pour adopter les principes modernes de liberté et d’égalité en droits que la Révolution Française a révélés en matière politique à l’humanité, sans toutefois rien devoir modifier dans le domaine spirituel des dogmes.

Ainsi, ces catholiques libéraux voulaient que l’Eglise se réconcilie dans l’espace temporel avec le mouvement des idées libérales et démocratiques. Ces idées furent exprimées dès 1829 dans le livre du théologien, l’abbé de Lamennais, intitulé : « Des progrès de la Révolution et de la guerre contre l’Eglise ». L’impiété grandissante des Français y est expliquée par le fait historique que « l’autel » est resté enchaîné « au trône », et Lamennais y soutient que la religion devienne indépendante du pouvoir politique. Par conséquent, il invite l’Eglise à rompe ses attaches officielles avec l’Etat français en clamant son détachement des institutions publiques.

Les écrits de l’abbé de Lamennais connurent un grand succès auprès de la jeunesse catholique et de l’élite des catholiques libéraux, épris des idées nouvelles de liberté et d’égalité, propagées par l’esprit révolutionnaire de 1789, auquel l’Eglise était hostile en prêchant une société hiérarchisée en 3 classes sociales, clergé, noblesse et roture, où elle occupe la 1ère place aux côtés du Roi qu’elle déclare de droit divin.

Parmi les plus ferventes adhésions aux idées nouvelles de l’abbé de Lamennais, se trouvait le jeune abbé Lacordaire, qui salua en lui « le fondateur de la liberté chrétienne ». La Révolution de Juillet 1830 survint sur ces entrefaites, ce qui amplifia l’effervescence générale parmi les catholiques que Lamennais toucha par voie de presse en fondant le journal « L’avenir », dont le 1er numéro fut publié avec l’aide de l’abbé Lacordaire, le 16 octobre 1830, avec l’épigraphe : « Dieu et Liberté ». Aussitôt, le fils d’un Pair de France (charge héréditaire laissant espérer son influence à venir), le comte de Montalembert, se rapprocha des 2 abbés, Lamennais et Lacordaire, pour lancer officiellement « le mouvement catholique libéral ». Ce mouvement social affirmait sa foi religieuse catholique, sa soumission au pape, conçu désormais comme placé à la tête d’un monde catholique renouvelé, défendant toutes les grandes libertés, notamment la liberté de conscience, la liberté de la presse, la liberté d’association, la liberté d’enseignement, ainsi que toutes les libertés départementales et communales correspondant à une décentralisation du pouvoir d’Etat. Toutes ces libertés furent résumées dans l’expression : « la liberté pour tous, égale pour tous », ainsi que dans la formule : « le monde régénéré par la liberté et la liberté régénérée par Dieu ».

En outre, l’abbé de Lamennais alla plus loin en prônant les principes républicains et socialistes d’alors, de souveraineté du peuple et du suffrage universel. Et, comme il revendiquait l’indépendance totale de l’Eglise par rapport au pouvoir établi, il prôna la suppression du Concordat liant l’Eglise au pouvoir d’Etat français. En somme, il réclamait « la séparation de l’Eglise et de l’Etat » à travers le slogan suivant : « quiconque est payé dépend de qui le paye : le morceau de pain que le pouvoir d’Etat jette au clergé est le titre de son oppression ». Ce mouvement catholique libéral annonçait ainsi aux prêtres et aux évêques que la séparation de l’Eglise et de l’Etat les priverait de leurs traitements : « vous serez comme les prolétaires, avec Dieu de plus pour patrimoine ».

Cette nouvelle doctrine du catholicisme libéral eut un énorme retentissement, après mille ans de complicité active ou passive entre l’Eglise et le pouvoir monarchique en place. Or, après la chute de Napoléon en 1815 et la reprise en main de leur pouvoir absolu par les divers monarques européens, une vague de romantisme déferla sur l’Europe, animée par l’idéologie de liberté que la Révolution et l’Empire avait semées partout où les troupes françaises avaient triomphé en Europe continentale. Des journaux de province propagèrent ces idées chrétiennes nouvelles, et une pétition de 15.000 signatures réclama auprès des 2 Chambres du Parlement, la liberté de l’enseignement en France.

