L’écriture
Si de nous il est un Frère qui sache lire et
écrire, c’est bien vous Frère
Secrétaire.
Cette boutade, que vous voudrez me pardonner, date du terme de mon
travail d’apprenti consacre à la Lune dont la
dualité avec la charge que vous exercez
d’expérience m’avait
interpellé.
Quasi à pareille époque, ma fille Gaëlle
couchait sur le papier quelques bribes de ses premières
leçons d’écriture.
Voilà déjà deux bonnes raisons pour me
faire prendre canne et bissac afin d’emprunter les chemins de
l’écrit.
Mon premier voyage abordera en trois pas de géant sa
genèse. Il en montrera la FORCE au travers de
l’histoire de l’humanité.
Le voyage suivant, empli de BEAUTE, se penchera sur cinq artistes dont
l’art est directement lié à
l’écrit.
Le troisième voyage s’intéressera
à une partie d’entre nos Frères : ceux
qui depuis James ANDERSON écrivent avec SAGESSE sur
l’Art Royal. Sept citations le jalonneront. Elles
m’ont ouvert les portes et de la réflexion et de
notre bibliothèque, troisième raison motivant les
voyages auxquels, modestement, je vous convie dès
à présent.
Ier Voyage
La force de l’écrit
D’aucuns s’entendent à voir dans la
création de l’écriture le fait le plus
marquant de l’histoire humaine. Ils y voient le produit
d’une intervention
préméditée qui se situe tout
entière dans l’ordre de l’intellect. Et
de fait, dotée d’un support et limitée
à un ensemble de signes convenus,
l’écriture devint très vite
l’auxiliaire indispensable de la mémoire, le moyen
de la preuve, le véhicule du diplomatique,
l’instrument principal de la communication entre les Hommes.
Et si les paroles s’envolent tandis que les écrits
restent, c’est que, établie et reconnue de tous,
l’écriture nous permet désormais de
connaître le passé et d’enlever au
présent son caractère fugace.
On imagine parfois à tort que des
phénomènes aussi primordiaux que
l’écriture ont une durée de vie
correspondante à la vie de l’Homo-Erectus sur
notre bas monde. Jugeons plutôt :
17 millénaires séparent l’image de la
main de l’homme de LASCAUX de la première
apparition d’une forme d’écriture.
6 autres millénaires auront été
nécessaires pour concevoir et appliquer l’ensemble
des techniques qui, depuis l’écriture
cunéiforme jusqu’à
l’imprimerie, permit la diffusion à grande
échelle des livres scolaires de nos
déjà lointaines études primaires.
30 années seulement permettront de formaliser la plus
sophistiquée des applications de traitement de texte sur nos
ordinateurs individuels.
Au vu de ce court tableau chronologique, vous comprendrez toutefois
qu’il aura fallu me limiter à une approche plus
que schématique, a des faits marquants de cette
genèse.
1er pas De l’écriture cunéiforme
à la carolingienne
La naissance de l’écriture est intimement
mêlée à l’expansion de
l’agriculture dans le sud de la Mésopotamie
(l’Iran actuel).
A URUK, au milieu du quatrième millénaire avant
l’ère chrétienne, des comptables
conçurent des tablettes d’argile sur lesquelles
ils portèrent des signes nécessaires et
suffisants pour inventorier les productions de chaque domaine. Ce
furent les Sumériens qui, au siècle qui nous
concerne, nous fourniront les premières traces de
l’écriture, ancêtre des formes
européennes actuelles. Les tablettes
déjà évoquées
mentionnèrent ce que l’on appelle
aujourd’hui des pictogrammes : expression de notions
concrètes qui n’indiquaient en rien la
prononciation, la filiation avec la langue n’étant
pas encore établie. C’est une évolution
technique, l’emploi d’un roseau taille en biseau
remplaçant le calame jusqu’alors utilise, qui est
a l’origine de l’écriture. De dessiner,
on se mit a imprimer la glaise de la pointe du roseau obtenant ainsi
une empreinte triangulaire que vers 1829, nos livres
définirent comme écriture « cunéiforme
» du latin cuneus, « coin
». Ce fut ensuite la fonctionnalité qui rendit
cette écriture rationnelle et qui devint peu à
peu conforme à la langue pratiquée.
