Tradition Hermétique et Franc-Maçonnerie
Dans
l’ancien manuscrit maçonnique Cooke
(circa 1400) de la Bibliothèque
Britannique, l’on peut lire aux
paragraphes 281-326 que toute la sagesse antédiluvienne
était écrite sur deux
grandes colonnes. Après le déluge de
Noé, l’une d’elles fut
découverte par
Pythagore et l’autre par Hermès le Philosophe, qui
se consacrèrent à enseigner
les textes qui y étaient gravés. Le manuscrit
concorde parfaitement avec ce
dont témoigne une légende égyptienne,
déjà rapportée par
Manéthon, et que le
Cooke lui-même rattache aussi à
Hermès.
Il
est
évident que ces colonnes, ou ces obélisques,
assimilées aux piliers J. et B.,
sont celles qui soutiennent le temple maçonnique tout en
permettant d’y
accéder, et qu’elles constituent les deux grands
affluents sapientiels qui
nourriront l’Ordre :
l’hermétisme qui assurera la protection du dieu
à
travers la Philosophie, c’est-à-dire la
Connaissance, et le pythagorisme qui
donnera les éléments arithmétiques et
géométriques nécessaires,
réclamés par le
symbolisme constructif ; il faut considérer que ces
deux courants sont,
directement ou indirectement, d’origine
égyptienne. Notons également que ces
deux colonnes sont les jambes de la Loge Mère, entre
lesquelles naît le
Néophyte, c’est-à-dire par la sagesse
d’Hermès, le grand Initiateur, et par
Pythagore, l’instructeur gnostique.
En
fait, dans la plus ancienne Constitution Maçonnique
éditée, celle de Roberts,
publiée en Angleterre en 1722 (et donc antérieure
à celle d’Anderson), mais qui
n’est que la codification d’anciens us et coutumes
opératifs qui viennent du
Moyen Âge, et qui seront développés par
la suite dans la Maçonnerie
spéculative, il est spécifiquement fait mention
d’Hermès, dans la partie
intitulée « Histoire des
Francs-maçons ». En effet, il
apparaît là
dans la généalogie maçonnique sous ce
nom, ainsi que sous celui de Grand
Hermarines, fils de Sem et petit-fils de Noé, qui trouva
après le déluge les
colonnes de pierre déjà citées
où se trouvait inscrite la sagesse antédiluvienne
(atlantique) et lut (déchiffra) sur l’une
d’elles ce qu’il enseignerait plus
tard aux hommes. L’autre pilier fut, comme nous
l’avons dit, interprété par
Pythagore en tant que père de
l’Arithmétique et de la
Géométrie, éléments
essentiels dans la structure de la loge, et par conséquent
ces deux personnages
constituent l’alma mater de
l’Ordre, en particulier dans son aspect
opératif, lié aux Arts Libéraux.
Dans
le manuscrit Grand Lodge nº1 (1583), seule
subsiste la colonne d’Hermès,
retrouvée par « le Grand
Hermarines » (qui est fait descendant de
Sem) « qui fut plus tard appelé
Hermès, le père de la
sagesse ».
Notons que Pythagore ne figure plus en tant
qu’interprète de l’autre colonne.
Dans le manuscrit Dumfries nº 4 (1710) il
apparaît également, comme « le
grand Hermorian », « qui fut
appelé ‘le père de la
sagesse’ »,
mais dans ce cas, l’on a rectifié son origine
d’après le texte biblique qui le
fait descendre de Cham et non de Sem, par
l’intermédiaire de Cusch ; comme
le dit J,-F. Var dans La
Franc-Maçonnerie : Documents
Fondateurs, éditions de L’Herne, p. 207,
n.33 : « Or, dans la
Genèse (10, 6-8), Cusch est le fils de Cham et non celui de
Sem. Le rédacteur
du Dumfries a rectifié la filiation en
conséquence. Dans le même temps,
cette filiation résulte être celle que
l’Écriture donne à Nemrod. De
là
l’assimilation de Hermès à Nemrod,
contrairement à d’autres versions qui en
font deux personnages bien distincts. » (traduit du
castillan).
C’est
également ce que met en avant le manuscrit qui a
été nommé Regius,
découvert par Haliwell au Musée Britannique en
1840 et que reproduit J. G.
Findel dans l’Histoire
Générale de la Franc-Maçonnerie
(1861), dans son
ample première partie qui traite des origines
jusqu’en 1717, bien que ce n’y
soit pas Pythagore l’herméneute qui, avec
Hermès, déchiffre les mystères dont
hériteront les maçons, sinon Euclide, qui est
fait fils d’Abraham ; à ce
sujet, rappelons que le théorème du triangle
rectangle de Pythagore fut énoncé
dans la quarante-septième proposition
d’Euclide. Findel
lui-même, se référant à la
quantité d’éléments
gnostiques et opératifs qui
constituent la Maçonnerie, et s’occupant
concrètement des carriers allemands,
affirme : « Si la conformité qui
résulte entre l’organisme social,
les usages et les enseignements de la Franc-Maçonnerie et
ceux des compagnies
de maçons du Moyen Âge indique
déjà l’existence de relations
historiques entres
ces diverses institutions, les résultats des investigations
menées dans les
arcanes de l’histoire et le concours d’une
multitude de circonstances
irrécusables établissent de façon
positive que la Société des
Francs-maçons
descend, directement et immédiatement, de ces compagnies de
maçons du Moyen
Âge. » Et il ajoute :
« L’histoire de la
Franc-Maçonnerie et de
la Société des Maçons est ainsi
intimement liée à celle des corporations de
maçons et à l’histoire de
l’art de construire au Moyen Âge ; il est
donc
indispensable de jeter un bref coup d’œil
à cette histoire pour arriver à celle
qui nous occupe. »
Ce
qui
est intéressant dans ces références
venues d’Allemagne, c’est que son Histoire
Générale est
considérée comme la première histoire
(au sens moderne du
terme) de la Maçonnerie, et dès le commencement
l’auteur établit que :
« L’histoire de la
Franc-Maçonnerie, de même que l’histoire
du monde, est
fondée sur la tradition ». Il
apparaît
donc comme évident que les Anciens Us et Coutumes, les
symboles et les rites et
les secrets du métier, se sont transmis sans solution de
continuité depuis des
temps reculés et, bien sûr, dans les corporations
médiévales, et le passage
d’opératif
à spéculatif n’a
été que l’adaptation de
vérités transcendantales à de
nouvelles circonstances cycliques, en observant que le terme
opératif ne se
réfère pas seulement au travail physique ou de
construction, de projection ou
de programmation matériel et professionnel des travaux, mais
aussi à la
possibilité donnée à la
Maçonnerie d’opérer
la Connaissance chez
l’initié, au moyen des outils que donne la Science
Sacrée, ses symboles et ses
rites. C’est précisément là
ce qu’offre la Maçonnerie en tant
qu’Organisation
Initiatique, et se trouve confirmé par la
continuité du passage traditionnel
qui permet que l’on puisse trouver également dans
la Maçonnerie spéculative, de
manière réflexe, la vertu opérative et
la communication avec la Loge Céleste,
c’est-à-dire la réception de ses
effluves qui sont les garants de toute
véritable initiation, à plus forte raison lorsque
les enseignements émanent du
dieu Hermès et du sage Pythagore. De toutes
façons,
aussi bien l’une que l’autre sont des branches
d’un tronc commun qui prend les Old
Charges (Les Anciens Devoirs) comme
modèle ; de ces derniers, ont
été
trouvés de très nombreux fragments et manuscrits
sous forme de rouleaux, depuis
le XIVe siècle, dans diverses bibliothèques.
Quant
à Hermès, non mentionné dans les
constitutions d’Anderson, en particulier
l’Hermès Trismégiste grec (le Thot
égyptien), c’est une figure aussi
familière
à la Maçonnerie des plus divers rites et
obédiences qu’elle pourrait
l’être
pour les alchimistes, forgerons de l’immense
littérature placée sous leur
égide. Non seulement l’Hermétisme est
le thème d’abondantes planches et livres
maçonniques, et d’innombrables loges
s’appellent Hermès, sinon qu’il existe
des
rites et des grades qui portent son nom. Il y a ainsi un Rite
appelé Les
Disciples d’Hermès ; un autre
le Rite Hermétique de la loge
Mère Écossaise d’Avignon (qui
n’est pas celle de Dom Pernety), Philosophe
d’Hermès est le titre d’un
Grade dont le catéchisme se trouve dans les
archives de la « loge des amis réunis de
Saint Louis », Hermès
Trismégiste est un autre grade archaïque
que nous rapporte Ragon, Chevalier
Hermétique est un niveau hiérarchique
contenu dans un manuscrit attribué au
frère Peuvret dans lequel l’on parle aussi
d’un autre appelé Trésor
Hermétique, qui correspond au grade 148 de la
nomenclature dite de
l’Université, où il en existe
d’autres comme Philosophe Apprenti
Hermétique,
Interprète Hermétique, Grand Chancelier
Hermétique, Grand Théosophe Hermétique (correspondant
au grade 140), Le Grand Hermès, etc.