Cependant, ce mouvement catholique libéral s’est trouvé en opposition politique avec le parti légitimiste qui était conservateur et que Lamennais qualifiait de « Parti qui sacrifie Dieu à son Roi ». Malheureusement, c’est ce parti légitimiste qui obtint le soutien du Pape Grégoire XVI, dont l’encyclique « Mirari vos », en date du 12 août 1832, condamnait, à la fois, la liberté de conscience, la liberté de la presse, ainsi que le projet d’abrogation du Concordat, prôné par l’abbé Lamennais. Et, par suite de ce désaveu,  la doctrine du mouvement catholique libéral s’affaiblira jusqu’à entraîner la fermeture du journal « L’avenir » et de son « Agence générale pour la défense de la liberté religieuse », suivie de la disparition de tous leurs comités locaux de province.

254

Grégoire XVI

2 février 18311er juin 1846

Dernier prêtre en date élu pape avant d’être ordonné évêque.

255

bienheureux Pie IX
beatus

16 juin 18467 février 1878

 Dernier chef d’État des États pontificaux.

 

 Lamennais finira par se séparer de l’Eglise, ce qui entraîna sa rupture avec Lacordaire et ses disciples ainsi qu’avec Montalembert, qui craignirent l’excommunication. En effet, son attitude de plus en plus rebelle envers le Vatican finit par le rendre interdit de dire la messe en 1833. Puis, en 1834, il publia « Les Paroles d’un Croyant », où il dresse un réquisitoire contre l’oppression sous toutes ses formes.  Puis, en 1838, en réaction à l’encyclique « Singularis nos », condamnant sa démarche personnelle de façon explicite, Lamennais publia un nouveau livre, « Les Affaires de Rome », où il exprime sa rupture définitive avec les agissements de la papauté.  

C’est alors que Lamennais se rapprocha politiquement des milieux républicains, voire socialistes comme le journaliste Louis Blanc et le député Ledru-Rollin, en bataillant pour les revendications ouvrières et l’amélioration du sort des classes laborieuses, et en dénonçant l’égoïsme de la bourgeoisie industrielle. Et il alla plus loin en prônant publiquement le retour de la République. Cet engagement politique fut considéré comme révolutionnaire par rapport au régime monarchique établi, ce qui lui valut d’être condamné à la prison. Puis, sous la 2nde République, il fut élu Député en 1848, puis mourut dans des difficultés matérielles en 1854, après avoir été écarté de la vie politique par le référendum du 2 décembre 1852, qui fit accéder au pouvoir l’Empereur Napoléon III.

Entre-temps, l’abbé Lacordaire faisait ses célèbres prédications à la cathédrale de Notre-Dame de Paris, prêchant son souhait de rapprocher l’Eglise de certaines libertés modernes que le pape n’avait pas expressément condamnées, tandis que Montalembert intervenait ardemment à la Chambre des Pairs (où il avait succédé à son père) en faveur de la liberté d’enseignement. Et, en 1848, le catholicisme libéral de Lacordaire s’allia au catholicisme social du Pr Ozanam (qui avait fondé « la Société de Saint Vincent de Paul ») pour fonder un journal démocratique, « L’Ere nouvelle ». Ensuite, devenu Moine Dominicain,  il siégea sur les bancs de l’Assemblée Constituante aux côtés de l’Extrême Gauche et vota pour l’avènement de la 2nde République le 24 février 1848, après avoir applaudi Lamartine et Ledru-Rollin qui avaient pris possession de la tribune du Palais-Bourbon (Chambre des Députés) et avaient fait acclamer par les assistants (composés de gardes nationaux, d’ouvriers et d’étudiants) la liste des membres du gouvernement provisoire de la nouvelle République.

