Ethique
et morale
"La morale
n'a pas changé. Ce qui a changé, c'est qu'on ne
l'enseigne
plus"...
Les
termes "éthique" et "morale"
désignent ce
qui a trait aux mœurs, au caractère, aux attitudes
humaines en général et, en
particulier, aux règles de conduite et à leur
justification. On réserve plutôt,
sans qu'il y ait accord sur ce point, le terme "éthique"
au
problème du fondement de toute morale et à
l'étude des concepts fondamentaux,
tels que bien et mal, obligation, devoir, et le terme "morale"
à l'analyse des phénomènes moraux
concrets. La morale apparaît d'abord, et
légitimement, comme le système des
règles que l'homme suit (ou doit suivre)
dans sa vie aussi bien personnelle que sociale.
Vus ainsi, le problème moral et les problèmes de
la morale, constituent le
centre de toute réflexion, puisque toute entreprise humaine,
est soumise à la question
de savoir si elle est justifiée ou non,
nécessaire, admissible ou
répréhensible, en accord avec les valeurs
reconnues ou en contradiction avec
elles. Mais, puisque ces règles ne sont pas les
mêmes pour différents
individus, époques, civilisations,
sociétés, la question se pose de savoir
comment découvrir un vrai bien et une vraie morale, en niant
l'existence d'une
morale absolument vraie et, partant, universelle, en ce qu'elle
obligerait tous
les êtres humains. Nous proposons donc, pour distinguer entre
"éthique"
et "morale", de réserver le terme
d'éthique pour tout le
questionnement qui précède l'introduction de
l'idée de loi morale et de
désigner par morale tout ce qui, dans l'ordre du bien et du
mal, se rapporte à
des lois, des normes, des impératifs.
La
vie morale
Il
n’y a pas une morale, mais des morales, l’ensemble
des morales constitue la
moralité C’est à dire le champ
philosophique de toutes les morales. La première
moralité étant d’ailleurs de vouloir et
d’accepter une morale. Car le terme de
morale fait l’objet de définitions
différentes selon le point de vue à partir
duquel on envisage les choses.
D’un
point de vue déontologique ou opératoire, une
morale est constituée par un
ensemble de références qui permettent, tout
d’abord, d’opérer la distinction
entre le bien et le mal, ensuite de fournir à
l’homme des règles de conduite
pour sa vie quotidienne, enfin, de mieux vivre ensemble.
La
vie morale de l’homme a ainsi trois
caractéristiques. Tout d’abord, elle
s’exerce à la fois dans les domaines de la
réflexion et de l’action : "Agis
en homme de pensée et pense en homme d’action" -
Henri Bergson.
Ensuite, la vie morale concerne l’individu et vise le
collectif. Enfin, la vie
morale conjugue des règles générales
et leur mise en pratique quotidienne. Elle
ne se borne pas à la définition de grands
principes, mais consiste
essentiellement à leur mise en application dans chaque
moment de la vie de tous
les jours.
La
crise morale
Face
à la double crise morale de notre
société : crise des fins
(perte des
valeurs de référence) et crise des
moyens, il serait dérisoire de
gémir sur la faillite de nos institutions. La
société ne prétend plus à
l’éducation. Elle produit et distribue des biens
et des services et ne réclame
en échange qu’un simple bulletin de vote au
citoyen, au moment de la formalité
démocratique des élections. Elle ne forme pas,
elle désinforme. Les partis
politiques sont devenus la forme moderne de l’esclavagisme,
un esclavagisme
mental. Les religions chôment. Le constat sur
l’école est terrifiant. Un
enchaînement de bonnes intentions et de calculs
intéressés, a délité, en
une
trentaine d’années, ce qui fut l’un des
meilleurs systèmes éducatifs au monde
et qui, de l’aveu même de son ministre actuel, "est
devenu un système
éducatif qui génère de
l’exclusion". Ceux qui sont nés dans la rue,
désormais y restent, avec les conséquences que
l’on connaît. Les médias,
(presse, télévision, Internet), la "jet-set",
la mode, sont
les vecteurs et les modèles de
l’aliénation mentale de l’homme, en
démontrant
par l’absurde la primauté de l’argent et
du pouvoir - Avoir
- ainsi que celle de l’apparence - Avoir
l’Air,
le mannequin brésilien Ana Reston meurt d’anorexie
à 18 ans - sur l’existence
véritable - Etre.
