Obédience : NC Loge : NC 23/11/2006


Le Saint Graal

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Meliora praesumo! Combien de fois n'ai-je pas réfléchi sur cette devise qui accompagne le tableau de notre grade ? Que pouvais-je espérer de meilleur ? De plus, pourquoi les symboles sur lesquelles on m'avait tant de fois demandé de méditer s'étaient-ils subitement transformés en " instruments de mathématiques " pour ne pas dire en " jouets " ?

Au fil du temps, ma vision est devenue plus nette. Je perçois que la reconstruction de l'homme s'effectue à partir de la matière dans laquelle il a chuté – la pierre brute – vers des plans plus éthérés représentés, sur les tapis de loge des grades d'apprenti et de compagnon, par la pierre cubique et la planche à tracer. Les outils qu'il reçoit lors de ses réceptions dans les quatre premiers grades sont d'ordre symbolique. Cette première étape correspond à une réalisation spécifique sur un plan particulier dont je vous parlerai plus loin dans cet exposé. Au-delà des symboles, se situe effectivement d'autres plans de conscience et de réalisation de l'être dont l'aboutissement final est la réalisation spirituelle effective au sens guénonien du terme.

Si toutes les traditions initiatiques, dans la mesure où elles ne résultent pas d'élucubrations humaines, tendent vers le même objectif, la représentation de l'absolu peut revêtir des formes différentes.

Concernant notre régime qui s'inscrit dans la tradition chrétienne, l'emblème qui figure cette connaissance suprême est le Graal.

Comment s'effectue le cheminement initiatique du maçon rectifié et particulièrement lors de sa réception au grade de Maître Ecossais de Saint-André vers ce but ultime, c' est ce que je vais vous exposer dans ce travail. Je vous parlerai également des trois pouvoirs qui sont attachés à cette réalisation mais brièvement car cette notion très importante en maçonnerie mériterait à elle seule un morceau d'architecture. En conclusion, je tenterai une ébauche de ce que peut être la réalisation spirituelle.

Mais qu’est-ce que le Graal ?

Selon la tradition, le Graal serait une émeraude tombée du front de Lucifer lors de sa rébellion contre Dieu. Cette pierre, taillée en forme de coupe par des anges, aurait été confiée à Adam qui en perdit la garde lorsqu’il fut chassé du Paradis. Toutefois, Dieu aurait permis à Seth de la récupérer. Si la Tradition ne précise pas toutes les modalités de la transmission, elle raconte néanmoins que ce précieux vase aurait servi lors du dernier repas pascal. Joseph d'Arimathie l'aurait également utilisé pour recueillir le sang du Christ sur la croix. Après la résurrection du Messie, il l'aurait emporté en Grande-Bretagne. Son dernier fils aurait fondé avec la fille de Nascien, descendant du roi Salomon, la dynastie des « Rois Pêcheurs », les gardiens du Graal. Finalement, selon la Tradition, le Graal aurait été enlevé au ciel. Cela signifie son retrait du monde visible et son passage vers l’invisible en raison des conditions particulières d’obscurantisme de notre temps. Seuls les êtres qualifiés peuvent l’apercevoir, tout comme Feirefiz, frère de Parzival à qui la coupe reste invisible jusqu’au moment où il reçoit le premier sacrement chrétien.

Ceci dit, le Graal ne revêt pas uniquement l’aspect d’une pierre éventuellement taillée en forme de coupe. Il apparaît également sous l’aspect d’un livre sur lequel le Christ ou un ange porte une inscription. L’étymologie de ces deux termes est d’ailleurs fort éloquente : le vase, grasale et le livre, gradale ou graduale (en ancien français). S’agit-il du « livre de vie » dont parle Saint Jean dans l’Apocalypse (20 : 15) ?

En tout cas, le Graal possède la force de dispenser vivres et boissons à volonté et maintient éternellement en vie quiconque le regarde constamment, d'où le concept d'immortalité qui lui est attaché.

En sa qualité de réceptacle du sang du Christ, le Graal peut également être assimilé au cœur. Tout comme la pierre frontale de Lucifer qui n’est pas sans évoquer l’œil de Shiva, le cœur est le centre de l’être, son temple intérieur.