Dans le Rite de Memphis également,
le grade 40 de la série Philosophique s’appelle Sublime
Philosophe
Hermétique, et le grade 77 (9ème série)
du Chapitre Métropolitain est
nommé Maçon Hermétique. Dans l’actualité,
les revues
et dictionnaires maçonniques ne manquent pas non plus de
références directes à
la Philosophie Hermétique et au Corpus Hermeticum, auquel
celle-ci se trouve liée, mais se retrouvent
également des analogies avec la
terminologie alchimique ; en voici un seul exemple, extrait du
Dictionnaire
de la Franc-Maçonnerie de D. Ligou (p.
571) : « Nous citerons une
interprétation hermétique de quelques termes
utilisés dans le vocabulaire
maçonnique : Soufre
(Vénérable), Mercure (1er Surveillant),
Sel (2ème Surveillant),
Feu (Orateur), Air (Secrétaire), Eau (Hospitalier), Terre
(Trésorier). L’on
trouve ici les trois principes et les quatre
éléments des alchimistes. »
Ce
qui
fait qu’Hermès et
l’Hermétisme sont une
référence habituelle dans la
Maçonnerie, comme l’est aussi Pythagore et la
géométrie. D’autre part, ces deux
courants historiques de pensée viennent, à
travers la Grèce, Rome et
Alexandrie, de l’Égypte la plus lointaine, et par
son intermédiaire, de
l’Atlantide et de l’Hyperborée, comme
c’est en fin de compte le cas de toute
Organisation Initiatique, capable de relier l’homme
à son Origine. Et il va de
soi que cette impressionnante généalogie qui
compte les dieux, les sages (les
prêtres) et les rois (aussi bien de Tyr et
d’Israël que
d’Écosse : la
royauté ne dédaignait pas la construction et le
roi était un maître opérateur
de plus) constitue un domaine sacré, un espace
intérieur construit de silence,
lieu où deviennent effectives toutes les
virtualités, et où l’Être
Universel
peut ainsi se refléter de façon spéculative.
La loge maçonnique, comme
on le sait, est une image visible de la loge Invisible, tout comme le
Logos est
le déploiement de la Tri-unité des Principes.
L’influence
du dieu Hermès et les idées du sage Pythagore
n’ont pas totalement disparu de
ce monde crépusculaire que nous habitons, elles sont en fait
tout ce qu’il en
reste y n’oublions pas que les alchimistes assimilent
Jésus au Mercure Solaire,
au moins en Occident. D’autre part, sans elles le monde ne
pourrait pas même
exister, aussi bien dans le domaine des énergies
perpétuellement
régénératrices
attribuées à Hermès et à sa
Philosophie, que dans celui des idées-force
pythagoriciennes, dont l’ordre numérique (et
géométrique) est aujourd’hui
indispensable à la plus simple des opérations.
La déité est
immanente en tout être, et les Enfants de la Veuve, les fils
de la lumière, la
reconnaissent au sein de leur propre loge, faite à
l’image du Cosmos. La racine
H. R. M. est commune aux noms Hermès et Hiram, ce dernier
formant avec Salomon
un parèdre où se conjuguent la sagesse et la
possibilité (la doctrine et la
méthode), la Tradition (Kabbale)
hébraïque, qui vît naître
Jésus, se signalant
comme le vecteur de cette révélation
sapientielle, royale et artistique
(artisanale) que constitue la Science Sacrée, apprise et
enseignée dans la loge
par les symboles et les rites,
« livre » codé que les
Maîtres
déchiffrent aujourd’hui, ainsi que le firent leurs
ancêtres dans les temps
mythiques, puisque la Maçonnerie n’octroie pas la
Connaissance en soi sinon
qu’elle montre les symboles et indique les voies pour y
accéder, avec la
bénédiction des rites ancestraux, qui agissent
comme les transmetteurs
médiatiques de cette Connaissance.
Autrement dit que l’actualisation de la
possibilité, c’est-à-dire
l’Être,
l’assurance que tout est vivant, que le Présent
est éternel, la simultanéité du
Temps, la notion de Tri-unité du Seul et Unique, constituent
une Connaissance
que les francs-maçons atteignent par
l’expérience que procure un apprentissage
graduel et hiérarchisé.
Le
Maître Constructeur emporte partout sa loge
intérieure, c’est ce qu’il est
lui-même, un Cosmos en miniature, conçu par le
Grand Architecte de l’Univers.
Mais l’œuvre est inachevée, sa pierre
brute doit encore être polie (par la
Science et l’Art) de même que le
Créateur a ciselé son Œuvre. Les
nombres et
les figures géométriques symbolisent des concepts
métaphysiques et ontologiques
qui représentent également des
réalités humaines concrètes et
immédiates, aussi
nécessaires que les activités physiologiques, et
à partir de là toutes les
autres. Le nombre établit la notion
d’échelle, de proportion et de rapport,
ainsi que de rythme, de mesure et d’harmonie, car ce sont les
canaux percés par
l’Unité vers
l’indéfinité numérique, vers
les quatre points de l’horizon
mathématique et la multiplicité. Il est
évident que Pythagore et Thalès de
Milet n’ont rien
« inventé », mais
qu’ils ont reconnu, dans la série
décimale qui retourne à son Origine (10 = 1 + 0 =
1), une échelle naturelle,
une ascèse qui permettrait à
l’être humain de compléter
l’Œuvre et d’opérer
ainsi la transmutation en Homme Véritable, paradigme de tout
Initié, situé dans
la Chambre du Milieu, entre l’équerre et le compas. Il n’y a
pas
eu de Tradition qui n’ait développé un
système numéral qui lui serve de
méthode
de connaissance, en parfait accord avec les règles de la
création. Rappelons
que le toit de la loge est décoré par les astres,
les Régents, qui gouvernent
les sphères célestes et établissent
les intervalles et les mesures de
l’Harmonie Universelle.
Les
maçons n’ont cependant jamais cessé de
reconnaître la phrase
évangélique : « Il
y a plusieurs demeures dans la maison de mon
Père » (Saint Jean 14, 2), car
s’ils savent que devant eux s’ouvre un
sentier qui les conduira à leur Père, il ne
rejettent pas d’autres chemins ni
s’opposent à aucune voie, car ils croient que les
structures invisibles sont
les mêmes, prototypes valables pour tout temps et tout lieu,
malgré la
constante adaptation de formes distinctes aptes à
différentes individualités,
la plupart du temps déterminées par les cycles
temporels dont tout être vivant
pourrait donner l’exemple, comme l’être
humain et ses modifications et
adaptations au cours des années, cycles auxquels la
Maçonnerie n’échappe pas
non plus, comme cela peut se vérifier dans sa lente
transformation qui se
concrétise finalement au XVIIIe siècle. Et
c’est par la même compréhension de
ses possibilités métaphysiques et initiatiques
que la Franc-Maçonnerie
reconnaît d’autres Traditions, et laisse
également la porte ouverte à la
pratique de n’importe quelle croyance religieuse, ou pseudo
religieuse, à ses
membres, beaucoup desquels concilient leur processus de Connaissance
lire
Initiation avec la pratique de préceptes et
cérémonies religieuses exotériques
et légales qu’ils croient pouvoir enrichir leur
passage et celui des autres
dans ce monde. Il n’y a donc pas de conflit entre
Maçonnerie et Religion, à
condition de ne pas tenter d’en mêler les concepts
ni de prétendre, comme cela
est déjà arrivé, que certains
fondamentalistes (religieux ou non) essaient
d’accaparer les loges à leur profit personnel. De
fait, de nombreux
hermétistes, pythagoriciens et maçons ont
été, et sont, des chrétiens
accomplis, ou bien de grands kabbalistes, et tous ont
considéré les symboles
comme leurs maîtres. L’Église Catholique
n’a jamais condamné
l’Hermétisme ni
Euclide, héritier de la science
géométrique pythagoricienne et maître
des
francs-maçons, mais elle a en revanche eu des
problèmes avec la Maçonnerie
depuis le XVIIIe siècle, au point de la condamner et
d’excommunier ses membres.