 

2- LAÏCITE ET RELIGION

Il faut comprendre que la laïcité ne cherche plus aujourd’hui à se battre contre les Eglises dont elle garantit le libre exercice de leur culte. C’est un principe d’organisation de la vie en société sans métaphysique, comme le pratiquaient les anciens philosophes Grecs du temps de Thalès au VIII° siècle av.JC et jusqu’à Aristote au IV° siècle av.JC. Cependant, la politique des députés de la III° République française de vouloir appliquer la laïcité dans les faits, comme par exemple de retirer les crucifix des salles de classe en 1882, entraîna des réactions violentes de la part du clergé soutenu par leurs militants. Cette Loi de Jules ferry, avait pour but de réorganiser la société sur la base de la « Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen » comme source du principe universel de la République, se substituant aux Ecritures Saintes. Elle illustrait la philosophie des Lumières du XVIII° siècle qui prônait la liberté de conscience par la libération de notre intellect de toutes influences spirituelles à caractère dogmatique.

 Il faut savoir que sous la 2nde République déjà, en 1849, le député Edgar Quinet avait proposé sans succès la création d’ « une école laïque où doivent être enseignées l’union, la paix et la concorde civile au milieu des dissentiments inexorables des croyances et des Eglises ». L’année suivante, la Loi Falloux permettra à l’Eglise de créer ses propres écoles tout en contrôlant son enseignement. Ce sera Jules Ferry qui finira par créer en 1882 « l’école laïque, gratuite et obligatoire », pour laquelle il rédigera sa fameuse lettre adressée à « Monsieur l’Instituteur » dont je citerai cette phrase définissant le contenu concret de la morale laïque qu’il entendait faire apprendre aux écoliers : « Au moment de proposer aux élèves une maxime quelconque, demandez vous bien s’il se trouverait un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez leur dire et vous refuser de bonne foi son assentiment ».

Toutefois, à mon humble avis, il ne faut pas seulement rapprocher cette idéologie laïciste du seul mouvement républicain du siècle des Lumières. Il remonte aux rapports du Pape avec Philippe Auguste qui en refusait l’hégémonie sur le pays des Cathares à la fin du XII°. Il y eut aussi le conflit du Pape avec Philippe Le Bel au sujet de la confiscation des biens des Templiers en 1307. Par la suite c’était l’Eglise de France qui s’était définie « gallicane » (càd relatif à l’Eglise de France), en se retranchant sous la protection du Roi et du Parlement en vue de défendre ses franchises à l’égard du Saint-Siège, franchises obtenues sous François 1er dans le Concordat de 1516, laissant au Roi de France le choix des prélats nommés par le Saint-Siège. Et sous Louis XIV le clergé français adopta la fameuse « Déclarations des quatre articles » lui conférant une totale indépendance envers le Saint-Siège en matière d’administration, à tel point que la Bulle « In Eminenti » de 1738 par laquelle le Pape clément XII excommuniait les Francs-maçons ne fut jamais appliquée en France du fait que de nombreux prélats étaient Francs-maçons et ne voyaient pas de mal à cela. Et ce gallicanisme français fut ensuite illustré en 1790, sous Louis XVI, par la « Constitution Civile du Clergé » qui obligeait le clergé à se soumettre aux nouvelles lois républicaines.

Mais pour regagner son autorité sur le clergé français et sur le peuple catholique français, Pie IX obtint du concile Vatican I en 1870 la proclamation du dogme de l’infaillibilité du Pape, alors qu’à la suite de l’abdication de Napoléon III après sa défaite face aux troupes allemandes de Bismarck en 1870,  il venait d’apporter son soutien à la cause royaliste française contre le parti des républicains français. Ceux-ci se vengèrent alors en votant la loi sur l’école laïque en 1882, contre laquelle le Pape s’éleva en condamnant la liberté d’enseignement en 1888. Ce fut donc une dure lutte politique d’usure entre le Pape et les républicains qui soutenaient désormais le mouvement laïque devenu de plus en plus anticlérical.