La légende du Graal

Les sources principales émanent de deux célèbres œuvres écrites au Moyen Age. La première est le conte du Graal ou le roman de Perceval, écrite à la fin du XIIème siècle et restée inachevée par Chrétien de Troyes, clerc qui séjourna plusieurs années à la cour de Marie de Champagne. La deuxième est le non moins connu Parzival de Wolfram von Eschenbach écrit au début du XIIIème siècle. L'auteur n'hésite pas à dire que son ouvrage n'est pas un « livre savant » car il ne sait « ni lire, ni écrire »1. Nos frères du Rite Écossais Ancien et Accepté apprécieront !

Bien que les détails romanesques divergent entre les sources littéraires qui ont révélé cet élément de la Tradition, la trame reste identique : celle d'un chemin, d'un programme initiatique construit pour parvenir à la plus grande des lumières.

Le récit de Wolfram von Eschenbach plus étendu que celui de Chrétien de Troyes met en scène le fils du roi Gandin d'Anjou, Gahmuret. Celui-ci séduit la reine Herzeloyde qui lui donne un fils, Parzival (ou Perceval). Cet enfant ne connaîtra pas son père qui meurt au combat avant sa naissance. Herzeloyde se retire donc dans une forêt avec la volonté de cacher à son fils l'existence d'une quelconque chevalerie. Toutefois, le jeune homme rencontre cinq chevaliers : c'est l'émerveillement ! Il décide aussitôt d'aller à la cour du roi Arthur pour se faire armer chevalier. Perceval quitte alors sa mère qui tombe évanouie, derrière lui, « au bout du pont-levis ». Parvenus à la cour du roi Arthur, une jeune fille et un fou prédisent la gloire du héros. Celui-ci abat alors le Chevalier Vermeil qui vient d'outrager le roi, et revêt ses armes. Plus tard, il rejoint le château de Gornemant de Goort qui lui enseigne l'art de la chevalerie et un certain nombre de règles de conduite avant de l'armer chevalier. Après diverses péripéties, il parvient à une rivière. Deux hommes, assis dans une barque, et dont un pêche à la ligne, lui proposent de l'héberger au château voisin. Arrivé dans ce lieu étrange, Perceval s'assied près d'un personnage infirme qui n'est autre que le Roi Pêcheur. Perceval ne le reconnaît pas. 

L'infirmité du monarque est la conséquence d'une trop grande curiosité qui le poussa à désirer voir le Graal. Un ange lui perça les deux cuisses, blessure dont il ne peut ni guérir, ni mourir, le Graal le nourrissant de sa propre substance. Tout en conversant avec son hôte, Perceval remarque le singulier cortège qui traverse la salle : un jeune homme porteur d'une lance dont la pointe laisse couler une goutte de sang, une belle demoiselle qui porte dans ses mains un graal, et une autre un plat en argent. Tandis que le cortège passe et repasse, la table se trouve chargée de mets abondants et exquis. Mais Perceval, suivant à la lettre les conseils de discrétion de Gornemant, reste silencieux et n'ose pas demander pourquoi cette lance saigne et à qui l'on destine le service du Graal. Le lendemain, à son réveil, Perceval trouve le château vide. Dans une forêt voisine, il découvre une jeune fille qui s'avère être sa cousine. Elle lui révèle alors son nom qu'il ignorait : « Perceval le Gallois ». Sa cousine lui apprend également sa faute : s'il avait posé les questions sur le Graal et la lance, le Roi Pêcheur aurait été guéri et son royaume aurait retrouvé sa prospérité. Mais Perceval a gardé le silence; c' est à cause du péché commis à l'égard de sa mère, morte de chagrin. 

