Obédience : NC | Loge : NC | 23/11/2006 |
Le Saint Graal Meliora
praesumo!
Combien de fois n'ai-je pas réfléchi sur cette
devise qui accompagne le tableau
de notre grade ? Que pouvais-je espérer de meilleur ? De
plus, pourquoi les
symboles sur lesquelles on m'avait tant de fois demandé de
méditer
s'étaient-ils subitement transformés en "
instruments de mathématiques
" pour ne pas dire en " jouets " ? Au
fil du temps, ma
vision est devenue plus nette. Je perçois que la
reconstruction de l'homme
s'effectue à partir de la matière dans laquelle
il a chuté – la pierre brute –
vers des plans plus éthérés
représentés, sur les tapis de loge des grades
d'apprenti et de compagnon, par la pierre cubique et la planche
à tracer. Les
outils qu'il reçoit lors de ses réceptions dans
les quatre premiers grades sont
d'ordre symbolique. Cette première étape
correspond à une réalisation
spécifique sur un plan particulier dont je vous parlerai
plus loin dans cet
exposé. Au-delà des symboles, se situe
effectivement d'autres plans de
conscience et de réalisation de l'être dont
l'aboutissement final est la
réalisation spirituelle effective au sens
guénonien du terme. Si
toutes les
traditions initiatiques, dans la mesure où elles ne
résultent pas
d'élucubrations humaines, tendent vers le même
objectif, la représentation de
l'absolu peut revêtir des formes différentes. Concernant
notre
régime qui s'inscrit dans la tradition
chrétienne, l'emblème qui figure cette
connaissance suprême est le Graal. Comment
s'effectue
le cheminement initiatique du maçon rectifié et
particulièrement lors de sa
réception au grade de Maître Ecossais de
Saint-André vers ce but ultime, c' est
ce que je vais vous exposer dans ce travail. Je vous parlerai
également des
trois pouvoirs qui sont attachés à cette
réalisation mais brièvement car cette
notion très importante en maçonnerie
mériterait à elle seule un morceau
d'architecture.
En conclusion, je tenterai une ébauche de ce que peut
être la réalisation
spirituelle. Mais
qu’est-ce que
le Graal ? Selon
la tradition,
le Graal serait une émeraude tombée du front de
Lucifer lors de sa rébellion
contre Dieu. Cette pierre, taillée en forme de coupe par des
anges, aurait été
confiée à Adam qui en perdit la garde
lorsqu’il fut chassé du Paradis.
Toutefois, Dieu aurait permis à Seth de la
récupérer. Si la Tradition ne
précise pas toutes les modalités de la
transmission, elle raconte néanmoins que
ce précieux vase aurait servi lors du dernier repas
pascal. Joseph d'Arimathie l'aurait également
utilisé pour recueillir le sang
du Christ sur la croix. Après la résurrection du
Messie, il l'aurait emporté en
Grande-Bretagne. Son dernier fils aurait fondé avec la fille
de Nascien,
descendant du roi Salomon, la dynastie des « Rois
Pêcheurs », les gardiens du
Graal. Finalement, selon la Tradition, le Graal aurait
été enlevé au ciel. Cela
signifie son retrait du monde visible et son passage vers
l’invisible en raison
des conditions particulières d’obscurantisme de
notre temps. Seuls les êtres
qualifiés peuvent l’apercevoir, tout comme
Feirefiz, frère de Parzival à qui la
coupe reste invisible jusqu’au moment où il
reçoit le premier sacrement
chrétien. Ceci
dit, le Graal
ne revêt pas uniquement l’aspect d’une
pierre éventuellement taillée en forme
de coupe. Il apparaît également sous
l’aspect d’un livre sur lequel le Christ
ou un ange porte une inscription. L’étymologie de
ces deux termes est
d’ailleurs fort éloquente : le vase, grasale et le
livre, gradale ou graduale
(en ancien français). S’agit-il du «
livre de vie » dont parle Saint Jean dans
l’Apocalypse (20 : 15) ? En
tout cas, le
Graal possède la force de dispenser vivres et boissons
à volonté et maintient
éternellement en vie quiconque le regarde constamment,
d'où le concept
d'immortalité qui lui est attaché. En
sa qualité de
réceptacle du sang du Christ, le Graal peut
également être assimilé au
cœur.