Comment ne pas évoquer ensuite les
hiéroglyphes égyptiens. Notons au passage que les
hiéroglyphes sont, eux, des idéogrammes et
qu’à la différence des pictogrammes
évoqués plus haut, ils représentent
une idée. Ils sont en cela une évolution
originaire d’un ensemble de pictogrammes rassembles pour
constituer un système. Et Champollion nous l’a
bien montré, basant son remarquable travail de recherche sur
l’interprétation en un premier temps de
pictogrammes rigoureusement classes en seize catégories. Le
reste : un rébus dont la signification n’est plus
qu’affaire de métaphores, de métonymies
ou encore d’énigmes. Singulière
évolution que le phonétisme,
conséquence logique de ce rébus. Aboutissement
que la naissance d’une sémantique. Couronnement
que l’évolution formelle aboutissant ainsi au
copte dont les scribes firent un usage si remarquable.
Les écritures chinoises, japonaises et
annamites eurent leur essor vers la même période :
le douzième siècle avant notre ère. Il
conviendrait d’en souligner la richesse mais mon voyage est
encore long et ses étapes doivent se succéder et
non s’éterniser.
Juifs, Grecs et Romains, pour ne citer qu’eux, entreprirent
à leur tour de peaufiner cette
nécessité qu’était devenue
l’écriture. L’écrit prenait
de plus en plus d’importance. Il prenait force de
témoin de l’histoire des civilisations.
2e pas Des copistes a l’imprimerie
Quels sont les paramètres qui aboutirent à
l’avènement de l’imprimerie ? Sont-ils
essentiellement de nature technique ou émanent-ils de
mutations fondamentales de l’écrit,
subséquemment, de la pratique de la lecture ? Pour tenter de
répondre, j’ai poursuivi mon merveilleux voyage
dans l’histoire.
1. Grèce
Dans le monde grec, le DISCOURS ECRIT faisait initialement
l’objet d’une lecture a haute voix. Il appert de
nos jours que, bien entendu, l’interprétation des
orateurs connut un libre cours, obstacle essentiel à la
crédibilité du message. Mis au service de la
culture orale, l’écrit se devait donc
d’en devenir la preuve, le gage de son
authenticité. Platon le réclamait
déjà. Pare du sceau de son auteur, il restait
pour l’écrit à répondre
à deux grands critères de la civilisation
hellénistique :
L’universalité être stocké,
résister au temps, témoigner de son
époque
La rationalité s’intégrer dans un
système de classement.
Couplons maintenant la notion de preuve, de caractère
universel et rationnel à une évolution majeure de
la lecture.
Nous sommes a la fin du Ve siècle avant notre ère
: la première forme contemporaine de lecture ; LA LECTURE
SILENCIEUSE entre dans les mœurs. Aristophane sera le premier
à en témoigner.
Conjointement, le support sur lequel se fait
l’écriture de même que
l’évolution des techniques
d’écriture et de présentation
permettent une concentration en un même lieu d’une
quantité inestimable de « volumens
», rouleaux de papyrus qui prennent ainsi
définitivement le pas sur les tablettes de terre cuite ou
autres supports précédemment
évoqués.
Et Alexandrie sera choisie pour contenir le principal instrument
d’une élite de savants et de lettres : la
bibliothèque.
2. Rome
La structure physique du volumen romain trouve incontestablement son
origine dans le monde grec. Elle en suivra ainsi son
évolution. La principale évolution
qu’apportera le monde romain sera la création des
bibliothèques publiques. Cet élargissement de la
bibliothèque au monde de la justice (la naissance de la
jurisprudence), a celui des armes (le récit des campagnes)
ou encore à celui de l’administration
(l’apparition d’édits, de calendriers,
etc.) fait croître de manière
considérable la demande en matière de lecture.
Ici encore, une évolution technologique apportera la
réponse en temps voulu : le Codex. Le parchemin en est a son
origine. D’essence animale, il peut se produire sur place.
D’emblée économiquement plus rentable
que le papyrus égyptien, ce support peut en plus
s’utiliser des deux côtes réduisant
ainsi le volume et la taille des ouvrages dont on peut plus
aisément envisager d’en augmenter le nombre
d’exemplaires.