Un peu plus tard, dans une plaine enneigée, Perceval s'abandonne à une contemplation silencieuse : trois gouttes de sang d'une oie blessée par un faucon se détachent de la neige et lui rappellent le visage de Blanchef leur. Seul Gauvain parvient à le tirer de sa rêverie. Mais à peine a-t-il réintégré la cour qu'arrive une demoiselle hideuse qui fait honte à Perceval du silence qu'il a observé au château du Roi Pêcheur. Cinq ans plus tard, Perceval a multiplié les exploits chevaleresques et a oublié Dieu. Mais le héros rencontre un nouveau cortège : des chevaliers et des dames en habits de pénitents qui reprochent au jeune chevalier de ne pas faire pénitence en ce jour du Vendredi Saint. Perceval, touché par le repentir, se rend chez un ermite pour lui confier sa faute : son silence au château du Graal. L'ermite lui rappelle que c'est le péché à l'égard de sa mère qui lui a « tranché » la langue et lui révèle une partie du secret du Graal : ce vase contient une seule hostie qui suffit à maintenir en vie le Roi Pêcheur, frère de l'ermite et de la mère de Perceval. Puis, il absout son neveu et lui donne la communion le jour de Pâques. Parzival part alors pour le château du Graal et par la question salvatrice « Mon oncle, quel est ton tourment ? », le délivre de son supplice. Parzival devient le gardien du Graal. Son fils Lohengrin sera son successeur. Quant à Feirefiz, frère du héros, il tombe amoureux de la porteuse du Graal. Par amour pour elle, il se fait baptiser, obtient sa main et part avec elle pour l'Inde où lui-même et plus tard son fils, le Prêtre Jean, vont répandre le christianisme.

Graal et cheminement initiatique

Notons tout d'abord que le personnage-clé de cette légende habite avec sa mère dans une forêt qualifiée de gaste, c'est-à-dire désolée ou aride. En fait, cet adjectif indique un lieu solitaire et peu fréquenté. Lorsqu'on mesure l'importance que revêt la forêt dans la tradition celtique, on comprend que Perceval œuvre déjà dans un espace sacré : la gaste forêt, véritable sanctuaire, lieu des cérémonies druidiques. De plus, en sa qualité de « fils de la Veuve Dame », Perceval est déjà un initié. En s'enquérant du travail réalisé par les herseurs de sa mère, il joue le rôle de surveillant. Ainsi, en ouvrant dans un cadre matériel et professionnel, Perceval possède l'initiation de métier.

Cette première étape qui implique un symbolisme axé sur l'art de la construction, appelé art royal, me paraît clairement vécu par le Maître Ecossais de Saint-André lors de sa réception. En effet, en découvrant succèssivement la perpendiculaire, le niveau, l'équerre et le compas qui représente le cheminement des quatre premièrs grades symboliques, le Maître Ecossais de Saint-André, possèdent les éléments pour une réalisation sur le plan humain : Les quatre vertus oméostatiques dont l'objectif primordiale est de recentrer l'homme dans son état de perfection humaine originelle. Le Maître Ecossais de Saint-André réintègre symboliquement le centre du cercle que la Tradition représente sous la forme du paradis terrestre ou Jardin d'Eden. Le Maître Ecossais de Saint-André vient de franchir la première enceinte d'un ouvrage tripartite dont chaque division représente un plan de conscience et donc de réalisation spirituelle.

Plus tard, émerveillé par la rencontre de chevaliers, Perceval embrasse la carrière des armes. Il devient chevalier et c'est à ce moment précis que notre héros va découvrir « par inspiration » son nom qu'il ne connaissait pas : « Perceval le Gallois ». Il est important de remarquer que la découverte de ce nomen ésotérique apparaît comme une révélation et non comme une spéculation du mental. Ce nom, déjà inscrit, doit être débarrassé des aspérités qui l'empêchent d'être connu, tout comme la pierre brute ne deviendra pierre cubique que par la suppression de la gangue qui l'entoure. En franchissant un pont, Perceval pénètre dans un autre monde qui correspond à l'initiation chevaleresque. Il laisse derrière lui sa mère évanouie, lien avec la matière et représentant peut-être le monde des symboles. Perceval n'en effectue pas moins un travail initiatique : la contemplation de trois gouttes de sang sur la neige porte ses pensées vers sa Dame. La présence des couleurs blanche et rouge représente les étapes essentielles du Grand Œuvre alchimique : l'œuvre au blanc et l'œuvre au rouge. Le blanc symbolise également la pureté et la royauté du Christ. Le rouge exprime l'esprit de courage et rappelle le divin sacrifice. Quant à la Dame, elle est celle vers laquelle se tournent les pensées des chevaliers, celle qui reçoit une paire de gants lors de notre entrée dans l'Ordre, c'est-à-dire la Vierge.

