Ecole et
République
Pour ce travail collectif sur
le thème " L’École, reflet de notre
société, de toutes nos craintes et de
tous
nos espoirs ? Quelle
voix de la franc-maçonnerie pouvons-nous faire
entendre ? Quels constats et
quelles propositions
peuvent faire les francs-maçons ?". C’est sur le
lien fort qui unit la République
et son École que
je voudrais, ce soir, nourrir la réflexion en apportant
à travers cette contribution
l’esprit de
l’atelier Eugène Varlin.
Aussi
ai-je choisi de donner
à cette planche un titre résolument affirmatif :
Ecole
et République
doivent rester indissociables.
La
volonté républicaine
d’asseoir fortement la République à
travers une présence affirmée de
l’École,
c’est ce que nous
montrera une première partie d’inspiration
historique.
La
situation de crise vécue
aujourd’hui par notre société atteint
l’École. Un constat lucide mais sans concession
fera l’objet de la
deuxième partie.
Enfin,
si nous continuons à
croire en la République comme forme avancée
d’organisation de la vie sociale,
formulons pour
l’École publique, laïque tout ce qui lui
est nécessaire pour remplir sa
mission,
et ce sera la
troisième partie de mon intervention.
Dès
le siècle des Lumières,
l’importance de l’école est mise en
avant. Quelques citations pour illustrer
ce propos :
Montesquieu : "C’est
dans le gouvernement républicain que l’on a besoin
de toute la puissance
de
l’éducation."
Jean-Jacques
Rousseau :
“Former des citoyens n’est pas l’affaire
d’un jour, et pour les avoir
hommes,
il faut les instruire
enfants”.
Condorcet
: “On ne naît pas
citoyen, on le devient”. Selon ce dernier, “
l’instruction vise au perfectionnement
de
l’humanité autant qu’à la
perpétuation de la République, voilà
pourquoi elle est une
école d’humanité. Il est
important de s’instruire pour être
éclairé autant que pour être
républicain
“. Condorcet
propose de relier le savoir, le droit et la liberté. Il fait
de l’école un lieu
d’élaboration
de l’humanisme
et définit l’école comme organe de la
République.
La révolution de 1848
permettant l’avènement de la seconde
République et la pratique du
suffrage
universel (bien que
réservé seulement aux hommes) va voir ce
processus démocratique remis
en cause par le coup
d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte
récemment élu Président de la
République.
En effet, ce
dernier, au mépris de la volonté du peuple va
devenir empereur sous le titre de
Napoléon III. Pour les
Républicains, cet échec du suffrage universel va
être un élément
déclencheur.
Il faut faire
l’éducation au suffrage universel.
Il faudra attendre Jules
Ferry et ses lois scolaires pour voir mis en oeuvre ce concept. La
logique
en est la suivante : l’instruction
est
obligatoire entre
sept et treize ans. Obligatoire, l’école
est
donc gratuite afin
de ne créer aucune
charge pour les parents quel que soit leur revenu familial.
Obligatoire,
l’école
est donc laïque afin
de permettre à tous les
enfants, quelles que soient les convictions
de leur famille,
de se retrouver dans un cadre où les programmes et les
aménagements
n’imposent
à quiconque une
foi et un culte particuliers. Cette foi et ce culte sont
sauvegardés :
l’éducation
religieuse sera
dispensée hors-école publique ; une
journée, le jeudi, lui sera réservée.
Il importe maintenant de
souligner le lien entre ces dispositions bien connues avec le
régime républicain.
1. La
République se déclare d’abord
incompétente
pour enseigner un credo. Elle ne bénéficie
ni d’une révélation
divine ni d’une infaillibilité. Elle ne peut et
donc ne doit enseigner
dans l’école
publique que des savoirs justifiables en raison par des
méthodes
communément
acceptables.
