Tubalcain

D'une manière générale le monde dans lequel nous vivons est bipolaire et l'Homme est à son image. Il oscille le plus souvent entre inclinaison personnelle et obligation sociale, passion et raison, crainte et espoir et subit ces changements d'état plus qu'il n'y adhère. Ses élans vers l'élévation morale et spirituelle sont le plus souvent parasités par son aspiration égotique. Tout se passe comme si « le plus être » s'opposait constamment au « mieux être », comme si le désir matériel éteignait l'aspiration spirituelle, comme si tous les jours Caïn tuait Abel.

Dans la mythologie judéo-chrétien Caïn, fils ainé d'Adam et d’Ève, était cultivateur. Abel, son frère cadet, berger. Il présentèrent chacun une offrande à Dieu, Caïn des produits du sol et Abel des premiers nés de son troupeau. Dieu accepta l'offrande d'Abel mais rejeta celle de Caïn. Ce dernier par dépit tua son frère et enterra son corps. Yahvé maudit alors Caïn : il ne pourrait plus cultiver le sol qu'il avait souillé. Puis il le condamna à errer sur la terre, non sans l'avoir marqué afin que nul ne le tue. Caïn parti alors vers l'orient ou il prit femme et fonda une lignée.

Abel est pasteur. Il va là où le vent le pousse, vivant dans le monde sans le changer en acteur d'une fertilité spontanée. Caïn est agriculteur, donc sédentaire et acteur d'une fertilité structurée par l'homme. Il défriche, laboure, ensemence la terre, l'arrose, soigne les plantes et récolte le fruit de son travail. Mais ce faisant, Caïn agit directement sur le monde. Il modifie la création en appliquant la Connaissance que ses parents lui ont transmise et chèrement payée. Peut être est ce là la raison du rejet de son offrande ? Mais peu importe car Caïn tua Abel ou, étymologiquement, le désir de puissance et de possession tuèrent la pensée et la spiritualité.

Ramené à l’échelle d'un homme, cette fable exprime clairement la dualité intérieure. Un déséquilibre dans laquelle le côté « caïnite » de notre personnalité prend le pas sur l'aspect « abèlique ». Le contraire n'aurait pas été plus souhaitable car il aurait résulté du déséquilibre inverse.

Après son meurtre Caïn le sédentaire est forcé à l'errance. Il va à l'orient au pays de Nod, pays imaginaire dont le nom proviendrait de « nad » signifiant « errant » en hébreu. La bible nous dit qu'il y devint « un constructeur de ville » et qu'il engendra une lignée. La 7ème génération de cette lignée donna d'un côté Yabal le berger et Yubal le musicien et de l'autre Naama la courtisane et Tubalcaïn le forgeron.

Le nom de cet ancêtre mythique « de tous les forgerons en cuivre et en fer » est formé de la racine « Bal » que l'on retrouve dans Abel et de Caïn. Étymologiquement il  représente donc l'union du spirituel et du matériel. Il réconcilie les deux aspects les plus antagonistes qui soient, ceux à l'origine d'une fracture intérieure. Il symbolise le retour à l'Unité par le Ternaire. Abel et Caïn ne font plus qu'un. L'initié devient littéralement l'axe spirituel du monde, autre signification découlant des noms Caïn et Abel.

Mais en plus de cette dimension étymologique Tubalcaïn possède sa signification hébraïque propre : « possession du monde ». Elle n'est en rien apparentée à une quelconque possession physique mais est le reflet de la liberté que ressent l'initié parvenu à l'Unité. De même que le Maître a acquis la liberté de s'assoir où il le désire en loge, de même Tubalcaïn lui montre qu'il doit acquérir la liberté d'être lui même dans le Monde. Tel un Hiram des temps modernes l'initié est mort et revenu à la vie. Quel besoin peut il encore avoir des faux fuyant ou des masques profanes ? Il doit être conscient de sa liberté d'être et du prix à en payer. Il est souverain et libre. Ou du moins il ne tient qu'à lui de l'être.

En tant que  mot de passe Tubalcaïn donne les clés de la Chambre du Milieu au Comp\. Il lui indique le nécessaire travail qu'il va devoir effectuer en tant que M\ Maç\ pour être au centre du cercle : atteindre cette souveraineté qui lui permettra de « combattre les préjugés qui s'opposent au développement des connaissances humaines ». En commençant par les siens, ses 3 mauvais Comp\ qui tapis en son sein n'attendent que sa faiblesse pour le terrasser.