Cette deuxième étape qui est au-delà des symboles est vécu par le Maître Ecossais de Saint-André lorsqu'il découvre la mer d'airain, la table des pains de proposition et le chandelier à sept branches. Son parcours s'effectue avec la truelle et l'épée. Constructeur mais aussi guerrier en souvenir des ouvriers qui rebatirent le temple de Zorobabel les armes à la main. En franchissant cette deuxième enceinte, le Maître Ecossais de Saint-André commence à présumer d'une chose meilleure : l'initiation chevaleresque.

L'aboutissement de la quête de Perceval sera la garde du Graal. Toutefois, ce n'est qu'à la deuxième tentative que Parzival y réussit car lors de sa première entrée dans « le château de la Merveille », il n'avait pas su, en contemplant le Graal, prononcer la question qui aurait sauvé le Roi Pêcheur de ses tourments. C'est donc par la prononciation d'une parole que Perceval atteint le Graal. S'agit-il du nom de Dieu que seul le grand prêtre du Temple de Jérusalem prononçait une fois l'an ? Ici, une troisième enceinte est franchie, celle de l'initiation sacerdotale. C'est d'ailleurs ce qui se dégage des paroles que l'ermite Trevizent adresse à Parzival avant son entrée dans le château merveilleux : « C'est la bénédiction de Dieu qui protège les prêtres ! Sers-les donc toujours avec loyauté, ainsi tu connaîtras une fin bienheureuse. Sois toujours aimable à l'égard des prêtres. Rien sur terre n'égale le prêtre. Ses lèvres nous font connaître le martyre du Christ qui nous a délivrés de la damnation. Sa main bénie tient le plus haut gage6 jamais donné pour racheter une faute. Si un prêtre exerce son office pieusement et chastement, il n'est pas vie plus sainte que la sienne7 ».

Cette troisième étape correspond à la dernière phase du découvrement du Temple de Zorobabel. Le Maître Ecossais de Saint-André pénètre dans le Saint des Saints où se trouve l'arche de l'alliance, relève l'autel des parfums. Il revit la cérémonie que le Grand Prêtre du Temple de Jérusalem réalisait une fois par an. A cette occasion, il prononçait le nom sacré et entrait ainsi en contact avec la divinité. Toutefois, ce rituel n'était pas sans danger car la tradition raconte qu'une corde était attachée au corps de l'officiant qui pouvait ainsi être tracté manuellement hors du debhir en cas de problème.

Existe-t-il un rapport entre l'autel des parfums et le Graal dont la forme la plus courante est celle d'une coupe ? Je le crois car notre rituel précise que le candidat " prend l'esprit de vin qui est à côté et en remplit la petite cavi té de l'autel ". Le concept de réceptacle est conservé et induit donc une analogie entre l'autel des parfums et la sainte coupe du récit arthurien.

Il est à noter également que la présence du Graal au sein de notre rituel n'est pas une nouveauté. En effet, l'apprenti lors de sa prestation de serment revit la passion du Christ. Placé entre l'équerre et le compas qui représente la nature mi-humaine et mi- divine du Christ, il offre son " sang " que le deuxième surveillant recueillera dans une coupe située sous le sein gauche.

Cependant, si le Maître Ecossais de Saint-André visionne des éléments qui ne sont pas de son grade, cette pédagogie maçonnique n'est pas une nouveauté au sein de notre rite car depuis le premier grade, le maçon rectifié reçoit à chacune de ses réceptions des données qui prévisagent déjà d'éléments qu'il découvrira ultérieurement. Pour exemple, l'étoile flamboyante et la truelle au grade d'apprenti. Comme Moïse sur le mont Nebo, le Maître Ecossais de Saint-André voit de loin le pays où coule le lait et le miel. Selon ses capacités, il prendra conscience de choses meilleures qui sont à venir mais auxquelles il ne participe pas encore d'une manière effective.