Faut-il
proposer une nouvelle morale ?
"La
morale laïque, c’est-à-dire
indépendante de toute croyance religieuse
préalable
et fondée sur la pure idée du devoir, existe ;
nous n’avons point à la créer.
Elle n’est pas seulement une doctrine philosophique ; elle
est devenue, depuis
la Révolution française, une
réalité historique, un fait social, car la
Révolution, en affirmant les droits et les devoirs de
l’homme, ne les a mis
sous la sauvegarde d’aucun dogme. Elle n’a pas dit
à l’homme : Que crois-tu ?
Elle lui a dit : Voilà ce que tu vaux et ce que tu dois ;
et, depuis lors,
c’est la seule conscience humaine, la liberté
réglée par le devoir, qui est le
fondement de l’ordre social tout entier". Jean
Jaurès - 1892.
A
l’existence de Dieu près, la morale
enseignée alors par le curé était la
même
que celle enseignée par l’instituteur socialiste.
Elle était alors porteuse de
valeurs potentiellement universelles, comme le progrès, la
dignité, la
solidarité. Elle comportait toutefois une part aveugle, une
part d’impensé :
l’égalité politique entre les hommes et
les femmes, le suffrage universel pour
les femmes, la critique à l’égard de
l’Etat républicain, la valeur morale
suprême de "mourir pour la patrie", qui
a servi à gagner une
guerre, dont les souffrances qu’elle a suscitées
ou permises, ont épouvanté les
Français. Aujourd’hui, nous sommes
entrés dans une période où la morale
n’a pas
disparu, mais est devenue une morale d’instinct et
d’émotion plus que de
raison.
Une
première réflexion pourrait être
menée du côté d’un
élargissement de
l’universalisme des connaissances enseignées. Une
autre réflexion pourrait être
menée à propos de la manière trop
rigide avec laquelle on aborde le rapport
connaissance - croyance. Il est certain que nous vivons une situation
difficile
qui tient aussi à la fin des certitudes et à la
fin des croyances qui
soutenaient l’éducation laïque.
S’agissant de l’islam, il semble que nous
vivons aujourd’hui une situation de fascination stigmatisante
qui nourrit les
fantasmes de la peur, d’un côté comme de
l’autre. Et la situation du professeur
Redeker, montre bien que la société
s’est endormie sur l’idée que la
liberté
était un bien définitivement acquis.
Alors,
une Morale Laïque nouvelle ou adaptée est-elle
souhaitable ? La réponse est Non
! Si on en fait une Religion Civile. Non ! Si le "droit de
l'hommisme" devient une caricature des Droits de l'Homme.
Non ! Donc,
si la Laïcité devient une orthodoxie, avec ses
fonctionnaires installés. Car la
Morale Laïque ne peut être un orthodoxisme. Mais, en
tant que source morale,
libérale et démocratique, elle peut constituer
l'une des meilleures chances de
solutions à offrir pour l'instauration d'une
société ouverte et pluraliste. La
réponse est donc : Oui, si la crise actuelle sait
déboucher sur un nouveau
Pacte Laïque qui permettrait le mariage des
différences, tout en préservant
l'Unité de la Nation.
Fondements
d’une morale laïque
Le
concept d’une Morale laïque ne va pas de soi,
puisqu’il est défini par deux
mots qui sont de nature très différente. Le mot
"laïque" est d’ordre
institutionnel et juridique. Il se réfère
à ce que l’homme fait. Le mot
"morale" est d’ordre philosophique et concerne ce que
l’homme est
derrière ce qu’il fait et qu’il
extériorise. Il semble toutefois possible de
définir le contenu d’une Morale Laïque
qui serait, à partir d’un ensemble de
notions institutionnelles et juridiques, un état
d’esprit, déterminant les
conduites à tenir. Il deviendrait dès lors
possible d’envisager que ces notions
et les règles qui en découlent deviennent une
Morale. La devise de la République
est : Liberté, Egalité, Fraternité. La
morale laïque que nous proposons,
considérée comme une morale parmi
d’autres, se fonde naturellement sur ces
trois valeurs essentielles pour distinguer ce qui est bien et ce qui
est mal,
en permettant la libre existence de l'Individu, tout en assurant la
cohésion
sociale.