Cette lutte pour le pouvoir temporel, entre les partisans religieux et laïques remonte à Jésus Christ selon l’Evangile de St Matthieu (XXII,21) : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Revoyons donc l’historique de certaines relations marquantes de l’Eglise avec l’Etat français.

DES ANTECEDENTS HISTORIQUES DE LA PHILOSOPHIE LAÏQUE MODERNE

Paradoxalement, le monde arabo-musulman du Moyen-Âge avait connu plusieurs penseurs dont les idées devançaient la laïcité des temps modernes. Il faut savoir déjà que le Calife Al Ma’moun (813- 833), chef spirituel de l’Islam et chargé de défendre la Loi d’Allah, avait adopté le mutazalisme comme doctrine officielle de la gestion des affaires de l’Etat, en ralliant tous les hauts fonctionnaires contre les Oulémas qui s’immisçaient dans la gestion publique en cherchant à imposer leurs points de vue aux croyants et en excluant la philosophie et les sciences profanes de leur enseignement dont ils détenaient le monopole. Or le mutazalisme consistait à rationaliser la réflexion et l’action des hommes de façon profane, en considérant que le Coran est créé et non incréé (= parole directe d’Allah), ce qui laissait une certaine marge de liberté de conscience pour interpréter ses textes sacrés selon le libre raisonnement de chaque fidèle sans plus devoir se soumettre sans conditions à son Imam.

Et ce Calife Al Ma’moun avait créé à Bagdad, dès son avènement au pouvoir en 813,  la « Maison de la Sagesse » où il avait réuni toutes les écoles de pensée de son époque, càd 17 écoles de philosophie différentes. Il déclarait lui-même que son maître à penser était Aristote et qu’il réservait le Coran pour ses prières et sa conduite religieuse intime.

Cet exemple d’émancipation idéologique par le sommet politique du monde islamique au début du IX° siècle favorisa l’émergence d’un courant philosophique laïque parmi les philosophes du monde islamique des 3 siècles suivants, parmi lesquels le persan Al Râzi dit Rhazès (864-925), le soufi Al Farabi (872- 950) et Averroès (1126-1198) qui marqua l’émancipation de la pensée européenne aux XIII°-XVII° siècles.

Rhazès poussa d’abord le rationalisme du mutazalisme jusqu’au bout en déclarant que c’est la philosophie et non pas la prophétie religieuse qui libérera les âmes du corps et offrira à l’homme les moyens de réaliser son bonheur. Rhazès ira encore plus loin en affirmant que la Bible comme le Coran ne sont qu’un issu de fables et que les prophètes sont des imposteurs et ne méritent nullement une vénération par les hommes. Et il poursuit sa critique du fanatisme religieux en disant que la religion étouffe la vérité et attise les haines en déclenchant des guerres. Et il constate spécialement que si les populations s’attachent à leur religion c’est tout simplement par habitude de vie et en raison de leur soumission aux autorités publiques qui en font perpétuer les rites. Or, pour résister à ces influences extérieures à la conscience individuelle, Rhazès soutient à son actif que la seule raison de chacun suffit à distinguer le bien du mal tout en aidant au progrès de la connaissance de l’homme, sans recours aux Saintes Ecritures : il prône l’usage du bon sens et de la raison philosophique et de la connaissance comme seuls guides des comportements tant au niveau de l’individu qu’au niveau social. C’est là une réfutation éloquente et remarquable de tout dogmatisme dans la recherche de la vérité, au IX° siècle déjà !

Ce penseur musulman du début du X° siècle  a été rapproché de Voltaire de la fin du XVIII° siècle, lequel considérait les prophètes comme des imposteurs dangereux et les textes sacrés comme un magma de légendes dégradantes pour l’intelligence humaine tandis que les diverses confessions religieuses concurrentes étaient autant de sources de guerres sanglantes et d’abrutissement mental.