Tout comme la pierre frontale de Lucifer qui n’est pas sans
évoquer l’œil de
Shiva, le cœur est le centre de l’être,
son temple intérieur. La légende du Graal Les
sources
principales émanent de deux célèbres
œuvres écrites au Moyen Age. La
première
est le conte du Graal ou le roman de Perceval, écrite
à la fin du XIIème siècle
et restée inachevée par Chrétien de
Troyes, clerc qui séjourna plusieurs années
à la cour de Marie de Champagne. La deuxième est
le non moins connu Parzival de
Wolfram von Eschenbach écrit au début du
XIIIème siècle. L'auteur n'hésite pas
à dire que son ouvrage n'est pas un « livre savant
» car il ne sait « ni lire,
ni écrire »1. Nos frères du Rite
Écossais Ancien et Accepté
apprécieront ! Bien
que les
détails romanesques divergent entre les sources
littéraires qui ont révélé
cet
élément de la Tradition, la trame reste identique
: celle d'un chemin, d'un
programme initiatique construit pour parvenir à la plus
grande des lumières. Le récit de Wolfram von Eschenbach plus étendu que celui de Chrétien de Troyes met en scène le fils du roi Gandin d'Anjou, Gahmuret. Celui-ci séduit la reine Herzeloyde qui lui donne un fils, Parzival (ou Perceval). Cet enfant ne connaîtra pas son père qui meurt au combat avant sa naissance. Herzeloyde se retire donc dans une forêt avec la volonté de cacher à son fils l'existence d'une quelconque chevalerie. Toutefois, le jeune homme rencontre cinq chevaliers : c'est l'émerveillement ! Il décide aussitôt d'aller à la cour du roi Arthur pour se faire armer chevalier. Perceval quitte alors sa mère qui tombe évanouie, derrière lui, « au bout du pont-levis ». Parvenus à la cour du roi Arthur, une jeune fille et un fou prédisent la gloire du héros. Celui-ci abat alors le Chevalier Vermeil qui vient d'outrager le roi, et revêt ses armes. Plus tard, il rejoint le château de Gornemant de Goort qui lui enseigne l'art de la chevalerie et un certain nombre de règles de conduite avant de l'armer chevalier. Après diverses péripéties, il parvient à une rivière. Deux hommes, assis dans une barque, et dont un pêche à la ligne, lui proposent de l'héberger au château voisin. Arrivé dans ce lieu étrange, Perceval s'assied près d'un personnage infirme qui n'est autre que le Roi Pêcheur. Perceval ne le reconnaît pas. L'infirmité du monarque est la conséquence d'une trop grande curiosité qui le poussa à désirer voir le Graal. Un ange lui perça les deux cuisses, blessure dont il ne peut ni guérir, ni mourir, le Graal le nourrissant de sa propre substance. Tout en conversant avec son hôte, Perceval remarque le singulier cortège qui traverse la salle : un jeune homme porteur d'une lance dont la pointe laisse couler une goutte de sang, une belle demoiselle qui porte dans ses mains un graal, et une autre un plat en argent. Tandis que le cortège passe et repasse, la table se trouve chargée de mets abondants et exquis. Mais Perceval, suivant à la lettre les conseils de discrétion de Gornemant, reste silencieux et n'ose pas demander pourquoi cette lance saigne et à qui l'on destine le service du Graal. Le lendemain, à son réveil, Perceval trouve le château vide. Dans une forêt voisine, il découvre une jeune fille qui s'avère être sa cousine. Elle lui révèle alors son nom qu'il ignorait : « Perceval le Gallois ». Sa cousine lui apprend également sa faute : s'il avait posé les questions sur le Graal et la lance, le Roi Pêcheur aurait été guéri et son royaume aurait retrouvé sa prospérité. Mais Perceval a gardé le silence; c' est à cause du péché commis à l'égard de sa mère, morte de chagrin. Un
peu plus tard, dans une plaine
enneigée, Perceval
s'abandonne à une contemplation silencieuse : trois gouttes
de
sang d'une oie
blessée par un faucon se détachent de la neige et
lui
rappellent le visage de
Blanchef leur. Seul Gauvain parvient à le tirer de sa
rêverie. Mais à peine
a-t-il réintégré la cour qu'arrive une
demoiselle
hideuse qui fait honte à
Perceval du silence qu'il a observé au château du
Roi
Pêcheur. Cinq ans plus
tard, Perceval a multiplié les exploits chevaleresques et a
oublié Dieu. Mais
le héros rencontre un nouveau cortège : des
chevaliers et
des dames en habits
de pénitents qui reprochent au jeune chevalier de ne pas
faire
pénitence en ce
jour du Vendredi Saint. Perceval, touché par le repentir, se
rend chez un
ermite pour lui confier sa faute : son silence au château du
Graal. L'ermite
lui rappelle que c'est le péché à
l'égard
de sa mère qui lui a « tranché
» la
langue et lui révèle une partie du secret du
Graal : ce
vase contient une seule hostie qui
suffit à maintenir en vie le Roi Pêcheur,
frère de l'ermite et de la mère de
Perceval. Puis, il absout son neveu et lui donne la communion le jour
de
Pâques. Parzival part alors pour le château du
Graal et par la question
salvatrice « Mon oncle, quel est ton tourment ? »,
le délivre de son supplice.
