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La Pauvreté


Lorsque Jean le Baptiste, envoya ses disciples demander à Jésus s'il était le Messie, Jésus témoigna ainsi: "La Banne Nouvelle est annoncée aux pauvres".

L'ésotérisme des divines paroles n'est pour nous perceptible que par cette pauvreté en Esprit, qui est le sens du divin en nous, le sens qui nous oriente sur la voie. Cette 16ème lettre de PHANEG repose sur deux divines paroles extraites du "Sermon sur la montagne": "Nul ne peut servir Dieu et Mammon" (Mt,VI,24) et "Heureux les Pauvres en Esprit car ils verront Dieu." (Mt,V,8)

Parce que l'or est analogiquement le sang de la terre, l'âme de la terre est aurifère. Celui que l'Évangile nomme Mammon a capté l'âme de la terre et subjugué le genre humain. "Mammon, relève PHANEG, est vraiment roi dans la matière comme le Christ est roi dans l'Esprit", Mammon, l'argent-idole, Mammon, "l'inique Mammon" selon l'expression de Saint Luc.

Observons ce nom "Mammon". La Genèse narre la séparation entre les "eaux qui sont au-dessus de l'étendue" et les "eaux qui sont au-dessous de l'étendue" (Genèse, 1, 6-7). Les eaux d'en haut, la Kabbale les appelle "Mi" et elle nomme "Ma" les eaux d'en-bas. "Mammon" est donc le roi de "Ma". Son royaume n'est qu'une illusion, "Maya", engendrée par l'ignorance des "cieux" - car "Mi" et "Ma" sont reliés par l'"étendue" qui, au verset 8 de la Genèse, est appelée Shamaïm que l'on traduit par "les cieux" ou "le Ciel". L'illusion du monde de Mammon repose donc sur l'incapacité de se relier et d'accueillir le "Shin" qui rassemble les deux mondes en donnant lieu au nom de Shamaïm. La Pauvreté en Esprit est précisément cet état de vacuité harmonique qui rétablit l'échelle de l'"étendue". C'est en cela que nous pouvons dire avec PHANEG que "la vraie pauvreté est un grand moyen d'action pour le Ciel."

Cependant si, à l'exemple de Saint Mathieu, PHANEG, est amené à souligner la pauvreté en Esprit, il insiste parallèlement sur la pauvreté effective que Jésus a recommandé maintes fois, tout en la pratiquant lui-même: "Tout l'Évangile est plein de louanges de la pauvreté, car elle est partout le symbole du renoncement aux faveurs du Prince de ce Monde: Jésus naît et vit dans la pauvreté volontaire."

Mais, ce n'est pas selon une critériologie strictement économiste que PHANEG emploie le terme de "pauvreté": être pauvre, c'est pour lui être "En chemin", c'est-à-dire sur la voie spirituelle définie par notre maître Yeshouah. Métaphysiquement, le pauvre pourrait être défini comme celui qui a absolument tort par rapport à ce monde. Pauvre est celui qui représente tout ce qu'il y a de non-pouvoir et que tout pouvoir se propose d'exterminer. Pauvre est le négateur absolu de la négation totale, pauvre est celui dont le royaume n'est pas de ce monde. Le pauvre ainsi entendu est celui qui, ayant renoncé à lui-même, n'a plus d'attaches. Certains, parmi ceux qui sont réellement "en chemin", reconnaîtront dans ce pauvre absolu l'être méprisé, persécuté, anéanti, broyé, l'intercesseur de l'humanité qui apparaît dans le "Quatrième chant du Serviteur" d'Isaïe et, à sa suite tous les Serviteurs en communion avec Lui: le "poverello", Saint François d'Assise ou Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, l'un et l'autre les prototypes les plus purs des initiés christiques du monde moderne.

"Celui qui aime vraiment Dieu, écrit Sainte Thérèse, regarde comme un gain et une récompense de perdre toute chose et de se perdre encore lui-même pour Dieu."

La vie, vécue dans la perspective du Royaume, convertit le sens de l'humain. Les pauvres sont disponibles pour le Royaume, ainsi que "les petits" ou "les derniers". Là-bas les pauvres seront riches et les petits seront grands; là-bas les derniers seront les premiers.

Où réside la Voie et son Opposé, où réside l'Élection et quel est le lieu de la Perdition ? Si le royaume du Christ n'est pas de ce monde, ceux qui ont la vocation du chemin savent que ce monde est aussi son royaume. Car, aux yeux du pèlerin il n'est qu'une seule Clef pour les deux Royaumes et celle-ci s'appelle Pauvreté. Cette clef est l'étendue qui relie le Ciel à la Terre.

Il y a cependant une Pauvreté de la richesse et une richesse de la Pauvreté. Seule la seconde est l'authentique "pauvreté christique", la seule "pauvreté vraie". "C'est, qu'à côté de la Divine Pauvreté, il y a la fausse, l'infernale", ce dont PHANEG nous avertit.

Cette pauvreté infernale est celle du refus du nom divin, celle de la séparation de "Ma" et de "Mi". Il y a une double pauvreté infernale: l'une des "eaux d'en-bas" et l'autre des "eaux d'en-haut". La pauvreté infernale est précisément cette "coupure" avec la relation de l'Amour. Pauvreté luciférienne de l'Ange d'orgueil, pauvreté satanique de l'infra-humain.