2. La
République respecte la liberté de conscience
et la garantit. L’option philosophique
religieuse,
areligieuse,
antireligieuse est une affaire privée,
c'est-à-dire le résultat
d’un
choix personnel. Dans ce
domaine elle n’a ni à intervenir ni encore moins
à trancher.
La République
n’intervient que pour protéger
l’exercice de cette liberté.
3. Aussi,
de manière à éviter toute confusion,
la
République a voulu marquer nettement
la
distinction des domaines
par des séparations. Mot très significatif dans le
vocabulaire
juridique et donc
laïc : séparation des pouvoirs,
séparation des églises et
de
l’Etat. Cette séparation
se manifeste - dans
l’espace : le bâtiment
scolaire - dans
le temps : le dimanche
et, originellement, le jeudi sont des jours non
scolarisés
-
dans les personnels : les
membres du clergé ne peuvent être des
fonctionnaires
de
l’Instruction Publique.
On peut dire que la
laïcisation de la société à
travers l’école commence à ce
moment-là. Le processus
d’émancipation par
rapport à la domination de l’église
s’engage. Le pape Léon XIII
déclare
“L’école est le champ
de bataille où se décide si la
société restera ou non
chrétienne”.
Comment former des citoyens à
la liberté et aux devoirs républicains si
l’Eglise possède un pouvoir considérable
de façonnement
des consciences ?
Ferdinand
BUISSON apportera
une réponse cinglante : “L’Eglise est
logique, il faut être avec elle
ou
contre elle. L’école
laïque n’est pas une chose sans nom ou sans
caractère. Il faut opter : ou
l’école
rationaliste ou
l’école cléricale. Il n’y a
rien entre les deux.”
Pénétrés de cet idéal de
justice, d’égalité et de
fraternité, les hommes politiques de la troisième
République
– pour la plupart
francs-maçons – ont voulu cette école
publique, laïque. Ils allaient
affirmer,
un peu plus tard,
que la République française serait elle aussi
laïque. Seule condition pour
que
tous les Français se
reconnaissent en elle. Je ne développerai pas plus mais la
tiédeur des manifestations
officielles
pour célébrer la loi de 1905 m’ a
obligé à ce court rappel.
Venons
en à l’École
d’aujourd’hui. Elle
occupe une place
importante dans la société. Une
société
dans laquelle des
mutations profondes, inédites, rapides et incessantes
affectent toutes les dimensions
de la condition
humaine : connaissances, techniques, relations sociales,
identités, morale,
économie,
communications... Ces mutations créent des situations
incertaines, contradictoires,
paradoxales
et interdépendantes. Elles engagent de nouveaux champs de
responsabilités
pour tous les
humains.
Cependant, dans une société
où les repères se brouillent, les peurs
s’insinuent, l’avenir est
opaque,
l’emploi change de
nature et devient le plus souvent précaire, le repli sur soi
s’accentue, les inégalités
se creusent,
l’éducation et l’École
subissent de plein fouet les effets de cette crise. La
production
des richesses, le
progrès des sciences, la multiplication des informations ne
semblent plus
des promesses
d’émancipation, faute d’un partage
équitable.
Si l’École remplit encore,
malgré les bouleversements sociaux, et de plus en plus
difficilement,
la plus grande
part de ses fonctions, elle n’en est pas moins à
un tournant. Elle est confrontée
à des
ghettoïsations territoriales, à
l’extension de la pauvreté, des
inégalités et
des injustices,
aux souffrances
des populations marginalisées ou exclues, aux
inquiétudes et aux
interrogations
des
parents, au mal-être d’un nombre croissant
d’élèves, au malaise d’une
partie
des enseignants.
Sous l’effet des
incertitudes, face au développement des
inégalités, l’École est
victime d’une perte
de sens. Elle est
remise en question par une marchandisation rampante, y compris interne,
par la
concurrence d’officines
parascolaires privées qui se nourrissent de
l’angoisse et de l’échec, par
les
attentes multiples des
parents, les exigences contradictoires qui lui sont
assignées, la ségrégation interne
qui se renforce.
