La Tradition
Esotérique
Analyse et critique
Ces quelques pages, qui constituent une retouche de
l'étude que nous écrivîmes il y a une
vingtaine d'années, nous furent
suggérées par l'étude approfondie de
l'hermétisme, de la théosophie et du spiritisme,
par la lecture attentive de divers ouvrages d'occultisme, tant anciens
que modernes. Il convient de dire tout d'abord que beaucoup de ces
livres offrent de l'intérêt et sont empreints
d'originalité, mais que la plupart se
répètent l'un l'autre et, pour le meilleur, se
contentent de suivre les idées émises par
quelques maîtres : Pythagore, Plotin, Geber, Raymond Lulle,
Roger Bacon, Arnauld de Villeneuve, Agrippa, Cardan, Fludd, Khunrath,
Paracelse, Fabre d'olivet et, parmi les contemporains, Eliphas
Lévi, Stanislas de Guaita, F. Ch. Barlet, St Yves
d'Alveydre, pour ne citer que les auteurs
généraux.
Mais, nonobstant l'intérêt qui
s'attache à ces œuvres, de grandes
réserves nous paraissent devoir s'imposer. Nous nous
permettons de les formuler très franchement, dans le seul
but de contribuer à l'édification
réellement positive et scientifique de la philosophie
hermétique.
Les occultistes, et nous entendons par ce vocable les
tenants de toutes les écoles
ésotériques, suivent aveuglément les
données de la Tradition hermétique, sauf quelques
rares exceptions. Ils y croient, ils ont la foi. Pourtant rien n'est
plus sujet à caution et à erreur qu'une tradition
qu'il faut, sans cesse, rectifier et épurer, car une
tradition est faite des croyances et des théories, des
légendes et des fables, des phénomènes
constatés et de la crédulité
superstitieuse, successives et entremêlées de tous
ses fidèles, de tous ses théoriciens, de tous ses
commentateurs, depuis les origines de ladite tradition, à
laquelle il n'est point possible de fixer un début
réellement connu selon les normes de l'histoire positive. On
doit donc sans cesse trier les faits et les systèmes, les
sérier, en séparer l'erreur de la
vérité expérimentale et rationnelle.
La Tradition est un bloc ; il n'en va pas de
même de la recherche scientifique qui ne s'atteint que par un
délicat tâtonnement.
La Tradition ésotérique, en particulier, est
constituée par les croyances religieuses, philosophiques, et
aussi par les doctrines scientifiques mais le plus souvent magiques des
anciens Egyptiens, des Chaldéens, des Phéniciens,
des Perses, des Indous, des Grecs, des Gnostiques, des Arabes. Elle est
touffue, et les textes qui nous sont parvenus ont
été rédigés ou
compilés par des écrivains, en
général, d'un esprit assez médiocre.
Un grand nombre de ces textes sont apocryphes, faussement
attribués à des auteurs
célèbres, à des philosophes de
l'antiquité, alors qu'en réalité nous
possédons bien peu d'écrits de ces penseurs qui
soient réellement authentiques.
Une foule d'erreurs, nombreuses et inévitables, se trouvent
donc associées à ce que l'on a pu
découvrir et observer d'exact durant une succession de
siècles, toute une mythologie est mariée
à l'étude parfois rudimentaire et
puérile de la Nature. Quelle prudence il faut apporter au
dépouillement de telles archives ! Quelle circonspection,
quelle subtilité de critique et d'analyse il faut apporter
dans l'étude des livres Sacrés, des recueils qui
constituent les sources connues de la Tradition : livres
hermétiques, papyrus de l'Égypte, Zend Avesta,
Védas, Pouranas, Genèse, Bibles, ouvrages de
l'Ecole d'Alexandrie, Zohar, Sepher Ietsirah, etc..., livres
tronqués, remaniés, compilés,
incertains, qu'une exégèse sérieuse
n'ose plus guère défendre et qui
reflètent, avant tout, les idées qui avaient
cours à leur époque. Or, que voyons-nous ? La
plupart des occultistes donnent comme absolument certaines les
hypothèses qu'ils retracent de la science dite occulte ; ils
font presque dogmatisme de cette connaissance complexe qui se continua,
en somme, jadis, alors qu'on ne possédait guère
de notions précises sur le monde, la cosmologie, l'histoire
naturelle, la physique, la chimie.
Ces occultistes trop zélés et
auxquels une souple critique fait défaut, semblent ainsi
légitimer toutes les théories
surannées et fausses d'une science rudimentaire, science
fétichiste, plus mythologique et légendaire, plus
fabuleuse que positive, rationnelle et expérimentale.