Le 2nd grand penseur laïque du monde islamique au X° siècle fut Al Farabi (872-950) qui fut le premier à identifier une relation dialectique entre l’existence et la conscience des hommes, ce que Marx développa 9 siècles plus tard dans son « Idéologie allemande ». Al Farabi avait reçu de son vivant le titre de « Hakim al tani » càd de  « 2nd Maître » après Aristote. Parmi ses thèses il soutient que la Cité doit être gouvernée par un Sage dont l’âme réunit l’intelligence et le sens de l’action au lieu de laisser la communauté sous le pouvoir temporel d’une autorité religieuse comme le Calife, chef des croyants. On peut comparer Al Farabi à Thomas More du début XVI° et à Francis Bacon du début XVII°, soit 7 et 8 siècles plus tard.

Le 3ème grand penseur laïque du monde musulman au XII° siècle fut le grand Averroès ou Ibn Rushd (1126- 1198) qui prôna une distinction très nette entre science (Ilm ou connaissance) et religion et alla même, dans ses diverses doctrines, jusqu’à défendre la condition féminine en soutenant que la femme est en droit d’accomplir les mêmes tâches que l’homme et notamment de devenir philosophe ou de diriger la société humaine. Il regretta de la voir cantonnée dans les rôles de procréatrice et de servante du foyer, ce qui appauvrit la société puisque cela la prive de contribuer à la création des richesses en exerçant le métier de filage ou de tissage. C’était déjà une forme de laïcité d’avant garde, en luttant contre toutes formes de préjugés et discriminations, alors que l’Europe moderne n’a libéré la femme qu’au XX° siècle, soit 8 siècles plus tard… Ce qui les philosophies des Lumières ont su prendre chez Averroès c’est sa détermination à vouloir émanciper la philosophie et la conduite civile par rapport aux dogmes des théologiens.

Tous ces apports libérateurs de la pensée humaine n’ont pas résisté à la forte influence que St Augustin (354-430) imposa au comportement de l’Eglise romaine à travers sa phrase disant que « l’autorité des Ecritures Saintes prévaut contre les ressources de tout esprit humain ». Cela inspira les acteurs du Saint-Siège à justifier théologiquement la répression sanglante de toutes sortes d’hérésies tout au long du règne absolu de l’Eglise sur les consciences des catholiques européens, allant du Concile de Nicée en 325 jusque la Révolution Française de 1789. Durant cette période l’on assista à l’Inquisition, à la Censure et aux guerres de religions qui ont tant marqué l’inconscient collectif français et européen, expliquant en cela le mouvement laïcard et anticlérical de bons nombres de Français et d’Européens…

POURQUOI CETTE LAÏCITE A LA FRANÇAISE ?

Pourquoi l’histoire de France est-elle marquée par cette laïcité qu’on dit « à la française » ?

Tout d’abord, il faut reconnaître que le royaume de France était reconnu comme « Fille aînée » de l’Eglise, le pouvoir du clergé sur les consciences ayant servi le pouvoir absolu du Roi jusqu’à la révolution de 1789, date à laquelle les révolutionnaires se sont vengés en instaurant « l’Etre suprême » en remplacement du Dieu de l’Eglise romaine, alliée du Roi.

Ensuite, il faut tenir compte qu’au XIX° siècle un mouvement de pensée positiviste, fondée sur le progrès des sciences, cherchait à discréditer les explications théologiques du fonctionnement du monde. Il en résulta une perte d’influence du divin et donc du religieux dans l’explication des phénomènes naturels auxquels les populations sont le plus sensible. Ce retournement contre les explications théologiques du monde s’étaient répercuté dans la vie politique d’autant plus que l’Eglise soutenait l’ordre monarchique de droit divin alors que la misère sociale se répandait un peu partout à travers l’industrialisation naissante et sans protection sociale. L’idéal républicain de liberté et d’égalité sur Terre l’emportait sur toute autre considération religieuse et métaphysique.