Initiation de métier, initiation chevaleresque et initiation sacerdotale semblent être les modalités d'un cheminement qui aboutie par étapes successives à un centre initiatique. Cette triade est d'ailleurs conforme à une certaine vision traditionnelle telle qu'elle existait dans la société féodale avec le tiers-état, la noblesse et le clergé, et telle qu'on la rencontre encore dans l'hindouisme avec les Vaiçya - les paysans -, les Kshatryas - les guerriers -, et les Brâhmanes - les prêtres -.

Les trois pouvoirs

Les trois types d'initiation que rencontre Perceval dans sa quête du Graal lui octroie trois pouvoirs conformes à la tradition : le pouvoir royal, le pouvoir prophétique et le pouvoir sacerdotal.

Le pouvoir royal correspond à l'initiation de métiers qui est principalement axée sur le symbolisme du Temple de Jérusalem, élevé à la gloire de Dieu par le roi Salomon. Ce pouvoir s'exerce sur le monde terrestre.

Le pouvoir sacerdotal correspond à l'initiation sacerdotale et s'exerce dans le monde céleste.

Le pouvoir prophétique, quant à lui, correspond à l'initiation chevaleresque. Tout comme le prophète opère le lien entre la terre et le ciel dont il est le messager et l'interprète, la voie du blason reste un chemin intermédiaire, une voie périlleuse où le futur chevalier cherchera à découvrir sur son écu vierge sa personnalité vraie. Son blason devient, s'il sonne juste, le lien entre une potentialité terrestre et une réalité spirituelle. Ce pouvoir prophétique s'exerce donc dans le monde intermédiaire.

Cela dit, la Tradition attribue ces trois pouvoirs à deux personnes que les Saintes Écritures mettent d'ailleurs en relation : Melchisédek et le Christ. Melchisédek « roi de Salem » et « prêtre du Très-Haut » est donc l'image du Christ que Dieu a « déclaré grand prêtre selon l'ordre de Melchisédek ». Bien que la Bible ne parle pas explicitement du pouvoir prophétique, il est néanmoins présent par le rôle de lien qu'il réalise entre les deux autres mondes.

En ce qui concerne la possession de ces trois pouvoirs, René Guénon fait remarquer à juste titre que le Christ reçoit à sa naissance l'hommage de trois rois-mages qui « reconnaissent expressément en lui la source de cette autorité dans tous les domaines où elle s'exerce : le premier lui offre l'or et le salue comme roi ; le second lui offre l'encens et le salue comme prêtre ; enfin le troisième lui offre la myrrhe ou le baume d'incorruptibilité et le salue comme prophète ou Maître spirituel par excellence ce qui correspond directement au principe commun des deux pouvoirs sacerdotal et royal. L'hommage est ainsi rendu au Christ, dès sa naissance humaine, dans les « trois mondes » dont parlent toutes les doctrines orientales : le monde terrestre, le monde intermédiaire et le monde céleste ».

Roi, prophète et prêtre sont donc les trois clés de la réalisation spirituelle. Mais qu'est-ce que la réalisation spirituelle ?

Bien que la Vérité (avec un grand V) soit une et divine par essence, sa manifestation, quant à elle, peut prendre diverses formes. C'est pourquoi, la réalisation spirituelle dont il s'agit présentement en relation avec le Graal, n'exclut nullement tout autre forme ou méthodologie traditionnelle.

Cela dit, il est à noter que le Graal n'apparaît pas systématiquement aux personnes présentes ; une qualification est nécessaire pour l'apercevoir. En l'occurrence ici, être baptisé. Cette quête s'appuie donc sur un exotérisme.

De même, un état particulier est nécessaire pour le voir : « Par la pitié devenue sage, le pur et le fol, attends celui que j'ai élu » dit Richard Wagner dans son opéra Parzival11. Ainsi le Saint Graal n'est accessible qu'au pur, au fou de l'arcane sans nombre du Tarot.

Transformer l'initiation virtuelle en initiation effective et, comme le décrit René Guénon, réaliser à partir de l’état humain les états supra individuels de l’être autrement dit accéder à la délivrance, tel est le but. Mais qu'implique ce dernier terme ?

