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Corps, Âme, Esprit : Ternaire maçonnique
 
 
S’il est facile de parler du corps, parler de l’âme et de l’esprit s’avère plus complexe. J’ai souvent constaté quelques hésitations quand il fallait faire une distinction claire entre l’âme et l’esprit. C’est bien souvent une affaire de conviction, de foi qui permet à chacun de différencier ces deux concepts. L’esprit peut être relié à notre partie corporelle supérieure celle qui se situe au- dessus de la gorge, voir au-dessus du nombril. Cela rappellera pour les Francs-Maçons certains signes.
Si l’esprit peut être facilement assimilé à la spiritualité, voir la conscience. L’âme parle à nos sens et à notre intuition, elle est si difficile a concevoir qu’elle peut être ce qui nous met en relation avec le Grand Architecte. Elle nous oblige à sortir de notre corporalité, notre matérialité.
 
Dans une conférence donnée rue Puteaux, notre F :. Paul Duclos rappelle que la civilisation occidentale a fait le choix depuis la fin du Moyen-Âge de concevoir l’être humain selon une vision dualiste, à deux composants : la matière et l’esprit. Elle abandonnait alors la vision  ternaire issue de ses propres traditions et qui décrivait un être humain composé d’un corps, d’une âme et d’un esprit.
Cette conception a permis le développement extraordinaire de la science en occident. Elle s’est même progressivement transformée, en matérialisme le plus évident. Parallèlement la religion catholique s’est faite, elle aussi, dualiste pour ne pas se trouver en porte à faux avec la science.
Notre F : conférencier affirme que la Franc-Maçonnerie a toujours su conserver en son sein les différents mouvements qui traversaient la société. Grâce à cette richesse, n’offre-t-elle pas une grille de lecture traditionnelle tripartite finalement plus féconde que le dualisme ?
 
Selon lui, la vision dualiste semble dépassée : on considère aujourd’hui que tout l’être humain se résume à son cerveau. Cette conception, en effet, est peut être la vision la plus répandue parmi les scientifiques. L’idée générale serait toujours que « les sentiments, les émotions ne sont que des modifications de votre cerveau ; seule l’étendue existe, il n’y a pas de substance immatérielle ».
 
Pourtant, ces progrès techniques et scientifiques sont suivis de près par la philosophie de l’esprit.  Pour  eux, la conscience ne peut naître de l’évolution de la matière. Et si la physique ne peut expliquer la conscience, c’est que celle-ci vient d’autre chose. Ces philosophes proposent ainsi une visée transcendante à la fois plus modeste et plus réaliste, mais aussi plus complète et peut-être plus féconde que la voie dualiste.
Si nous nous interrogeons maintenant sur l’approche par la religion  chrétienne, force est de constater que l’on peut noter des réflexions très parallèles.
Actuellement, toujours selon  notre conférencier, la position de l’Église catholique est résolument dualiste depuis le concile de Vienne au quatorzième siècle.
Avant ce concile, les positions étaient beaucoup plus ambigües voire franchement trinitaires. Et on peut facilement, selon les exégètes, vérifier que nombreux sont les exemples, dans les écritures saintes et dans les commentaires des pères de l’Église, de cette répartition Corps, Âme et Esprit aujourd’hui rejetée.
Que dire en effet de la célèbre formule de Saint Paul : «que le Dieu de la paix vous sanctifie totalement et que tout votre être entier, l’esprit (pneuma), l’âme (psyché) et le corps (soma) soient gardés sans reproche pour l’avènement de Notre Seigneur Jésus », Paul, 1er épitre aux Théssaloniciens, V, 23.
 