L’École en trop d’endroits,
est menacée de disqualification, d’implosion ou
d’explosion.
Nous
francs-maçons d’Eugène
Varlin, attachés à notre idéal
d’humanisme fait de fraternité
universelle
et de justice
sociale, nous ne pouvons accepter ce constat. Il est temps de nous
exprimer, nous
devons être les
initiateurs d’une volonté citoyenne de faire que
l’École redevienne le pilier
essentiel
de la République,
notre République, celle à laquelle nous faisons
référence à chacune de
nos
tenues.
C’est
sous le patronage de la
liberté de penser, de créer et d’agir
que nous plaçons l’École
laïque,
l’École
de la République.
Elle
n’est pas un
service public
ordinaire.
Pour situer un peu mieux la
difficulté de ce que doit être
l’École aujourd’hui et surtout demain, il
est
une réalité que nous
devons prendre en compte : le temps scolaire représente 10%
du temps de vie
des enfants et des
jeunes. Ils apprennent aussi devant la
télévision, Internet, dans la rue, en
famille
ou en groupe. Ce
constat exige la nécessité de donner à
l’École des objectifs clairs et de lui donner
les moyens nécessaires
à remplir sa fonction.
L’École doit retrouver et
réaffirmer sa mission d’émancipation. Elle
doit assurer l’acquisition
et la maîtrise
des savoirs, des connaissances et des compétences
indispensables à chacun.
L’École doit offrir aux
enfants et adolescents un espace
protecteur où
ils apprennent collectivement
à se
respecter, à se comprendre et à comprendre le
monde où ils vivent, où ils
apprennent,
ensemble, à vivre
ensemble. Le caractère laïque ne doit pas
être perçu comme
attentatoire
à la liberté
mais comme l’exigence constante du respect de tous. Le droit
à la différence, revendiqué
par certains au
nom de la liberté, exclut mais ne rassemble pas.
L’École
doit devenir un lieu
d’apprentissage de
la démocratie. Ce qui
suppose un fonctionnement
où les droits
individuels et collectifs de tous les acteurs de
l’École soient reconnus.
Si
nous osons affirmer que
l’École n’est pas un service public
ordinaire mais que c’est une
institution
de l’État, cela
veut dire que celui-ci doit garantir les objectifs et ce qui se fait
dans l’École
publique.
Si
nous osons affirmer que
les missions de l’École – telles que
nous venons de les énoncer – sont
les
missions d’une École à
laquelle nous croyons sincèrement parce qu’elle
seule est le premier maillon
du nécessaire vivre
ensemble, alors comment comprendre cet abandon idéologique ?
Allons-nous
accepter la
marchandisation rampante de l’école ? Allons-nous
laisser s’établir dans les esprits
que cette École
publique est disqualifiée et que seules des officines
privées sont à même
d’apporter
des réponses
sérieuses aux inquiétudes de nos concitoyens ?
Allons-nous assister, sans
réagir,
à la mise en
concurrence des établissements scolaires sous
prétexte d’obligation de
résultats
? Force est de
constater que l’enseignement privé et
confessionnel se situe dans ce registre
lorsqu’il
s’agit de
communiquer dans ce domaine.
Où le vivre ensemble
harmonieux peut-il le mieux commencer à
s’élaborer ? Nous faisons
tous
le constat d’une société
de plus en plus individuelle, sans communication véritable
entre ses différentes
composantes où
les seuls critères d’identification sont sociaux,
professionnels, communautaristes...
Allons-nous abandonner le dernier bastion commun à tous les
jeunes de France, pour
nous adapter à l’air du
temps et ainsi nous soumettre à la mondialisation
libérale ? L’École doit
imposer
ses exigences
intellectuelles et morales si elle veut rester libératrice.
L’École publique
doit redevenir
le creuset de la
vie sociale adulte.