Selon ce même auteur, cette réalisation totale s'opèrerait en deux phases :

La première étape consisterait en un recentrage. L'homme chûté et déchu, l'Adam de la Génèse, erre à la périphérie d'une roue en mouvement dont il subit les contingences. Par une ascèse – les quatre vertus cardinales – il lui est offert d'atteindre le centre de la roue. Parvenu à ce point d'équilibre, que le taoïsme nomme " l'invariable milieu ", l'homme – en grec andros – atteint la perfection humaine. Il réintègre le Jardin d'Eden et devient l'Homme Véritable ou Homme Primordial de la Tradition.

Lors de la deuxième phase, il va franchir les états multiples de son être. Pour parvenir à la réunion, à l'identification avec le Principe, il devra percer la voute, l'arche qui l'empêche d'accèder aux états supérieurs. Il devient l'Homme Transcendant ou Homme Universel de la Tradition. Il parvient alors à des états qui sont au-delà de la manifestation. C'est pour cette raison qu'il est opportun de différencier le salut de la délivrance. Le salut qui est donné par l'observance d'un rite religieux fait référence à l'immortalité et au devenir de l'être dans son rapport à la manifestation. Quant à la délivrance induite par la pratique des rites initiatiques, elles conduit à la libération définitive de l'être même au-delà de l'unité car si l'on se place sur le plan métaphysique, l' Etre ou le un et le Non-Etre ou le zéro métaphysique sont tous les deux issus du Principe. Notez bien que je n'ai pas fait référence à Dieu mais au Principe car ce premier terme constitue quelque part une limitation de l'incommensurable, de l'innommable. Pour le définir, l'Hindouisme parle de Brahma, c'est-à-dire le " Principe Suprême " qui se situe au-delà de toute distinction.

Un recentrage vers l'état de perfection sur le plan humain puis une élévation vers le Principe dont tout a été émané tel est le parcours initiatique que semble montrer le Rite Ecossais Rectifié.

Au delà de notre belle fraternité, de notre bienfaisance active, de nos réflexions morales et philosophiques de qualité, s'opère en chacun de nous une alchimie que nous alimentons quotidiennement par le respect de gestes, de paroles et par la méditation de symboles dont la portée nous échappe peut-être. D'ailleurs, si le but de notre Ordre ne consistait qu'en discours philosophiques, fraternité et bienfaisance, nous ne possèderions pas forcément le monopole en tous ces domaines. Ceci dit, loin de moi l'idée de dénigrer ces actions, elles sont belles et nécessaires, et font la fierté de notre obédience. Néanmoins, s'il ne s'agissait que de cela, à quoi servirait tout ce décorum qui encadre notre rituel ? Jean-Baptiste Willermoz déclarait lui-même : " La maçonnerie fondamentale comme vous venez de la voir a un but universel, que la morale seule ne pourrait remplir. La pratique de la saine morale & des devoirs de société sont à la vérité le but apparent des grades, mais ces vertus ne peuvent en être le but réel, Qu'aurait-elle alors besoin d'emblèmes, de mystères & d'Initiation ? "

Ceci dit, par delà cette réflexion qui m'agite depuis quelques années, je cherche à appréhender le réel but de l'Ordre. S'il pouvait un jour me permettre d'être reconnu, comme seul Abraham l'a été, l " ami de Dieu ", ne serais-je pas le plus heureux des hommes ? En attendant, je médite. Je cherche. Je pense souvent aussi à Jean Le Baptiste, celui qui reconnut le Christ, le désigna comme celui qu'il fallait suivre désormais, le vit faire des miracles et qui, emprisonné, demanda néanmoins à ses disciples d'aller vérifier s'il s'agissait bien du Messie. Consternant !

Cette exemple qui n'est d'ailleurs pas le seul dans la Bible me rassure quelque part. Il me force à admettre que l'être est tributaire d'un corps de chair dont la nature même l'incite souvent à douter. Malgré cet handicap, je cherche. Parviendrai-je au but ultime de réalisation que la maçonnerie semble m'offrir ? Je l'espère. Ou alors, il me faudra attendre l'instant ultime où je pourrais faire mienne cette phrase de l'apôtre Paul : « Maintenant, nous voyons dans un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face, aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu ».

Respectable Député-Maître, mes bien-aimés frères, je vous remercie de votre attention.

J\P\ C\


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