Il s’est produit néanmoins ces derniers temps un
rapprochement progressif entre
les deux institutions, éclaboussé ici et
là d’incompréhensions et
d’interférences, souvent
intéressées. Selon José A. Ferrer
Benimelli, S.J., la
revue La Civilittà Cattolica de Rome,
publiée dès 1852 et qui a suivi le
thème de la Franc-Maçonnerie
jusqu’à nos jours, révèle
dans sa propre évolution
ce processus de rapprochement, ou au moins de respect mutuel. En effet,
les
premiers articles sont violents et condamnatoires, suit une
période de
transition, et ceux des dernières années sont
assez conciliatoires et ouverts
au dialogue.
Nombreux
sont les maçons catholiques, beaucoup d’entre eux
français, qui ont tenté
depuis des années de concilier les deux institutions et de
lever
l’excommunication ; il y a cependant bien
d’autres auteurs maçonniques qui
intègrent complètement la Tradition
Hermétique dans leur Ordre sans avoir
besoin d’exotérisme religieux. Tel est le cas
d’Oswald Wirth, directeur pendant
de nombreuses années de la revue Le Symbolisme
et maçon reconnu, qui a
écrit sur les Symboles de la Tradition Hermétique
et les symboles
maçonniques : Le Symbolisme
Hermétique par rapport à l’Alchimie et
la Maçonnerie, montrant de
nombreux aspects de leur Origine identique ; quant aux
maçons qui ont
publié ces dernières années, aussi
bien sur les différents grades que sur les
Nombres, nous voudrions citer tout d’abord Raoul Berteaux,
parmi un groupe
notable qui a amplement traité de l’Arithmosophie,
pythagoricienne à la base.
Hermès, à qui est attribué
l’enseignement de toutes les sciences, a joui d’un
grand prestige au cours de diverses périodes de
l’histoire de la culture
d’occident. Cela a été le cas parmi les
alchimistes et lesdits philosophes
hermétiques, et les mêmes notions se sont
manifestées dans l’Ordre des Frères
Rose-croix, influences toutes recueillies par la Maçonnerie
à tel point que
l’on peut la considérer comme le
dépôt de la sagesse pythagoricienne et
responsable de sa transmission au cours des derniers
siècles, ainsi que comme
la réceptrice des Principes Alchimiques, tout comme des
idées Rosicruciennes, ce qui est une
évidence lorsque l’on peut vérifier
facilement que l’un des plus hauts grades
du Rite Écossais Ancien et Accepté, le 18,
s’appelle précisément Prince
Rosecroix. Des analogies et des connexions avec les Ordres de
Chevalerie sont
également réclamées par certains
maçons, concrètement avec l’Ordre du
Temple.
Il existe de nombreux indices historiques qui prouveraient ces germes,
ainsi
que des rites et des traditions, en particulier l’un des mots
de passage au
grade 33, mais qui s’affaiblissent assez lorsque
l’on se souvient que les
templiers étaient à la fois moines et soldats
(quoique grands constructeurs
médiévaux), ce qui n’a aucun rapport
apparent avec la Maçonnerie, dans laquelle
l’on observe par ailleurs une très nette influence
hébraïque que nous avons
déjà signalée au sujet de Salomon et
de la Construction du Temple, et qui se
voit confirmée en vérifiant simplement que
presque tous les mots de passage et
de grade, secrets sacrés, sont prononcés en
hébreu.
Dans
le Dictionnaire Encyclopédique de la
Maçonnerie (Ed. del Valle de
México, Mexico D.F.), qui est peut-être le plus
connu en langue espagnole, nous
trouvons sous le titre
« Hermès »
l’entrée correspondante, dans
laquelle l’on peut observer l’importance
attribuée au Corpus Hermeticum
qui, dans certaines loges sud-américaines, occupe la place
de la Bible en tant
que livre sacré. Le rapport entre Hermès et le
silence est bien connu, et l’on
qualifie d’hermétique se qui se trouve
parfaitement clos, ou scellé. Le silence
est également une caractéristique de la
Franc-Maçonnerie ainsi que des
pythagoriciens qui passaient cinq ans à le cultiver.
Élias
Ashmole est aussi un digne point de confluence entre
l’Hermétisme et la
Maçonnerie. Cet extraordinaire personnage, né
à Lichfield, Angleterre, en 1617,
semble avoir joué un rôle important dans la
transition entre l’ancienne
Maçonnerie, antérieure à
Anderson-Désaguliers, et son ultérieure
projection
historique, en voie de récupérer la majeure
partie du message
spirituel-intellectuel, c’est-à-dire gnostique (au
sens étymologique du terme),
des authentiques organisations initiatiques, parmi lesquelles la
Franc-Maçonnerie et l’Ordre de la
Jarretière. Il fut reçu dans la loge de
Warrington le 16 octobre 1646 bien que, d’après
son journal, il n’assista que
plusieurs années plus tard à sa seconde tenue. Il
ne faut cependant pas
s’étonné de ce comportement chez une
personnalité comme la sienne, produit de
l’ambiance de l’époque, où le
culte du secret et du mystère était habituel pour
des raisons évidentes de sécurité et
de prudence. En 1650, il publia son Fasciculus
Chemicus sous le nom anagrammatique de James
Hasolle ; il s’agit de la
traduction de textes d’Alchimie en latin (dont certains de
Jean d’Espagnet)
avec sa préface. En 1652, il édita le Theatrum
Chemicum Britannicum, une
collection de textes alchimiques anglais en vers, qui réunit
beaucoup des
pièces les plus importantes de celles produites dans ce
pays, et, six ans plus
tard, The Way to Bliss, tout en travaillant
à des recherches
documentaires littéraires en tant qu’historien et
développant son activité
d’antiquaire en réunissant dans un
musée toute sorte de
« curiosités » et
« raretés » se
rapportant à l’archéologie
et l’ethnologie, ainsi que des collections
d’Histoire Naturelle, comprenant des
espèces minérales, botaniques et zoologiques en
tout genre. En réalité, ce fut
là l’objectif scientifique du musée
(où l’on a même
réalisé les premières
expériences scientifiques d’Angleterre), dont
l’on visite aujourd’hui les
magnifiques installations d’Oxford davantage comme
musée artistique que comme
institution précurseur de la science et auxiliaire de
l’Université. La vie
d’Ashmole a été très
liée à celle d’Oxford, et les fonds de
ses donations d’objets
et de manuscrits à l’institution qui porte son nom
(où se trouvent également
les volumes de son journal, rédigés dans un
système chiffré et qui contiennent
de nombreuses notes sur la Maçonnerie) ont
été d’une
immense importance pour cette ville en raison de son prestige
universitaire.
Ashmole joua un rôle considérable à
Oxford ainsi qu’à Londres : produit de
son époque, il s’est consacré
à la science naturelle et expérimentale comme une
forme de magie des transmutations, tout comme de nombreux philosophes
hermétiques. Il a ainsi été en rapport
avec des Astrologues, des Alchimistes,
des Mathématiciens et toute sorte de savants et de
dignitaires de l’époque,
avec lesquels il formera la Royal Society de Londres et la
Philosophical
Society d’Oxford. Ses nombreux amis et compagnons de toute
une vie portent des
noms illustres, beaucoup desquels étaient liés
à la Maçonnerie aux plus hauts
grades, comme Christopher Wren, ou aux recherches et exercices sur les
Arts
Libéraux et la Science Sacrée, et constituaient
un ensemble de personnalités
qui jouèrent un rôle fondamental en leur temps, en
particulier en ce qui
concerne la diffusion et la pratique de la Tradition
Hermétique et ses liens
avec la Franc-Maçonnerie. Ainsi que le disait
René Guénon au sujet du rôle
d’Ashmole : « Nous pensons
même que l’on chercha au XVIIe siècle
à
reconstituer à ce sujet une tradition qui
s’était en grande partie
perdue ». Le nom de E. Ashmole brille sur cet
extraordinaire travail à
deux aspects : comme l’un des reconstructeurs de la
Maçonnerie quant à son
rapport avec les ordres de Chevalerie et les corporations de
constructeurs,
ainsi que comme confluent avec la Tradition Hermétique.