Tubalcaïn est forgeron, tout comme Hiram l'était en plus d'être architecte. Celui dont la maîtrise des éléments, de l’art du feu et de l'air permet de mettre en œuvre la purification du métal issu de la terre. Celui qui va lui donner sa force en le trempant dans l'eau purificatrice. Celui dont la Connaissance permet de lui donner une forme en rapport avec sa destination. Son œuvre, « le Soleil en est le père, la Lune en est la mère, le Vent l’a porté dans son ventre ; la Terre en est la nourrice ». Partir du minerai brut et par la grâce des éléments et de la Connaissance le façonner et le transformer n'est il pas comparable à la démarche alchimique ? Le forgeron purifie et ordonne ; de ordo ab chao. Vécu par l'initié ce symbole lui permet de se débarrasser définitivement de sa gangue, de sa couche la plus externe. Mais attention, le vieil homme est mort ; vive le vieil homme. A ce stade, l'age de l'initié est de 7 ans et plus, ce qui signifie que sa Connaissance doit s'accroître indéfiniment. Le M\ Maç\ doit poursuivre l'érection et la destruction de son T\ personnel en spirale ascendante au rythme des St. Jean.

Avant qu'il ne renaisse en Hiram sous le linceul, Tubalcaïn au permet à l'initié parvenu au terme de l’enseignement des deux premiers grades de se débarrasser de ses dernières chaines, d'acquérir la maîtrise de l’énergie qui est en lui et le moyen de la mettre en œuvre. Le M\ Maç\ disposera ainsi non seulement de sa liberté et de sa souveraineté mais pourra s'en servir pour purifier ses métaux. Lorsqu’il voyagera « de l'Or\ à l'Occ\ et par toute la Terre » il pourra en faire un usage éclairé et « contribuer enfin à élever sans cesse l'état moral et matériel des individus et de la Société toute entière ».

Car ne nous y trompons pas, l'introspection et la prise de conscience des lois qui régissent le Cosmos sont nécessaires. La Connaissance, l'étude des Arts et des Sciences ainsi que le Travail indispensables. Mais le rituel est clair, le dessein final d'un M\ Maç\ est de « combattre les préjugés qui s'opposent au développement des connaissances humaines ; briser le joug de l'Ignorance, du Fanatisme et de l'Ambition déréglée pour établir la règle de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité ». Et cela ne se fera pas par la contemplation, ni même, Ô suprême utopie, par la seule émulation que pourraient induire l'exemple d'hommes libres et de bonnes mœurs. Tubalcaïn nous dit que répandre à l'entour la Lumière entrevue en Loge se fera par la voie politique !

En effet, le symbole du forgeron ne se réduit pas à sa seule dimension ésotérique. Il a également une dimension pragmatique. Quoiqu'en dehors de la cité et de sa vaine agitation, il est un artisan participant activement à sa vie économique et civique, à la π ο λ ι τ ι κ η. C'est la voie d'action que nous indique Tubalcaïn le forgeron. Non la controverse de politique politicienne, réprouvée d'ailleurs aussi bien par la règle en douze points que les landmarks mais par la politique. Ce que Victor Hugo appelait « cette nécessité à répondre éthiquement et moralement à la tache d'être citoyen de ce monde ». C'est en cela que l'on peut dire que la Maç\ et les Maç\ ont joué un rôle politique tout au long de l'histoire, histoire que nous n'aborderons pas ici. La plus que faible implication actuelle de notre obédience dans le politique est à mettre en balance avec le rôle plus qu'actif d'une autre Maç\ régulière, la Maç\ américaine.

Sans cette implication dans la vie de la cité, comment laisser s'exprimer utilement l'Hospitalier qui est en chacun de nous ? Comment faire en sorte que notre Travail ne s’arrête jamais et que ce qui est cherché en Loge se continue dans le monde ? Ce n'est pas en glissant quelques piécettes dans le tronc de la Veuve que nous feront œuvre pleinement utile. Certes par notre attitude nous devons  répandre à l'entour la Lumière que nous avons entrevue dans les opérations de la Loge de St Jean. Mais qui d'entre vous mes F\ peut affirmer ici que cela suffit pour faire notre devoir quand la Maç\ elle même ne s'y est pas cantonnée tout au long de son histoire ? La spéculation pure fini par émasculer. Changer l'Homme pour changer la société ne s'oppose pas obligatoirement à changer la société pour changer l'Homme. Les deux démarches peuvent se faire en parallèle. Tel Janus, elles sont les 2 aspects d'un même dessein, apparemment opposées mais ô combien indissociables à l'instar de Tubalcaïn le forgeron qui réunit Abel et Caïn et là nous contribuerons réellement à établir la règle de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité.

J'ai dit très V\ M\