Mais soyons réalistes, il ne
suffit pas de nous lancer dans des incantations pour
défendre cette École
publique,
sachons encourager
chez nos élus républicains – dont un
certain nombre sont nos frères –
les
manifestations en actes
de leurs convictions républicaines qu’ils
affichent seulement dans leurs propos.
Si la République veut
assigner à son École publique ces missions, elle
doit conforter celle-ci dans trois
domaines :
-
réaffirmer la laïcité
institutionnelle comme principe raisonnable d’organisation
sociale et intellectuelle.
La laïcité
n’est pas qu’un principe permettant un mode
d’organisation de la société
pour
vivre ensemble, elle est
d’abord une valeur fondant la liberté, la
fraternité, la solidarité, la ustice
et l’égalité, et
assurant la construction d’une personne à la fois
autonome et solidaire.
-
définir son objectif de
qualification de la personne pour former le futur homme, le futur
citoyen
et le futur
travailleur en respectant l’individualité de
chacun dans un collectif social de fraternité.
-
affirmer et reconnaître un
droit à l’éducation permettant de
respecter les attentes et les rythmes
de chacun.
Vaste
et ambitieux programme
que celui-ci ! Il ne nous appartient pas de formuler, de
détailler
dans les moindres
détails tous les contenus de l’École,
mais d’être une force de proposition
pour
que cette institution de
la République permette à chacun de ses enfants de
vivre pleinement,
lorsqu’il
sera devenu adulte,
son statut de citoyen responsable des devoirs et de ses droits.
Toutefois,
soyons réalistes,
cette École publique, laïque ne peut à
elle seule prétendre résoudre
toutes les
difficultés que j’ai
évoquées dans la deuxième partie de
mon exposé. Les mots liberté,
égalité, fraternité
de plus en plus souvent inscrits sur les frontons de nos
écoles rénovées – et
je
m’en réjouis tout
particulièrement – ne peuvent être
porteurs de sens si la société ne les fait
pas siens.
Des réponses justes doivent
être apportées aux problèmes du
logement, de l’emploi qui
conditionnent
la vie de tout
être humain. Ne nous contentons pas seulement d’un
discours humaniste
généreux mais
essayons partout où nous le pouvons de construire cet espace
de vie pour
que
chacun s’y sente conforté
dans sa dignité d’homme.
En
France, s’affirmer
républicain c’est être laïque.
Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Je
dirai
tout simplement :
affecter toutes les forces humaines et financières de
l’État au seul service de
ce
qui est commun à tous et
qui contribue à rendre compréhensible par tous
notre devise républicaine.
Le service
public a des contraintes en termes
d’égalité, de continuité sur
le territoire, de
laïcité, de gratuité qui
ne s’appliquent pas au privé. A obligations
différentes, ne sauraient
correspondre
des droits
égaux.
Arrive le moment de la
conclusion. Nous francs-maçons, que pouvons nous faire ? Nous
réunir
dans la sécurité
fraternelle de nos temples, échanger, débattre,
promouvoir des idées novatrices
?
A la fin de chacune de nos
tenues, le frère second surveillant dit : « ...ils
promettent de continuer,
en dehors du
temple l’oeuvre maçonnique... »
C’est
sur cette oeuvre
maçonnique, résultat de notre engagement
initiatique que je voudrais terminer.
Que chacun d’entre
nous, dans le monde profane, engagé dans l’action
militante politique ou
associative n’oublie pas
son serment.
J’ai commencé cette planche
par une citation, vous me permettrait pour finir de citer Diderot :
« Avoir
des esclaves est grave,
mais il y a plus intolérable, avoir des esclaves et les
appeler citoyens ».
Dans
un monde dominé par une
pensée unique, libérale et hyper
médiatisée, les citoyens deviennent vite
des esclaves qui s’ignorent.
L’École
publique laïque est
une grande ambition pour éviter cela si nous savons faire
partager la foi pour
cette oeuvre de raison
et de justice.
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