Ensuite, il faut aussi voir qu’en 1870, à la chute de l’empereur Napoléon III qui avait trahi son engagement républicain qui lui avait permis de se faire élire Président de la 2nde République en 1848, l’Eglise romaine et l’ensemble du clergé catholique français avaient soutenu la cause royaliste en faisant campagne dans leurs prêches contre le parti des Républicains. Or ceux-ci ayant remporté les élections en 1875 ont retrouvé les mêmes adversaires politiques cléricaux et antimaçonniques virulents tout au long de la période 1875- 1914.

Sous le long pontificat de Léon XIII (1878-1903), ce Pape usa d’un art politique raffiné pour essayer de renverser la majorité maçonnique à la Chambre des Députés. C’est ainsi qu’il poussa les électeurs catholiques à adhérer à la III° République  en 1892 dans le but de reconquérir la majorité à la Chambre et pouvoir alors supprimer toutes les lois laïques. A cet effet, il prôna un catholicisme social et l’évangélisation du monde ouvrier, comme cela est bien expliqué à travers son encyclique Rerum Novarum datant de 1891.

Et après Léon XIII c’est Pie X qui ordonna aux catholiques français de refuser la Loi de 1905, ce qui envenima les rapports de l’Eglise catholique avec les gouvernants de la République française jusqu’à l’éclatement de la 1ère Guerre Mondiale.

De nos jours, la laïcité implique toujours une stricte séparation entre les influences religieuses et l’exercice par l’Etat des pouvoirs publics. En effet, elle suppose que les prérogatives de puissance publique ne procèdent pas d’une quelconque légitimation divine ou surnaturelle. Cela implique aussi que le domaine public doit demeurer radicalement séparé des influences de la sphère privée, y compris tout ce qui se rattache à la pratique d’un culte par une communauté religieuse, fût-elle majoritaire. Tout cela est une condition essentielle de l’Etat de droit.

Pourquoi cette apparente insistance sur la religion ? C’est que la démocratie ne peut s’exercer qu’à partir d’une liberté absolue des consciences des populations qui doivent déterminer les composantes du pouvoir politique à travers leurs votes. Par conséquent l’Etat se doit de garantir la laïcité comme préalable à l’exercice de toutes les autres libertés publiques. Et c’est donc sur cette base que fut adoptée en France « la Loi de 1905 » proclamant la séparation des Eglises et de l’Etat. Elle affirme notamment en son Art. 1er que la République assure la liberté de conscience et qu’elle garantit aussi le libre exercice des cultes dans l’intérêt de l’ordre public. Et en son Art.2 elle confirme que la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte, signifiant par là que l’Etat ne favorisera aucun culte tout en permettant à chaque culte de pouvoir s’exercer dans le respect de la liberté de conscience de tous.

A présent que les tensions entre l’Etat français et le Saint-Siège se sont estompées et même passées au beau fixe depuis la V° République, il faut se rendre compte qu’une nouvelle dimension de la laïcité prévaut pour la réalisation de l’harmonie sociale. Il s’agit de l’égalité des chances pour tous les citoyens, cette égalité qui sert de ciment social pour permettre l’intégration républicaine de tous les membres de la nation. Il ne s’agit plus de neutraliser l’influence des Eglises sur le fonctionnement de l’Etat, mais d’effacer les inégalités criantes qui frappent certaines catégories de population dépourvues d’emploi soit par manque de formation professionnelle, soit par isolement ségrégationniste dans des ghettos de cités, soit pour des raisons racistes ou culturelles et cultuelles. Ces populations ressentent une certaine ségrégation à leur encontre qu’elles traduisent à tort ou à raison par du racisme primaire sinon culturel. Cela développe en eux un sentiment d’abandon social, les attirant dans la délinquance et les violences urbaines. Et même, certains d’entre eux, plus fragiles psychologiquement, se réfugient dans la « revanche d’Allah » en suivant le chemin des dogmes religieux qui les rassurent dans leur espérance nouvelle, en dehors de la devise républicaine « Liberté- Egalité- Fraternité ».