Parzival devient le gardien du Graal. Son fils Lohengrin sera son
successeur.
Quant à Feirefiz, frère du héros, il
tombe amoureux de la porteuse du Graal.
Par amour pour elle, il se fait baptiser, obtient sa main et part avec
elle
pour l'Inde où lui-même et plus tard son fils, le
Prêtre Jean, vont répandre le
christianisme. Graal et
cheminement initiatique Notons
tout d'abord
que le personnage-clé de cette légende habite
avec sa mère dans une forêt
qualifiée de gaste, c'est-à-dire
désolée ou aride. En fait, cet adjectif
indique un lieu solitaire et peu fréquenté.
Lorsqu'on mesure l'importance que
revêt la forêt dans la tradition celtique, on
comprend que Perceval œuvre déjà
dans un espace sacré : la gaste forêt,
véritable sanctuaire, lieu des
cérémonies druidiques. De plus, en sa
qualité de « fils de la Veuve Dame »,
Perceval est déjà un initié. En
s'enquérant du travail réalisé par les
herseurs
de sa mère, il joue le rôle de surveillant. Ainsi,
en ouvrant dans un cadre
matériel et professionnel, Perceval possède
l'initiation de métier. Cette
première
étape qui implique un symbolisme axé sur l'art de
la construction, appelé art
royal, me paraît clairement vécu par le
Maître Ecossais de Saint-André lors de
sa réception. En effet, en découvrant
succèssivement la perpendiculaire, le
niveau, l'équerre et le compas qui représente le
cheminement des quatre
premièrs grades symboliques, le Maître Ecossais de
Saint-André, possèdent les
éléments pour une réalisation sur le
plan humain : Les quatre vertus
oméostatiques dont l'objectif primordiale est de recentrer
l'homme dans son
état de perfection humaine originelle. Le Maître
Ecossais de Saint-André
réintègre symboliquement le centre du cercle que
la Tradition représente sous
la forme du paradis terrestre ou Jardin d'Eden. Le Maître
Ecossais de
Saint-André vient de franchir la première
enceinte d'un ouvrage tripartite dont
chaque division représente un plan de conscience et donc de
réalisation
spirituelle. Plus
tard,
émerveillé par la rencontre de chevaliers,
Perceval embrasse la carrière des
armes. Il devient chevalier et c'est à ce moment
précis que notre héros va
découvrir « par inspiration » son nom
qu'il ne connaissait pas : « Perceval le
Gallois ». Il est important de remarquer que la
découverte de ce nomen
ésotérique apparaît comme une
révélation et non comme une
spéculation du
mental. Ce nom, déjà inscrit, doit être
débarrassé des aspérités
qui
l'empêchent d'être connu, tout comme la pierre
brute ne deviendra pierre
cubique que par la suppression de la gangue qui l'entoure. En
franchissant un
pont, Perceval pénètre dans un autre monde qui
correspond à l'initiation
chevaleresque. Il laisse derrière lui sa mère
évanouie, lien avec la matière et
représentant peut-être le monde des symboles.
Perceval n'en effectue pas moins
un travail initiatique : la contemplation de trois gouttes de sang sur
la neige
porte ses pensées vers sa Dame. La présence des
couleurs blanche et rouge
représente les étapes essentielles du Grand
Œuvre alchimique : l'œuvre au blanc
et l'œuvre au rouge. Le blanc symbolise également
la pureté et la royauté du
Christ. Le rouge exprime l'esprit de courage et rappelle le divin
sacrifice.