L’Individu
La
première valeur de base est l'Individu : "Agis de
telle sorte que tu
traites l’humanité comme une fin et non comme un
moyen" - Kant. Il
s’agit bien là d’un fondement commun
à toutes les morales contemporaines, où
l’individu est considéré comme une fin
et non simplement comme un moyen. C'est
l'affirmation "du caractère sacré de
la Personne humaine, de la
primauté absolue de l'Individu" - Emile Durkheim.
Tout être humain
possède des droits imprescriptibles et sacrés
(Constitutions de 1958 - Droits
de l’Homme de 1789). La Morale Laïque est donc un
Humanisme, au sens donné par
Albert Memmi : "L’Homme d’abord, tout
l’Homme, tous les Hommes",
mais pas au sens de l’Union Internationale Humaniste et
Ethique, pour laquelle
l’Humanisme est une attitude de vie non-déiste
(Pays Bas). L'Egalité signifiant
que nous sommes "Tous uniques, tous différents,
tous égaux".
Dans la devise républicaine, la primauté de
l'Individu correspond au mot : EGALITE.
Le
Libre Examen
La
deuxième valeur de base est le Libre Examen.
L’article X de la déclaration des
Droits de l’Homme de 1789 dit que : "Nul ne peut
être inquiété pour
ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation
ne trouble pas
l’ordre public établi par la loi".
Chacun dispose donc d'une Liberté
absolue de penser. "Contraindre cette Liberté est
une injustice, la
supprimer est un sacrilège" - Rabaud
Saint-Étienne. L’autonomie de
chacun constitue un impératif fondamental : "Agis en toute
circonstance de
manière à cultiver l’autonomie
d’autrui et la tienne se développera en
même
temps" - Jean-François Malherbe (1987).
Le
Libre Examen refuse le principe d'autorité ainsi que tout
dogmatisme qui impose
une fois pour toute, ce qui est vrai, ce qui est bien, ce qui est beau.
Le
Libre Examen est la base de la liberté absolue de conscience
qui fonde
l'autonomie de l'homme. Dans la devise républicaine, il
correspond au mot : LIBERTE.
"Ce
qu'il faut sauvegarder, ce qui est le bien inestimable conquis par
l'Homme à
travers tous les préjugés, toutes les souffrances
et tous les combats, c'est
cette idée qu'il n'y a pas de vérité
sacrée, c'est à dire interdite à la
pleine
investigation de l'homme, c'est cette idée que ce qu'il y a
de plus grand dans
le monde, c'est la liberté souveraine de l'esprit ; cette
idée que, dans
l'univers, l'humanité est une grande commission
d'enquête dont aucune
intervention gouvernementale, aucune intrigue céleste ou
terrestre ne doit
jamais fausser ou restreindre les opérations, cette
idée que toute idée qui ne
vient pas de nous est un mensonge ; que jusque dans les
adhésions que nous
donnons, notre sens critique doit toujours rester en éveil
et qu'une révolte
secrète doit se mêler à toutes nos
affirmations et à toutes nos pensées".
Jean Jaurès – 1895 – Discours
à la Chambre des Députés.
La
Cohésion Sociale
La
troisième valeur de base est la Cohésion Sociale.
La Laïcité a permis de fonder
et de cimenter la République Française en
créant un lien social qui n’était
plus de nature religieuse. Et ce lien devenait beaucoup plus fort si,
au-delà
d’une valeur législative, il constituait une
valeur morale. La Cohésion Sociale
se fonde sur la tolérance réciproque et le
respect mutuel, instituant la
primauté de certaines valeurs du groupe devant lesquelles
doivent s'effacer les
exigences individuelles. D’après Régis
Debray : "La démocratie est la
libre expression de tous les individualismes et de tous les
communautarismes.
La République est de même nature, mais
l’individu s’efface à
l’occasion au
profit du groupe". Il s'agit donc d'un juste
équilibre entre les
Droits et les Devoirs de chacun. La Morale Laïque est ainsi
une Morale du
Devoir. Elle n’est pas une morale du plaisir. La
Cohésion Sociale est le
fondement du mieux vivre ensemble. Dans la devise
républicaine, elle correspond
au mot :
FRATERNITE.