A l’aube du Moyen Age, transformation du support et
évolution des pratiques de lecture ne pouvaient
qu’aller de pair.
3. Le Moyen Age
La lecture a voix haute se confine de plus en plus au sein des
communautés religieuses et ceci a des fins de narrations
historiques. La lecture silencieuse se
généralise. Son support, le codex, devient
instrument de civilisation, d’éducation.
Découpe en « pages
», il facilitera la méditation,
l’assimilation, voire la mémorisation de la
connaissance sous toutes ses formes.
Toutefois, et nous retrouvons ici un des caractères
marquants de la bibliothèque grecque, la richesse nobiliaire
de même que celle des communautés religieuses se
mesurent à la qualité et à la taille
de ses bibliothèques. Devenu de plus en plus courant, le
codex sera amené à briller, non plus uniquement
par son fond, mais aussi par sa forme.
Le besoin de lecture croit sans cesse.
Le Moyen Age sera le temps de
l’écrit et de la lecture monastique. Rien
d’étonnant si, bien entendu, les moines copistes
en développeront l’art et la conservation. Leurs
bibliothèques d’abord romanes et ensuite gothiques
témoigneront d’une organisation précise
et méticuleuse. Elles renfermeront l’ensemble
d’un patrimoine devenu œuvre d’art par
leurs travaux attentifs d’enluminure, de reliure ou autres
traduction et conservation. L’évolution des
bibliothèques princières conduira a
l’humanisme du XVeme siècle : une partie des
loisirs des grands étant consacrée a la lecture
des grands ouvrages classiques grecs et latins.
Il est donc logique qu’une fois encore le codex
évoluât par une nouvelle révolution
technologique ; double cette fois-ci.
Inventée en Chine, la pâte
à papier connaît, sous nos horizons, une
amélioration qualitative remarquable. Par ailleurs,
l’invention des caractères mobiles
d’imprimerie couplée à
l’invention de la presse a imprimer, propulse des hommes
géniaux comme Plantin et bien entendu Gütenberg au
haut de l’affiche (si je puis m’exprimer ainsi).
La combinaison de ces évolutions abaisse
irrémédiablement le coût de production
d’un livre. C’est la porte ouverte à
deux autres concepts quasi actuels : la réduction de
durée de fabrication et l’augmentation du tirage.
Il convient toutefois de noter qu’ici les
évolutions techniques n’auront que peu
d’impact sur les habitudes de lecture. Hormis
l’avenir des copistes, c’est aussi le
début d’une ère de
prospérité pour une foule de métiers
connexes à ce que l’on appelle
désormais l’imprimerie.
3e pas De Gütenberg à Bill Gates
Il ne m’appartient pas d’écrire cette
page de nos futurs livres d’histoire. Gageons toutefois que
le patron actuel de Microsoft ne passera pas pour un
inintéressant maillon d’une chaîne dont
nous venons de parcourir quelques arpents.
Oui, je pense, comme bon nombre de passionnes, que Word for Windows et
consort est et sera inscrit dans une nouvelle évolution
technologique de l’écrit et
corrélativement de nos habitudes de lecture. Les forets
amazoniennes en seront certainement les premières
bénéficiaires avec… les
ophtalmologistes !
Au terme de ce premier voyage, je touche au palpable. Hormis les
beautés que j’évoquerai dans la seconde
partie de mon périple, je puis être à
la fois témoin et acteur. Il m’est loisible de
tirer maintenant une expérience de tout ceci.
Ce sera « la force » tant de
l’écrit intrinsèque que de ceux qui le
promulguent ou le divulguent.
Cet écrit, témoin des civilisations et des
sociétés qui les constituent, est là,
empli de richesses sans lesquelles l’histoire ne serait
qu’affaire d’amnésiques. Cet
écrit, moteur de tant de moments de la vie d’un
homme, est la, garant de ses us et coutumes sans lesquels le passe ne
serait que fiction. Cet écrit, interrogateur de notre futur,
est la, défiant notre imagination sans laquelle notre avenir
ne serait que stagnation.