Ashmole se donnait
lui-même le nom de fils de Mercure (Mercuriophilus
Anglicus), et son
œuvre la plus importante, que nous avons
déjà citée, The Way to Bliss,
1658, recueille ses travaux sur la Philosophie Hermétique,
ainsi qu’il
l’indique lui-même au lecteur dans son introduction.
Il
faut également signaler que certains auteurs
s’interrogent au sujet du
catholicisme et du protestantisme dans le processus de passage de la
Maçonnerie
opérative à la Maçonnerie
spéculative. Le propos est
généralement simplifié en
déclarant que les corporations opératives
étaient catholiques et les
spéculatives qui suivirent, protestantes. Il est
évident que du point de vue
historique, ces faits peuvent s’avérer plus ou
moins « réels »
puisque l’Ordre, comme toute institution, est sujet
à certains va-et-vient
cycliques qui se manifestent dans les sphères sociales,
politiques,
économiques, etc. Mais du point de vue de la
Franc-Maçonnerie en tant
qu’organisation initiatique, elle n’est pas
assujettie au devenir, raison pour
laquelle elle subsistera jusqu’à la fin du cycle. En
réalité, la
Tradition Hermétique (et Hermès
lui-même) a subi d’innombrables adaptations au
cours du temps, bien que n’ayant jamais cessé de
s’exprimer, et il est évident
que cette Tradition, tout comme les fondements de la
Maçonnerie, elle-même
identifiée comme la Science de Construire, est
antérieure au Christianisme tout
en ayant coexisté avec durant vingt siècles et
que l’on ait même vu des
hermétistes chrétiens et des chrétiens
hermétiques (parmi lesquels de très
hauts dignitaires, y compris des papes), ce qui
n’empêche pas cette Tradition
d’avoir des antécédents nettement
païens, liés aux écoles de
mystères ou, comme
on les appelle aujourd’hui, les religions
mystériques ; l’on pourrait donc
affirmer que l’hermétisme possède un
versant païen et un autre chrétien. Il
faut à ce sujet préciser que le mot
païen prend à nos oreilles, accoutumées
aux
aspects les plus superficiels des religions abrahamiques, la
connotation de
maudit, illégal, bâtard, ou au minimum de
péché nébuleux. Ou encore
d’ignorance
attribuée au retard de peuples méconnus et qui
n’intéressent même pas. L’on
conçoit généralement le paganisme
comme antagonique d’une opinion civilisée,
souverainement primitif ou allant à l’encontre du
christianisme ou de la
religion, et par conséquent étranger à
toute sorte d’ordre. Le paganisme est en
somme éliminé d’avance par une censure
intérieure, comme quelque chose d’un peu
répugnant, avant que nous ne nous rendions compte
qu’en réalité il ne s’agit
que de la sagesse d’innombrables peuples traditionnels ayant
habité ce monde
avant et pendant les seulement vingt siècles qui
caractérisent ce que l’on
nomme la Civilisation contemporaine.
Nous
supposons que de ce dernier point de vue, presque officiellement
œcuménique, il
n’y a pas d’injure à partager la
pensée païenne, ainsi que l’ont vu des
Pères
de l’Église et de nombreux sages,
prêtres et pasteurs contemporains.
En
réalité, pour l’Hermétisme,
historiquement antérieur au Christianisme, il
existe une Cosmogonie Pérenne, qui se manifeste par sa
philosophie et ses
écrits de la même façon que pour le
maçon, religieux ou non, elle le fait par
ses symboles et ses rites.
Quant
à la relation entre les Francs-maçons et les
corporations de constructeurs et
artisans, il existe trois grands témoignages souvent
cités en tant que sources
documentaires sur la pratique de la construction au Moyen Âge. Nicholas
Coldstream les recueille dans son livre sur la pratique de la
construction au
Moyen Âge, où il
rejette
la notion de filiation
« fantomatique » de la
Franc-Maçonnerie avec
les constructeurs et les artisans médiévaux, (sa
thèse, simple, est que les
maçons étaient des ouvriers et non pas des hommes
de cabinet) malgré que,
paradoxalement, son étude le confirme de plusieurs
manières ; ainsi, il
nous dit à ce sujet : « Il
s’agit du document, rédigé par
l’abbé
Suger, qui relate la construction du nouveau chœur de
l’abbaye de
Saint-Denis ; du manuscrit daté circa
1200, du moine Gervais de
Canterbury, sur l’incendie et la réparation de la
cathédrale de Canterbury, et
de l’Album de Villard de Honnecourt,
ensemble de dessins et de plans
d’édifices, de moulures et de tours
élévateurs. Des trois, le texte de Suger
nous renseigne davantage sur l’homme et la
décoration de son église que sur
l’édifice, bien qu’il y ait, au passage,
quelques précieuses allusions à sa
construction. L’examen attentif de l’Album
de Villard de Honnecourt nous
permet de douter sérieusement que celui-ci ait construit
quelque fois des églises
et qu’il ait eu quelque connaissance en matière
d’architecture ; quant à
ses dessins, s’ils sont intéressants, ce ne serait
cependant pas ceux d’un
architecte ou d’un atelier de maçon. Le texte de
Gervais, au contraire, est
l’unique document médiéval qui
décrive une équipe de maçons au
travail ;
il fournit de nombreuses informations sur la pratique des
maçons et sur
quelques méthodes de construction. »
La
référence à l’Album
de Villard de Honnecourt nous intéresse tout
spécialement. En effet, ce n’est pas la
première fois que l’on signale
certaines caractéristiques quant au fait que ce cahier
n’est pas un manuel de
technologie appliquée, sinon tout à fait autre
chose, beaucoup plus en rapport
avec les notions de la Philosophie Hermétique
notées à l’usage des maîtres
d’œuvre. Et le fait
qu’il existe un document de ce type (document de cabinet plus
qu’autre chose)
est une preuve que la spéculation sur le
symbolisme et le langage
hermétique dans sa version chrétienne avait
déjà des adeptes au début du XIIIe
siècle, qui vit naître, entre autres, les
cathédrales de Chartres et de Reims.
L’on
a
beaucoup écrit sur ce thème et le
débat demeure ouvert ; l’investigateur
en tirera ses propres conclusions, mais ne pourra ignorer la Tradition
Orale et
sa filiation universelle avec le Symbolisme Constructif, qui peut se
manifester
aussi bien en Extrême-Orient qu’en
Égypte ou en Méso-Amérique ;
dans les
« collegia fabrorum »
romains, ou chez les corporations
médiévales, que l’on
considère généralement, faisant
abstraction de toute
référence initiatique ou ayant un rapport avec
les Francs-maçons, comme fermées
et en même temps dépositaires de connaissances
relatives à
« l’office », qui se
transmettaient par le biais des symboles et des
termes d’un langage chiffré.
Il
faut néanmoins tenir compte du fait que
l’influence de la Philosophie
Hermétique, d’une part, et celle des corporations
de constructeurs chrétiens
d’autre part (ainsi que d’autres
déjà mentionnées, comme
l’Ordre du Temple),
n’est pas la même dans les différents
Rites où, sur une base commune, l’on peut
observer quelques filiations penchant vers l’un ou
l’autre de ces aspects. Nous
ne pouvons traiter ici le sujet vaste et complexe de la
diversité des Rites
maçonniques, mais nous pouvons en revanche signaler leur
existence, ainsi que
celle de différents aspects de la Science Sacrée
qui inspirent à certains plus
ou moins de sympathie. Puisque la Maçonnerie est une et
seule, comme est une et
seule la Construction Cosmique, et donc le Symbolisme Constructif, les
interpénétrations d’influences
diverses, leurs oppositions et conjonctions,
forment part de l’ensemble de
déséquilibres et d’adaptations auxquels
doit
faire face l’héritage maçonnique,
véhiculé par la civilisation
judéo-chrétienne. Cela a
déjà eu lieu par le passé et explique
le passage de la
Maçonnerie opérative à la
spéculative comme nous l’avons
déjà dit,
franchissement graduel qui fit que certaines loges
« opératives »
(antérieures à 1717) possédaient des
éléments
« spéculatifs » et que
de nombreuses loges
« spéculatives »
(actuelles) sont en fait
opératives. Il existe même des documents
témoignant de la coexistence de toutes
deux, thème que divers auteurs ont appelé
Maçonnerie de transition. En effet,
après la publication des Constitutions d’Anderson,
un groupe de nombreux maçons
écossais, irlandais et d’autres lieux
d’Angleterre décident de se séparer de
la
Grande Loge fondée à Londres (et qui
débuta avec quatre loges seulement), leurs
différences portant en partie sur certaines
altérations de signification, voire
rituelles, auxquelles ne sont pas étrangères les
distinctions religieuses, et
créent même une espèce de
Fédération de l’Ancienne
Maçonnerie qui ne renouerait
ses relations avec les Anglais qu’après plusieurs
dizaines d’années, mais en
conservant ses points de vue traditionnels plus en rapport avec le mode
opératif ou initiatique qu’avec le
spéculatif ou allégorique ; il faut
ajouter à cela les problèmes de succession au
trône d’Angleterre auquel
prétendait Jacques, écossais et catholique, qui
avait de nombreux partisans,
non seulement dans les îles mais aussi sur tout le continent.