Prenant tout à la lettre, ils ne savent, pas plus que les
auteurs qu'ils admirent les yeux fermés,
découvrir sous les symboles, sous les allégories,
une vérité qui te cache aux yeux des profanes.
Les occultistes intelligents croient-ils, par exemple, que les
opérations magiques d'incantations, d'évocations,
de mythologie, enseignées dans les ouvrages des
hermétistes soient exactes ? N'était-ce point
là des Illusions, des suggestions absurdes,
grossières, que nous avons écartées
sans retour par l'esprit d'analyse et de raison froide ?
Cette insuffisance d'analyse, cette
crédulité véritablement inexcusable,
ne constitue-t-elle point un défaut certain et grave,
imputable, grossomodo aux diverses
écoles d'occultisme et de théosophie modernes.
Les occultistes décrivent, par exemple, sans la moindre
hésitation, sans la plus légère
objection, sans le plus petit doute : les systèmes antiques
des trois mondes au plans, la chute de l'humanité et son
salut par l'intervention de Messies qui sont des demi-dieux, les
doctrines religieuses et métaphysiques de la Kabbale, de la
Gnose, etc. qu'ils expriment littéralement, au lieu de
chercher à percer le sens métaphysique, unitaire
et synthétique de ces interprétations de la
mathématique du Cosmos. Ils affirment l'existence des
élémentaux, des habitants divers de
« l'astral », la
réalité de la magie
cérémonielle ; ils rapportent l'histoire des
races humaines et de la terre suivant Fabre d'olivet, dont
l'imagination suppléait au manque de connaissances
historiques. Tout cela est, certes, très curieux,
très amusant, mais ne pense-t-on point qu'aujourd'hui, il
serait nécessaire de démontrer, de prouver ces
hypothèses au lieu de se contenter de les affirmer
d'après la tradition ésotérique,
d'après les vieux livres des hermétistes de
l'Egypte, de la Chaldée, de la Grèce, de la
Judée, lesquels, répétons-le,
n'avaient point puisé aux sources les plus pures et se
contentaient de colporter des récits ou des fables, simple
reflet de la croyance moyenne de leur époque.
Pouvons-nous, maintenant, nous contenter de ces simples
affirmations doctrinales et autoritaires ? Le magister dixit
n'a plus de valeur. La science moderne veut,
à bon droit, plus de rigueur ; elle exige des faits et non
point des hypothèses préconçues ; elle
est positive, expérimentale, toujours relative,
c'est-à-dire qu'elle ne prétend jamais formuler
l'absolu, parce que l'Univers étant sorti de l'infini, ses
possibilités sont sans fin et que vouloir les fixer est une
inconcevable absurdité.
Ne vaudrait-il donc pas mieux, à présent,
vérifier les conjectures, les hypothèses de la
science dite occulte, au moyen des procédés
inflexibles et rigoureux que nous apporte la méthode
expérimentale, sans pour cela abandonner les grandes
hypothèses de la philosophie hermétique ?
Les groupes occultistes, théosophiques, spirites ne
pensent-ils point que c'est nuire gravement au triomphe de
l'hermétisme qui est à la base de toutes ces
écoles que de les présenter en bloc comme le
système du vrai intégral, alors qu'aucune
expérience indiscutable ne vient prouver, par exemple,
jusqu'ici, l'existence des élémentaux, la
réalité des réincarnations
conscientes, des phénomènes appelés
d'ailleurs à tort magiques, tels que les
phénomènes du fakirisme, des voyages en astral
contés dans les ouvrages théosophiques ?
Ces constructions ou ces affabulations intellectuelles
ou sentimentales ne peuvent être
considérées que sous le point de vue dubitatif.
Un contrôle très sévère
s'imposerait.
Il fut peut-être utile jadis il y a 50, 30, 20 ans de suivre
cette voie d'affirmation à priori pour amener le public et
les chercheurs à s'occuper des
phénomènes
« occultes » ou
« psychiques », pour reconstituer
les bases de l'hermétisme, de l'astrologie, de l'alchimie,
du, magnétisme, pour faire connaître les ouvrages
anciens, la vieille synthèse, pour vulgariser, en un mot,
les grandes lignes de ce respectable savoir.
Allan Kardec, Eliphas Lévi, Papus, Guaita, pour ne citer que
les noms les plus typiques, jouèrent ce rôle
nécessaire jusqu'en 1890. On peut dire qu'ils
exhumèrent l'ensemble de la vieille tradition spiritualiste
et qu'ils attirèrent sur elle l'attention d'une foule de
chercheurs, qu'ils la galvanisèrent et, pour tout dire, la
vulgarisèrent, parfois un peu grossièrement si
nous en exceptons Guaita qui fut toujours un aristocrate.