Comment distinguer l’esprit
Alors Corps et Âme ou Corps, Âme, Esprit ? Le choix d’une conception dualiste ou tripartite s’assimile au choix d’une vision du monde.
La dualité s’enracine dans un vécu qui privilégie l’image de la personne, alors qu’elle est qu’une simple apparence. L’approche ternaire tient sa spécificité dans la troisième composante : l’esprit ; un mot qui s’est vu affecté de sens multiples mais qu’il convient d’abord de distinguer, c’est à dire de percevoir.  Pour parler de l’esprit, les traditions utilisent essentiellement des symboles et des récits symboliques, c’est-à-dire des mythes. Mais il en est de plus essentiels que d’autres : celui de la deuxième naissance et de l’initiation, ou celui de la métamorphose grâce à laquelle l’homme naît à lui-même, c’est-à-dire passe de sa condition « Corps et Âme », de sa condition  naturelle, à sa condition spirituelle « Corps, Âme, Esprit ».
Et quand est perçue la possibilité de l’existence de l’esprit, reste encore à bien distinguer l’âme de l’esprit.
 
Comment distinguer l’âme de l’esprit
Distinguer l’âme de l’esprit revient souvent à discriminer le psychisme du spirituel. En effet, le mot même « âme » vient du latin anima qui lui-même traduit le mot grec psyché.
Saint Paul avait vu la difficulté quand il écrivait en 1er épître aux Corinthiens II 14-15 «l’homme psychique (psychikos antropos, animalis homo) ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu ; en effet c’est folie pour lui et il ne peut en avoir la gnose, car il faut le discerner spirituellement. L’homme spirituel, quant à lui, juge toute chose et n’est lui-même jugé par personne ».
 
Ce qui rend les choses plus difficiles, c’est que le mot « spirituel » a acquis au fil du temps de trop nombreuses significations.  Mélangeant inévitablement le domaine spirituel avec celui du paranormal. Or, il faut comprendre le spirituel comme étant d’un ordre différent.
Mais, il faut noter que, ne pourra sûrement différencier le psychique du spirituel, que celui ayant une expérience suffisante de ces deux plans. En effet l’Esprit possède une saveur propre, exactement de la même manière que chaque aliment a un goût qui lui appartient. Nul ne peut reconnaître une saveur qui ne la connaît déjà. Comment, en effet, expliquer le goût des fraises à quelqu’un qui n’en a jamais mangé ?
 
 
La tripartition, le symbolisme et la Franc-Maçonnerie
 
Parmi les véhicules qui n’ont pas renié  le ternaire et qui ont conservé les outils intellectuels pour le comprendre et le vivre, on peut citer la franc- maçonnerie traditionnelle. Cet ordre initiatique a pour but d’aider les francs-maçons à discriminer l’esprit ; et elle utilise le symbolisme comme moyen d’accès à cette univers particulier.
 
D’une façon générale, la pensée est le cheminement en réponse à l’appel de l’Être. Pour penser l’impensable, il faut oublier la logique des horloges et redécouvrir la logique des nuages selon l’expression de Karl Popper. Il faut abandonner la logique de déduction pour adopter notamment le raisonnement  par analogie.
Ce raisonnement loin d’être enfantin est celui qui mène au symbolisme, la porte d’entrée du monde de l’esprit, et, on l’a vu, la pratique sérieuse à laquelle consentent les francs-maçons dans leurs travaux.
 
Pour dépasser la dualité, dans toutes les traditions, le sens même d’une  conception tripartite : corps, âme, esprit, repose sur une distinction fondamentale de niveau entre les notions  de psychique et  de spirituel, ou d’âme et d’esprit.
 
La franc-maçonnerie est initiatique, disait-on. Depuis que la franc-maçonnerie, comme la société profane, s’est déchristianisée, elle ne fait plus les maçons (to make a mason disait-on au début de la maçonnerie), elle les initie. Il a fallu, en substitut au mythe chrétien, renouer avec le monde de l’esprit. L’initiation, en effet, fait référence à une renaissance, à une nouvelle vie, au monde de l’esprit. En reconnaissant ce monde de l’esprit auquel elle propose d’accéder, la doctrine de la franc-maçonnerie, car doctrine il y a, est tripartite, explique notre F :. Paul Duclos.
 