Je crois, V\M\ et vous tous mes FF\\ en vos grades et
qualités, qu’il en est de même pour les
écrits de notre Ordre et qu’il y a la de quoi
gonfler le cœur d’un zèle compagnon
désireux de vous inviter à son
deuxième voyage sur un chemin jalonne de métiers
tous témoins de la beauté de
l’écrit.
2e Voyage La beauté de
l’écrit
J’avais l’intention de vous présenter
ici une sélection de diapositives afin d’illustrer
ce que je fus émerveillé de découvrir
au cours de ce voyage.
Sur le conseil de notre F\ 1er Surv\, il n’en sera rien.
Il me faut donc, V\M\, solliciter l’imagination de mes FF\\
et espérer que mon modeste vocabulaire suffira a
suggérer la beauté issue des mains de ces
artisans.
Permettez-moi de vous recommander directement a vos sensations
visuelles, olfactives et tactiles, le codex et plus tard le livre vous
apporteront des sensations qui, ajoutées au contenu de leur
propos combleront les amateurs de beaux objets que nous sommes.
Comme en bon nombre de métiers de l’art, point
d’école, c’est à
l’ombre de son maître que le novice forge sa
connaissance. C’est le monde de l’ouïr et
du voir faire. C’est le monde intime d’une
chaîne d’union ou chacun a son rôle, ou
chaque artisan se doit a la perfection, à l’autre,
à la finalité.
1e pas les copistes
Sans eux, rien. Après eux, le livre.
Disparaîtront-ils avec l’imprimerie ?
Incontestablement.
Pourquoi ?
L’ère de la presse et du caractère
mobile d’imprimerie décuple, centuple leurs
possibilités qui ne resteront qu’humaines.
Qui sont-ils ?
Comme nous l’avons vu précédemment,
c’est l’Eglise qui détient la plupart du
temps les clés du savoir. Enfermes dans ses
bibliothèques, les codex sont l’instrument de la
connaissance d’une élite bien restreinte.
Les besoins croissants d’alphabétisation et
d’évangélisation nécessitent
qu’ils en sortent. Ce sera la tache et l’apanage
des moines copistes. Ni créateurs ni hommes de pouvoirs, ils
écriront mais n’inventeront pas. Et pourtant, ils
commenteront, annoteront, illumineront les textes qui leur seront
confies. Et pourtant, ils élaboreront, sous le
règne de Charlemagne, un art merveilleux : la calligraphie.
Le désir constant de sacraliser
l’écriture et le besoin toujours grandissant
d’une plus large diffusion du savoir seront leurs contraintes
majeures. Leur souci permanent d’épargner les
supports de même que la maîtrise de leur temps en
seront d’autres non négligeables.
D’abord, le scriptor établit un rapport
précis entre la surface à écrire et
les marges. Ensuite, il trace des lignes horizontales afin de permettre
l’harmonie et la régularité de
l’écriture. Equerre, règle et compas
sont ici ses précieux allies. Ayant
généralement préparé son
encre à base de noir de fumée et de gomme
arabique, il affine la taille de son calame et prend place devant son
écritoire au sein du scritporium pour enfin
s’atteler à la tâche. Scrupuleusement,
des heures durant il reproduira le texte qui lui est confié.
Si le texte que transcrit le scriptor est un joyau, c’est le
pictor qui en concevra l’écrin.
2e pas Les enlumineurs
« Saisis un pot de terre avec huit livres
d’eau ; ensuite une livre et demi de noix de galle et
écrase bien ; puis prends trois onces de gomme arabique et
écrase bien ; que la gomme soit versée, puis que
cela bouille jusqu’à réduction de
moitié. Ensuite retire du feu et puis prends quatre onces de
vitriol et une livre de vin un peu chaud, et tu dois
mélanger le vin et le vitriol dans un autre vase puis
l'ajouter peu a peu a l'encre », recette
d’encre latine (metallo-gallique),
d’après un manuscrit du XIIIe siècle.
Charges de la partie purement décorative du manuscrit,
l’enlumineur manie lumière et
spécificité ornementale. Son art se limitera
à la réalisation des lettrines et de bordures.