Quant à la Dame, elle est celle vers laquelle se tournent
les pensées des
chevaliers, celle qui reçoit une paire de gants lors de
notre entrée dans
l'Ordre, c'est-à-dire la Vierge. Cette
deuxième étape
qui est au-delà des symboles est vécu par le
Maître Ecossais de Saint-André
lorsqu'il découvre la mer d'airain, la table des pains de
proposition et le
chandelier à sept branches. Son parcours s'effectue avec la
truelle et l'épée.
Constructeur mais aussi guerrier en souvenir des ouvriers qui
rebatirent le
temple de Zorobabel les armes à la main. En franchissant
cette deuxième
enceinte, le Maître Ecossais de Saint-André
commence à présumer d'une chose
meilleure : l'initiation chevaleresque. L'aboutissement
de
la quête de Perceval sera la garde du Graal. Toutefois, ce
n'est qu'à la
deuxième tentative que Parzival y réussit car
lors de sa première entrée dans «
le château de la Merveille », il n'avait pas su, en
contemplant le Graal,
prononcer la question qui aurait sauvé le Roi
Pêcheur de ses tourments. C'est
donc par la prononciation d'une parole que Perceval atteint le Graal.
S'agit-il
du nom de Dieu que seul le grand prêtre du Temple de
Jérusalem prononçait une
fois l'an ? Ici, une troisième enceinte est franchie, celle
de l'initiation
sacerdotale. C'est d'ailleurs ce qui se dégage des paroles
que l'ermite
Trevizent adresse à Parzival avant son entrée
dans le château merveilleux : «
C'est la bénédiction de Dieu qui
protège les prêtres ! Sers-les donc toujours
avec loyauté, ainsi tu connaîtras une fin
bienheureuse. Sois toujours aimable à
l'égard des prêtres. Rien sur terre
n'égale le prêtre. Ses lèvres nous font
connaître le martyre du Christ qui nous a
délivrés de la damnation. Sa main
bénie tient le plus haut gage6 jamais donné pour
racheter une faute. Si un
prêtre exerce son office pieusement et chastement, il n'est
pas vie plus sainte
que la sienne7 ». Cette
troisième
étape correspond à la dernière phase
du découvrement du Temple de Zorobabel. Le
Maître Ecossais de Saint-André
pénètre dans le Saint des Saints où se
trouve
l'arche de l'alliance, relève l'autel des parfums. Il revit
la cérémonie que le
Grand Prêtre du Temple de Jérusalem
réalisait une fois par an. A cette
occasion, il prononçait le nom
sacré et entrait ainsi en contact avec la
divinité. Toutefois, ce rituel n'était
pas sans
danger car la tradition raconte qu'une corde était
attachée au corps de l'officiant qui
pouvait ainsi être tracté manuellement hors du
debhir en cas de problème. Existe-t-il
un
rapport entre l'autel des parfums et le Graal dont la forme la plus
courante
est celle d'une coupe ? Je le crois car notre rituel précise
que le candidat
" prend l'esprit de vin qui est à côté
et en remplit la petite cavi té de
l'autel ". Le concept de réceptacle est conservé
et induit donc une
analogie entre l'autel des parfums et la sainte coupe du
récit arthurien. Il
est à noter
également que la présence du Graal au sein de
notre rituel n'est pas une
nouveauté. En effet, l'apprenti lors de sa prestation de
serment revit la
passion du Christ. Placé entre l'équerre et le
compas qui représente la nature
mi-humaine et mi- divine du Christ, il offre son " sang " que le
deuxième surveillant recueillera dans une coupe
située sous le sein gauche. Cependant,
si le
Maître Ecossais de Saint-André visionne des
éléments qui ne sont pas de son
grade, cette pédagogie maçonnique n'est pas une
nouveauté au sein de notre rite
car depuis le premier grade, le maçon rectifié
reçoit à chacune de ses
réceptions des données qui prévisagent
déjà d'éléments qu'il
découvrira
ultérieurement. Pour exemple, l'étoile
flamboyante et la truelle au grade
d'apprenti. Comme Moïse sur le mont Nebo, le Maître
Ecossais de Saint-André
voit de loin le pays où coule le lait et le miel. Selon ses
capacités, il
prendra conscience de choses meilleures qui sont à venir
mais auxquelles il ne
participe pas encore d'une manière effective. Initiation
de
métier, initiation chevaleresque et initiation sacerdotale
semblent être les
modalités d'un cheminement qui aboutie par étapes