Quant à l’Afrique subsaharienne, elle n’a certes pas encore subi les ravages des guerres de religion sauf au Nigeria où le problème de la Laïcité se pose avec acuité dans certains Etats de la Fédération.

Par contre, il faudrait entreprendre des démarches pour l’instauration d’une « laïcité ethnique », en vue d’éviter les guerres ethniques qui ont déjà ravagé nombre de pays, parmi lesquels l’on peut citer le Liberia, la Sierra Leone, le Congo-Brazza, le Zaïre, le Ruanda, le Burundi, …etc, tout en pensant au drame ivoirien actuel qui nous préoccupe au plus haut degré dans note sous-région.

Nadim Michel KALIFE, Lomé 28.02.2006 au CCF

loeildecain@yahoo.fr

 

ANNEXE DES OPPOSITIONS DE L’EGLISE A LA LAÏCITE

Grégoire XVI, 15 août 1832 -    Encyclique Mirari Vos

"… Une fois rejetés les liens sacrés de la religion, qui seuls conservent les royaumes et maintiennent la force et la vigueur de l'autorité, on voit l'ordre public disparaître, l'autorité malade, et toute puissance légitime menacée d'une révolution toujours plus prochaine. Abîme de malheurs sans fonds, qu'ont surtout creusé ces sociétés conspiratrices dans lesquelles les hérésies et les sectes ont, pour ainsi dire, vomi comme dans une espèce de sentine, tout ce qu'il y a dans leur sein de licence, de sacrilège et de blasphème."

Mirari Vos

Pie IX, 09 novembre 1846 -  Encyclique Qui Pluribus

Pie IX condamne les erreurs d’Hermès (mort en 1831, il avait essayé de composer le christianisme avec le kantisme) et reprend les condamnations antérieures.

"Personne d'entre Vous n'ignore cette guerre si terrible et si acharnée qu'a machinée contre l'édifice de la foi catholique cette race d'hommes qui ne craignent pas d'exhumer du sein des ténèbres, où elles étaient ensevelies, les opinions les plus monstrueuses, si habiles à étouffer dans toutes les âmes le saint amour de la piété, de la justice et de l'honnêteté ; comment ils parviennent si promptement à corrompre les mœurs, à confondre ou à effacer les droits divins et humains, à saper les bases de la société civile, à les ébranler, et, s'ils pouvaient arriver jusque là, à les détruire de fond en comble.

Car, Vous le savez bien, Vénérables Frères, ces implacables ennemis du nom chrétien, tristement entraînés par on ne sait quelle fureur d'impiété en délire, ont poussé l'excès de leurs opinions téméraires à ce point d'audace qu'ils ils ne rougissent pas d'enseigner que la doctrine de l'église catholique est contraire au bien et aux intérêts de la société. Pour fasciner encore plus aisément les peuples, ils osent se vanter d'être les seuls en possession de la connaissance des véritables sources de la prospérité ;

C'est pour cela qu'employant une manière de raisonner déplacée et trompeuse, ils ne cessent d'exalter la force et l'excellence de la raison humaine, de vanter sa supériorité sur la foi très sainte en Jésus-Christ, et qu'ils déclarent audacieusement que cette foi est contraire à la raison humaine. Non, rien ne saurait être imaginé de plus impie

Car, bien que la foi soit au-dessus de la raison, jamais on ne pourra découvrir qu'il y ait opposition et contradiction entre elles deux ; parce que l'une et l'autre émanent de Dieu. Elles se prêtent bien plutôt un tel secours mutuel que c'est toujours à la droite raison que la vérité de la foi emprunte sa démonstration, sa défense et son soutien les plus sûrs ; que la foi, de son côté, délivre la raison des erreurs qui l'assiègent, qu'elle l'illumine merveilleusement par la connaissance des choses divines, la confirme et la perfectionne dans cette connaissance.