Les miniaturistes assureront, eux, la réalisation de petites
scènes historiées tandis que le rubricateur
prendra en charge la réalisation des titres.
L’alchimie des couleurs est
prédominante. Le bleu des lapis-lazuli, le vert de la
malachite, l’or et l’argent rempliront les
coupelles, fioles de verre, coquillage ou cornes de bœuf
soigneusement alignes au côte des pinceaux en poils de ventre
d’écureuil et des agates ou autres pattes de
lièvre destines à lisser la feuille
d’or avant son usage.
Ici aussi c’est affaire d’équipe. Chacun
se doit de fournir le travail de qualité
irréprochable que le mécène est en
droit d’attendre. Un travail minutieux ne permettant pas le
droit à l’erreur fera de ces hommes de
véritables alchimistes des couleurs doubles
d’artisans réputés dont les cours
papales ou princières s’arrachent les services.
L’ensemble des travaux d’enluminure sont
généralement faits de grandes lettres
agrémentées d’entrelacs avec des
figurines d’animaux faisant appel à profusion
à des allégories à
caractère religieux. Les enlumineurs profanes conduiront l
‘enluminure à son apogée au cours du
XVe siècle. Les centres les plus florissants sont Florence,
Paris, Trèves mais encore Echternach et surtout nos
principales villes de Flandres.
Je dois confesser mon impuissance a traduire en quelques mots la
richesse, la variété et la valeur artistique des
enluminures dont les tendances sont intimement liées aux
grandes écoles de peinture de la Renaissance.
3e pas Les relieurs
Tout comme dans les métiers que je viens
d’évoquer ci-dessus, la technique du relieur est
inséparable de l’art. La beauté de la
reliure dépend à la fois du sens artistique du
décor mais aussi de la qualité des
matières employées.
L’habileté des artisans exécutant une a
une des opérations précises et
délicates est affaire de savoir et de tradition transmise
jalousement au fil des temps.
On ne peut réellement parler de reliure qu’au
moment où le document prend la forme de codex,
c’est-à-dire d’un ensemble de cahiers
assemblés. Le souci de décorer ces reliures est
bien vite mis en avant. Le VIIe siècle verra la naissance de
la reliure d’orfèvrerie dont les plaques
d’ivoire rehaussées de pierreries les unes plus
scintillantes que les autres pareront de nombreux
évangéliaires.
Les livres de travail, eux, sont parés de
cuir. L’époque carolingienne en verra
également leur essor. Les filets et les dorures voient le
jour. L’apparition de plus en plus fréquente de
copistes et autres enlumineurs laïques conduiront les relieurs
a concevoir des reliures plus « abordables »
quoique admirablement décorées.
L’imprimerie naissante n’entravera en rien
l’essor leur avenir. La production sans cesse croissante
d’exemplaire conduira le métier de relieur
à des sommets que, paradoxalement, seule la
révolution française ralentira temporairement.
4e pas Les imprimeurs
Les métiers du livre sont nombreux et tous aussi riches les
uns que les autres. La fin du XVe siècle vit
naître cette révolution que l’Eglise
appela de ses vœux dans un but de répandre les
écrits mystiques judicieusement
sélectionnés au sein des œuvres
répandues antérieurement sous forme de
manuscrits.
Il ne me semble pas opportun ici de retracer les étapes de
la mainmise de l’Eglise sur l’instrument de culture
que devint le livre. Qu’il suffise ici de se
remémorer que le premier livre imprime sorti des presses de
Gütenberg fut la Bible.
La production massive de livres a
entraîné un mode de pensée
différent et nouveau pour le lecteur. Ce
caractère révolutionnaire, vite apparu dans les
textes imprimes, permis la diffusion rapide
d’idées scientifiques et favorisa la
laïcisation de la lecture.
L’imprimeur prend donc sciemment un risque en publiant
certains écrits. Il est donc a côte de
l’écrivain lorsque son prince, redoutant la
divulgation de certaines idées, conçoit une arme
que les premiers libéraux combattront avec virulence : la
censure.
En Angleterre, les premières réactions du
libéralisme prirent précisément la
lutte en vue de prôner la liberté
d’imprimer sans autorisation ni censure. John Milton
(1608-1674) en sera un de leur premier chef de file. En France,
Voltaire, bien plus tard, écrira « la
liberté de la presse est la base de toutes les autres
libertés ».