Si le pauvre n'a rien - "nada", dirait saint Jean de la Croix - , il est tout s'il ose prononcer l'Amen, c'est-à-dire s'il reconnaît sa propre pauvreté et qu'il la profère du lieu d'où le Pauvre naît en lui. Car, voici: le Coeur est ce lieu d'où le Pauvre naît en nous. C'est de ce lieu que l'homme doit parler à l'homme pour qu'advienne ce Commencement - Bereshit - qui est la Relation. Parler à Dieu au nom de l'homme, c'est toujours parler au nom du pauvre. C'est au nom du pauvre qu'a lieu la Rencontre. Car l'unique pauvreté pour l'homme est de n'être pas Dieu, et c'est pourquoi, Dieu en se faisant homme, c'est fait pauvre; parce que, Dieu étant la mesure de toute chose, ce n'est qu'à l'aune de Dieu que l'homme doit mesurer la Pauvreté. Il n'est qu'une seule pauvreté, celle d'être un homme et de n'être pas Dieu. Ainsi, être "en chemin", c'est marcher vers Celui qui détient la parole de toutes les pauvretés, c'est aller vers le Pauvre absolu.

"Vous connaissez, écrit Saint Paul aux Corinthiens, comment de riche il s'est fait pauvre pour vous." (2 Corinthiens, 8-9) Et le même Saint Paul précisera aux Philippiens: "Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu, mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, en devenant semblable aux hommes." (Philippiens 2, 6-9)

Les Béatitudes sont la Parole du riche entre les riches qui s'est fait pauvre entre les pauvres, afin de partager sa richesse divine, plus encore - si cela était possible - qu'il a partage notre pauvreté humaine. Dieu ne peut aller plus loin qu'en Jésus-Christ dans la révélation de sa miséricorde pour l'homme qui est pauvre, pauvre de n'être pas Dieu. Mais à celui qui n'est pas Dieu, Dieu vient révéler qu'il est capable de Dieu comme Lui fut capable de l'homme: être pauvre, c'est avoir cette capacité d'être "en chemin", c'est être capable de Dieu. Tout ce qui masque à l'homme sa pauvreté radicale d'homme l'éloigne de Dieu, l'unique richesse fondamentale - les richesses matérielles, autant que les richesses intellectuelles ou morales, tout l'éloigne de Dieu. Car certaines charités s'attachent à la misère du prochain d'une façon trop humaine, "humanitaire" dirions-nous, c'est-à-dire qu'elles adoptent une position de riche devant le pauvre. Cette "mauvaise foi" n'est pas la communication profonde avec la pauvreté de l'autre, pauvreté que l'on ne peut saisir qu'à partir de notre propre pauvreté. Tel est le mystère de la Charité, de pauvreté à pauvreté, de mon coeur à ton coeur. Celui qui n'a pas découvert et accepté sa pauvreté personnelle ne peut comprendre la pauvreté de l'autre. Quiconque n'a jamais rencontré sa pauvreté ne s'est jamais rencontré lui-même, c'est-à-dire qu'il n'a jamais rencontré l'autre.

Ces divines paroles: "Quiconque aura tout quitté pour l'amour de moi, héritera la vie éternelle", François d'Assise, l'Initié prototype de l'Occident des derniers temps, les réalisa lorsqu'il renonça à son père.

Pierre de Bernardone, marchand drapier d'Assise, voulait déshériter son fils François et demandait la restitution de l'argent qu'il pensait que son fils possédait encore. Le père et le fils comparurent devant l'évêque GUIDO - ainsi qu'on peut le voir sur la fresque peinte par GIOTTO à l'église Sainte-Croix à Florence. Le prélat s'adressa ainsi à François: "Si ton intention est vraiment de te consacrer au service de Dieu, tu dois d'abord restituer à ton père son mammon, qui peut-être a été acquis par des moyens injustes, et qui, par suite, ne saurait être affecté au profit de l'Église !"

De telles paroles n'étaient pas faites pour tempérer la mauvaise humeur du marchand. Tous les regards de l'assistance allaient de lui à son fils. Alors se produisit une chose sublime, une chose qui jamais encore ne s'était produite dans l'histoire de l'humanité, et qui jamais plus ne devait se produire, une chose que, durant des siècles, les peintres allaient représenter, et les poètes chanter, et les prêtres célébrer dans leurs sermons, une chose qui, jusqu'à la fin des temps, ne se reproduirait plus.

Avec des yeux étincelants, François se leva. "Seigneur, dit-il en se tournant vers l'évêque, je vais rendre à mon père non seulement l'argent que j'ai de lui, mais encore mon vêtement qui me vient de lui !" Et, avant que quiconque ait pu avoir l'idée de ce qu'il voulait faire, il disparut dans une chambre voisine d'où, l'instant d'après, il réapparut, complètement nu, tenant sur son bras tous ses vêtements. D'un même mouvement instinctif, les assistants se levèrent, tandis que Pierre de Bernardone et son fils François se dressaient, debout en face l'un de l'autre.

Et le jeune homme avait une voix toute frémissante d'émotion retenue, la tête haute et les yeux fixés devant lui, comme s'il contemplait quelque chose ou quelqu'un dans le lointain, quand il s'écria: "Écoutez tous ce que j'ai à dire ! Jusqu'ici, j'ai appelé Pierre de Bernardone mon père: mais maintenant voici que je lui rends son or, et tous les vêtements que j'ai de lui; de telle sorte que, désormais, je ne dirai plus mon père Pierre de Bernardone, mais Notre Père qui êtes aux Cieux !" Voilà comment, sur le chemin du Père, en renonçant à son père, François devint le "poverello". 


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