L’Erreur
est Juste
L'idée concentrée
dépend entièrement du point de vue du
côté où l'on se place. Je
répète : « L'idée
concentrée dépend entièrement du point
de vue du côté où l'on se
place. » C'est compliqué,
citons quelqu'un d'autre: « Vérité
en deçà des Pyrénées,
erreur au-delà. » Enfin
beaucoup plus simple : « C'est relatif.
» dirait Einstein.
Nous allons partir quelques minutes à la recherche de la
vérité, dans quelques domaines où il
est crucial d'avoir une réponse.
Dans le désordre d'importance : l'art, la justice, la
science, la philosophie. Jetons le seau dans le puits...
Essayons d'abord de définir la
vérité à partir de son contraire, le
mensonge, et l'authentique à partir de la
contrefaçon.
Supposons un génial faux-monnayeur qui réussisse
à imprimer des billets en tous points identiques
à ceux de la Banque de France. L'objet est vrai, c'est
l'origine qui est contestable. L'Etat agit d'ailleurs comme un
faux-monnayeur quand il active abusivement la planche à
billets génératrice d'inflation. Il faut alors
plus d'argent pour s'offrir le même bien.
Cela devient tout à fait surréaliste de comparer
les pleins et les déliés sur la fausse monnaie
car l'identité n'implique pas la
vérité.
Allons plus loin, car on peut faire remarquer qu'il n'y
a pas d'identité entre la presse de l'état et
celle du faux monnayeur.
Souvenez-vous de ce fait divers où la même presse,
celle de l'Etat, imprimait tantôt des documents authentiques
tantôt un faux d'ailleurs tout à fait identique,
le « vrai faux passeport »
d'Yves Chalier.
L'authentique n'a plus rien à voir avec la
vérité, il ne reste que la
légitimité, c'est à dire une
convention admise par tous, ou imposée par le plus fort.
Plus nous allons avancer dans cet exposé,
plus la notion de convention se substituera à celle de
vérité.
Un autre exemple, l'authenticité dans l'art. Si cela ne pose
guère de problèmes pour les œuvres
récentes signées et
répertoriées, certificat à l'appui, il
y a une approche plus difficile pour les œuvres plus
anciennes et non signées. On est contraint de graduer la
vérité. Il y a le tableau dont on est
sûr qu'il est du maître. Le tableau qui est de son
atelier, auquel il a donné sa touche personnelle ou ses
retouches. Plus excentrée il y a l'école c'est
à dire à la manière de... Et
là on retrouve la notion de convention, il faut que les
experts s'accordent sur ce classement, pour créer
l'authenticité.
Avez-vous entendu parler de ce faussaire qui reproduisait des Vermeer ?
- Hans Van Meegeren - Bien sûr ils étaient faux,
mais une fois la supercherie découverte ils se sont
arrachés à prix d'or, ils étaient
vrais, de lui, génial imitateur.
Nous allons nous attarder un moment sur un sujet
où l'établissement de la
vérité par la preuve est de première
importance : la justice.
En France la cour d'assises juge les crimes. La preuve du crime est son
accomplissement. Un corps assassiné est par exemple la
preuve d'un acte criminel.
La victime occupe la double position de victime et de preuve de son
propre état.
L'établissement de la vérité suppose
que le coupable soit mis à égalité
avec sa victime. Il faut donc faire la preuve que chez lui, l'acte
criminel et la personnalité sont identiques.
La justice ne peut sévir que contre un coupable qui se
confond entièrement avec sa culpabilité. Il faut
à la justice, face à une victime parfaitement
victime, un coupable parfaitement coupable.
La victime n'a généralement besoin que
d'être victime pour être parfaite.
Le coupable, lui, se présente rarement dans cet
état de perfection. D'abord parce qu'un humain ne cesse de
déborder les limites de son identité ; ensuite
parce qu'un coupable s'éloigne de son acte et n'a
guère intérêt à l'assumer.
La justice ne peut juger que dans la
vérité. Pour établir cette
vérité, elle n'a d'autre moyen que la preuve.
Chaque serviteur de la justice travaille à l'apparition de
la vérité en menant une enquête qui
doit fournir la preuve. Puisque toute victime suppose un coupable,
l'existence d'une victime déclenche aussitôt ce
processus, lequel ne s'arrête que par la confusion du
coupable avec sa culpabilité.
Cette confusion rétablit l'ordre. Elle disculpe la
société d'avoir contenu une
culpabilité non identifiée.
A défaut de preuve la justice s'est contentée
pendant longtemps de l'aveu.
L'aveu a perdu de sa valeur depuis que la psychologie a
ravagé les certitudes.
On doute aujourd'hui de l'aveu ; on doute aussi des témoins
parce que le regard ne voit pas forcément la chose
réelle dans la chose vue ; on doute de la police parce
qu'elle a un penchant naturel à fabriquer de la
culpabilité.