Petit a petit, nous touchons enfin au fond de
l’écrit plus qu’à sa forme.
Il nous reste à se pencher sur le métier
d’écrivain.
5e pas Les écrivains
C’est une bien d’une cavalière
façon que je laisse aux écrivains la
dernière place dans
l’énumération que je me suis
proposé de faire en ce deuxième voyage. Ne
serait-ce pas toutefois leur réserver la place de choix ? Si
tous les artifices des arts peuvent se réunir pour parer la
forme, il n’en reste pas moins vrai que c’est le
fond qui justifie l’existence de
l’écrit. Ils sont légion les auteurs
dont nous pourrions ici tenter d’approcher la
beauté intrinsèque de leurs écrits.
Passant de l’angoisse de ne savoir
qu’écrire à ne savoir comment
l’écrire, sans omettre les crampes tant gastriques
que celles dites « de l’écrivain
», il faut reconnaître qu’être
profane en cette matière n’est pas
aisé. Si, de plus, il faut plus crier
qu’écrire son message, s’il faut
affronter une censure, combattre l’obscurantisme et par la
risquer condamnation voire vindictes publique et princière,
il faut en plus avoir des…(pardon). C’est donc,
pour conclure, un vibrant hommage que je voudrais rendre aux
écrivains qu’ils soient poètes,
philosophes, pamphlétaires, journalistes ou
maçons.
Nous voici au terme de ce second voyage.
Vous aurez remarqué que nous n’avons fait que
rejoindre une chaîne d’union dont chaque maillon
participe à l’élaboration
d’une finalité : le livre. Il nous reste dans un
troisième voyage à évoquer la sagesse
de l’écrit maçonnique.
3e Voyage La sagesse de
l’écrit
V\M\, je vais avec votre accord lire un extrait du serment de
Maçon tel qu’il était
prononcé au temps du Marquis de Gages et que, dans une
formulation plus moderne et relativement expurgée, bon
nombre d’entre nous ont encore prête. Ce serment
englobait l’engagement à la fois de
l’App\ et du Comp\ puisque les deux
cérémonies étaient alors conjointes.
« […] Moi, untel, je promets et promets
ma parole d'honneur et de frère de ne jamais
révéler les secrets des Compagnons aux Apprentis,
encore moins aux profanes ni de jamais les tracer ni écrire
sur papier, marbre, pierre, airain, ardoise ni autre support mobile en
cas d'infraction je consens à être
déshonoré et de passer pour un infâme
[…] »
Je gage que s’il avait du être appliqué
à la lettre, ce serment aurait dramatiquement
éclairci nos rangs et que bon nombre de FF\\ auraient
été occis, à commencer par James
Anderson lui-même.
Soyons clairs, il n’est nullement ici question
d’interdire tout écrit sur la
maçonnerie mais bien de solliciter l’engagement
des FF\\ à ne rien dévoiler du secret
Maçonnique : ces moments tellement intenses que tout
Maçon qui se respecte et qui respecte ses FF\\ serait bien
incapable d’illustrer de mots.
Reste qu’il y va de
l’écrit maçonnique comme de
l’ensemble des sujets traités en
littérature. Il y a les sérieux et les autres.
Si, Maçon, je me dois de respecter la liberté de
l’autre, il me faut toutefois garder mon esprit critique et
donc ma propre liberté de penser. Quel merveilleux terrain
d’entraînement que celui de la
littérature maçonnique.
Ce troisième et dernier voyage m’aura
dévoilé un petit bout de la SAGESSE que
j’aurai découvert dans bon nombre
d’entre eux. Toutefois, mes impressions sont et resteront
parfois contradictoires et critiques. C’est donc
volontairement que j’ai souhaite en aborder quelques unes au
travers de citations profanes
délibérément choisies.
« Ecrire, c’est mettre en ordre ses
obsessions » Jean GRENIER
Nous sommes tous des obsédés. Mais nos obsessions
sont grandes. Elles sont Force, Sagesse et Beauté. Elles
sont aussi Liberté, Egalité,
Fraternité, … Notre Art consisterait donc
à y mettre bon ordre et à les mettre au service
de l’amélioration de la condition humaine.