Quoiqu’il
en soit, cette situation de diversité de Rites se retrouve
dans les différents
degrés, qui varient en nombre, appellation et condition,
selon les différentes
formes maçonniques. Ce sujet est intéressant mais
il nous semble prioritaire de
rappeler que ces grades (qu’ils soient au nombre de trois,
sept, neuf ou
davantage) représentent des étapes dans le
Processus de Connaissance, ou
d’Initiation, et que ces passages ou états sont
synthétisés et désignés
dans la
Franc-Maçonnerie par les noms d’Apprenti,
Compagnon et Maître, correspondant
aux trois mondes : physique, psychique et spirituel. Ces trois
grands
degrés contiennent en synthèse tous les autres
grades, dont la plupart n’en
sont parfois que des spécifications ou des prolongations.
Mais il est clair que
la division est hiérarchique et qu’elle
s’effectue au sein d’un ordre rituel
qui correspond symboliquement à ces étapes de
l’Initiation ou Voie de la
Connaissance. Mais il n’y a pas non plus de pouvoir central
regroupant toute la
Maçonnerie, bien qu’il existe des Grandes Loges
extrêmement puissantes avec
tout un passé traditionnel, et les différentes
Obédiences et Rites conservent
une attitude de respect mutuel, puisque tous descendent d’un
tronc commun.
Cette
espèce d’indépendance, si
l’on peut la nommer ainsi, est également
très nette
au sein de chaque loge, où les symboles sont ou non
opératifs, où les rites
prescrits sont ou non pratiqués.
L’Unité maçonnique se produit
fondamentalement
dans l’Atelier, projection du Cosmos, quelle que soit
l’Obédience à laquelle il
appartient.
Il
nous reste à mentionner que ces trois degrés
constituent ce que l’on appelle la
Maçonnerie Bleue ou Symbolique. Au-dessus se trouvent les
Hauts Grades, système
de hiérarchies qui n’est pas pris en
considération dans certaines Obédiences ni
accepté par certains Rites. Il faut également
savoir que le passage d’un grade
à l’autre signifie que l’on commence
à s’initier au grade obtenu ; ainsi,
si un Compagnon reçoit le grade de Maître,
c’est qu’il débute son initiation
à
ce degré. De même, les grades sont permanents et
l’on ne perd jamais ceux que
l’on a acquis au cours d’une carrière
maçonnique normale.
Nous
devons à présent mentionner un peu plus
l’Alchimie en tant qu’influence
présente dans l’Ordre Maçonnique. Nous
avons déjà signalé que Soufre, Mercure
et Sel, les principes alchimiques, se trouve directement
incorporés dès les
premiers degrés.
L’Alchimie
a en commun avec la Maçonnerie le développement
intérieur, tendant vers la
Perfection, que les alchimistes considéraient comme
l’objet de leurs efforts
(puisque la Nature n’avait pas achevé son
Œuvre, que l’Artiste ou Adepte devait
compléter), tout comme les Maçons les buts
ultimes de la Franc-Maçonnerie, qui
comprennent la mort et sa conséquence
régénération à un autre
niveau ou état de
conscience.
D’un
autre côté, les amis de la Philosophie
Hermético-Alchimique ont l’habitude de
dire entre eux que le dernier grand Alchimiste (et écrivain
en la matière) fut
Irénée Philalèthe, au XVIIe
siècle. Cela est assez vrai dans un sens, sauf que
l’on n’observe pas très clairement que,
dès lors et jusqu’à présent,
cette
Tradition ne s’interrompt pas, sinon qu’elle se
transforme, et énormément de
ses enseignements et symboles passent à la
Maçonnerie à titre de transmetteur
de l’Art Réel et de la Science Sacrée,
aussi bien dans les trois degrés de base
que dans la hiérarchie des hauts grades.
D’après René Guénon, ces
hauts grades
sont une prolongation de l’étude et de la
méditation sur les symboles et
rituels (certains d’entre eux sont appelés
philosophiques), nés de
l’intérêt de nombreux maçons
à développer et rendre effectives les
possibilités
qu’offre l’Initiation ; pour cette raison,
l’utilité pratique de ces
grades est indubitable et ils constituent la hiérarchie
couronnant le processus
de la Connaissance, toujours en fonction du caractère
initiatique de
l’organisation, comme nous le fait observer
l’auteur, qui nous met aussi en
garde contre le danger existant que ces grades se consacrent
à des problèmes
sociaux ou politiques, mutables par nature et donc distants des
fondations du
Temple maçonnique, construit en pierre. (Voir
« René
Guénon » :
article « Les
Hauts Grades »).
Tout
comme dans le symbolisme Alchimique, le soleil et la lune jouent dans
le
symbolisme maçonnique un rôle fondamental et on
les retrouve en des endroits
aussi essentiels que les tableaux et la décoration des loges
(placés à
l’Orient). Il s’agit bien sûr des
principes actif et passif correspondant
également aux colonnes Jakin et Boaz, qui signalent ainsi
l’opposition de ces
énergies en même temps que leur conjonction en un
axe invisible d’où est tendu
le fil à plomb du Grand Architecte de l’Univers.
Sans laisser de côté la
primauté de cette signification
générale, il faut aussi tenir compte de la
réalité de ces astres, car il existe un
calendrier maçonnique dont les deux
extrêmes représentent, comme presque toutes les
Traditions, les solstices d’été
et d’hiver, fêtes des deux Saint Jean, qui marquent
les limites du parcours du
soleil, signalant aussi les points intermédiaires
correspondant aux équinoxes
sur la roue du temps, et nous introduisent dans la doctrine des rythmes
et des
cycles. Il existe par ailleurs une prééminence
entre ces deux luminaires,
puisque la lune brille grâce à la
lumière du soleil, notion qui n’est pas
étrangère à la Tradition
Hermétique et à la Kabbale, tous deux
étant utilisés
d’une façon générale pour
désigner des degrés de Connaissance, ou des
étapes du
parcours initiatique. Jean Tourniac, dans le prologue du
célèbre Tuileur de
Vuillaume note, en faisant
référence aux cycles,
l’assimilation du parèdre lune-soleil à
celui des symbolismes solaire et
polaire. Cette association, qui possède d’infinies
voies de développement,
pourrait également se rapporter à deux aspects de
la maçonnerie incarnés dans
les figures mythiques de Salomon (solaire) et de Pythagore (polaire),
lesquels
auraient à leur tour, et cela Tourniac ne le dit pas, une
certaine analogie
avec les grades symboliques (Maçonnerie Bleue) et les Hauts
Grades, ou c’est en
tout cas ce que fut prétendu par ceux qui
instaurèrent ces derniers.
La
littérature sur la Maçonnerie ou les
investigations historiques portant sur
l’Ordre comprennent généralement les
auteurs, les milieux et les écrits
antimaçonniques, le panorama au sujet de ses origines et ses
buts étant si
confus qu’il s’est créé une
suite de « légendes »
parallèles, faisant
que certains investigateurs aient du mal à traverser une
espèce de frontière
« maudite » et invisible qui
répond aux « légendes
obscures » au sujet de la
Franc-Maçonnerie, comme celles divulguées en
France par Léo Taxil, beaucoup ayant leur origine dans le
catholicisme. Un
autre genre de critiques, ne se référant pas
à son contenu spirituel, est fondé
sur les agissements politiques et économiques de certaines
loges qui, utilisant
la structure maçonnique et s’abritant
derrière l’indépendance des Ateliers,
ont
ainsi profité de l’Ordre et du public, projetant
une image déformée de la
Maçonnerie. Il faut bien reconnaître que cela a
été le cas à plusieurs
occasions, bien qu’en même temps cela arrive depuis
des années à toutes les
institutions, dont la décomposition est évidente.