successives à un centre
initiatique. Cette triade est d'ailleurs conforme à une
certaine vision
traditionnelle telle qu'elle existait dans la
société féodale avec le
tiers-état, la noblesse et le clergé, et telle
qu'on la rencontre encore dans
l'hindouisme avec les Vaiçya - les paysans -, les Kshatryas
- les guerriers -,
et les Brâhmanes - les prêtres -. Les trois pouvoirs Les
trois types
d'initiation que rencontre Perceval dans sa quête du Graal
lui octroie trois
pouvoirs conformes à la tradition : le pouvoir royal, le
pouvoir prophétique et
le pouvoir sacerdotal. Le
pouvoir royal
correspond à l'initiation de métiers qui est
principalement axée sur le symbolisme
du Temple de Jérusalem, élevé
à la gloire de Dieu par le roi Salomon. Ce
pouvoir s'exerce sur le monde terrestre. Le
pouvoir
sacerdotal correspond à l'initiation sacerdotale et s'exerce
dans le monde
céleste. Le
pouvoir
prophétique, quant à lui, correspond à
l'initiation chevaleresque. Tout comme
le prophète opère le lien entre la terre et le
ciel dont il est le messager et
l'interprète, la voie du blason reste un chemin
intermédiaire, une voie
périlleuse où le futur chevalier cherchera
à découvrir sur son écu vierge sa
personnalité vraie. Son blason devient, s'il sonne juste, le
lien entre une
potentialité terrestre et une réalité
spirituelle. Ce pouvoir prophétique
s'exerce donc dans le monde intermédiaire. Cela
dit, la
Tradition attribue ces trois pouvoirs à deux personnes que
les Saintes
Écritures mettent d'ailleurs en relation :
Melchisédek et le Christ.
Melchisédek « roi de Salem » et
« prêtre du Très-Haut » est
donc l'image du
Christ que Dieu a « déclaré grand
prêtre selon l'ordre de Melchisédek ».
Bien
que la Bible ne parle pas explicitement du pouvoir
prophétique, il est
néanmoins présent par le rôle de lien
qu'il réalise entre les deux autres
mondes. En
ce qui concerne
la possession de ces trois pouvoirs, René Guénon
fait remarquer à juste titre
que le Christ reçoit à sa naissance l'hommage de
trois rois-mages qui «
reconnaissent expressément en lui la source de cette
autorité dans tous les
domaines où elle s'exerce : le premier lui offre l'or et le
salue comme roi ;
le second lui offre l'encens et le salue comme prêtre ; enfin
le troisième lui
offre la myrrhe ou le baume d'incorruptibilité et le salue
comme prophète ou
Maître spirituel par excellence ce qui correspond directement
au principe
commun des deux pouvoirs sacerdotal et royal. L'hommage est ainsi rendu
au
Christ, dès sa naissance humaine, dans les « trois
mondes » dont parlent toutes
les doctrines orientales : le monde terrestre, le monde
intermédiaire et le
monde céleste ». Roi,
prophète et
prêtre sont donc les trois clés de la
réalisation spirituelle. Mais qu'est-ce
que la réalisation spirituelle ? Bien
que la Vérité
(avec un grand V) soit une et divine par essence, sa manifestation,
quant à
elle, peut prendre diverses formes. C'est pourquoi, la
réalisation spirituelle
dont il s'agit présentement en relation avec le Graal,
n'exclut nullement tout
autre forme ou méthodologie traditionnelle. Cela
dit, il est à
noter que le Graal n'apparaît pas systématiquement
aux personnes présentes ;
une qualification est nécessaire pour l'apercevoir. En
l'occurrence ici, être
baptisé. Cette quête s'appuie donc sur un
exotérisme. De
même, un état
particulier est nécessaire pour le voir : « Par la
pitié devenue sage, le pur
et le fol, attends celui que j'ai élu » dit
Richard Wagner dans son opéra
Parzival11. Ainsi le Saint Graal n'est accessible qu'au pur, au fou de
l'arcane
sans nombre du Tarot. Transformer
l'initiation virtuelle en initiation effective et, comme le
décrit René
Guénon, réaliser à partir de
l’état humain les états supra
individuels de
l’être autrement dit accéder
à la délivrance, tel est le but. Mais qu'implique
ce dernier terme ? Selon
ce même
auteur, cette réalisation totale s'opèrerait en
deux phases : La
première étape
consisterait en un recentrage. L'homme chûté et
déchu, l'Adam de la Génèse,
erre à la périphérie d'une roue en
mouvement dont il subit les contingences.