J’ai relu la déclaration universelle des droits de
l’homme. Quelle merveilleuse suite d’obsessions que
voilà.
« L’écriture, c’est
la seule forme parfaite de temps » Jean-Marie
LECLEZIO
Si nous sommes généralement d’accord
pour convenir que le temps ne compte pas en Maçonnerie,
c’est peut-être parce qu’en nos Temples,
le temps et le naturel des choses vivent au même diapason.
Une chronologie ne se justifie pas, elle est symbiose avec chacun de
nos gestes. A les écrire nous ne faisons que les figer en
témoignage de notre propre intemporalité.
« Depuis que j’écris, je
compose mes souvenirs » Pierre MACORLAN
C’est dans les souvenirs des FF\\ qui nous ont
précédés sur les Colonnes que
réside la richesse de bon nombre de nos convictions.
C’est sur ces souvenirs que nous devons bâtir ceux
des FF\\ qui nous suivront aux quatre points cardinaux de nos Temples.
C’est une chaîne d’union que nous devons
construire dans le temps. J’ai humblement parcouru bon nombre
d’ouvrages rédigés par des FF\\.
Jamais, je n’ai eu l’impression
d’être un intrus pénétrant
leurs souvenirs. Souvent j’ai été
ému voire d’avantage a la lecture des relations de
moments qui m’ont moi-même fortement marques.
« A la question toujours posée :
pourquoi écrivez-vous, la réponse du
poète sera toujours la plus brève : pour mieux
vivre » SAINT JOHN-PERSE
N’en est-il pas de même pour le Maçon ?
Si nous sommes tous destines à rayonner tant que faire ce
peut dans le monde profane, ne devons-nous pas témoigner de
notre rage de vivre libre, ne devons-nous pas témoigner de
notre bonheur de vivre loin de tout dogme ?
« Ecrire n’est rien d’autre
qu’avoir le temps de dire : Je meurs »
Gaëtan PICON
Prendre le temps de dire « je meurs ». Serait-ce
avoir terminé de mettre de l’ordre dans ses
obsessions ? Serait-ce avoir bien vécu ou encore avoir note
son dernier souvenir ? Par ma part je crois qu’il
s’agit pour chacun d’entre nous de mourir pour
mieux renaître, riches de nouvelles expériences,
ouverts à de nouvelles destinées.
« Sais-tu ce que c’est
qu’écrire ? Une ancienne et très vague
mais jalouse pratique, dont gît le sens au mystère
du cœur » Stéphane MALLARME
C’est toutefois ici que cela se corse. Comme nos
mystères résident au plus profond de nos
cœurs, je crois pouvoir affirmer que le stress de la page
blanche est maçonnique. Mais n’est-ce pas mieux
ainsi puisque l’on est en droit de s’interroger sur
la raison même de l’existence de
l’écrit maçonnique en apparente
contradiction avec la tradition orale qui nous anime ? Je ne crois pas
avoir à apporter de réponse à cette
question mais je pense que c’est la liberté de
chacun de lire ce que la très abondante
littérature maçonnique propose. C’est
aussi la liberté de chaque frère
d’écrire. Et je ne crois pas que ce serait
à une instance comme une obédience
d’instaurer la censure dans nos Temples comme cela fut le cas
de par le passe.
« Il n’y a encore que les
gens qui écrivent qui sachent lire »
Paul LEATAUD
Le serpent qui se mord la queue ? Peut-être.
En tout cas une citation aux accents bien de chez nous et un petit clin
d’œil a notre F\ Secr\
Voilà, l’écrit m’aura permis
de faire le plus beau des voyages sans quitter ma table de travail. Car
c’est bien l’apanage du livre : il m’a
permis d’emprunter des chemins et de découvrir des
pays que je n’avais jamais parcourus, de
pénétrer l’âme humaine alors
que je n’y étais pas nécessairement
destiné, en tout cas de laisser, je le concède
bien humainement, mes sentiments prendre parfois le pas sur ma raison.
J’ai écrit, pardon, j’ai
dit V\M\
A\ O\
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