Dans quelques sociétés,
l’Ordre jouit encore du prestige qu’il avait par le
passé et, dans certains
pays, sa force spirituelle, gestionnaire de grandes entreprises, a
laissé des
traces visibles qui sont suivies aujourd’hui. Il y a parfois
des maçons qui ne
connaissent pas encore la Maçonnerie, ou qui croient
qu’il s’agit d’autre
chose, de plus concret et plus matériel, mais tous assument
leur devise :
Liberté, Égalité,
Fraternité, et accomplissent leur Rite en accord avec leurs
Anciens Us et Coutumes. Si ce n’est pour la
cohérence et le contenu
spirituel-intellectuel que les symboles et les rites manifestent, la
Maçonnerie
serait une absurdité de plus, et ne serait en tout cas pas
parvenue jusqu’à nos
jours.
Une
autre chose qu’il faudrait remarquer, c’est la
curiosité de savoir quel est le
grade réel de Connaissance que possède tel ou tel
maçon ou, plus généralement,
tel ou tel Initié ; mais qui cela
intéresse-t-il ? Cela a-t-il de
l’importance et à qui cela importe-t-il ?
Logiquement,
cette question n’entre pas dans les limites d’une
investigation basée sur la
documentation et il est donc très difficile
d’établir des origines claires et
des séquences logiques sur un sujet qui ne l’est
pas, en dépit des efforts pour
le faire. L’un de ces investigateurs, que nous avons
déjà cité, J. A. Ferrer
Benimelli, qui a publié plus de vingt ouvrages
d’intérêt sur la Maçonnerie
et
ignore systématiquement Hermès, nous
informe : « Bernardin, dans
son ouvrage Notes pour Servir à
l’Histoire de la Franc-Maçonnerie à
Nancy
jusqu’en 1805, après avoir
compulsé deux cent six œuvres portant sur les
origines de la Maçonnerie, trouva trente-neuf opinions
diverses, certaines
aussi originales que celles qui font descendre la Maçonnerie
des premiers
chrétiens voire de Jésus Christ
lui-même, de Zoroastre, des Rois Mages ou des
Jésuites, pour ne pas citer les théories plus
connues dites
"classiques", qui font remonter la Franc-Maçonnerie aux
Templiers,
aux Rose-Croix ou aux juifs » et il ajoute en
note : « De ces
trente-neuf auteurs, vingt-huit ont attribué les origines de
la F.-M. aux
maçons constructeurs de la période
gothique ; vingt auteurs se perdent
dans la plus lointaine antiquité ; dix-huit les
situent en Égypte ;
quinze remontent à la Création, mentionnant
l’existence d’une loge maçonnique
au Paradis Terrestre ; douze, aux Templiers ; onze,
à
l’Angleterre ; dix, aux premiers
chrétiens ou à Jésus Christ
lui-même ; neuf, à la Rome
antique ; sept, aux Rose-Croix
primitifs ; six, à
l’Écosse ; six autres, aux juifs, ou
à
l’Inde ; cinq, aux partisans des Stuart ;
cinq autres, aux jésuites ;
quatre, aux druides ; trois, à la France ;
le même nombre les
attribuent : aux scandinaves, aux constructeurs du temple de
Salomon, et
aux survivants du déluge ; deux, à la
société « Nouvelle
Atlantide », de Bacon et à la
prétendue Tour de Wilwinning [Kilwinning].
Finalement, à la Suède, à la Chine, au
Japon, à Vienne, à Venise, aux Rois
Mages, à la Chaldée, à
l’ordre des Esséniens, aux Manichéens,
à ceux qui
travaillèrent à la Tour de Babel et, pour finir,
un qui affirme que la F.-M.
existait avant la création du monde. »
Une
confusion des origines analogue échoit à la
Tradition Hermétique, avec le mythe
d’Hermès et Hermès
Trismégiste, avec tout mythe et origine et, bien
sûr, avec
le Corpus Hermeticum, livres qui, comme nous
l’avons vu auparavant, condensent et
rappellent le savoir de cette Tradition. En effet, Jean-Pierre
Mahé,
spécialiste qui, avec P.-J.-A. Festugière, a
consacré sa vie à l’étude de
ces
textes, croit que les fragments en arménien de cette
littérature viennent du
premier siècle avant notre ère, et que les
versions postérieures ayant été
conservées, en grec, latin et copte, dérivent de
ceux-ci, de par leur contenu
nettement païen, dégagé des influences
gnostiques et chrétiennes qui lui ont
été attribuées avec une certaine
liberté. Il est intéressant d’observer
de
quelle façon ce spécialiste, au cours de son plus
important travail à ce sujet, Hermès en Haute-Égypte, où il
confronte différentes versions du Corpus
entre elles, à d’autres
manuscrits trouvés à Nag-Hammadi et avec des
auteurs antiques, etc., arrive à
la conclusion qu’ils sont tous apparentés,
qu’ils émanent d’une source unique,
et qu’ils ont même un ton, un air, un esprit commun
qui se manifeste aussi dans
leur style, opinion que nous partageons. Mais ce savoir, propre au Corpus, que Mahé
juge
solennel, répétitif, contradictoire et
sentencieux, comme de la mauvaise
littérature, en somme (qu’est-ce qu’une
bonne littérature et qui est capacité
pour la définir, et par rapport à
quoi ?), nous semble difficile à
appréhender avec des paramètres logiques, quel
que soit l’effort et le travail
employés et malgré
l’inappréciable contribution que
représente l’établissement
de ces textes, leur traduction et les commentaires, même vus
de façon réitérée
dans une perspective totalement étrangère
à celle qu’ils possèdent.
D’où le
danger d’aborder les choses d’un ordre
déterminé avec des moyens qui ne sont
par nature pas ceux qui conviennent, puisqu’ils sont
eux-mêmes constitués de
séries de conditionnements appartenant au monde profane, que
même une
éblouissante érudition ne peut dissimuler, car
ils apparaissent ici et là dans
la littéralité des propos,
l’infantilisme des conceptions, la disproportion
vertigineuse entre le sens sapientiel-émotionnel du texte et
la lecture
« universitaire »,
c’est-à-dire profane, que l’on en fait. Il ne faut pas
traiter une société initiatique exclusivement
d’après ses actions humanitaires
ou altruistes, car l’on court le risque de
dénaturer son authentique raison
d’exister.
Un
autre thème plus ou moins utilisé à
titre de critique, aussi bien de la
Maçonnerie que de l’Hermétisme, est
leur caractère prétendument
syncrétique. En
premier lieu, l’abus de ce mot, qui équivaut pour
certains à une
disqualification, nous semble condamnable. Le Christianisme,
l’Islam, le
Bouddhisme, l’Antiquité Gréco-romaine,
d’innombrables Traditions archaïques, et
même la Civilisation Égyptienne et la Chinoise,
pourraient aujourd’hui être
jugées
« syncrétiques »
à la lumière des documents les plus anciens
et sans mentionner la notion de Tradition Unanime, au-delà
de telle ou telle
forme. En effet, le terme était en vogue à une
époque où l’investigation
anthropologique et l’Histoire des Religions en
étaient à leurs balbutiements,
et l’on croyait à la
« pureté », atout de
certaines cultures et
concept extrêmement dangereux, pouvant de plus
dériver sur l’erreur de prendre
les races comme des religions. Le terme est malheureusement
resté en usage, et
certains l’utilisent comme une arme brandie pour condamner ce
qu’ils croient ne
pas leur convenir, ou qui échappe à leurs
simplifications élémentaires.
L’Histoire de l’Église est encore bien
proche avec ses Conciles, la formation
de ses Dogmes, sa Théologie, l’Histoire de ses
Papes, etc., pour que la
Chrétienté puisse reprocher à la
Tradition Hermétique et à la
Franc-Maçonnerie
une chose allant dans ce sens, et cela pourrait être
étendu à d’autres
religions ou influences spirituelles qui composent la Culture
d’occident.
D’innombrables courants ont formé cette
Civilisation, la plupart desquels
coexistent avec nous d’une façon ou
d’une autre, et nous devons rendre grâces
à
Dieu, au nom de notre culture, car ces interrelations naturelles qui se
déversent avec les migrations humaines d’un
peuple, et sa langue, à un autre,
ont existé depuis toujours, en dépit de
l’acide accusation de syncrétisme
émanant de soi-disant autorités se basant sur des
structures imaginaires et
caduques.
En
définitive, les
diverses composantes de la Franc-Maçonnerie ne sont pas un
obstacle pour que
cette adaptation de la Science Sacrée et de la Philosophie
Pérenne soit
totalement Traditionnelle, sinon qu’elles
démontrent le contraire dès lors que
l’on en considère les doctrines,
c’est-à-dire, en soi.