Principes
d’une Morale Laïque
Une
Morale Laïque n'a pas à trancher la question de
savoir si la conscience morale
de l'homme est d'origine naturelle ou divine. Elle doit être "agnostique".
Une Morale Laïque doit être fondée sur la
Raison, en se référant au progrès
scientifique qu'elle doit intégrer à son profit.
Ce qui peut lui permettre de
constater l'absurdité du racisme et l'immoralité
de l'utilisation des pratiques
irrationnelles, notamment lorsqu'elles constituent une violation du
Respect de
l'Individu. Elle doit être "rationnelle".
Tout est en
devenir. Une Morale Laïque doit manifester une large ouverture
d'esprit et
conserver une grande modestie. Les choses valent ici et maintenant.
Leur portée
universelle est incertaine. Elle doit être "dynamique".
En considérant comme principe l'Egalité des sexes
et comme valeur de base le
fait que l'être vivant est sexué, l'excision, par
exemple, ne peut être admise.
Une Morale Laïque s’autorise donc à
considérer que toutes les cultures ne sont
pas acceptables, puisque certaines ne sont pas objectivement
défendables.
Elle
doit être "équisexe".
Considérant l’Individu
et la Paix comme des valeurs fondamentales, une Morale Laïque
est non violente.
L’absence de laïcité se manifeste
largement dans le monde par l’exaspération
des communautarismes qui transgresse l’interdiction de
l’utilisation de la
violence dans les rapports sociaux. Une Morale Laïque doit
donc être "pacifiste".
Elle se fonde sur la primauté de l'Etre Humain et non sur
celle de
l’environnement. L’homme s’occupe de la
nature, qui passe toutefois après
lui-même. " Le sacrifice d’un ours
polaire pour nourrir une famille
d’esquimaux est légitime. Le sacrifice
d’un ours polaire pour vêtir une parisienne
est immoral " - Hubert Reeves. Plus
qu'écologiste, une Morale Laïque
doit donc être "Environnementaliste".
Enfin, une Morale Laïque doit être "tolérante",
mais
non complaisante :
La complaisance consistant à
tolérer l'intolérance ou la dialectique des
intégristes, qui fondent leur
liberté sur la tolérance de leur intransigeance
par les autres : "Tout
ce qui est à moi est à moi et tout ce qui est
à toi est négociable".
Une Morale Laïque doit donc être vigilante et
fondée sur l'exigence d'une
réciprocité. "Pour être
ordinairement ouverte et libérale, la
Laïcité
doit savoir se montrer à l'occasion combative : il n'y a pas
opposition mais
complémentarité entre ces deux aspects" - Jean
Baubérot. Car, la
tolérance peut être une arme létale
contre l’intelligence.
Conclusion
: La morale n’a pas changé
Ce
n’est pas la révolution qui est à
réinventer. Elle s’accomplit, puissamment,
mais pas comme le conçoivent les révolutionnaires
: un moment exalté de
l’histoire. C’est l’éducation
qui est à réinventer. Une éducation
qui permette
à l’homme de conquérir et
d’aimer sa liberté, de découvrir
librement les
valeurs permanentes qui fondent notre existence et notre
société. Au fond, la
morale n’a pas changé. Ce qui a changé,
c’est qu’on ne l’enseigne plus.
Toute
la richesse de la solidarité s’est perdue en la
transformant en assistance,
avec tout ce que cela peut comporter de paternalisme. Le rapport
à la médecine
a complètement changé aussi. Elle qui prolongeait
la vie est suspecte
aujourd’hui de prolonger la mort. Il reste cependant
impératif d’éviter que les
religions prétendent imposer des normes à la
société civile. Il faut conserver
une extrême vigilance, notamment au regard de
l’Europe, car il y a des pays
comme l’Allemagne dans lesquels l’église
surplombe la société civile.
Il
faut donc que soit clair, pour tous, le principe d’une
diversité de réponses
possibles aux questions de sens et que les religions ne sont pas les
seules
détentrices des réponses à ces
questions.
par
Eusthènes publié
dans : Société
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