Toutefois, on ne doute pas des juges parce qu'ils tiennent compte de
tous les doutes dans l'établissement de la
vérité.
En France, l'accusé est
présumé innocent. La
cérémonie du jugement a pour but de faire la
preuve du contraire. Elle s'y emploie raisonnablement en supposant
qu'il n'est pas raisonnable d'occuper sans raison le rôle
d'accusé.
Ainsi le jeu est très rapidement clair d'un juge qui veut la
vérité, toute la vérité et
rien qu'elle, et d'un accusé, qui ne cherche qu'à
échapper à son propre rôle.
Toute la dialectique consiste à ramener le fuyard dans sa
peau. Il suffit que le président, son hermine et sa robe
rouge, soient la preuve vivante de l'autorité de la justice,
pour que les petites preuves de la défense se
métamorphosent en monnaie trébuchante de la
culpabilité.
En vérité, il y a preuve et
preuve, tout comme il y a l'argent des pauvres et l'argent des riches,
qui, sous un même vocable, ne sont pas de même
nature.
Quelle importance puisque la simple existence de la justice est en soi,
la preuve suffisante de son infaillibilité ?
Vous semblez perplexes, mes frères. Le doute s'est-il
insinué en vous ?
Au moins pensez-vous, un plus un font deux. Est-ce bien sûr ?
Est-ce que les sciences dites exactes ne sont pas elles aussi
fluctuantes ?
Prenons un exemple simple. Construisons une maison et
pour ce faire utilisons un outil que nous connaissons bien le fil
à plomb. Voici donc deux murs bien parallèles.
Parallèles, vraiment ?! Prolongez par l'imagination les
droites ébauchées. Ne se rejoignent-elles pas au
centre de la Terre ? Ça n'est pas vraiment la
définition de deux droites parallèles. Mais,
quelle importance puisque l'erreur connue est si faible qu'elle ne met
pas en péril notre édifice.
Tous les jours nos sens nous trompent, ils ne nous sont d'aucun secours
pour décrypter le monde qui nous entoure. La
mathématique et la physique nous donnent-elles des
certitudes ? Voire !
Examinons attentivement un exemple où nos
sens sont pris en flagrant délit de mensonge.
Le Soleil tourne-t-il autour de la Terre ? Mais oui, bien
sûr, sans aucun doute. Je le vois bien, tous les jours,
tourner d'Est en Ouest, et mes yeux ne me trompent guère.
D'ailleurs ce mouvement est régulier, prédictible
et ma connaissance est donc tout ce qu'il y a de scientifique.
Nul paradoxe ici, même si une légère
provocation... C'est que la confrontation du géocentrisme et
de l'héliocentrisme, ne porte pas sur le mouvement relatif
de la Terre et du Soleil, mais sur celui des autres
planètes. Ce sont les mouvements erratiques de Mercure,
Vénus, Mars, Jupiter et Saturne sur la voûte
céleste qui ont amené de telles complications
dans le système géocentrique
ptoléméen et que la révolution
copernicienne a fini par éclater.
Cela est si vrai que les deux grands systèmes
ne s'excluent pas forcément, comme l'a proposé
Tycho-Brahé en un astucieux et irréfutable
compromis. Il suffit de supposer que la Terre est bien fixe et le
Soleil mobile autour d'elle, mais que les autres planètes se
meuvent autour du Soleil et non de la Terre.
Aucune observation ne peut discriminer entre ce système et
celui de Copernic.
Et pour cause : Le système de
Tycho-Brahé n'est autre que le système de
Copernic, observé du point de vue de la Terre, point de vue
indubitablement légitime, et le seul dont nous ayons
disposé pendant longtemps ! Tycho-Brahé
annonçait ainsi la conception moderne, qui n'est que tout
simplement acentrique. Autrement dit, pour le physicien moderne, tous
les points de vue se valent, et la description des mouvements peut se
faire de façon cohérente à partir d'un
poste d'observation quelconque supposé fixe. Et c'est dans
une description à la Tycho-Brahé
modernisée et raffinée, que sont
calculées les trajectoires des fusées spatiales,
puisque c'est à partir de la Terre notre point fixe, que
nous les lançons.
Ainsi n'est-il pas faux, en toute rigueur scientifique d'affirmer que
le Soleil tourne autour de la Terre !
Cette relativité des affirmations nous amène
à nous interroger sur la théorie du
même nom et sur les essais d'unification des
théories qui structurent notre vision de l'univers.
Y a-t-il des constantes, sont-elles universelles ?
Einstein affirme qu'une constante est absolue et que les
autres doivent s'incliner devant elle : la vitesse de la
lumière. Ce dogme incontournable nous oblige à
bousculer quelques idées reçues et à
remettre en cause notre expérience quotidienne
alimentée par nos sens. En particulier que les dimensions
d'un objet varient avec sa vitesse et que le temps ne
s'écoule pas partout à la même vitesse.