En effet, les corporations de constructeurs
médiévaux ont donné sa structure
à la Franc-Maçonnerie, y compris les trois
degrés initiatiques et leur symbolique fondamentale
liée à l’Art de Construire.
Cette influence découle, ou au moins a des
antécédents chez les Collegia
ou Scholae romains, qui se rattachent aux Religions
de Mystères,
lesquelles le sont à leur tour à
l’Égypte, comme nous l’avons vu.
D’autre part,
dans l’Alexandrie greco-égyptienne des premiers
siècles antérieurs et
postérieurs au Christianisme, il se produit une
résurgence aussi bien des religions
mystériques, qui subsistaient encore, que des
études néoplatoniciennes,
pythagoriciennes et théurgiques-gnostiques, qui
débouchent sur un courant où la
Tradition Hermétique véhiculera ces
énergies jusqu’à la Renaissance
où elle
refleuriront, en passant par le Moyen Âge, où
elles revêtirent des formes
chrétiennes, ce qui n’était pas
difficile, vu l’identité de ces deux traditions
quant à origines et finalités. C’est
précisément au Moyen Âge que des
milliers
de temples se construisirent en Europe, et des châteaux, et
des villes
entières, aussi bien dans le style roman que gothique, par
le biais de ces
associations corporatives, intégrées à
la cité médiévale en tant
qu’éléments
constitutifs de son ordre, assise de la gnose Hermétique par
l’intermédiaire de
Pythagore et de l’Arithmosophie, à savoir le
véritable sens des nombres, des
proportions, de l’orientation, des cycles, etc.,
c’est-à-dire les mystères de
la Cosmogonie, les secrets du métier, manifestés
par la Philosophie des Pères
de l’Église et Denys
l’Aréopagite, entre autres, et surtout par
l’Évangile
Chrétien, Saint Paul, et le fond traditionnel mythologique,
religieux et
agricole des cultures antérieures au christianisme.
Toutes ces influences
spirituelles, ou intellectuelles,
passent directement à la Maçonnerie, ce qui se
trouve documenté dans des
manuscrits allemands et anglais, et c’est sur cette structure
que vont venir se
greffer les autres éléments que nous avons
mentionnés. Ainsi, l’Alchimie
s’intègre à ce courant de
pensée puisqu’elle n’est pas autre chose
qu’une
expression de plus, ou une adaptation, de ce savoir traditionnel, et
les mêmes
Adeptes se réclament de la filiation Hermétique
et se regroupent sous son
égide. L’on peut dire la même chose des
Rose-Croix, héritiers de la pensée
hermétique et historiquement liés aux Alchimistes
et à la Maçonnerie. En raison
de ses racines médiévales, il faut
également considérer l’association de
l’Ordre à d’autres Ordres constructeurs
et de chevalerie
Quant à
l’élément juif, nous serions fort
étonnés qu’il ne
soit pas présent dans un Ordre initiatique né en
Europe, puisque, avec le
christianisme qui en est un dérivé, il a
véhiculé les divers
éléments de ce que
nous appelons aujourd’hui Occident, où ressort la
figure du sage, roi et
constructeur, incarné par Salomon. En effet, le symbolisme
du temple maçonnique
est fondamental dans la Franc-Maçonnerie, et il est reconnu
comme le modèle et
le dépositaire de toute science, opinion que partagent les
sages ; ainsi,
dans le manuscrit d’Isaac Newton intitulé
« The Original of
Religions », il est dit :
« De manière que le but de la
première
institution de la religion véritable en Égypte
était de donner à
l’humanité, au
moyen de la structure des temples antiques,
l’étude de la structure du monde
comme le véritable Temple du grand Dieu qu’ils
adoraient ».
D’après
ce qui précède, la Maçonnerie est
l’heureux résultat de la relation et de la
synthèse entre différentes façons
d’accéder à la Connaissance, et
l’unicité que
ces formes réclament. Mais il est clair qu’une
entreprise d’une telle envergure
n’a pas été l’œuvre
de quelques uns, ni un ensemble d’actions individuelles
tendant à obtenir cette synthèse,
malgré toute la reconnaissance que certaines
personnes méritent à cet aspect. La
Franc-Maçonnerie est et restera un
dépôt
de Sagesse Traditionnelle qui accorde la Connaissance à ceux
qui sont capables
de la recevoir, et qu’elle a
généreusement répandu de
manière spirituelle la
loge est un condensateur d’énergies, et
divulguée culturellement au moyen de
ses écrits et de la participation de ses membres dans
diverses institutions,
sans parler des lois publiques, d’œuvres sociales
ou de bienfaisance. Il faut
ajouter à tout ceci la pérenne dignification du
travail, véritable objet de
culte de sa discipline et instrument de connaissance pour un
Maçon, donc
activité humaine par nature.
Remarquons
que, quelles que soient les origines maçonniques, elles
désignent toujours les
artisans et les constructeurs médiévaux et non
les prêtres et les nobles de
l’époque. L’on sait que les rangs
étaient bien définis au Moyen Age et
qu’ils
comprenaient essentiellement quatre catégories
d’importance décroissante :
a) l’Église, la Papauté et le
clergé pour la sagesse, b) la royauté et la
noblesse, en particulier dans son aspect militaire, c) les clercs,
commerçants
et professionnels (artistes et artisans), et d) la paysannerie,
consacrée au
service et à la production.
La
Maçonnerie doit être
considérée comme originaire de ce
troisième corps, selon
les lois cycliques, bien que son histoire mythique comprenne des rois
constructeurs et des sages architectes, qu’au XVIIIe
siècle elle ait été
constituée par la noblesse et qu’au XIXe elle ait
nettement joui de l’appui
d’une bourgeoisie qui était
déjà au pouvoir ;
l’incorporation de
l’Alchimie (Via Regia) est également
significative, avec l’intégration de la
Philosophie Hermétique comme composante de la sagesse
sacerdotale.
La doctrine des cycles nous indique
qu’ils s’enchaînent les
uns aux autres en une succession indéterminée,
mais que chacun possède une
organisation prototypale quaternaire commune, qui se
développe selon un ordre
invariable et fait qu’un élément
constitutif déterminé du cycle
prédomine sur
les autres, ce qui est évident dans la quaternité
des âges humains :
enfance, jeunesse, maturité et vieillesse.
L’histoire suit le même schéma, et
chacune
des composantes quaternaires de la société doit
avoir une période de suprématie
sur les autres. Ainsi, l’on a vu clairement dans
l’Histoire d’occident la perte
de pouvoir de l’Église en faveur de la noblesse,
et de celle-ci pour la
bourgeoisie, pour terminer chez les masses prolétaires qui
détiennent
aujourd’hui une grande partie du pouvoir, nonobstant la
confusion qui règne à
cet aspect, les contredisant au point qu’au sein
d’une même famille, ou d’un
milieu social identique, puisse naître un philosophe ou un
ignare, un être
noble ou une bête. En tout
cas, la Tradition Hindoue
accrédite elle aussi cette division en Castes (qui
n’a rien à voir avec les
« classes sociales »), qui se
retrouve d’ailleurs dans d’autres cultures
plus archaïques, castes fixées par le Destin,
puisque c’est la naissance qui
les détermine, bien que comme nous l’avons vu
à l’époque actuelle, les
états
sont tellement mélangés que leur
validité se désintègre, car
l’humanité se
trouve au dernier stade d’une période de
dissolution qui, on le sait, est
appelée Kali Yuga.
Du
point de vue historique, la Maçonnerie naît
à une époque où les corporations
d’artisans devenaient des institutions de pouvoir et le
professionnalisme de
ses intégrants occupait une fonction dans le cadre de
l’État. Cette influence
va de paire avec la perte d’importance de
l’Église, et de la Monarchie, et
trouve son écho dans la croissante
prépondérance de la bourgeoisie formée
par
les professionnels, les marchands et les clercs, dans les
siècles suivants. Et
cette détermination qui fait les cycles historiques et les
castes marquera en
quelque sorte les maçons (malgré les
prétentions mondaines de certains), qui
appartiennent généralement à ces
états sociaux professionnels et commerciaux,
que protège aussi le dieu Mercure.