Aujourd'hui, il n'en va plus de même et ce
serait un signe de paresse mentale que d'adhérer pleinement
à un syncrétisme assez peu ordonné et
d'un abord vraiment trop facile.
Les esprits sont fixés sur les faits psychiques, occultes,
spirites, magnétiques, hypnotiques, sur la part de science
que recélaient les traditions d'un
ésotérisme généralement de
seconde main, dont on a, du reste, beaucoup
exagéré la valeur parfois, ce qui explique la
méfiance que lui témoigne la plupart des savants
et des philosophes contemporains qui jugent l'hermétisme
d'après les publications souvent bien médiocres
d'hier.
La science doit aborder ces problèmes avec
une méthode rigoureuse et impartiale. L'astrologie,
l'alchimie, la médecine spagirique, les arts divinatoires,
la magie considérée comme la science des forces
inconnues de la Nature sont étudiés, à
l'heure présente, par un certain nombre de savants
indépendants, d'une façon encore rudimentaire,
certes, mais nettement positive c'est-à-dire faisant appel
à l'expérience, en même temps
qu'à la spéculation la plus libre.
Cette méthode seule peut donner un résultat
pratique; seule la vérification progressive des principes,
des lois, des faits de l'Hermétisme, tenus comme les
hypothèses les plus probantes qui se présentent
à notre esprit, seul cet examen minutieux nous permettra
d'édifier peu à peu la synthèse la
plus belle, la plus vaste et la plus exacte de nos connaissances, parce
qu'elle unit l'induction à la déduction, le
particulier à l'universel, la raison à
l’intuition, la théodicée à
la Nature, l'expérience à l'intelligence, sans
jamais isoler des contraires indispensables à
l'équilibre d'un savoir non artificiel mais vivant.
Certes, il y a tout lieu de penser que la philosophie
hermétique (constituée peut-être dans
les temps très lointains par des races très
savantes, très évoluées,
très synthétiques, races
disparues et qui léguèrent leurs sciences
déjà amoindries à d'autres races plus
jeunes) possède un grand fond d'exactitude, qu'elle contient
en germes les découvertes ou,
« redécouvertes » les
plus sensationnelles. Mais de là à assurer que
« l'occultisme » est vrai tel
qu'il nous a été transmis par les Egyptiens, les
Chaldéens, les Kabbalistes, les Gnostiques, etc. qu'il n'y
aurait rien à rectifier; qu'il serait, comme on se
l'imagine, la Science de l'Absolu, la Science de la vie ou de la mort,
il y a un, abîme, et cet abîme, il ne faut pas le
franchir.
Etudions loyalement, froidement et
sans dogmatiser, contrôlons toujours avant de rien affirmer.
Plutôt que d'assurer sans preuve la
réalité objective de la magie
cérémonielle, que de définir
l'existence, la classification, le nombre exact
d'élémentaux, l'enchaînement des plans
du monde, le passé et l'avenir des âmes, la
topographie de l'au-delà; plutôt que de
prêter aux voyants la connaissance exacte de l'invisible,
d'accepter comme le fit le Docteur Rozier l'existence réelle
des fées, que d'accorder aux Maîtres inconnus, aux
mahatmas fabuleux, la puissance de vivre sur deux plans et de
ressusciter les morts, etc. tenons toutes ces choses pour incertaines
et possibles à la rigueur, mais considérons les
avant tout pour ce qu'elles sont c'est-à-dire pour des
intuitions poétiques, des pressentiments de la
fécondité déconcertante de la Nature,
pour de vastes symboles, enfin, traduisant en images le langage
mystérieux d'un Univers sans borne.
Ce n'est que par une étude minutieuse et
sincère de l'occultisme que l'on arrivera à
retenir, l'attention des esprits graves sur cet ordre
d'idées, le plus important qui soit, et que l'on parviendra
à un résultat satisfaisant et utile à
l'avancement des connaissances humaines.
Il ne doit plus s'agir d'élever à priori un
système d'autorité, arbitraire et fantastique, un
système cosmologique construit par l'imagination, une gnose
artificielle plus ou moins philosophique et mystique, ni plus ni moins
vraie que les autres philosophies, d'Aristote à Bergson. Il
s'agit, au contraire, d’établir a posteriori en
nous guidant d'après les principes
directeurs du véritable hermétisme, qui n'est
autre que la géométrie de l'Univers et de la
haute mathématique de l'Eternel, la Synthèse
aussi exacte que possible de ce que nous pouvons savoir du monde
où nous vivons et du monde infiniment plus vaste qui nous
enveloppe, qui est le prolongement de notre minuscule
sphéroïde.
J\ C\
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