Prenons l'exemple des trous noirs, objets suffisamment
vulgarisés pour simplement rappeler que la masse
effondrée de ces étoiles mortes attire tous les
objets alentour et empêche même la
lumière, de nature corpusculaire, de s'en
échapper.
Or selon Einstein la vitesse de la lumière ne
peut être inférieure à 300.000 Km par
seconde, conclusion c'est le temps qui s'est
arrêté par rapport à nous. Cela vous
semble impossible et pourtant l'écoulement du temps
dépend de la gravité. La précision des
horloges atomiques au césium a permis d'en faire la
démonstration. Entre deux horloges situées au
rez-de-chaussée d'un immeuble et au cinquième
étage, le temps ne s'écoule pas à la
même vitesse, puisque le champ gravitationnel n'est pas le
même. L'effet est très léger : il faut
considérer la quinzième décimale. Mais
si nous pouvions le mesurer à la surface d'une
étoile à neutrons, l'effet serait d'un facteur
deux. Autre exemple troublant : le modèle du Big Bang nous
dit que l'Univers gonfle. Les galaxies nous fuient à une
vitesse proportionnelle à leur distance. Il y a donc une
distance où leur vitesse d'éloignement est celle
de la lumière... La lueur ne peut donc pas nous parvenir.
Sur cette sphère d'espace temps, le temps, notre temps plus
exactement, s'arrête.
Quant à l'origine de l'univers, l'instant
zéro du Big Bang dont on se rapproche sans cesse, il se peut
qu'il n'y ait pas moyen de l'atteindre, car, dans ce point singulier
qui a dû contenir toute la masse de l'univers, le temps non
seulement est nul mais n'a jamais dû exister.
Retombons sur Terre, et calmons nous un peu, restons pratiques !
Il est des mystères insondables et qui le resteront. Car il
n'y a pas de constantes physiques de l'Univers, il n'y a que des
constantes universelles de la physique. Cela signifie que ce sont des
constantes qui permettent de baliser notre rapport au monde. Ce ne sont
pas des constantes de la nature.
Elles sont, certes, relatives à la
réalité objective, mais elles interviennent dans
des théories qui sont des élaborations humaines
ayant donc un contenu subjectif. Et ce qui est vrai pour le macrocosme
est encore plus vrai pour le microcosme, là en plus on est
certain que l'observation modifie l'objet observé. Envoyer
de la lumière ou tout autre agent physique d'investigation
sur un objet minuscule le perturbe suffisamment, pour que nous ne
puissions jamais le connaître, tel qu'il est
réellement hors de notre observation. Il se peut que tout
l'Univers danse la polka quand nous avons le dos tourné !
Il n'y a donc pas de vérité
absolue, mais seulement relative, à un endroit
donné, à un moment donné. Et cela n'a
aucune importance puisque dans notre pratique quotidienne d'arpenteurs
du monde chaque fois la même expérience produit le
même résultat pour notre seul profit humain. Pour
nous il n'y a pas d'autre point de vue qu'humain.
La tradition fait dire que la mer est cruelle. Elle se
fiche pourtant tout à fait des marins qui naviguent sur
elle. Tout l'Univers est indifférent.
Il n'y a que nous qui désirions lui donner un sens. Cela
doit nous obliger à beaucoup de prudence et surtout beaucoup
de modestie.
Voici le paradoxe : à limiter ainsi la portée de
ses énoncés, à les assujettir
à des contraignantes conditions de validité, la
science n'en affaiblit pas sa vérité, au
contraire. Lorsqu'une théorie a rencontré ses
limites et qu'on la sait fausse, elle n'en est que plus vraie, dans son
domaine de validité enfin circonscrit. Une
théorie jusqu'ici toujours confirmée s'expose en
permanence à buter sur l'imprévisible fait
expérimental qui signalera enfin les limites encore
inconnues de sa portée.
C'est justement parce que les
vérités de la science sont limitées,
conditionnelles et relatives, qu'elles peuvent nous offrir le rassurant
sentiment de la certitude.
Encore faut-il vouloir en payer le prix. Il est certes admirable que
l'esprit humain puisse s'imposer ce
rétrécissement
délibéré du champ de son
questionnement. Il serait illusoire d'imaginer que cette dialectique
tranquille puisse s'étendre aux interrogations
éthiques, politiques, esthétiques de
l'humanité. L'affirmation du vrai et du faux, mobiles et
parfois interchangeables, ne peut qu'y être
risquée. Et la science elle même pour
contrôlée qu'y soit l'alternative en son sein,
demeurant sous la dépendance de choix qui la
dépassent ne sera jamais ni vraie ni fausse...
J'ai dit.
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