Signalons
que pour la Tradition Hindoue déjà
mentionnée, ce sont les kshatriyas et
plus particulièrement les vaishyas
(caste qui peut aussi accéder à la
libération comme celle des sages et des guerriers) qui
pourraient être comparés
aux états sociologiques et historiques de la
Maçonnerie, également associée
à
Noé (et son bateau), à savoir comme
dépositaire de la très ancienne Science
Sacrée, émanation de la Tradition
Hermétique. Pour terminer,
notons que même la Maçonnerie
médiévale est nomade, ou plutôt
semi-nomade, et que les constructeurs de cathédrales, de
châteaux ou de bourgs,
voyageaient d’une zone à l’autre suivant
les besoins, semblables dans leurs
mouvances aux tribus qui changent de parages selon les leurs.
À un moment
donné, ces constructeurs s’installent dans
diverses villes et fondent des
corporations de différents offices, car la cité a
grandi et qu’elle se
développe en même temps
qu’eux ; ils sont donc à
présent un personnel
sédentaire et, ainsi établis, offrent
d’une façon ou d’une autre leurs
connaissances, indispensables à tout labeur
ordonné et civilisateur. Comme nous
le voyons, il est également possible de faire le
parallèle entre l’évolution de
la Maçonnerie et les différentes
étapes par lesquelles est
générée la culture,
fondamentalement implantée dans les villes. Abel a
laissé la place à Caïn, et
les constructeurs changent leur façon d’agir,
constituant le solide modèle des
cités et, finalement, de l’état.
Caïn a tué Abel mais, grâce à
son sacrifice,
le constructeur peut traverser la rigide voie des formes,
d’essence non
formelle, qui cependant les contient potentiellement. Le constructeur
réalise
alors, au moyen d’une industrie contingente, un commerce
éminemment
métaphysique et transcendant.
Il
est
intéressant d’observer que Caïn,
ancêtre des maçons comme on le sait, fut
condamné par YHVH à être un vagabond
errant sur la terre pour purger le crime
commis contre son frère Abel. Mais tandis qu’il
construisait une cité, son
épouse donna le jour à son fils Hénoch
(nom apparaissant dans l’Ancien
Testament comme étant celui du fils de Caïn et
celui du cinquième fils de Seth) dont le nom
devint celui de la ville. Ceci (Genèse 4,
9 a 18) vient confirmer ce qui
a été dit au sujet des errances permanentes et la
postérieure fixation d’une
famille, qui se projette sur une maison puis sur une cité,
ou civilisation.
Nous
pensons que ce genre de symbolique liée aux
phénomènes cosmiques ou cycliques,
est à la base du passage de la maçonnerie
opérative à la spéculative,
c’est-à-dire de l’adéquation
à de nouveaux modes d’expression de la Science
Sacrée par rapport aux engouements de la pensée
humaine. De toutes
manières, le fait se reproduit toujours dans
n’importe quelle transformation où
quelque chose se perd et quelque chose se
régénère ; il y a ceux qui
préfèrent se lamenter sur ce qui a
été perdu, d’autres se
réjouissent du fait
que la doctrine ait survécu, au-delà des
procès plus ou moins politiques
(Hanovre-Stuart) ou des formes de christianisme (églises
réformées-églises
soumises à Rome). Dans ce dernier cas, la vigueur des
réformes entreprises par
les « modernes » universalise la
Maçonnerie qui ouvre ses portes aux
juifs (1732) et aux islamiques (1738) de façon
œcuménique au détriment d’une
orthodoxie provinciale préconisée par certains
agents du pouvoir
ecclésiastique. Et si beaucoup de maçons, dont
nous faisons partie, rejettent
le pouvoir de Rome, ils ne le font pas en tant que membres de
l’Ordre, sinon
exclusivement en tant que chrétiens, compromis avec les
textes évangéliques et
donc également avec l’Ancien Testament, au
désavantage de la nouvelle théologie
de la libération.
Et
s’il est vrai que la Maçonnerie, comme nous
l’avons vu à plusieurs reprises, a
ses origines chez les tailleurs de pierre
médiévaux, et donc dans les rigueurs
religieuses des conceptions d’alors, il ne faut pas oublier
que, dès cette
époque et jusqu’au XVIIIe siècle,
où elle prend sa forme spéculative, ces
constructeurs ont vécu au sein d’un nouveau monde,
celui de la Renaissance,
inspiré par le Corpus Hermeticum, le
Pythagorisme (les Hymnes
Orphiques et les Oracles Chaldéens
également) et surtout par Platon,
les néoplatoniciens et Proclus, ce qui se voit
reflété dans ses palais, ses
églises, ses jardins et ses tours, son architecture
intérieure, ses inventions
mécaniques et autres merveilles de magie naturelle et
d’expérimentation
scientifique et artistique (peintures, sculptures,
orfèvrerie et ébénisterie)
dont fut à l’origine
l’Académie des Médicis,
dirigée par Marsile Ficin, dont
l’influence se répandit dans toute
l’Europe durant près de trois siècles,
et
qui fut du reste présente dans l’Angleterre
élisabéthaine et ses successeurs,
et qui ne débouche pas par hasard, seulement à
titre d’exemple, sur la
traduction du Corpus Hermeticum par Sir Walter
Scott, maître maçon, à la
même époque où les loges anglaises
surgissent avec force dans l’Histoire
moderne. Les divers Rites et
Obédiences, malgré leur
hétérogénéité,
ont en commun le Grand Architecte de l’Univers, et un office
partagé : l’Art et la Science de
Construire, qui reconnaissent le Symbole
comme leur expression la plus accomplie. Cette diversité
pourrait en quelque
sorte être comparée aux différentes
« gnoses » des premiers
siècles
de notre ère, y compris la chrétienne, dont le
but ultime était évidemment le
même, malgré les malversations variées
dans lesquelles peut se voir impliquée
n’importe quelle association. Cette
« atomisation » des Loges est, en
fait, la forme prise historiquement
par la Maçonnerie pour se multiplier, et nous ne devons donc
pas nous
surprendre si tel ou tel Atelier met l’accent sur un aspect
des symboles ou un
autre, ou sur les origines de l’Ordre, selon qu’il
s’y sent plus ou moins
identifié. De même, ceux qui se sentent plus en
rapport émotionnellement avec
une Religion déterminée, ou avec des notions
humanistes d’un type différent.
Toutes
ces idées, ou plutôt la convergence et
exécution de ces courants maçonniques,
peuvent également aujourd’hui avoir lieu dans un
cadre plus vaste que celui des
ateliers, où des questions d’ordre simplement
personnel de sympathies et
d’antipathies, ou des problèmes sociaux ou
économiques et politiques, peuvent
souvent créer des tensions, voire même des
abîmes entre leurs intégrants. Il
pourrait y avoir une solution à cela, qui en fait est
déjà appliquée dans
certaines loges d’études maçonniques,
formées par des maîtres de différents
ateliers, comme cela se passe ailleurs ; ces loges, qui se
réunissent une
ou deux fois par an, célébrant les solstices,
s’occupent de travaux
exclusivement doctrinaux et historiques sur les symboles, rites et
antécédents
initiatiques de l’Ordre, sans se laisser affecter par les
influences diverses
qui circulent entre les différents ateliers ; ainsi
que nous l’avons dit,
il s’agit de loges de Maîtres ayant
déjà été Officiers ou
Vénérables de
diverses loges et ayant au cours des années
prouvé en de nombreuses
circonstances leur appartenance aux origines, us et coutumes et devoirs
de
l’Ordre.
Mettant
un point
final à ce panorama sommaire, nous voulons souligner
l’importance qu’a eu la
Maçonnerie, et à travers elle la Tradition
Hermétique, pour l’indépendance et
l’organisation des républiques
américaines (du Nord, du Centre et du Sud), où
l’on peut remarquer parmi d’autres les figures de
Francisco de Miranda, Simón
Bolívar, George Washington, José de San
Martín, Antonio José de Sucre, José
Martí, Miguel Hidalgo, etc., non seulement fondateurs de pays, de
constitutions, législations et institutions, mais aussi de
villes, comme dans
le cas de la métropole Washington D.C., capitale des
Etats-Unis, qui porte le
nom de son fondateur, et celui de la Ciudad de la Plata, province de
Buenos
Aires, fondée par le maître maçon Dardo
Rocha. Signalons que tout cela se fit pour
l’ordonnancement de ces peuples et promouvant la culture,
l’éducation, l’art et
les bonnes manières dans des pays où
régnaient la désorganisation et la
violence, la Franc-Maçonnerie accomplissant sans aucun doute
une fonction
civilisatrice qui subsiste sous une autre forme
jusqu’à nos jours, car
l’Amérique, ses institutions et son mode de vie,
est née historiquement sous
son égide.
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