Les ennemis de la révélation divine, portent jusqu'aux nues les progrès de l'humanité. Ils voudraient, dans leur audace sacrilège, introduire ce progrès jusque dans l'église catholique : comme si la religion était l'ouvrage non de Dieu, mais des hommes

Jamais hommes si déplorablement en délire ne méritèrent mieux le reproche que Tertullien adressait aux philosophes de son temps : « Le christianisme que vous mettez en avant n'est autre que celui des stoïciens, des platoniciens et des dialecticiens ». […]

Mais Vous connaissez encore aussi bien comment ils voudraient fouler également aux pieds les droits de la puissance sacrée et de l'autorité civile. C'est à ce but que tendent ces criminels

… Animé d'une juste émulation du zèle et des saints exemples de ses prédécesseurs, Grégoire XVI, a condamné par ses Lettres apostoliques les mêmes sociétés secrètes que Nous entendons aussi déclarer condamnées et flétries par Nous."                     Qui Pluribus

Pie IX - 8 décembre 1849 -  Quibus Quantique

"La Révolution est inspirée par Satan lui-même. Son but est de détruire de fond en comble l'édifice du christianisme et de reconstruire sur ses ruines l'édifice social du paganisme."

Léon XIII 20 avril 1884 - Encyclique Humanum Genus

"A notre époque, les fauteurs du mal paraissent s'être coalisés dans un immense effort, sous l'impulsion et avec l'aide de la société des francs-maçons. Ceux-ci, en effet, ne prennent plus la peine de dissimuler leurs intentions de ruiner la Sainte Eglise.
Gémissant à la vue de ces maux Nous Nous sentons souvent porté à crier vers Dieu :  « Seigneur, voici que vos ennemis ont ourdi contre votre peuple des complots pleins de malice. Oui, venez et chassons-les du sein des nations [Psaumes, 82:24]. »

Cependant, en un si pressant danger, en présence d'une attaque si cruelle et si opiniâtre livrée au christianisme, c'est Notre devoir de signaler le péril, de dénoncer les adversaires, d'opposer toute la résistance possible à leurs projets et à leur industrie, d'abord pour empêcher la perte éternelle des âmes dont le salut Nous a été confié ; puis, afin que le royaume de Jésus-Christ, que Nous sommes chargé de défendre, non seulement demeure debout.

Nos prédécesseurs eurent bien vite reconnu cet ennemi capital au moment où il s'élançait à l'assaut en plein jour. Sachant ce qu'il était, ce qu'il voulait, et lisant pour ainsi dire dans l'avenir, ils donnèrent aux princes et aux peuples le signal d'alarme. […].
En présence de ces faits, il était tout simple que ce Siège Apostolique dénonçât publiquement la secte des francs-maçons, comme une association criminelle, non moins pernicieuse aux intérêts du christianisme qu'à ceux de la société civile. Il édicta donc contre elle les peines les plus graves dont l'Eglise a coutume de frapper les coupables, et interdit de s'y affilier."       Humanum Genus

Pie X - 11 février 1906 -     Vehementer nos

"Vous savez le but que se sont assigné les sectes impies qui courbent vos têtes sous leur joug: "Décatholiciser la France".

Elles veulent arracher de vos cœurs la foi qui a comblé vos pères de gloire, la foi qui a rendu votre patrie prospère et grande parmi les nations

C'est de toute votre âme, vous le sentez bien, qu'il vous faut défendre cette foi.
Si vous voulez dans la limite de vos forces, et comme c'est votre devoir impérieux, sauver la religion de vos ancêtres des dangers qu'elle court, vous inclinerez Dieu à se montrer de plus en plus charitable vis-à-vis de vous. Quant à la défense de la religion, deux choses importent avant tout : vous devez d'abord vous modeler si fidèlement sur les préceptes de la loi chrétienne que vos actes et votre vie tout entière honorent la foi dont vous faites profession ; vous devez ensuite demeurer très étroitement unis avec ceux à qui il appartient en propre de veiller ici-bas sur la religion, avec vos prêtres, avec vos évêques et surtout avec ce siège apostolique, qui est le pivot de la foi catholique et de tout ce qu'on peut faire en son nom.."                                                 

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