Par une ascèse – les quatre vertus cardinales
– il lui est offert d'atteindre
le centre de la roue. Parvenu à ce point
d'équilibre, que le taoïsme nomme
" l'invariable milieu ", l'homme – en grec andros –
atteint la
perfection humaine. Il réintègre le Jardin d'Eden
et devient l'Homme Véritable
ou Homme Primordial de la Tradition. Lors
de la deuxième
phase, il va franchir les états multiples de son
être. Pour parvenir à la
réunion, à l'identification avec le Principe, il
devra percer la voute, l'arche
qui l'empêche d'accèder aux états
supérieurs. Il devient l'Homme Transcendant
ou Homme Universel de la Tradition. Il parvient alors à des
états qui sont
au-delà de la manifestation. C'est pour cette raison qu'il
est opportun de
différencier le salut de la délivrance. Le salut
qui est donné par l'observance
d'un rite religieux fait référence à
l'immortalité et au devenir de l'être dans
son rapport à la manifestation. Quant à la
délivrance induite par la pratique
des rites initiatiques, elles conduit à la
libération définitive de l'être
même
au-delà de l'unité car si l'on se place sur le
plan métaphysique, l' Etre ou le
un et le Non-Etre ou le zéro métaphysique sont
tous les deux issus du Principe.
Notez bien que je n'ai pas fait référence
à Dieu mais au Principe car ce
premier terme constitue quelque part une limitation de
l'incommensurable, de
l'innommable. Pour le définir, l'Hindouisme parle de Brahma,
c'est-à-dire le
" Principe Suprême " qui se situe au-delà de toute
distinction. Un
recentrage vers
l'état de perfection sur le plan humain puis une
élévation vers le Principe
dont tout a été émané tel
est le parcours initiatique que semble montrer le
Rite Ecossais Rectifié. Au
delà de notre
belle fraternité, de notre bienfaisance active, de nos
réflexions morales et
philosophiques de qualité, s'opère en chacun de
nous une alchimie que nous
alimentons quotidiennement par le respect de gestes, de paroles et par
la
méditation de symboles dont la portée nous
échappe peut-être. D'ailleurs, si le
but de notre Ordre ne consistait qu'en discours philosophiques,
fraternité et
bienfaisance, nous ne possèderions pas forcément
le monopole en tous ces
domaines. Ceci dit, loin de moi l'idée de
dénigrer ces actions, elles sont
belles et nécessaires, et font la fierté de notre
obédience. Néanmoins, s'il ne
s'agissait que de cela, à quoi servirait tout ce
décorum qui encadre notre rituel
? Jean-Baptiste Willermoz déclarait lui-même : "
La maçonnerie
fondamentale comme vous venez de la voir a un but universel, que la
morale
seule ne pourrait remplir. La pratique de la saine morale & des
devoirs de
société sont à la
vérité le but apparent des grades, mais ces
vertus ne peuvent
en être le but réel, Qu'aurait-elle alors besoin
d'emblèmes, de mystères &
d'Initiation ? " Ceci
dit, par delà
cette réflexion qui m'agite depuis quelques
années, je cherche à appréhender le
réel but de l'Ordre. S'il pouvait un jour me permettre
d'être reconnu, comme
seul Abraham l'a été, l " ami de Dieu ", ne
serais-je pas le plus
heureux des hommes ? En attendant, je médite. Je cherche. Je
pense souvent
aussi à Jean Le Baptiste, celui qui reconnut le Christ, le
désigna comme celui
qu'il fallait suivre désormais, le vit faire des miracles et
qui, emprisonné,
demanda néanmoins à ses disciples d'aller
vérifier s'il s'agissait bien du
Messie. Consternant ! Cette
exemple qui
n'est d'ailleurs pas le seul dans la Bible me rassure quelque part. Il
me force
à admettre que l'être est tributaire d'un corps de
chair dont la nature même
l'incite souvent à douter. Malgré cet handicap,
je cherche. Parviendrai-je au
but ultime de réalisation que la maçonnerie
semble m'offrir ? Je l'espère. Ou
alors, il me faudra attendre l'instant ultime où je pourrais
faire mienne cette
phrase de l'apôtre Paul : « Maintenant, nous voyons dans un
miroir, d'une
manière obscure, mais alors nous verrons face à
face, aujourd'hui je connais en
partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu ». Respectable
Député-Maître, mes
bien-aimés frères, je vous remercie de votre
attention. J\P\ C\ |
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