La franc-maçonnerie utilise le symbolisme comme chemin d’accès au contenu initiatique de l’ordre. Le symbolisme conduit à la loi de correspondance : ainsi, toutes choses s’enchaînent et se correspondent pour concourir à l’harmonie universelle. Harmonie universelle qui est elle-même comme le reflet de l’unité principiel.
Par cette loi, les trois grandes lumières de la franc-maçonnerie, un de ses  piliers les plus importants, est en correspondance avec la tripartition : corps, âme, esprit.
En effet, l’équerre, le livre de la loi sacrée, et le compas, sont en correspondance avec la Terre, l’homme véritable ou médiateur, et le Ciel ; et le corps, l’âme et l’esprit sont en correspondance avec la Terre, le médiateur, et le Ciel comme le microcosme et en correspondance avec le macrocosme.
La Franc-Maçonnerie considère, conformément à la tradition, l’homme ternaire composé d’un corps, d’une âme, et d’esprit. Mais il convient de le ramener à l’unité, l’Un.
 
Qu’est-ce que l’âme ? Pour répondre à cette question posée dès le début de mes propos. C’est, de mon point de vue, la partie spirituelle de nous-même, surtout en ce qu’elle a de sentimental et de moral, ainsi de conscient et de personnel, l’esprit étant, de plus, intellectuel, souvent inconscient et essentiellement impersonnel.
 
Illusion disent les matérialistes ; pas d’âme sans nerfs ni cerveau, or ceux-ci sont matériels; tout se ramène à la matière, la pensée n’est qu’une sécrétion cérébrale, et la conscience elle-même qu’un reflet de la vie corporelle.
Lors donc que celle-ci disparaît, la conscience s’évanouit avec elle. L’âme n’existe pas, ou du moins elle n’est qu’un aspect du corps, dont elle suit le mortel destin.

Allégation contredite par l’histoire des idées; depuis les Égyptiens de la plus haute antiquité jusqu’à nous, l’homme a toujours pensé recéler dans la partie la plus haute et la plus lumineuse de lui-même, un principe différent du corps, qui lui commande et lui survit. Feu divin, selon les stoïciens ; parcelle de divinité chez les chrétiens. Toujours la même intuition d’une essence supérieure, et spécifiquement humaine, considérée comme immortelle à titre d’espérance, comme avec Socrate, ou de certitude comme Jésus.
Assertion contredite aussi par les faits ; loin d’être premiers, les corps, la matière ne nous sont connus que par la conscience, donc par l’âme. Et ils sont mus par elle. Elle est le cocher tenant en mains les chevaux rétifs, où iraient- ils sans elle ? Droit aux abîmes.
C’est la cas des bas instincts et des passions viles livrés à eux-mêmes..
 
Ainsi l’existence de l’âme est plus sûre même que celle du corps, celui-ci ne nous est connu que par elle. Elle est donc ce qui en nous, est le plus de nous-même. Et elle est tellement supérieure au corps, et d’un essence si différente de la sienne, si subtile, si ténue, si spirituelle en somme que sa survivance doit faire pour nous l’objet non seulement d’une belle espérance, mais d’une certitude morale.
 
Peut-être même est-elle l’étoffe invisible dont est tissé l’Univers. Les choses elles-mêmes ont une âme, pour Lamartine : « Objets inanimés avez-vous une âme? » Cher poète, nul doute que ton intuition soit supérieure aux apparences.

En conclusion, la vision du corps, de l’âme, et de l’esprit, apparaît comme un paradigme probable, ou tout au moins plausible, et fécond. Fécond, car le choix  de ce ternaire à la place  de la dualité n’est pas sans conséquence. Il ne s’agit pas en effet, juste, d’un choix intellectuel explicitant notre vision du monde. Car notre vision nous transforme, c’est une représentation et un vécu, une conception et une expérience, ou encore une théorie et une pratique. Le second terme manifestant et authentifiant le premier, d’ailleurs.

Notre vision nous transforme car elle ne décrit pas l’homme tel qu’il est, mais elle fait l’homme tel qu’elle le décrit. C’est pourquoi elle est si essentielle.

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